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Date : 20191113


Dossier : IMM-6477-18

Référence : 2019 CF 1418

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 13 novembre 2019

En présence de monsieur le juge McHaffie

ENTRE :

RICHARD HEADLEY NEWLAND

demandeur

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

I.  Aperçu

[1]  Richard Newland a présenté une demande d’examen des risques avant renvoi (ERAR), dans laquelle il alléguait qu’il serait en danger s’il était renvoyé dans sa Jamaïque natale, car il avait agi comme indicateur de police et serait victime de violence de la part des membres d’un gang. La force constabulaire de la Jamaïque (FCJ) a écrit une lettre d’observations pour le compte de M. Newland où elle confirmait que celui-ci avait été victime d’attaques et de menaces dans ce pays. La FCJ indiquait également dans la lettre que la tâche de protéger M. Newland contre le gang était [traduction] « devenue difficile » car les individus en question n’avaient aucune adresse connue, et qu’elle considérait la [traduction] « demande d’asile au Canada [du demandeur] comme authentique, car les menaces de mort [étaient] encore sérieuses ».

[2]  L’agente d’ERAR a rejeté la demande de M. Newland, en concluant qu’en dépit de la lettre, il ressortait de la preuve que la police jamaïcaine serait capable d’assurer une protection adéquate à M. Newland s’il en avait besoin.

[3]  Monsieur Newland affirme que l’agente d’ERAR a analysé de la mauvaise façon la question de la protection offerte par l’État, en mettant l’accent sur les efforts faits par les autorités jamaïcaines sans toutefois évaluer le caractère adéquat de la protection sur le plan de son efficacité concrète. Il soutient également que l’agente a évalué la preuve de manière déraisonnable, d’une part parce que la lettre de la FCJ confirmait que la protection de l’État était inadéquate du point de vue de son efficacité concrète, et d’autre part parce que l’agente a omis de faire référence à d’autres éléments de preuve importants concernant la question de savoir si l’État offrait une protection suffisante.

[4]  Je conclus que l’agente d’ERAR a examiné de manière raisonnable le caractère adéquat de la protection de l’État au plan de son efficacité concrète et qu’elle a évalué, de manière raisonnable aussi, les éléments de preuve, dont la lettre d’observations. La FCJ y faisait certes état des risques auxquels s’exposait M. Newland, ainsi que des difficultés qu’elle aurait à le protéger, mais elle n’a pas admis qu’elle était incapable de le protéger, comme ce dernier le prétend. Il était raisonnablement loisible à l’agente de conclure, après examen de la lettre de la FCJ et d’autres documents portant sur la situation dans le pays, que la protection de l’État en Jamaïque est adéquate. La demande de contrôle judiciaire est donc rejetée.

II.  La demande d’examen des risques avant renvoi de M. Newland

[5]  La crainte qu’a M. Newland d’être victime de violence en Jamaïque du fait de son statut d’indicateur de police résulte d’un incident survenu en 1992. Des membres d’un gang jamaïcain connu sous le nom de « Shower Posse » l’ont obligé à transporter sur lui un colis lors d’une visite au Canada. Ce colis contenait de la drogue, et M. Newland a été arrêté, accusé et finalement déclaré coupable d’importation de cette drogue. Après son arrestation, M. Newland a collaboré avec les autorités canadiennes.

[6]  La déclaration de culpabilité de M. Newland a mené à son expulsion en 1993. À son retour en Jamaïque, il a reçu des menaces de mort du gang des Shower Posse parce qu’il avait collaboré avec la police. Il est revenu au Canada en 1994, de manière illégale, et y est resté jusqu’à ce qu’il soit expulsé de nouveau en janvier 2000. De retour en Jamaïque, M. Newland a de nouveau été identifié comme un indicateur, et il a été victime d’agressions et de menaces de mort. Il est revenu au Canada en avril 2000, illégalement là encore, et vit ici depuis lors. Il a été arrêté en 2017 en vertu d’un mandat non exécuté ayant été délivré à la suite d’accusations datant de 2003, lesquelles ont été suspendues depuis, encore qu’il soit toujours visé par d’autres accusations d’infraction en matière d’immigration.

[7]  Monsieur Newland a présenté une demande d’ERAR après son arrestation en 2017 car, en raison des mesures d’expulsion dont il faisait l’objet, il n’avait pas le droit de solliciter l’asile. Comme l’a récemment décrit le juge Diner, un ERAR est « la dernière évaluation officielle des risques faite pour les personnes admissibles avant leur renvoi du Canada. Le processus d’ERAR, conformément aux obligations du Canada en vertu du droit international, vise à s’assurer que ces personnes ne sont pas renvoyées dans un pays où leur vie serait en danger » : Valencia Martinez c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2019 CF 1, au par. 1.

[8]  À l’appui de sa demande, M. Newland a obtenu une lettre de la FCJ. Il est indiqué dans cette lettre qu’elle est le fruit d’une [traduction] « vaste activité d’enquête et de renseignement », mais aucune information n’est fournie sur la nature de cette enquête, si ce n’est qu’elle comportait manifestement un examen des dossiers de police concernant les signalements faits par M. Newland. La lettre indique aussi que la police était au courant de la situation de M. Newland, car celui-ci s’était rendu à de nombreuses reprises au poste de police pour signaler des menaces et des agressions. Selon la description qui en est faite, les signalements auraient été faits [traduction] « entre les années 1994 et 2000 », quoique, au cours de cette période, M. Newland n’ait été en Jamaïque que pendant environ huit mois en 1994, et peut-être un mois en 2000. La lettre confirme la nature du gang des Shower Posse, de même que la préoccupation liée au fait que M. Newland avait été identifié comme un indicateur de police et avait dénoncé des menaces de mort le visant.

[9]  Les deux derniers paragraphes principaux de la lettre de la FCJ ont fait l’objet d’importantes observations de la part des parties. Ces deux paragraphes sont les suivants :

[traduction]

La situation s’est poursuivie pendant plus d’une dizaine d’années, malgré l’intervention de la police. Nous avons fait tout ce que nous pouvions pour le protéger, tout en essayant de repérer les individus concernés, car ceux-ci n’ont aucune adresse connue, ce qui fait que notre tâche est devenue difficile. M. Newland a lui-même dit à la police qu’il était fatigué de courir et de se cacher et qu’il avait aussi le sentiment d’être un homme recherché. Il a de plus indiqué qu’il quitterait l’île pour être sûr de rester en vie pour ses enfants.

La police a souscrit à l’idée de M. Newland et l’a encouragé à demander l’asile à l’étranger; dans ce contexte, elle considère la demande d’asile au Canada de M. Newland comme authentique, car les menaces de mort sont encore sérieuses.

[Non souligné dans l’original.]

[10]  Monsieur Newland a également déposé un certain nombre d’autres documents, dont un article de Wikipédia sur le gang des Shower Posse; un article du quotidien jamaïcain The Gleaner sur les risques que courent les indicateurs; des extraits d’un rapport de 2017 du ministère de l’Intérieur du Royaume-Uni concernant la [traduction] « crainte que suscitent les gangs criminels organisés » en Jamaïque; un rapport national sur la Jamaïque publié par Freedom House; un rapport sur la criminalité et la sécurité produit en 2017 par le Conseil consultatif de sécurité outre-mer (Overseas Security Advisory Council – OSAC) du Département d’État des États‑Unis (le rapport de l’OSAC); de même que des affidavits de M. Newland et de son épouse, qui est citoyenne canadienne.

III.  Le rejet de la demande de M. Newland

[11]  L’agente d’ERAR a conclu que la question déterminante était celle de la disponibilité de la protection de l’État. Elle a renvoyé à la lettre de la force constabulaire de la Jamaïque ainsi qu’à des extraits du rapport du ministère de l’Intérieur du Royaume‑Uni, y compris des passages qui s’ajoutaient à ceux que M. Newland avait déposés, pour conclure que la Jamaïque était en mesure d’assurer une protection policière adéquate. Elle a signalé que la police s’était efforcée de le protéger quand il avait signalé les menaces antérieures et que, même si la Jamaïque [TRADUCTION« continu[ait] à faire face à de sérieux problèmes de criminalité et de corruption », des progrès avaient été réalisés, et on poursuivait les efforts en vue d’améliorer la situation encore davantage.

[12]  L’agente d’ERAR a conclu que si M. Newland avait besoin d’être protégé, d’autres recours de nature policière s’offraient à lui. Elle n’était donc pas persuadée que l’État ne voudrait pas ou ne pourrait pas protéger M. Newland s’il en avait besoin; par conséquent, il n’était pas visé par les articles 96 ou 97 de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 (la LIPR).

IV.  Les questions en litige

[13]  Les arguments de M. Newland soulèvent trois questions :

  1. Quelle est la norme de contrôle applicable à la décision de l’agente d’ERAR, notamment en ce qui concerne le critère juridique relatif à la protection de l’État et l’application de ce critère à la preuve?

  2. L’agente d’ERAR a‑t‑elle appliqué le mauvais critère juridique relatif à la protection de l’État en n’évaluant pas le caractère adéquat de cette protection sur le plan de son efficacité réelle?

  3. L’agente d’ERAR a‑t‑elle évalué la preuve relative à la protection de l’État de manière déraisonnable en ne tenant pas compte comme il se devait de la lettre de la FCJ et en faisant abstraction d’autres renseignements à l’appui?

V.  Analyse

A.  La norme de contrôle applicable

[14]  Les parties ont chacune fait valoir que la décision de l’agente d’ERAR était susceptible de contrôle selon la norme de la raisonnabilité, citant à cet égard les décisions Jeyakumar c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2019 CF 87, au par. 19, et Johnson c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2017 CF 68, au par. 5. Comme les parties l’ont convenu, une décision sera considérée comme raisonnable si elle est justifiée, transparente et intelligible, et si elle appartient aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit (Dunsmuir c Nouveau‑Brunswick, 2008 CSC 9, au par. 47).

[15]  Je suis d’accord avec les parties pour dire que l’évaluation, par l’agente d’ERAR, des faits et des éléments de preuve, de même que l’application à ces faits du critère juridique relatif à la protection de l’État, sont assujetties à la norme de la raisonnabilité, laquelle est empreinte de déférence. Cependant, sur la question de savoir si l’agente a appliqué le bon critère juridique, il convient ici de formuler quelques brefs commentaires additionnels, compte tenu de la jurisprudence de notre Cour et de celle de la Cour suprême du Canada, et compte tenu aussi de la nécessité d’appliquer la norme de contrôle appropriée, indépendamment de l’accord des parties.

[16]  Dans ce qui semble être la plupart des cas, notre Cour a conclu que c’est la norme de la décision correcte qui s’applique à la question de savoir si le bon critère juridique a été utilisé pour déterminer le caractère adéquat de la protection de l’État : voir, par exemple, AB c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2019 CF 1339, au par. 9; Guthrie c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2016 CF 1087, au par. 6; Camargo c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2015 CF 1044, aux par. 24 et 25; Ruszo c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2013 CF 1004, au par. 22.

[17]  Dans d’autres cas, toutefois, cette même question a été traitée comme ressortissant à la norme de la raisonnabilité : voir, par exemple : Csiklya c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2019 CF 1276, aux par. 16, 26 à 29 et 35; Lakatos c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2018 CF 291, aux par. 12 et 16; voir aussi : Kemenczei c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2012 CF 1349, aux par. 21 et 54 à 60, décision où il a été considéré comme déraisonnable d’énoncer le critère approprié sans toutefois l’appliquer.

[18]  Le juge Diner, de notre Cour, a fait état d’une tension semblable dans des affaires portant sur le critère juridique à appliquer à l’égard des demandes présentées pour des raisons d’ordre humanitaire (CH) en vertu de l’article 25 de la LIPR : Zlotosz c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2017 CF 724, aux par. 14 et 15; voir aussi Dayal c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2019 CF 1188, aux par. 16 à 18.

[19]  Selon plusieurs arrêts de la Cour suprême du Canada, la question de l’application du critère juridique « approprié » doit être traitée en tant qu’élément d’un contrôle fondé sur la norme de la raisonnabilité. Par exemple, dans l’arrêt de la Cour suprême Németh c Canada (Justice), 2010 CSC 56, au paragraphe 10, le juge Cromwell, s’exprimant au nom de la Cour au sujet d’une décision du ministre d’ordonner une extradition, a déclaré que « [p]our être raisonnable, [...] une décision [...] doit procéder de l’application des critères juridiques appropriés aux questions qui lui sont soumises » [non souligné dans l’original]; voir aussi Lake c Canada (Ministre de la Justice), 2008 CSC 23, au par. 41; Saskatchewan (Human Rights Commission) c Whatcott, 2013 CSC 11, au par. 194; Halifax (Regional Municipality) c Canada (Travaux publics et Services gouvernementaux), 2012 CSC 29, au par. 43. Ces arrêts semblent reconnaître qu’il existe une question de droit — celle du critère juridique approprié — qui doit être évaluée en fonction de la norme de la décision correcte, dans le cadre de l’analyse plus générale portant sur le caractère raisonnable de la décision.

[20]  Le juge Norris a récemment pris en considération les arrêts Németh et Lake dans le contexte d’une demande CH; il a fait remarquer avec justesse que « [l]a norme de la décision raisonnable avec déférence présuppose que le décideur a appliqué le bon critère juridique » : Mursalim c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2018 CF 596, au par. 30. Il a également conclu que dans les cas où le critère applicable est établi dans la jurisprudence, c’est la norme de la décision correcte qui s’applique : Mursalim, aux par. 31 et 33.

[21]  La question de savoir si le fait qu’un décideur a utilisé le mauvais critère juridique doit être considéré comme « incorrect » selon la norme de la décision correcte ou « déraisonnable » selon la norme de la raisonnabilité importe peu d’un point de vue pratique. Il ne s’agit certes pas d’une distinction qui compte dans le cas de M. Newland. Ce qui importe est que, s’il existe un critère juridique établi, et que l’agente ne l’a pas appliqué, la décision ne peut être maintenue et doit être annulée.

[22]  En l’espèce, il existe un critère juridique établi pour ce qui est d’évaluer le caractère adéquat de la protection de l’État, de sorte que si l’agente d’ERAR ne l’a pas utilisé, il convient d’annuler sa décision. Pour suivre la terminologie employée par la Cour suprême du Canada dans les arrêts Németh, Lake et autres, j’adopterai la démarche selon laquelle la norme de la raisonnabilité s’applique à la décision de l’agente d’ERAR, mais cette décision sera considérée comme déraisonnable si le critère juridique utilisé par l’agente était erroné.

B.  Le critère juridique permettant d’évaluer le caractère adéquat de la protection de l’État

[23]  Le critère juridique établi pour ce qui est de l’évaluation du caractère adéquat de la protection de l’État nécessite d’évaluer la volonté et la capacité de ce dernier à assurer une protection adéquate sur le terrain, et non simplement à évaluer les efforts qu’il fait pour assurer ou améliorer une protection : Guthrie, aux par. 9 et 10; Ruszo, au par. 26; et AB, aux par. 22 à 24.

[24]  L’agente d’ERAR n’a pas énoncé expressément le critère applicable, de sorte que la Cour se doit d’évaluer si, d’après le contenu de l’analyse qu’elle a réalisée, l’agente a évalué comme il se devait la question de l’« efficacité concrète » des mesures prises par l’État. Monsieur Newland soutient que non, et qu’elle a simplement cité les efforts de l’État pour assurer une protection, plutôt que de traiter du caractère suffisant de cette protection sur le terrain.

[25]  Les motifs de l’agente d’ERAR auraient pu être plus limpides, mais je suis convaincu qu’elle n’a pas limité son évaluation aux efforts faits par la Jamaïque pour assurer une protection à ses citoyens, et qu’elle a aussi tenu compte de la capacité du pays d’assurer concrètement une protection suffisante. C’est ce qui ressort de l’examen fait par l’agente d’ERAR de ce qui suit :

  • - les difficultés opérationnelles rencontrées par la FCJ, comme il est indiqué dans la lettre de celle-ci;

  • - le souci exprimé quant au fait qu’il puisse être difficile d’assurer une [TRADUCTION« protection efficace » quand les agresseurs sont inconnus, même pour les corps de police les plus efficaces et les mieux équipés;

  • - les enquêtes actives, quoique infructueuses, de la FCJ en réponse aux signalements de M. Newland;

  • - les éléments de preuve sur la situation dans le pays, lesquels comportent des renseignements portant non seulement sur les initiatives de lutte contre la criminalité, mais aussi sur les effets concrets de ces initiatives, dont les arrestations découlant d’opérations antigang et leur incidence sur les taux de criminalité;

  • - la norme d’efficacité qu’un pays doit respecter, comme il en est question dans l’arrêt Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration) c Villafranca, 1992 CanLII 8569, 18 Imm LR (2d) 130 (CAF), au paragraphe 7, un arrêt auquel l’agente d’ERAR a fait référence.

En conséquence, non seulement elle a bel et bien fait mention des efforts déployés par la police pour protéger M. Newland ainsi que de ceux faits par gouvernement jamaïcain pour améliorer l’application de la loi, mais l’agente d’ERAR a aussi pris en compte et évalué l’efficacité concrète des services de police.

[26]  Je ne souscris pas à l’argument de M. Newland selon lequel, vu le fait que l’agente d’ERAR n’a pas accepté la lettre de la FCJ comme apportant la confirmation définitive que la Jamaïque n’assure pas une protection adéquate sur le terrain, cela démontre qu’elle a appliqué le mauvais critère. Comme nous le verrons plus loin, cette lettre ne contient aucune admission expresse d’une incapacité à assurer une protection concrète sur le terrain, et c’est à l’agente d’ERAR, en tant que juge des faits, qu’il revient d’apprécier le sens et la valeur à accorder à ce document, laquelle appréciation est susceptible de contrôle selon la norme de la raisonnabilité.

[27]  Je conclus donc que l’agente d’ERAR n’a pas appliqué le mauvais critère juridique dans le cadre de l’analyse de la protection de l’État. La question suivante consiste à savoir si ce critère a été appliqué de manière raisonnable aux faits et aux éléments de preuve.

C.  L’évaluation faite par l’agente d’ERAR des éléments de preuve et sa conclusion sur le caractère adéquat de la protection de l’État

[28]  Monsieur Newland soulève deux questions principales à propos de la façon dont l’agente d’ERAR a évalué les éléments de preuve, à savoir : 1) la manière dont elle a traité la lettre de la FCJ; et 2) son omission de faire référence à d’autres éléments de preuve à l’appui, notamment le rapport de l’OSAC et l’article paru dans The Gleaner.

1)  La lettre de la Force constabulaire de la Jamaïque

[29]  Monsieur Newland affirme que la lettre de la FCJ équivaut à une admission du fait que la Jamaïque est incapable d’assurer une protection de l’État adéquate. Il invoque à cet égard l’arrêt Canada (Procureur général) c Ward, [1993] 2 RCS 689, aux p. 724 et 725, dans lequel la Cour suprême du Canada a reconnu qu’un aveu de la part des autorités étatiques quant à l’incapacité de l’État d’assurer une protection fait en sorte qu’il ne soit « pas nécessaire » de prouver cette incapacité :

Il s’agit donc de savoir comment, en pratique, un demandeur arrive à prouver l’incapacité de l’État de protéger ses ressortissants et le caractère raisonnable de son refus de solliciter réellement cette protection. D’après les faits de l’espèce, il n’était pas nécessaire de prouver ce point, car les représentants des autorités de l’État ont reconnu leur incapacité de protéger Ward. Toutefois, en l’absence de pareil aveu, il faut confirmer d’une façon claire et convaincante l’incapacité de l’État d’assurer la protection. Par exemple, un demandeur pourrait présenter le témoignage de personnes qui sont dans une situation semblable à la sienne et que les dispositions prises par l’État pour les protéger n’ont pas aidées, ou son propre témoignage au sujet d’incidents personnels antérieurs au cours desquels la protection de l’État ne s’est pas concrétisée. En l’absence d’une preuve quelconque, la revendication devrait échouer, car il y a lieu de présumer que les nations sont capables de protéger leurs citoyens. La sécurité des ressortissants constitue, après tout, l’essence de la souveraineté. En l’absence d’un effondrement complet de l’appareil étatique, comme celui qui a été reconnu au Liban dans l’arrêt Zalzali, il y a lieu de présumer que l’État est capable de protéger le demandeur.

[Non souligné dans l’original.]

[30]  L’agente d’ERAR a fait référence à ce passage de l’arrêt Ward, pour signaler qu’[TRADUCTION« en l’absence d’une preuve claire et convaincante de l’incapacité de l’État d’assurer une protection, il faut présumer que ce dernier est en mesure de l’assurer ». Monsieur Newland soutient que l’agente d’ERAR a abordé l’arrêt Ward de manière erronée, car l’aveu de la police jamaïcaine élimine la nécessité d’une confirmation claire et convaincante de l’incapacité de l’État d’assurer une protection, voire même apporte une telle confirmation.

[31]  Monsieur Newland se fonde en particulier sur les deux paragraphes de la lettre de la FCJ qui ont été cités plus tôt. Il met en évidence les déclarations selon lesquelles la situation s’est poursuivie pendant plus d’une dizaine d’années, malgré l’intervention de la police; que celle-ci a fait tout ce qu’elle pouvait pour protéger M. Newland, mais que la tâche était devenue difficile parce que les agresseurs n’avaient aucune adresse connue; qu’elle a encouragé M. Newland à trouver asile à l’étranger; et que les menaces de mort proférées contre M. Newland sont encore sérieuses. Monsieur Newland soutient que, dans le contexte de la lettre, ces déclarations équivalent à un aveu d’échec la part de la FCJ pour ce qui est de sa capacité d’offrir une protection suffisante.

[32]  L’agente d’ERAR a exprimé son désaccord. Elle a pris acte des difficultés exprimées par la FCJ quant au fait que les agresseurs étaient inconnus, mais elle a noté que même le corps de police le plus efficace et le mieux équipé se heurterait à pareilles difficultés. Elle a considéré que la lettre confirmait que, malgré les difficultés, la police avait systématiquement donné suite aux plaintes. Ayant examiné la lettre de pair avec les autres éléments de preuve, l’agente d’ERAR s’est dite, en fin de compte, non convaincue que la Jamaïque ne pourrait pas ou ne voudrait pas protéger M. Newland.

[33]  Le rôle de la Cour consiste à contrôler la manière dont l’agente d’ERAR a évalué les éléments de preuve afin d’en déterminer la raisonnabilité, et non à imposer sa propre évaluation de ces éléments. Je ne puis conclure que l’agente d’ERAR a agi déraisonnablement en ne concluant pas que la lettre de la FCJ était soit un aveu, soit une preuve claire et convaincante de l’incapacité de celle-ci à assurer la protection de M. Newland. Il y a une certaine marge entre le fait de déclarer que la tâche de la police est [TRADUCTION« devenue difficile » et celui d’admettre que celle-ci ne peut pas assurer une protection efficace.

[34]  À cet égard, la situation en l’espèce est différente de celle dont il était question dans la décision Henry c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2007 CF 512, où la police de la Grenade avait déclaré dans une lettre qu’elle croyait que le Canada était l’endroit le plus sûr pour les demandeurs parce qu’« ils y recevr[aient] une protection adéquate ». Le juge O’Keefe, après avoir conclu que « [c]ette déclaration dénot[ait] que la protection, à la Grenade, [était] inadéquate », a déclaré qu’une décision qui faisait mention de la lettre, mais qui ne contenait aucune analyse de cette dernière, pas plus qu’elle n’expliquait en quoi la lettre ne permettait pas d’établir le caractère inadéquat de la protection de l’État, était déraisonnable : décision Henry, aux par. 29, 32 et 34. Cela ne veut pas dire qu’une déclaration émanant d’un État étranger se doit de mentionner précisément les mots [TRADUCTION« protection adéquate » pour être considérée comme un aveu. Cependant, toute déclaration de cette nature doit être évaluée au cas par cas, en fonction de ce qu’elle dit effectivement.

[35]  L’agente d’ERAR n’a accordé aucun poids à la déclaration figurant dans la lettre, à savoir que la police [TRADUCTION] « considère la demande d’asile au Canada de M. Newland comme authentique, car les menaces de mort sont encore sérieuses ». Elle a conclu que l’auteur de la lettre n’avait pas l’autorité ni l’expertise voulues pour décider si M. Newland méritait une protection internationale. Celui-ci fait valoir que cette conclusion était déraisonnable, car l’auteur de la lettre n’essayait pas de déterminer si M. Newland méritait ou non d’être protégé; il confirmait plutôt que la FCJ n’était pas en mesure de le protéger et que, dans les faits, les menaces de mort demeuraient sérieuses.

[36]  Même s’il était raisonnable que l’agente d’ERAR ne souscrive pas à l’opinion de l’auteur de la lettre quant à savoir si la demande de M. Newland était authentique, je conviens qu’elle n’aurait pas dû se servir de ce raisonnement pour n’accorder aucun poids non plus à l’élément factuel de la déclaration, à savoir que les [TRADUCTION] « menaces de mort sont encore sérieuses ».

[37]  Cependant, si l’on fait abstraction de ce que le fondement de cette déclaration factuelle n’est pas clair, car M. Newland ne vit pas en Jamaïque depuis 2000, cette déclaration se résume à une affirmation selon laquelle M. Newland continue de courir des risques. Il ne s’agit pas d’une déclaration sur la capacité ou non de la police à protéger M. Newland contre ces risques. Le fait que ce dernier ait été victime de menaces de mort n’était pas en litige, car la décision de l’agente d’ERAR ne rejetait pas l’affirmation de M. Newland selon laquelle il était la cible de pareilles menaces de la part du gang des Shower Posse. La question déterminante tenait plutôt au caractère adéquat de la protection de l’État. L’erreur qu’a commise l’agente d’ERAR en faisant abstraction des éléments factuels de la déclaration au motif que son auteur faisait également part d’une opinion n’a donc eu aucune incidence sur la décision.

[38]  Monsieur Newland a également fait valoir que l’agente d’ERAR avait déraisonnablement conclu que la police jamaïcaine, lorsqu’elle a affaire à des agresseurs non identifiés, ne devrait pas être tenue de respecter une norme de protection efficace qui soit plus stricte que celle à laquelle est soumise la police au Canada. Il soutient que la référence faite par l’agente d’ERAR à la décision Smirnov c Canada (Secrétaire d’État), [1995] 1 CF 780, 1994 CanLII 3545, n’était pas fondée, compte tenu de la décision plus récente de notre Cour dans l’affaire Sebucocero c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2012 CF 1408.

[39]  Dans la décision Sebucocero, le demandeur était un policier qui avait témoigné devant la Cour de Gacaca, au Rwanda, contre des individus accusés de génocide. Il avait reçu des menaces de mort, et sa maison avait été attaquée, et son automobile incendiée. Il s’était plaint à la police, mais aucune arrestation n’avait eu lieu. Une preuve avait été déposée qui indiquait que 2010 était la première année où il n’y avait eu aucun assassinat de témoins, de juges ou d’autres participants aux instances de la Cour de Gacaca, et qu’il manquait de mesures efficaces pour protéger convenablement les témoins comparaissant devant le tribunal. Le juge Simon Noël, de notre Cour, a conclu que l’accent mis par la Section de la protection des réfugiés (SPR) sur les mesures d’amélioration, et son omission de prendre en compte des éléments de preuve contradictoires, faisaient en sorte que la décision était déraisonnable; il a ainsi fait remarquer, aux paragraphes 26 et 27 :

[...] Le fait que trois cas d’atteinte au bien ou à l’intégrité physique du demandeur aient eu lieu sans qu’il ne soit possible de les prévenir laisse envisager que la situation risque de se perpétuer. En effet, la protection de l’État suite à ces incidents ne s’est pas concrétisée dans le cas du demandeur.

Enfin, lorsque l’on considère le fait que la police n’a pas pu apporter de l’aide au demandeur suite à ses agressions ou en matière de prévention, avec le fait que certains témoins ont été assassinés, on ne peut que conclure que la décision de la SPR est déraisonnable. Il découle de la preuve présentée qu’en cas d’échec de la protection de l’État, les risques auxquels le demandeur ferait face pourraient être graves. La SPR fut silencieuse à ce sujet.

[40]  Le juge Noël n’a pas laissé entendre que la décision Smirnov n’était plus valable en droit. Au contraire, il l’a citée et a souscrit à ce que la Cour y concluait, à savoir qu’on ne peut exiger des autorités policières une norme de protection à laquelle même les services de police les mieux équipés ne peuvent aspirer. Il a toutefois estimé que la SPR ne pouvait se fonder sur les principes énoncés dans Smirnov, parce qu’elle avait omis de considérer les éléments de preuve allant à l’encontre de sa conclusion selon laquelle la protection de l’État rwandais était efficace : décision Sebucocero, aux par. 29 et 30.

[41]  Il ne fait aucun doute que dans le cas de M. Newland, certains aspects de la preuve, dont les menaces pour la sécurité de sa personne et l’incapacité de la police de trouver les coupables ou de jouer un rôle préventif, sont semblables à ceux dont il était question dans la décision Sebucocero. Cependant, l’évaluation du caractère adéquat de la protection de l’État dépend des faits, des éléments de preuve et du contexte propres à une affaire. On ne peut donc se borner à signaler ces similitudes sans reconnaître les différents contextes que présentent les pays et les demandeurs en cause, ou sans évaluer les divers éléments de preuve attestant l’ampleur de l’échec de la police ou de l’État. On ne peut pas non plus considérer que la décision Sebucocero confirme la thèse générale selon laquelle chaque fois que des agresseurs ne sont pas identifiés, et que la police est incapable d’accorder une aide, la protection de l’État se révèle inadéquate, ainsi que le laisse entendre M. Newland.

[42]  On peut en dire autant du fait que les parties invoquent les décisions Burton c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2013 CF 549, Johnson c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2017 CF 68 et Hoo c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2016 CF 283, qui mettent chacune en cause une évaluation du caractère adéquat de la protection de l’État jamaïcain dans le contexte de la violence des gangs. Aucune de ces affaires n’impose une issue particulière quant au caractère adéquat de la protection qu’assure l’État contre les gangs en Jamaïque.

[43]  Les décisions Johnson et Burton portaient toutes deux sur l’appartenance à un gang, ce qui n’est pas le cas de M. Newland. Dans la décision Johnson, aux par. 12 à 14, le juge Gleeson a conclu qu’il n’y avait pas assez de preuves que le demandeur s’exposait à un risque particularisé en tant que membre perçu d’un gang. Et dans la décision Burton, aux par. 21 à 28, non seulement le demandeur avait-il collaboré avec la police, mais il était aussi un criminel et un membre de gang que l’on avait reconnu coupable, et il y avait des doutes non seulement au sujet de la volonté de la police jamaïcaine à protéger des membres de gangs contre la violence entre les gangs ou au sein de ces derniers, mais aussi au sujet de sa capacité de protéger les indicateurs.

[44]  Dans la décision Hoo, le demandeur avait refusé de se joindre à un gang, et l’un des membres de ce dernier croyait qu’il était un indicateur de police. La juge Strickland a conclu que l’agent d’ERAR avait évalué le risque de manière déraisonnable, car son évaluation ne portait que sur le risque généralisé et ne tenait pas compte de la situation de M. Hoo, soit celle d’un indicateur de police ciblé. Elle a néanmoins confirmé le rejet de la demande d’ERAR, au motif que la conclusion de l’agent d’ERAR, à savoir que la protection de l’État était adéquate malgré la violence généralisée des gangs et les preuves contradictoires sur l’efficacité de la police, était raisonnable : décision Hoo, aux par. 18 à 23 et 26 à 30.

[45]  Comme la juge Mactavish l’a fait remarquer dans la décision Burton, au par. 20 : « la disponibilité de la protection de l’État dans un pays ne peut être examinée dans l’abstrait. Il faut tenir compte de la situation personnelle de la personne concernée ou des circonstances, et par la suite procéder à une analyse portant sur la volonté et la capacité de l’État d’intervenir dans ces circonstances particulières ». Même si M. Newland, tout comme MM. Burton et Hoo, s’inquiétait d’être pris pour cible en tant qu’indicateur de police, la véritable question qui se posait dans chacun des cas était la mesure dans laquelle l’agent en question avait traité des éléments de preuve pertinents qu’on lui avait soumis. Dans la décision Burton, la Cour a conclu que l’agente d’ERAR n’avait pas examiné la preuve de manière adéquate; et dans la décision Hoo, la Cour a conclu que l’agent l’avait fait.

[46]  Il reste donc à déterminer si l’évaluation de l’agente d’ERAR, à savoir que la Jamaïque pouvait offrir à M. Newland un niveau adéquat de protection de l’État, était raisonnable dans le contexte précis qui était le sien et à la lumière des éléments de preuve particuliers qui avaient été présentés, dont la lettre de la FCJ. L’agente d’ERAR était clairement consciente de la situation particulière de M. Newland, qui était celle d’un présumé indicateur ayant été victime de menaces et d’attaques. Après examen de sa décision, je suis convaincu que l’agente d’ERAR a raisonnablement tenu compte de la lettre de la FCJ.

2)  Les autres éléments de preuve

[47]  Monsieur Newland fait valoir que l’agente d’ERAR a omis de façon déraisonnable d’analyser deux autres éléments de preuve qui étayaient une conclusion de protection de l’État inadéquate. Il se fonde à cet égard sur la décision Cepeda‑Gutierrez c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 1998 CanLII 8667 (CF), 157 FTR 35. Le premier élément était le rapport de l’OSAC, dans lequel, souligne M. Newland, figure une affirmation indiquant que la FCJ est sous-payée, mal entraînée et en sous-effectif. Le second élément est un article paru dans The Gleaner en 2010 et intitulé « "Informerphobia" (Part 1) », où il est question de l’assassinat d’un certain nombre d’indicateurs de police. Chacun de ces éléments a été déposé par M. Newland dans le cadre de sa demande et, comme l’a indiqué l’agente d’ERAR, a été examiné dans la catégorie regroupant [TRADUCTION] « plusieurs articles et rapports d’information publiés sur Internet concernant la situation générale dans le pays et la prévalence des gangs criminels en Jamaïque ».

[48]  Il est clairement indiqué, dans la décision Cepeda‑Gutierrez, qu’il n’est pas obligatoire de mentionner le moindre élément de preuve reçu qui est contraire à une conclusion : décision Cepeda‑Gutierrez, au par. 16. La question est de savoir si les éléments de preuve sont suffisamment importants, mais n’ont pas été mentionnés; auquel cas la Cour pourra conclure que la décision a été rendue sans tenir compte des éléments de preuve. À mon avis, le fait qu’il n’y ait pas eu d’analyse précise du rapport de l’OSAC et de l’article de journal ne permet pas de réfuter la présomption selon laquelle l’agente d’ERAR a pris en considération la totalité des éléments de preuve.

[49]  La déclaration faite dans le rapport de l’OSAC, c’est-à-dire que la police jamaïcaine est considérée comme [TRADUCTION] « sous-payée, mal entraînée et en sous-effectif », bien qu’elle soit pertinente, ne traite pas directement de la question de savoir si la police pourrait néanmoins assurer une protection adéquate à M. Newland. L’agente d’ERAR a reconnu les difficultés que rencontrent les services de police en Jamaïque, et elle a traité de manière assez détaillée de l’élément de preuve le plus direct sur la question — la lettre de la FCJ —, de pair avec le rapport du Ministère de l’Intérieur du Royaume‑Uni. Bien que l’agente d’ERAR n’ait pas traité en particulier du degré d’entraînement ou des niveaux de ressources de la police, je ne suis pas d’avis que la décision est déraisonnable parce qu’il n’a pas été fait référence à ce passage du rapport de l’OSAC.

[50]  Pour ce qui est de l’article paru dans The Gleaner, les observations que M. Newland a soumises à l’agente d’ERAR n’y font que brièvement référence dans une section consacrée au gang des Shower Posse en général. Les observations de M. Newland sur le manque de protection de l’État ne faisaient aucunement référence à cet article ni n’indiquaient pourquoi il considérait que celui‑ci était pertinent à l’égard de cette question. S’il est vrai que les sections que comportent les observations ne sont pas des compartiments étanches, on ne peut reprocher à l’agente d’ERAR, dans ces circonstances, de ne pas avoir analysé l’article de façon particulière au moment d’évaluer le caractère adéquat de la protection de l’État.

[51]  À l’audition de la présente demande, l’avocate a également fait remarquer que l’agente d’ERAR n’avait pas analysé l’affidavit que l’épouse de M. Newland avait souscrit. Cependant, cet affidavit, que l’agente d’ERAR a expressément dit avoir examiné, traite des craintes du couple et n’analyse pas le caractère adéquat de la protection de l’État, sauf peut-être pour ce qui est de relater les faits liés à une attaque commise en avril 2000 et signalée à la police. Là encore, cette preuve n’a pas été invoquée afin de démontrer le caractère inadéquat de la protection de l’État dans les observations que M. Newland a soumises à l’agente d’ERAR, et cette dernière n’a pas rejeté le témoignage au sujet des attaques. Je ne considère pas que la décision rendue par l’agente d’ERAR sur la question de la protection de l’État soit déraisonnable en raison du fait que celle-ci n’a pas traité de cet élément de preuve.

[52]  Je signale que M. Newland critique également l’agente d’ERAR pour avoir fait référence à des éléments de preuve portant sur les mesures de lutte contre la corruption en Jamaïque, dans la mesure où la question en litige n’était pas la corruption policière. Cette critique est mal fondée car, dans les observations qu’il a soumises à l’agente d’ERAR au sujet de la protection de l’État, M. Newland a expressément allégué que le système judiciaire jamaïcain était corrompu, et il a fait état d’éléments de preuve qui donnaient à penser que la [TRADUCTION] « corruption demeure un problème sérieux en Jamaïque ».

VI.  Conclusion

[53]  Je suis d’avis que l’agente d’ERAR a appliqué le bon critère juridique, et qu’elle est arrivée à une conclusion raisonnable au sujet du caractère adéquat de la protection de l’État dont M. Newland pouvait se prévaloir en Jamaïque. La demande de contrôle judiciaire est donc rejetée.

[54]  Ni l’une ni l’autre des parties n’ont proposé de question à certifier, et je conviens qu’il ne s’en pose aucune en l’espèce.

[55]  En terminant, par souci de cohérence, et conformément au paragraphe 4(1) de la LIPR et au paragraphe 5(2) des Règles des cours fédérales en matière de citoyenneté, d’immigration et de protection des réfugiés, DORS/93‑22, l’intitulé de la cause est modifié de façon à ce que le défendeur désigné soit le ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration.


JUGEMENT dans le dossier IMM‑6477‑18

LA COUR ORDONNE :

  1. L’intitulé est modifié de façon à ce que le défendeur désigné soit le ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration.

  2. La demande de contrôle judiciaire est rejetée.

« Nicholas McHaffie »

Juge

Traduction certifiée conforme

Ce 29e jour de novembre 2019.

Julie-Marie Bissonnette, traductrice agréée


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM-6477-18

 

INTITULÉ :

RICHARD HEADLEY NEWLAND c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

Toronto (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 3 JUILLET 2019

 

JUGEMENT ET MOTIFS :

LE JUGE McHAFFIE

 

DATE DES MOTIFS ET DU JUGEMENT :

LE 13 NOVEMBRE 2019

 

COMPARUTIONS :

Robin L. Seligman

Sandra Dzever

 

POUR LE DEMANDEUR

 

Kareena R. Wilding

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Robin L. Seligman

Professional Corporation

Avocate

Toronto (Ontario)

 

POUR LE DEMANDEUR

 

Procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

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