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Date : 20040805

Dossier : IMM-6673-03

Référence : 2004 CF 1076

Toronto (Ontario), le 5 août 2004

EN PRÉSENCE DE MONSIEUR LE JUGE MOSLEY

ENTRE :

                             JAWWAD AHMED, SADIA JABEEN, KHOULA JAWWAD,

KHADIJAH JAWWAD, MARIAM FATIMA JAWWAD

                                                                                                                                          demandeurs

                                                                             et

                         LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

                                                                                                                                             défendeur

                                MOTIFS DE L'ORDONNANCE ET ORDONNANCE


[1]                Jawwad Ahmed (le demandeur principal) et son épouse Sadia Jabeen sont des citoyens du Pakistan. Les autres demandeurs sont leurs filles âgées de quatre à six ans. Deux d'entre elles sont nées à Oman. La benjamine de la famille est née aux États-Unis et est citoyenne américaine. Ils sollicitent le contrôle judiciaire de la décision rendue le 7 août 2003 dans laquelle la Section de la protection des réfugiés de la Commission de l'immigration et du statut de réfugié (la Commission) a conclu qu'ils n'étaient pas des réfugiés au sens de la Convention ni des personnes à protéger. Pour les motifs qui suivent, j'ai conclu que la présente demande devait être accueillie et renvoyée à la Commission pour réexamen.

[2]                M. Ahmed prétend craindre avec raison d'être persécuté par les autorités pakistanaises et la police du fait de ses opinions politiques. La demande des autres demandeurs repose sur leur lien de parenté avec lui. M. Ahmed, alors qu'il était étudiant, a participé activement aux activités du Mouvement Mohajir Quami (le MMQ). Il a été arrêté et détenu en 1992, mais a finalement été acquitté de toutes les accusations qui pesaient contre lui en février 1993. Peu après, il a quitté le Pakistan pour aller travailler à Oman comme pharmacien. C'est à cet endroit qu'il a rencontré et épousé sa compagne et qu'il a commencé à fonder une famille. Ils sont retournés au Pakistan en décembre 1999 et, en janvier 2000, ils ont quitté le Pakistan pour se rendre aux États-Unis où ils ont présenté une demande d'asile. Leur demande a été rejetée au motif qu'ils étaient établis dans un autre pays, Oman. Ils sont ensuite entrés au Canada en juillet 2001 et ont présenté une demande d'asile.


[3]                La Commission a conclu que certains éléments de la preuve soumise par M. Ahmed n'étaient pas crédibles. Elle a jugé qu'après avoir quitté le Pakistan en 1993, il n'avait pas agi comme une personne qui avait une crainte subjective et justifiée de persécution. La Commission a rejeté l'allégation des demandeurs suivant laquelle ils étaient des réfugiés « sur place » . Cette allégation reposait sur leur crainte d'être détenus par les autorités et d'être victimes de persécution s'ils étaient renvoyés au Pakistan en tant que demandeurs déboutés. La Commission a également rejeté l'allégation des demandeurs suivant laquelle les expériences vécues par M. Ahmed en 1992 et 1993 étaient odieuses à un point tel qu'elles exigeaient l'application de l'exception relative aux raisons impérieuses, maintenant énoncée au paragraphe 108(4) de la Loi sur l'immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27 (la LIPR).

[4]                Les demandeurs soutiennent que la Commission a mal interprété la preuve et qu'elle a tiré des conclusions de fait manifestement déraisonnables quant à la crédibilité de M. Ahmed. De plus, ils prétendent que la Commission n'a pas correctement apprécié la preuve qu'ils avaient soumise sur la question du préjudice qu'était susceptible d'entraîner leur renvoi en tant que demandeurs déboutés, et qu'elle a commis une erreur en exigeant qu'ils établissent l'existence d'une souffrance psychologique continue comme condition préalable à l'application de l'exception relative aux raisons impérieuses.

[5]                Pour ce qui est de l'allégation suivant laquelle les demandeurs étaient des réfugiés « sur place » , je suis d'accord avec le défendeur pour dire que les arguments des demandeurs constituent l'expression d'un désaccord quant au poids accordé par la Commission à certains éléments de preuve. Il était loisible à la Commission d'apprécier la preuve comme elle l'a fait et je ne vois aucune raison de modifier sa décision sur ce point.


[6]                En appliquant le critère des raisons impérieuses, la Commission n'a pas importé à tort une exigence de souffrance psychologique continue, contrairement à la décision rendue par la Cour dans Jiminez c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [1999] A.C.F. no 87 (1re inst.) (QL). Elle a plutôt noté que le fait que M. Ahmed était retourné volontairement au Pakistan en 1999 montrait qu'il n'avait pas de crainte subjective de persécution à cette époque-là, malgré les incidents de 1992 et 1993. À mon avis, la Commission a à bon droit conclu que les demandeurs n'avaient pas satisfait au critère permettant l'application de cette exception.

La Commission a-t-elle mal interprété la preuve et omis de tenir compte des explications raisonnables fournies par les demandeurs?

[7]                Les motifs donnés par la Commission sont, à de nombreux égards, très fouillés. Il est clair que le président d'audience de la Commission a pris soin de traiter des questions et de la preuve dont il était saisi et qu'il a bien appliqué les normes juridiques applicables. À mon avis, la seule question à trancher en l'espèce est de savoir s'il a mal interprété la preuve et s'il a omis de tenir compte des explications raisonnables offertes par M. Ahmed.


[8]                M. Ahmed a témoigné qu'il avait des contacts peu fréquents avec sa famille au Pakistan pendant qu'il était à Oman. En 1999, un ami l'a informé que sa soeur aînée était gravement malade et c'est pour cette raison qu'il est retourné au Pakistan avec sa famille. Il a alors été informé que la police s'intéressait toujours à lui et qu'elle s'était rendue régulièrement chez sa soeur pour déterminer où il se trouvait. Il s'est caché et a quitté le pays un mois plus tard pour se rendre aux États-Unis et présenter une demande d'asile. À l'audience, lorsqu'on l'a pressé de répondre à la question de savoir comment il avait pu entrer au pays et en sortir librement, il a témoigné qu'il n'y avait pas de contrôle des entrées et des sorties et que son oncle avait versé un pot-de-vin pour leur permettre de quitter le pays. Il n'a pas parlé du pot-de-vin dans son Formulaire de renseignements personnels (le FRP).

[9]                La Commission a jugé non plausible que la police pakistanaise ait encore été à la recherche de M. Ahmed et que sa famille au Pakistan ne l'en ait pas informé avant qu'il y retourne en voyage. Elle a jugé que la preuve du pot-de-vin versé pour faciliter leur départ était un « enjolivement ajouté » au récit de M. Ahmed. La preuve d'un « Premier rapport d'information » (PRI) établi récemment par la police à son égard a été écartée parce que la preuve documentaire établissait qu'il était facile de fabriquer de tels documents. Suivant la prépondérance des probabilités, la Commission a conclu que les autorités au Pakistan ne s'intéressaient pas à M. Ahmed ni à sa famille et qu'ils ne risquaient donc pas d'être persécutés dans ce pays.


[10]            Les demandeurs prétendent que les conclusions de la Commission étaient manifestement déraisonnables. Ils affirment que la Commission a mal interprété le témoignage du demandeur principal, parce qu'il a dit non pas qu'il n'avait aucun contact avec sa famille au Pakistan, mais uniquement qu'il avait eu des contacts peu fréquents avec celle-ci. De plus, M. Ahmed a témoigné que sa famille avait décidé de ne pas lui parler du fait que les autorités menaient une enquête sur son compte parce qu'elle s'inquiétait de son bien-être psychologique. Il a témoigné qu'il avait appris que sa soeur était malade non pas par sa famille, mais par un ami qui lui avait rendu visite à Oman. Il n'a pas eu de problèmes avec les autorités pakistanaises en 1999 parce que dès qu'il a appris qu'elles étaient encore à sa recherche, sa famille et lui se sont cachés. La Commission n'a pas mentionné ces explications, et, bien qu'il lui ait été loisible de rejeter ces explications, la Commission a commis une erreur de droit en omettant d'examiner celles-ci. Les demandeurs soutiennent que la conclusion de non-plausibilité tirée par la Commission quant à l'allégation de crainte subjective et justifiée de persécution de M. Ahmed est donc intenable.

[11]            Le défendeur prétend qu'il était raisonnablement loisible à la Commission de tirer les conclusions de non-crédibilité et de non-plausibilité qu'elle a tirées. En outre, considérés dans leur ensemble, les motifs fournis par la Commission à l'appui de ces conclusions sont exprimés en termes clairs et explicites : Hilo c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration) (1991), 15 Imm. L.R. (2d) 199 (C.A.F.). En l'espèce, le défendeur soutient que la Commission s'est acquittée de cette obligation en [traduction] « exprimant clairement ses motifs » .

[12]            La Commission a commis une erreur en n'examinant pas dans ses motifs les explications raisonnables fournies par les demandeurs relativement aux réserves qu'elle avait : Veres c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [2001] 2 C.F. 124 (1re inst.).

[13]            À mon avis, la Commission a commis une erreur en n'examinant pas les explications suivantes fournies par le demandeur principal : il avait appris que sa soeur était malade non pas par sa famille, mais par un ami qui lui avait rendu visite à Oman; sa famille ne l'avait pas informé que les autorités menaient une enquête sur son compte pour lui éviter cette inquiétude; et, suivant son témoignage, lorsqu'il était entré au Pakistan en décembre 1999 et qu'il avait quitté ce pays en janvier 2000, il n'y avait pas de contrôle des entrées et des sorties et rien n'avait paru suspect aux autorités de l'aéroport parce qu'il avait les autorisations de travail omanaises requises. De plus, la Commission mentionne que le demandeur a affirmé qu'il était resté caché pendant son séjour au Pakistan après avoir appris que les autorités s'intéressaient à lui, mais ne se penche pas et ne fait aucun commentaire sur la question de savoir en quoi cela se rattache à sa conclusion suivant laquelle il n'avait eu aucune difficulté au Pakistan lorsqu'il y était retourné.

[14]            Il était loisible à la Commission de ne pas croire ces explications données relativement aux réserves qu'elle avait quant aux allégations du demandeur principal, mais, à leur face même, ces explications paraissent raisonnables et la Commission était tenue d'en traiter dans ses motifs et d'expliquer pourquoi elle ne les avait pas jugées convaincantes. La Commission paraît plutôt n'avoir tenu aucun compte de ces explications, parce qu'elle n'en fait aucune mention dans ses motifs. Comme l'a dit le juge Pelletier dans la décision Veres, précitée, aux pages 130 et 131, il s'agit là d'une erreur susceptible de contrôle :


En conséquence, M. Veres a expliqué pourquoi il était en mesure de produire certains documents (ceux que lui ont remis les autorités), mais pas d'autres (ceux qu'il a rédigés et expédiés aux autorités). Pour ce qui est de ces derniers, il a souligné le problème d'accessibilité à la technologie de reprographie et indiqué qu'il ne prévoyait pas comparaître devant une commission chargée de statuer sur les revendications du statut de réfugié. Il relève du mandat de la SSR de refuser de croire l'explication de M. Veres quant à l'absence de copies de documents importants. Il ne relève pas de son mandat de ne tenir aucun compte d'une explication raisonnable et de considérer la preuve comme si l'explication n'avait jamais été donnée. Voir Chehar c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [1997] A.C.F. no 1379 (1re inst.) (QL); Owusu-Ansah c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration) (1989), 8 Imm. L.R. (2d) 106 (C.A.F.).

[Non souligné dans l'original.]

[15]            Vu que la Commission n'a pas examiné plusieurs des explications fournies par le demandeur principal, explications qui, à leur face même, paraissent raisonnables et qui se rapportent à des conclusions de fait importantes sur lesquelles repose la décision dans laquelle la Commission a rejeté la demande d'asile des demandeurs, la présente demande de contrôle judiciaire doit être accueillie.

                                        ORDONNANCE

LA COUR ORDONNE que la présente demande de contrôle judiciaire soit accueillie, que la décision de la Commission soit annulée et qu'un tribunal autrement constitué de la Commission réexamine, conformément aux présents motifs, la demande des demandeurs en vue de se faire reconnaître le statut de réfugiés au sens de la Convention et la qualité de personnes à protéger. Les parties ont sept jours à compter de la date de la présente ordonnance pour proposer des questions à certifier.

« Richard G. Mosley »

Juge

Traduction certifiée conforme

Julie Boulanger, LL.M.


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

DOSSIER :                                                     IMM-6673-03

INTITULÉ :                                                    JAWWAD AHMED, SADIA JABEEN, KHOULA JAWWAD, KHADIJAH JAWWAD, MARIAM FATIMA JAWWAD

c.

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

DATE DE L'AUDIENCE :                            LE 4 AOÛT 2004

LIEU DE L'AUDIENCE :                              TORONTO (ONTARIO)

MOTIFS DE L'ORDONNANCE

ET ORDONNANCE :                                    LE JUGE MOSLEY

DATE DES MOTIFS :                                   LE 5 AOÛT 2004

COMPARUTIONS :

Krassina Kostadinov                                         POUR LES DEMANDEURS

Stephen Jarvis                                       POUR LE DÉFENDEUR

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Waldman and Associates                                   POUR LES DEMANDEURS

Avocats

Toronto (Ontario)

Morris Rosenberg                                              POUR LE DÉFENDEUR

Sous-procureur général du Canada                               


COUR FÉDÉRALE

Date : 20040805

Dossier : IMM-6673-03

ENTRE :

JAWWAD AHMED, SADIA JABEEN, KHOULA JAWWAD, KHADIJAH JAWWAD, MARIAM FATIMA JAWWAD

demandeurs

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE

L'IMMIGRATION

défendeur

MOTIFS DE L'ORDONNANCE ET ORDONNANCE

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