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Date : 20040616

Dossier : IMM-2884-03

Référence : 2004 CF 869

Toronto (Ontario), le 16 juin 2004

EN PRÉSENCE DE MADAME LA JUGE MACTAVISH                                    

ENTRE :

                                              MOHAMED RAFEEK ABBOOBAKAR

                                         CHRISTINA TAGEWATTIE ABBOOBAKAR

demandeurs

                                                                             et

                         LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

défendeur

                                                                             

                                MOTIFS DE L'ORDONNANCE ET ORDONNANCE

[1]                M. et Mme Abboobakar sollicitent le contrôle judiciaire d'une décision défavorable rendue par la Section de la protection des réfugiés de la Commission de l'immigration et du statut de réfugié (la Commission). Ils font valoir qu'ils n'ont pas obtenu une audience équitable parce que les interruptions et les questions de la présidente de l'audience les ont empêchés de présenter adéquatement leurs demandes.


Les faits

[2]         M. et Mme Abboobakar sont des citoyens indo-guyaniens de la Guyana. Ils prétendent tous deux être des personnes qui craignent avec raison d'être persécutées par des Afro-Guyaniens. Mme Abboobakar prétend en outre être une personne qui craint d'être persécutée du fait de son sexe.

[3]                Dans leur témoignage, M. et Mme Abboobakar décrivent chacun le conflit qui existe entre la collectivité indo-guyanienne et la collectivité afro-guyanienne à la Guyana et les actes de violence perpétrés à l'endroit des membres de la collectivité indo-guyanienne par les Afro-Guyaniens. Quant à leurs expériences personnelles, M. Abboobakar a déclaré qu'en décembre 2000, trois Afro-Guyaniens l'ont suivi lorsqu'il se rendait de son bureau à une réunion dans un hôtel. En mars 2001, M. Abboobakar a été suivi à une autre reprise, cette fois alors qu'il revenait de la banque. Ni dans un cas ni dans l'autre, les individus qui suivaient M. Abboobakar ne l'ont affronté directement.

[4]                En janvier 2001, M. Abboobakar marchait dans la rue lorsqu'un Afro-Guyanien l'a poussé au milieu du chemin en lui disant : [TRADUCTION] « ici c'est notre chemin » . D'autres membres de la famille ont vécu des problèmes plus graves, notamment l'oncle de M. Abboobakar qui, en avril 2002, a été enlevé, mais a réussi à s'échapper.

[5]                Mme Abboobakar a témoigné qu'avant de se marier, des Afro-Guyaniens lui ont fait des attouchements déplacés alors qu'elle circulait en autobus. Elle a témoigné qu'elle avait peur de sortir de chez elle parce que les femmes indo-guyaniennes étaient souvent agressées sexuellement par des Afro-Guyaniens.

[6]                M. et Mme Abboobakar ont tous deux déclaré qu'ils craignaient d'être éventuellement agressés et vraisemblablement blessés gravement s'ils retournaient à la Guyana.

La décision de la Commission

[7]         La Commission a accepté que les incidents décrits par M. et Mme Abboobakar avaient effectivement eu lieu, mais elle a conclu que même pris de façon cumulative ils n'équivalaient pas à de la persécution.

[8]                La Commission a mentionné que M. Abboobakar a obtenu en 1996 un visa lui permettant d'entrer aux États-Unis, mais qu'il n'a pas tenté de fuir vers ce pays pour échapper à la situation qui avait cours à la Guyana à ce moment. Le couple s'est effectivement rendu aux États-Unis en mai 2001. Bien que ce voyage ait eu lieu après que se sont produits tous les incidents effrayants touchant M. et Mme Abboobakar, ils n'ont pas essayé de présenter une demande d'asile aux États-Unis. Plutôt, ils sont retournés à la Guyana en juin 2001. La Commission a conclu que ce comportement était incompatible avec une crainte subjective de persécution pour M. et Mme Abboobakar.

[9]                M. et Mme Abboobakar ont tous deux vécu à la Guyana sans subir de préjudices graves et la Commission a conclu que leur crainte de persécution pour l'avenir était hypothétique. Bien que la Commission ait accepté que l'oncle de M. Abboobakar ait été enlevé, elle a en outre mentionné que l'oncle était dans une situation différente de celle de M. et Mme Abboobakar parce qu'il était établi en tant que propriétaire d'entreprise. La Commission a de plus mentionné que l'oncle était lui-même resté à la Guyana.

[10]            Finalement, la Commission a conclu que M. et Mme Abboobakar n'avaient pas fourni des éléments de preuve clairs et convaincants démontrant que la protection de l'État ne leur serait pas offerte à la Guyana. Ni M. ni Mme Abboobakar n'ont tenté d'obtenir la protection de l'État pas plus qu'ils ont établi qu'elle ne leur serait pas offerte s'ils la demandaient.

[11]            Par conséquent, la Commission a rejeté les demandes présentées par M. et Mme Abboobakar.

La question en litige

[12]       Bien que dans leur demande de contrôle judiciaire M. et Mme Abboobakar aient mentionné de nombreuses prétendues erreurs, la plupart de leurs prétentions ont été abandonnées lors de l'audience. La seule question soumise à la Cour est celle de savoir si les interventions de la présidente de l'audience ont empêché M. et Mme Abboobakar d'obtenir une audience équitable de leurs demandes d'asile.


Analyse

[13]       L'avocat de M. et Mme Abboobakar a mentionné trois points pour lesquels il affirme que le comportement de la présidente de l'audience a fait que ses clients n'ont pas obtenu une audience équitable. Ces points seront examinés un à un.

Le motif illégitime qui aurait sous-tendu les questions de la présidente de l'audience

[14]       Selon l'avocat de M. et Mme Abboobakar, dans le cours de l'audience, la présidente de l'audience a posé à M. Abboobakar de nombreuses questions qui visaient à obtenir des réponses qui auraient confirmé sa théorie selon laquelle M. et Mme Abboobakar étaient les victimes de violence généralisée ou de crimes motivés par l'argent plutôt que de persécution du fait de la race.

[15]            J'ai examiné les parties de la transcription qui, selon l'avocat, reflètent cette erreur et je ne peux pas partager son opinion à l'égard de la caractérisation des interventions de la commissaire. En raison du type de questions posées par son représentant, une grande partie du témoignage de M. Abboobakar décrivait de façon très générale les tensions raciales qui existent à la Guyana et les façons selon lesquelles ces tensions se manifestent. Par conséquent, à plusieurs reprises la présidence de l'audience a demandé à M. Abboobakar de ne pas parler de généralités, mais de lui parler de ses propres expériences. Il n'y avait là rien d'incorrect.


[16]            Lorsque M. Abboobakar a décrit avoir été suivi après avoir quitté la banque, la commissaire lui a demandé s'il pouvait avoir été suivi parce qu'il transportait de l'argent qu'il avait pu retirer de la banque. M. Abboobakar a expliqué qu'il avait également été suivi à une deuxième reprise alors qu'il ne quittait pas une banque. La commissaire lui a alors demandé de lui parler de cet incident, ce qu'il a fait.

[17]            La transcription révèle que les questions posées par la présidente de l'audience étaient polies et largement ouvertes. Je ne suis pas convaincue que la commissaire ait essayé de coincer M. Abboobakar, comme son avocat le prétend, ou d'obtenir de la preuve pour appuyer sa théorie de l'affaire. La commissaire essayait clairement d'aider à obtenir les détails pertinents du récit de M. Abboobakar.

Le refus de permettre des questions se rapportant aux obstacles d'émigration de la Guyana

[18]       À un moment lors de l'audience, le représentant de M. et Mme Abboobakar a tenté de demander à M. Abboobakar de lui parler des difficultés d'émigration de la Guyana vers l'une des autres îles des Caraïbes. La présidente de l'audience a déclaré que la question n'était pas pertinente et elle a mentionné que les demandes d'asile de M. et Mme Abboobakar étaient ce à quoi elle s'intéressait.

[19]            Comme il a été précédemment mentionné, lors de l'examen du bien-fondé de la crainte de persécution de M. et Mme Abboobakar, la Commission a fait remarquer que même si l'oncle avait été victime d'un enlèvement, il ne s'était pas enfui de la Guyana.

[20]            L'avocat de M. et Mme Abboobakar fait valoir qu'en refusant de permettre à M. Abboobakar de répondre à la question se rapportant aux difficultés potentielles pour quitter la Guyana, la Commission a pu empêcher M. et Mme Abboobakar de fournir une explication quant à la raison pour laquelle l'oncle n'avait pas quitté la Guyana.

[21]            Cet argument présente deux difficultés. La première est que c'est un argument tout à fait hypothétique. La Cour ne dispose de simplement aucun élément de preuve donnant à penser que M. Abboobakar aurait témoigné que l'omission de son oncle de s'être enfui de la Guyana était attribuable aux difficultés du processus d'émigration si on lui avait permis de répondre à la question. M. Abboobakar n'a pas présenté un affidavit au soutien de la présente demande. Toutefois, M. et Mme Abboobakar ont effectivement déposé un long affidavit du consultant en immigration qui les représentait devant la Commission de l'immigration et du statut de réfugié. Bien que l'affidavit traite de certains détails de la situation de l'oncle, nulle part dans l'affidavit le consultant n'affirme que l'omission de l'oncle de s'enfuir de la Guyana ait quelque lien avec les difficultés du processus d'émigration.


[22]            De façon plus importante, dans son témoignage, M. Abboobakar a expliqué la raison pour laquelle son oncle était resté à la Guyana après l'enlèvement. Cette explication n'avait rien à voir avec les difficultés du processus d'émigration. M. Abboobakar a déclaré que les engagements de son oncle dans son entreprise l'empêchaient de quitter la Guyana, expliquant que son oncle avait des obligations financières qui devaient être réglées avant qu'il puisse quitter le pays. M. Abboobakar a ensuite décrit les dispositions de sécurité que son oncle avait prises afin de se protéger. À aucun moment, M. Abboobakar a donné à penser que la décision de son oncle de rester à la Guyana avait quelque lien avec les difficultés du processus d'émigration.

Les questions se rapportant à la crainte subjective de persécution de M. Abboobakar

[23]       Finalement, l'avocat affirme que ses clients n'ont pas obtenu une audience équitable étant donné que la présidente de l'audience a empêché le représentant de M. et Mme Abboobakar de poser des questions qui se rapportaient à leur crainte subjective de persécution.

[24]            L'échange en litige est consigné sur plusieurs pages de la transcription et traite de la période entre le retour de M. et Mme Abboobakar à la Guyana, en provenance des États-Unis, en juin 2001 et leur départ vers le Canada en janvier 2002. Essentiellement, la présidente de l'audience essayait de savoir ce qui s'était passé durant cette période pour que le couple décide de quitter la Guyana. L'échange important est le suivant :

[TRADUCTION]

Présidente de l'audience :    Que s'est-il passé entre juin et janvier?

M. Abboobakar :                   Entre juin et janvier, les choses ont commencé à s'aggraver. Comme je l'ai mentionné, un plus grand nombre d'Indiens ont commencé à subir des blessures.

Présidente de l'audience :    D'accord, alors que pensez-vous?

M. Abboobakar : Je pense que si je retourne à la Guyana quelque chose pourrait m'arriver.

Présidente de l'audience :    Mais, vous êtes en fait retourné? Vous étiez là?

M. Abboobakar : Non, vous m'avez demandé...

Avocat :                  Non, vous lui avez demandé, en juin?


Présidente de l'audience :    Oui.

Avocat :                  Vous lui avez demandé, après que vous êtes revenu de New York, entre juin et janvier?

Présidente de l'audience :    C'est ce que je demande.

Avocat :                  Oui, mais vous dites, mais vous êtes en fait retourné. Il n'est pas retourné à la Guyana.

Présidente de l'audience :    Bien, il vient juste de dire qu'il aurait peur de retourner et j'ai dit, bien vous êtes en fait retourné?

Avocat :                  C'est avant cela. Je veux dire, en tant qu'avocat, ce n'est pas très juste. C'est presque comme si vous l'ameniez à dire des choses que...

Présidente de l'audience :    Maître, faites attention là. Je pose seulement les questions qui tentent de le guider dans le processus jusqu'au jour qu'il mentionne. Ce que je ne veux pas, vous savez, c'est des généralités et des questions sur..., vous savez, comment vous vous sentiez. Je veux savoir ce qui est arrivé et ce qu'il a fait, d'accord?

Avocat :                                Mais, il y a un fondement subjectif et objectif de persécution.

Présidente de l'audience :    Absolument et vous pouvez certainement sans problème faire des observations à cet égard et cela fait longtemps que je suis commissaire et je sais, vous savez - et j'ai aussi entendu de nombreuses demandes présentées par des Guyaniens. Je sais ce qui se passe dans le pays, alors je veux savoir ce que vous pensiez après votre retour des États-Unis en juin qui a fait que vous avez décidé que ce serait en janvier que vous quitteriez le pays?

[25]            Je n'interprète pas cet échange comme reflétant une tentative de la part de la présidente de l'audience d'amener M. Abboobakar à donner un type particulier de réponse. Plutôt, la commissaire essayait clairement de comprendre pourquoi le couple s'était enfui de la Guyana pour venir au Canada seulement sept mois après leur retour de leur voyage aux États-Unis.

[26]            Les derniers commentaires de la présidente de l'audience sont quelque peu troublants étant donné qu'ils semblent au départ donner à penser que la commissaire n'était pas préoccupée par les perceptions subjectives des demandeurs et qu'elle a mentionné que la question de la crainte subjective ne devrait être traitée que dans les observations. Cependant, les préoccupations à cet égard sont dissipées par la deuxième moitié du dernier paragraphe où la commissaire dit clairement que ce qu'elle veut c'est comprendre ce que le couple pensait, c'est-à-dire pourquoi ils avaient décidé de quitter la Guyana en janvier 2002.

[27]            Un examen de la partie suivante de la transcription démontre que M. Abboobakar a alors eu la pleine possibilité de fournir à la commissaire une explication à l'égard de sa perception de la situation et de son processus de réflexion quant à sa décision de quitter la Guyana. En effet, les quelques pages suivantes de la transcription abordent une explication quant à la nature des préoccupations de M. Abboobakar à l'égard de la situation à la Guyana et ses raisons pour venir au Canada. Dans le cours de cet échange, le fondement de sa crainte subjective de persécution est très bien expliqué.

[28]            Dans ces circonstances, on ne peut pas dire que M. et Mme Abboobakar n'ont pas eu la possibilité de présenter pleinement leur cause.


[29]            L'avocat de M. et Mme Abboobakar établit une analogie entre les commentaires de la présidente de l'audience dans la présente affaire et les commentaires de commissaires dans d'autres affaires qui ont été jugés répréhensibles par la Cour (voir la décision Mohammad c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration) (2000), 4 Imm. L.R. (3d) 152, la décision Hagi-Mayow c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration) (1994), 74 F.T.R. 120, et l'arrêt Sivaguru c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration), [1992] 2 C.F. 374). Toutefois, ces affaires sont d'une utilité limitée étant donnéque, dans chacun de ces cas, les commentaires en litige sont quelque peu différents et que chaque commentaire a été soulevé dans son propre contexte.

[30]            À mon avis, les commentaires en litige en l'espèce, bien que peut-être malheureux, n'ont pas limité en fin de compte la capacité de M. et Mme Abboobakar de présenter leur cause.

Conclusion

[31]       Pour les motifs précédemment énoncés, la demande de contrôle judiciaire est rejetée.

Certification

[32]       Ni l'une ni l'autre des parties n'a proposé une question aux fins de la certification et aucune telle question n'est soulevée en l'espèce.


                                        ORDONNANCE

LA COUR ORDONNE :

1.          Pour les motifs précédemment énoncés, la présente demande est rejetée.

2.          Aucune question grave de portée générale n'est certifiée.

« A. Mactavish »

Juge

Traduction certifiée conforme

Danièle Laberge, LL.L.


                                     COUR FÉDÉRALE

                     AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

DOSSIER :                                         IMM-2884-03

INTITULÉ :                                        MOHAMED RAFEEK ABBOOBAKAR

CHRISTINA TAGEWATTIE ABBOOBAKAR

demandeurs

c.

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET

DE L'IMMIGRATION

défendeur

LIEU DE L'AUDIENCE :            TORONTO (ONTARIO)

DATE DE L'AUDIENCE :          LE 15 JUIN 2004   

MOTIFS DE L'ORDONNANCE

ET ORDONNANCE :       LA JUGE MACTAVISH

DATE DES MOTIFS :       LE 16 JUIN 2004

COMPARUTIONS :             

M. Max Chaudhary

                                                         POUR LES DEMANDEURS

Ian Hicks

POUR LE DÉFENDEUR

                                                                                                           

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :      

Chaudhary Law Office

North York (Ontario)

POUR LES DEMANDEURS                 

Morris Rosenberg

Sous-procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

POUR LE DÉFENDEUR


COUR FÉDÉRALE

                                                                              Date : 20040616

         Dossier : IMM-2884-03

ENTRE :

MOHAMED RAFEEK ABBOOBAKAR

CHRISTINA TAGEWATTIE ABBOOBAKAR

demandeurs

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

défendeur

                                                                                 

                                                  MOTIFS DE L'ORDONNANCE

ET ORDONNANCE

                                                                                 


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