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Date : 20000816


Dossier : IMM-4359-99



ENTRE :

     DEVOTE MUNYAKAYANZA

DIDIE UWILINGIYIMANA

ALAIN ISHIMWE

UWASE ALAINE IRANKUNDA

     Partie demanderesse



- et -



LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L"IMMIGRATION

     Partie défenderesse





     MOTIFS DE L"ORDONNANCE ET ORDONNANCE


LE JUGE BLAIS:



[1]      Il s"agit d"une demande de contrôle judiciaire de la décision de la Section du statut, en date du 9 août 1999, en vertu de laquelle la Section a déterminé que les demandeurs n"étaient pas des réfugiés au sens de la Convention.

FAITS

[2]      La demanderesse et ses trois enfants sont citoyens du Rwanda. Elle affirme qu"elle appartient à l"ethnie Tutsi, mais que les enfants sont d"ethnie Hutu puisque le père est Hutu.

[3]      Suite au génocide, elle est retournée au Rwanda pour découvrir que des Tutsis nouvellement arrivés occupaient les maisons des Hutus. Ayant découvert que plusieurs membres de sa famille avaient été assassinés, elle déposa une plainte en 1997, après avoir été informée que les tueurs de sa famille étaient revenus du Zaïre. Suite à cette dénonciation, la demanderesse, son frère et son oncle, reçurent des lettres de menaces.

[4]      Le 8 février 1998, son frère et sa famille furent assassinés. Le 27 juillet 1998, l"oncle aurait été assassiné. La police n"est pas intervenue.

[5]      Le 15 août 1998, apercevant un des tueurs proche de sa maison, la demanderesse commença à crier, ce qui le fit fuir.

[6]      La demanderesse décida alors de fuir avec trois de ses enfants. Ils quittèrent le Rwanda le 23 août 1998 et arrivèrent au Canada le 14 septembre 1998 où ils revendiquèrent le statut de réfugié.

[7]      Le mari de la demanderesse et son enfant aîné demeurent toujours au Rwanda.

DÉCISION DE LA SECTION DU STATUT

[8]      La demanderesse avait fait des amendements avant son témoignage, informant la Section que son mari est Hutu. La mention Hutu a été ajoutée alors à chaque FRP des enfants.

[9]      La Section a qualifié les ajouts au FRP de fondamentaux. Elle a conclu que l"omission de l"inscription de l"ethnie Hutu du conjoint au FRP original est l"assise principale sur laquelle se fonde sa conclusion. La Section a remarqué que l"ethnie Hutu du mari modifie entièrement l"angle de la crainte de persécution alléguée par les demandeurs.

[10]      La Section a noté l"absence de crédibilité de la demanderesse qui a témoigné qu"elle avait perdu tout contact avec son mari, alors que la preuve démontrait l"existence des lettres du mari adressées à la demanderesse.

[11]      La Section a rejeté l"ensemble des traductions déposées après que l"interprète, devant la Section, a noté qu"un certain paragraphe traduit n"existe pas dans la version originale.

[12]      La Section a conclu que les demandeurs n"étaient pas des réfugiés.

LES PRÉTENTIONS DE LA PARTIE DEMANDERESSE

[13]      Les demandeurs soumettent qu"étant donné qu"ils n"ont qu"une faible connaissance du français, ils ne peuvent être tenus responsables des erreurs d"un interprète dont ils n"ont pas eux-mêmes retenu les services.

[14]      Les demandeurs soumettent que la Section du statut a commis une erreur de droit en concluant que l"erreur dans la traduction de la pièce P-5 jetait un doute sur le contenu même des documents déposés en preuve. La Section a également erré en refusant de permettre à l"interprète sur place de traduire les documents. En agissant ainsi, la Section a empêché les demandeurs de faire valoir leur preuve de façon pleine et entière, ce qui constitue une violation des règles de justice naturelle.

[15]      Les demandeurs soumettent que la Section a commis une erreur en tirant des inférences négatives en se basant sur les traductions des documents, alors qu"elle a rejeté cette preuve.

[16]      Les demandeurs suggèrent que la Section du statut ait erré en omettant de se prononcer sur les lettres de menaces. La Section a également omis de mentionner que toute la famille de la demanderesse était assassinée et que son frère et sa famille ainsi que son oncle ont été tués après avoir reçu des lettres de menaces. De plus, la Section s"est trompée en indiquant que ce sont les Hutus qui occupaient les maisons des Tutsis, alors que la demanderesse a affirmé que les Tutsis occupaient les maisons des Hutus.

[17]      Les demandeurs font valoir que la conclusion de la Section à l"effet que l"ethnie du conjoint est l"enjeu principal est déraisonnable et ne tient pas compte de la preuve au dossier.

LES PRÉTENTIONS DE LA PARTIE DÉFENDERESSE

[18]      Le défendeur soutient que les demandeurs ne peuvent se décharger de leur responsabilité personnelle face à la preuve qu"ils ont soumise au soutien de leur revendication en indiquant qu"ils n"ont pas eux-mêmes choisi le traducteur.

[19]      Le défendeur soumet que les demandeurs ne peuvent que s"en prendre à eux-mêmes s"ils ont déposé une preuve non crédible. Ils avaient l"opportunité de traduire les documents avant l"audience et la Section du statut n"est pas tenue de leur accorder une chance supplémentaire de tenter de bonifier la preuve non crédible qu"ils avaient librement choisie de déposer au soutien de leur revendication.

[20]      Quant à la conclusion de non crédibilité basée sur la preuve rejetée, les défendeurs soutiennent que la demanderesse s"est contredite lors de son témoignage. Elle a affirmé qu"elle n"était pas en contact avec son mari. Par la suite, elle a expliqué que les appels téléphoniques coûtaient chers et qu"elle avait l"adresse postale d"un ami qui pouvait acheminer les lettres à son mari.

[21]      Le défendeur soumet que la Section a trouvé les amendements au FRP fondamentaux et qu"elle n"avait pas à se prononcer sur certains éléments de preuve, puisqu"elle a déjà tiré une conclusion générale de crédibilité à l"égard des demandeurs fondée sur l"absence de la crainte alléguée.

[22]      Le défendeur soumet que la Section pouvait refuser d"accorder foi au fondement de la crainte alléguée par les demandeurs, compte tenu des modifications fondamentales qui y ont été apportées par les demandeurs, au début de leur audience. Le fait que l"époux de la demanderesse ainsi que ses enfants soient Hutus rendent sa crainte invraisemblable.

ANALYSE

[23]      En rejetant la revendication parce que le mari de la demanderesse est Hutu, la Section fait abstraction d"une grande partie de la preuve soumise. La preuve indique clairement que les mariages entre ethnies étaient chose courante, mais que ce fait n"a pas empêché ni les massacres ni le génocide des membres de la famille. La preuve démontre également que les Tutsis ainsi que les Hutus modérés étaient ciblés. La Section du statut avait l"obligation de déterminer si la demanderesse a une crainte de persécution; au lieu, la Section a écarté le témoignage et la preuve de la demanderesse et a conclu que puisque son mari est Hutu, il est improbable qu"elle soit menacée. En concluant ainsi, la Section a omis de faire l"analyse requise.

[24]      Cette dernière est la seule survivante, avec ses enfants, des meurtres qui ont touché la quasi-totalité de sa famille.

[25]      À son retour, elle apprend l"identité de la personne qui a commis ces meurtres, et elle le dénonce. Elle est ensuite menacée par cet individu.

[26]      Que son mari soit Hutu ne change pas grand-chose à la situation, si ce n"est de lui rendre la vie encore plus difficile. Le ou les meurtriers des membres de sa famille qui la menacent n"ont pas de raison de cesser ces menaces, puisqu"elle-même les a dénoncés.

[27]      Il s"agissait pour la Section d"évaluer si la preuve présentée pouvait démontrer une crainte légitime de persécution basée essentiellement sur ces faits.

[28]      À mon avis, il semble manifeste que la Section a négligé de faire l"analyse des motifs de la demanderesse sur la base de sa revendication.

[29]      Il s"agit d"une erreur qui justifie l"intervention de cette Cour.

[30]      Par ailleurs, la demanderesse avait l"obligation de présenter sa preuve. Les lettres de son mari traduites n"identifient pas le traducteur. Quant aux lettres de menaces traduites, le nom du traducteur officiel est dactylographié au bas de la page. Si les documents n"ont pas été traduits par un professionnel, il me semble que la demanderesse doit supporter les conséquences de ses actions, même si c"est son avocat qui a mandaté le traducteur. Cependant si le traducteur est officiel, ce n"est pas la faute de la demanderesse, s"il s"est avéré non compétent. Elle a pris les bonnes mesures, pour présenter la preuve devant la Section du statut en utilisant un traducteur officiel. La Section aurait erré en rejetant la preuve et en refusant de permettre à l"interprète de traduire les documents.

[31]      Il me semble problématique que la Section se base sur les lettres qu"elle a rejetées pour attaquer la crédibilité de la demanderesse. Si la Section décide de rejeter la preuve parce que non crédible, elle ne peut par ailleurs baser ses conclusions sur cette même preuve. C"est une erreur de droit.

[32]      Cette demande de contrôle judiciaire est accordée et l"affaire renvoyée pour une nouvelle audition devant un panel différemment constitué.

[33]      Aucun des procureurs n"a soumis une question pour certification.

                             Pierre Blais                              Juge

OTTAWA, ONTARIO

Le 16 août 2000

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