Décisions de la Cour fédérale

Informations sur la décision

Contenu de la décision

Date : 20191030


Dossier : IMM-1191-19

Référence : 2019 CF 1360

Ottawa (Ontario), le 30 octobre 2019

En présence de monsieur le juge LeBlanc

ENTRE :

HAMIT HAGGAR MAHAMAT

demandeur

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

[1]  Le demandeur est un ressortissant tchadien arrivé au Canada en octobre 2015 afin d’y poursuivre des études. Il conteste, par le biais du présent contrôle judiciaire, l’évaluation des risques avant renvoi [ÉRAR] effectuée par un agent d’immigration [l’Agent] le 10 janvier 2019, évaluation aux termes de laquelle l’Agent a jugé que le demandeur n’avait pas réussi à démontrer que son renvoi dans son pays d’origine l’exposerait personnellement à une menace à sa vie ou au risque de traitements ou peines cruels ou inusités, conformément aux articles 96 et 97 de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, SC 2001 c. 27 [Loi].

[2]  Alléguant être recherché par la police tchadienne pour avoir participé à une manifestation étudiante en mars 2015, le demandeur s’est d’abord vu refuser l’asile par la Section de la protection des réfugiés [SPR], qui a jugé son récit non-crédible. Cette décision a été maintenue par la Section d’appel des réfugiés [SAR] le 4 juillet 2017. Une demande d’autorisation et de contrôle judiciaire de cette décision a été rejetée par cette Cour en octobre 2017.

[3]  C’est à ce moment que le demandeur s’est prévalu de la procédure d’ÉRAR. Il a produit devant l’Agent un certain nombre de documents censés appuyer sa demande, dont, principalement, une copie d’un mandat d’arrêt émis par l’Agence nationale de sécurité tchadienne [ANS] et neuf lettres de soutien provenant de membres de sa famille, d’amis et de connaissances vivant au Tchad et au Canada.

[4]  Le demandeur reproche à l’Agent d’avoir écarté arbitrairement cette preuve documentaire, à qui l’Agent n’a accordé que peu – ou pas – de force probante, étant d’avis que les documents produits servaient à « donner corps à une continuation des débats sur les allégations de volonté des autorités tchadiennes de […] nuire [au demandeur] et auxquels la SPR n’a pas cru ».

[5]  Plus particulièrement, quant au mandat d’arrêt, dont l’authenticité a été jugée suspecte, l’Agent a déterminé qu’il était écrit dans un français approximatif et qu’il manquait de précision quant à la date de la manifestation étudiante alléguée, se contentant de référer à la période « 2015-2016 », alors que le demandeur alléguait que celle-ci s’était déroulée le 15 mars 2015. L’Agent a également reproché au demandeur de ne pas avoir expliqué comment il s’était procuré ce document. Il a aussi noté que certaines lettres d’appui traitaient de situations ou de problématiques qui n’avaient pas été révélées par le demandeur dans sa demande d’ÉRAR, soit son appartenance ethnique et les problèmes vécus par sa famille en lien avec les agissements de l’ANS.

[6]  L’audience du présent contrôle judiciaire devait initialement être tenue le 24 juillet 2019 devant moi. Toutefois, le 20 juin 2019, ne pouvant retracer son client, le procureur du demandeur a demandé à cesser d’occuper. Cette demande lui a été accordée le 16 juillet par un autre juge de la Cour. J’ai tout de même ouvert la séance du 24 juillet et fait constater l’absence du demandeur. Toutefois, j’ai chargé le greffe de communiquer au demandeur, à sa dernière adresse connue, copie de l’ordonnance autorisant son procureur à cesser d’occuper puisque cela ne semblait pas avoir été fait par ce dernier. J’ai aussi indiqué que le demandeur devait, au plus tard le 30 août 2019, soit avoir comparu personnellement au dossier, soit avoir nommé un nouveau procureur pour le représenter. J’ai consigné le tout dans une ordonnance que j’ai signée le 25 juillet 2019.

[7]  À ce jour, le demandeur n’a ni comparu personnellement au dossier, ni mandaté un autre procureur pour le représenter et ne s’est pas autrement manifesté auprès de la Cour. Il y a tout lieu de croire, en supposant qu’il soit toujours au Canada, que le demandeur ait opté pour la clandestinité.

[8]  Après avoir lu et analysé le dossier, y compris les représentations écrites des parties, et après avoir entendu brièvement le procureur du défendeur à l’audience tenue le 28 octobre 2019, je suis d’avis qu’il y a lieu de rejeter la présente demande de contrôle judiciaire.

[9]  D’une part, comme le note le défendeur dans ses représentations écrites, le demandeur n’a pas signé d’affidavit en appui à sa demande de contrôle judiciaire, pourtant une exigence des Règles des cours fédérales en matière de citoyenneté, d’immigration et de protection des réfugiés, DORS/93-22. Cette importante irrégularité suffit, en soi, pour entrainer le rejet sommaire d’une demande de contrôle judiciaire instituée en vertu de la Loi (Fatima c Canada (ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2017 CF 1086 au para 5).

[10]  D’autre part, et en faisant abstraction de cette irrégularité importante, l’examen des représentations écrites du demandeur ne m’a pas convaincu qu’il y a lieu d’intervenir. Pour le faire, il aurait fallu me démontrer que les conclusions tirées par l’Agent sont déraisonnables, c’est-à-dire qu’elles souffrent d’un manque d’intelligibilité, de transparence et de justification et qu’elles se situent, à tout événement, hors du cadre des issues possibles, acceptables en regard des faits et du droit (Dunsmuir c Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9, au para 47).

[11]  Cette démonstration n’a pas été faite. En effet, à mon sens, les conclusions tirées par l’Agent eu égard au mandat d’arrêt présument émis par l’ANS sont raisonnables dans la mesure où la qualité substantielle du document laisse à désirer sur des éléments cruciaux, notamment, la date de la manifestation ou encore les « pièces à conviction » recherchées. Quant à la force probante des lettres de soutien produites par le demandeur, je ne peux dire également que le traitement qu’en a fait l’Agent pose problème sur le plan de la raisonnabilité, dans la mesure où la plupart d’entre elles ne font que réitérer les allégations du demandeur et le font sans situer la source de leur connaissance des problèmes auxquels le demandeur dit être confronté. C’est aussi sans compter que certaines de ces lettres font état de problèmes qui n’ont pas été invoqués par le demandeur dans sa demande d’asile ou encore dans sa demande ÉRAR.

[12]  À cela s’ajoute la non-crédibilité de l’arrestation du demandeur constatée par la SPR et confirmée par la SAR, laquelle arrestation est au cœur de sa demande de protection auprès des autorités canadiennes. Il est bien établi qu’un agent ÉRAR doit prendre acte de la décision de la SPR, à moins que des preuves nouvelles ayant surgies depuis le rejet de la demande d’asile aient pu mener la SPR à statuer autrement si ces preuves lui avaient été soumises (Raza c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2007 CAF 385, au para 13). Cette démonstration, de l’avis de l’Agent, n’a pas été faite et, comme je l’ai déjà dit, cette conclusion m’apparaît raisonnable.

[13]  Enfin, je ne vois aucun mérite à l’argument du demandeur voulant que l’Agent se soit en fait prononcé sur sa crédibilité, ce qui exigeait de lui qu’il tienne d’abord une audience pour permettre au demandeur de répondre à ses préoccupations à ce sujet. Selon moi, l’Agent n’a tout simplement pas été convaincu tantôt de l’authenticité, tantôt de la force probante des éléments de preuve documentaire soumis par le demandeur. Comme le juge Denis Gascon le soulignait récemment dans l’affaire Huang c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2018 CF 940, au para 39, un agent ÉRAR a le droit de se référer au fondement de la décision de la SPR sans que sa propre décision se trouve elle-même à évaluer la crédibilité du demandeur. C’est la situation qui s’est produite ici, le cœur de la décision de l’Agent portant, à mon avis, non pas sur la crédibilité du demandeur, mais sur la qualité de la preuve documentaire qu’il a offerte pour convaincre l’Agent d’accueillir sa demande après que la SPR lui ait refusé le statut de réfugié.

[14]  Aucune question de portée générale ne se pose dans la présente affaire.


JUGEMENT dans le dossier IMM-1191-19

LA COUR STATUE que :

  1. La présente demande de contrôle judiciaire est rejetée;

  2. Aucune question n’est certifiée.

« René LeBlanc »

Juge


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM-1191-19

 

INTITULÉ :

HAMIT HAGGAR MAHAMAT c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

Ottawa (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 28 octobre 2019

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT :

LE JUGE LEBLANC

 

DATE DES MOTIFS :

LE 30 octobre 2019

 

COMPARUTIONS :

Aucun

 

Pour le demandeur

 

Charles Maher

Pour le défendeur

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Aucun

 

 

Pour le demandeur

 

Procureur général du Canada

Ottawa (Ontario)

 

Pour le défendeur

 

 

 Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.