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Date : 20191029


Dossier : IMM-1106-19

Référence : 2019 CF 1354

Ottawa (Ontario), le 29 octobre 2019

En présence de l’honorable madame la juge Roussel

ENTRE :

CLIFFORD MASSILLON

demandeur

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

[1]  Le demandeur, Clifford Massillon, est citoyen d’Haïti. Il entre au Canada le 26 septembre 2016 et présente une demande d’asile dans laquelle il allègue craindre un individu faisant partie d’un groupe criminel protégé par le gouvernement haïtien. Le demandeur affirme avoir reçu des menaces de mort de cet individu le 24 août 2016 parce qu’il aurait refusé, deux (2) mois plus tôt, de prodiguer des soins médicaux à un enfant.

[2]  Le 17 janvier 2019, la Section de la protection des réfugiés [SPR] rejette la demande d’asile. Elle conclut d’abord que le demandeur n’a pas établi une crainte de persécution pour un des motifs énumérés à l’article 96 de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 [LIPR], les médecins haïtiens ne constituant pas un groupe social particulier visé par la Convention. Jugeant le témoignage du demandeur non crédible, la SPR estime plutôt que le demandeur est victime d’actes criminels. Ensuite, elle juge qu’en raison des problèmes de crédibilité du demandeur et des lacunes dans sa preuve, elle ne peut conclure que le demandeur serait personnellement exposé à un risque prévu à l’article 97 de la LIPR.

[3]  Le demandeur sollicite le contrôle judiciaire de cette décision. De manière générale, il reproche à la SPR de ne pas avoir procédé à une analyse distincte du risque, aux termes de l’article 97 de la LIPR, pour trancher la question de savoir s’il était une personne à protéger. Il soutient que la décision de la SPR est déraisonnable puisque toute son analyse est fondée sur sa conclusion que le demandeur n’était pas crédible et ne prend pas en compte la preuve documentaire qu’il a présentée dans le contexte de sa demande fondée sur l’article 97 de la LIPR.

[4]  Après examen du dossier, la Cour estime que la décision de la SPR doit être annulée.

[5]  Il est bien établi que lorsque la SPR tire une conclusion générale selon laquelle le demandeur manque de crédibilité, cette conclusion suffit pour rejeter la demande. Cependant, s’il existe une preuve documentaire et crédible permettant d’étayer une décision favorable au demandeur, la SPR doit apprécier cette preuve au regard de l’article 97 de la LIPR (Canada (Citoyenneté et Immigration) c Sellan, 2008 CAF 381 au para 3).

[6]  En l’instance, de telles preuves existent. Le demandeur a produit des lettres provenant de certains membres de sa famille et d’anciens collègues de travail en Haïti. Dans l’une d’elles, l’auteur affirme être propriétaire d’un laboratoire de biologie médical et connaître le demandeur depuis 1999. Il confirme que le demandeur a reçu des menaces de mort à la fin du mois d’août 2016 de l’individu en question et il explique comment il en a connaissance. D’autres lettres font également état des menaces reçues par le demandeur.

[7]  Or, la SPR passe complètement sous silence cette preuve documentaire indépendante qui, à première vue, vient corroborer les allégations de risque du demandeur. Il n’était donc pas raisonnable pour la SPR de s’appuyer uniquement sur le manque de crédibilité du demandeur pour rejeter, sans analyse, l’ensemble de sa preuve documentaire. Par ailleurs, il était également déraisonnable de s’appuyer sur « les lacunes dans la preuve » sans mentionner quelles étaient ces lacunes. Même s’il est possible que la SPR détermine au bout du compte que le demandeur n’est pas exposé aux risques prévus à l’article 97 de la LIPR, elle se devait d’évaluer le risque en tenant compte de ces éléments de preuve.

[8]  Pour ces motifs, la Cour conclut que la décision de la SPR est déraisonnable parce qu’elle n’appartient pas « aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit » et parce ce qu’elle n’est pas justifiée d’une manière qui satisfait aux critères de transparence et d’intelligibilité du processus décisionnel (Dunsmuir c Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9 au para 47).

[9]  Par conséquent, la demande de contrôle judiciaire est accueillie, la décision est annulée et l’affaire est renvoyée à un tribunal de la SPR différemment constitué pour réexamen.

[10]  Aucune question de portée générale n’a été soumise aux fins de certification et la Cour est d’avis que cette cause n’en soulève aucune.


JUGEMENT au dossier IMM-1106-19

LA COUR STATUE que :

  1. La demande de contrôle judiciaire est accueillie;

  2. La décision de la Section de la protection des réfugiés est annulée et l’affaire est renvoyée à un tribunal différemment constitué pour réexamen;

  3. Aucune question de portée générale n’est certifiée.

« Sylvie E. Roussel »

Juge


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM-1106-19

INTITULÉ :

CLIFFORD MASSILLON c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

LIEU DE L’AUDIENCE :

TORONTO (ONTARIO)

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 23 OCTOBRE 2019

JUGEMENT ET motifs :

LA JUGE ROUSSEL

DATE DES MOTIFS :

LE 29 OCTOBRE 2019

COMPARUTIONS :

Sonja Vucicevic

Pour le demandeur

Norah Dorcine

Pour le défendeur

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Services d’aide juridique du Centre francophone de Toronto

Toronto (Ontario)

Pour le demandeur

Procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

Pour le défendeur

 

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