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Date : 20191029


Dossier : IMM‑5279‑18

Référence : 2019 CF 1353

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 29 octobre 2019

En présence de madame la juge Heneghan

ENTRE :

ISAACK SHIEK MAGOYA

demandeur

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

[1]  M. Isaack Shiek Magoya (le « demandeur ») sollicite le contrôle judiciaire d’une décision par laquelle la Section d’appel des réfugiés (la « SAR ») de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié a confirmé la décision de la Section de la protection des réfugiés (la « SPR ») selon laquelle il était exclu de la protection accordée aux réfugiés, en application de l’alinéa 1Fb) de la Convention des Nations Unies relative au statut des réfugiés, 28 juillet 1951, RT Can. no 6 (la « Convention »).

[2]  L’alinéa 1Fb) est une annexe à la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 (la « Loi ») et il y est intégré par renvoi. Le texte de cette disposition est le suivant :

F Les dispositions de cette Convention ne seront pas applicables aux personnes dont on aura des raisons sérieuses de penser :

F The provisions of this Convention shall not apply to any person with respect to whom there are serious reasons for considering that :

b) Qu’elles ont commis un crime grave de droit commun en dehors du pays d’accueil avant d’y être admises comme réfugiés;

(b) he has committed a serious non-political crime outside the country of refuge prior to his admission to that country as a refugee;

[3]  Le demandeur, citoyen de la Somalie, est entré au Canada depuis les États‑Unis en juillet 2017 et il a demandé l’asile, conformément aux dispositions de la Loi.

[4]  Pendant son séjour aux États‑Unis, le demandeur a fait l’objet de plusieurs accusations criminelles, dont celles de voies de fait et de violence conjugale. La SPR a conclu qu’il était exclu de la protection accordée aux réfugiés au Canada en raison de l’alinéa 1Fb) de la Convention.

[5]  En appel devant la SAR, le demandeur a sollicité la tenue d’une audience. Il ne cherchait pas à faire admettre de nouveaux éléments de preuve et sa demande d’audience a été rejetée.

[6]  Dans sa décision, la SAR a indiqué que le demandeur n’avait pas fourni d’observations [traduction] « complètes et détaillées » au sujet d’erreurs que la SPR avait censément commises. Au paragraphe 8 de sa décision, la SAR a écrit :

L’appelant a omis de faire cela. Il a plutôt présenté des observations très générales qui semblent avoir été coupées et collées sans être adaptées à l’analyse précise ou aux conclusions de la SPR. Il n’appartient pas à la SAR d’émettre des hypothèses quant aux erreurs de la SPR ou de procéder à un examen minutieux afin de trouver des erreurs. En outre, le rôle de la SAR n’est pas de fournir à l’appelant une [traduction] « seconde chance » de présenter une demande d’asile. [Souligné dans l’original.]

[7]  La SAR a par ailleurs confirmé la décision de la SPR, après avoir décrit certains aspects des antécédents criminels du demandeur.

[8]  Le demandeur fait maintenant valoir que la SAR a commis une erreur dans sa décision en omettant d’apprécier par elle-même la gravité de ses infractions, comme il en est question dans l’arrêt Jayasekara c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [2009] 4 RCF 164. Il soutient en outre que la SAR a commis une erreur en déplaçant le fardeau qu’avait le ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration (le « défendeur ») d’établir pourquoi l’exclusion doit s’appliquer à lui, afin qu’il établisse pourquoi elle ne doit pas s’appliquer.

[9]  Le défendeur soutient que les arguments qu’invoque le demandeur dans le cadre de la présente demande n’ont pas été soumis à la SAR et qu’ils ne peuvent pas l’être devant la Cour à ce stade-ci, dans le cadre de la demande de contrôle judiciaire.

[10]  Il ajoute que la SAR a bel et bien procédé à sa propre analyse et a jugé de manière légitime que la conclusion d’exclusion était raisonnable.

[11]  La première question à examiner est la norme de contrôle applicable.

[12]  Pour toute question d’équité procédurale, c’est la norme de la décision correcte qui s’applique; voir l’arrêt Canada (Citoyenneté et Immigration) c Khosa, [2009] 1 RCS 339.

[13]  La décision que la SAR a rendue sur le fond est susceptible de contrôle selon la norme de la décision raisonnable; voir l’arrêt Feimi c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2012 CAF 325, au paragraphe 16.

[14]  Selon l’arrêt Dunsmuir c Nouveau‑Brunswick, [2008] 1 RCS 190, la norme de la décision raisonnable exige que la décision soit justifiable, transparente et intelligible et qu’elle appartienne aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit.

[15]  La SAR a critiqué le demandeur pour ne pas avoir présenté de détails précis sur l’erreur que la SPR aurait commise. À mon avis, dans la présente demande de contrôle judiciaire, ce n’est pas le caractère suffisant de l’avis d’appel du demandeur qui est la question déterminante.

[16]  La copie de l’avis d’appel que contient le dossier certifié du tribunal (le « DCT ») ne fait pas état de motifs d’appel précis. Cependant, le mémoire qui a été déposé pour le compte du demandeur devant la SAR énonce l’argument de ce dernier selon lequel la SPR n’a pas examiné l’exclusion que prévoit l’alinéa 1Fb) de la Convention « de la manière énoncée dans la jurisprudence ».

[17]  Il s’agit là d’une allégation claire et non ambiguë d’erreur de la part de la SPR.

[18]  La référence que fait la SAR à l’arrêt Febles c Canada (Citoyenneté et Immigration), [2014] 3 RCS 431 et à l’arrêt Jayaserkara, précité, donne à penser qu’elle était consciente du fondement de l’appel du demandeur, c’est‑à‑dire une erreur de la part de la SPR quant à la manière dont celle-ci était arrivée à sa décision sur le fondement de l’alinéa 1Fb) de la Convention.

[19]  Les décisions rendues dans l’arrêt Febles, précité et dans l’arrêt Jayaserkara, précité, montrent qu’avant d’arriver à une conclusion sur le fondement de l’alinéa 1Fb) de la Convention le décideur est tenu d’évaluer la gravité d’un acte criminel. Je me réfère au paragraphe 44 de l’arrêt Jayaserkara, précité, où, écrit la Cour :

44 Je crois que les tribunaux s’entendent pour dire que l’interprétation de la clause d’exclusion de la section Fb) de l’article premier de la Convention exige, en ce qui concerne la gravité du crime, que l’on évalue les éléments constitutifs du crime, le mode de poursuite, la peine prévue, les faits et les circonstances atténuantes et aggravantes sous-jacentes à la déclaration de culpabilité (voir S. c. Refugee Status Appeals Authority, (C.A. N.‑Z.), précité; S and Others c. Secretary of State for the Home Department, [2006] EWCA Civ 1157; Miguel‑Miguel c. Gonzales, 500 F 3d 941 (9th Cir. 2007), 29 août 2007, aux pages 945, 946 et 947. En d’autres termes, peu importe la présomption de gravité qui peut s’appliquer à un crime en droit international ou selon la loi de l’État d’accueil, cette présomption peut être réfutée par le jeu des facteurs précités. On ne met toutefois pas en balance des facteurs étrangers aux faits et aux circonstances sous-jacents à la déclaration de culpabilité comme, par exemple, le risque de persécution dans le pays d’origine (voir Xie c. Canada, [2005] 1 R.C.F. 304 (C.A.F.), au paragraphe 38, INS c. Aguirre‑Aguirre, à la page 247; T c. Home Secretary (1995), 1 WLR 545 (C.A.), aux pages 554 et 555, Dhayakpa c. The Minister of Immigration and Ethnic Affairs, au paragraphe 24).

[20]  La SAR n’a pas traité des critères énoncés dans l’arrêt Jayaserkara, précité. À mon avis, cette omission rend sa décision déraisonnable, au sens du critère énoncé dans l’arrêt Dunsmuir, précité.

[21]  En conséquence, la demande de contrôle judiciaire est accueillie, la décision de la SAR est infirmée et l’affaire est renvoyée à un tribunal différemment constitué de la SAR en vue d’un nouvel examen.

[22]  Il n’est pas nécessaire d’examiner l’autre argument que le demandeur a soulevé.

[23]  Il n’y a pas de question à certifier.


JUGEMENT dans le dossier IMM‑5279‑18

LA COUR ORDONNE que la demande de contrôle judiciaire soit accueillie, que la décision de la Section d’appel des réfugiés soit infirmée et que l’affaire soit renvoyée à un tribunal différemment constitué de la Section d’appel des réfugiés en vue d’un nouvel examen.

« E. Heneghan »

Juge

Traduction certifiée conforme

Ce 18e jour de novembre 2019

Caroline Tardif, traductrice


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM‑5279‑18

 

INTITULÉ :

ISAACK SHIEK MAGOYA c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

Winnipeg (Manitoba)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 19 JUIN 2019

 

JUGEMENT ET MOTIFS :

LA JUGE HENEGHAN

 

DATE DES MOTIFS :

LE 29 OCTOBRE 2019

 

COMPARUTIONS :

Odaro Omonuwa

POUR LE DEMANDEUR

Alexander Menticoglou

POUR LE DÉFENDEUR

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Omonuwa Law Office

Avocat

Winnipeg (Manitoba)

 

POUR LE DEMANDEUR

Procureur général du Canada

Winnipeg (Manitoba)

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

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