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Date : 20051202

Dossier : IMM-3566-05

Référence : 2005 CF 1637

Ottawa (Ontario), le 2 décembre 2005

EN PRÉSENCE DE MONSIEUR LE JUGE BLAIS

ENTRE :

SEYED JAMAL SAADAT MAND,

SABIHAH ALI YOUSEF,

JENAN SEYED JAMAL SAADAT MAND

et FAISAL SEYED JAMAL SAADAT MAND

demandeurs

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

défendeur

MOTIFS DE L'ORDONNANCE ET ORDONNANCE

[1]                Il s'agit d'une demande de contrôle judiciaire visée à l'article 72 de la Loi sur l'immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27 (la Loi), concernant la décision rendue par la Section de la protection des réfugiés de la Commission de l'immigration et du statut de réfugié (la Commission), en date du 9 mai 2005, d'annuler le sursis d'exécution d'une mesure de renvoi et de rejeter les appels de Seyed Jamal Saadat Mand, de Sabihah Ali Yousef, de Jenan Seyed Jamal Saadat Mand et de Faisal Seyed Jamal Saadat Mand (les demandeurs).

LES FAITS

[2]                Le demandeur principal, M. Saadat Mand, est entré au Canada en juillet 1995 avec son épouse et ses trois enfants. Ils ont tous obtenu le statut de résident permanent au Canada sous réserve des conditions associées à la catégorie des entrepreneurs. Les demandeurs n'ayant pas respecté les obligations qui leur avaient été imposées, des mesures d'expulsion ont été prises contre eux le 5 septembre 2001.

[3]                Les demandeurs ont fait appel des mesures d'expulsion en vertu de l'ancien article 70 de la Loi sur l'immigration. Dans une décision signée le 29 juillet 2002, la Section d'appel de l'immigration a sursis à l'exécution de ces mesures pendant deux ans, sous réserve des conditions suivantes :

1.      Respecter à nouveau les conditions énoncées aux alinéas 23.1a) et b) du Règlement sur l'immigration de 1978.

2.      Se présenter au Centre d'immigration du Canada (CIC) - Audiences et Renvois, situé au 1010, rue Saint-Antoine ouest, 2e étage, Montréal (QC), H3C 1B2, le 1er août 2002, et tous les 6 mois, par la suite, le premier jour ouvrable du mois.

3.      Fournir à l'unité opérationnelle du CIC des états financiers, des preuves de déclaration annuelle pour 2001, 2002, 2003 et 2004 des rapports d'impôts fédéraux et provinciaux.

4.      Fournir les titres de propriété de la résidence familiale.

5.      Fournir tous les documents requis par les autorités de l'immigration.

6.      Déclarer tout changement d'adresse résidentielle ou commerciale dans les 7 jours suivant le changement.

7.      Aviser les autorités de l'immigration de ses déplacements à l'extérieur du Canada.

[4]                La Commission a réentendu les appels des demandeurs les 4 janvier et 15 avril 2004 et les a rejetés le 9 mai 2005.

LA DÉCISION DE LA COMMISSION

[5]                La Commission a rejeté les appels pour deux motifs en mai 2005. Premièrement, elle a déterminé que les demandeurs ne s'étaient pas conformés aux conditions énoncées dans la décision signée le 29 juillet 2002. Deuxièmement, elle a conclu que les demandeurs n'avaient pas démontré que, eu égard aux circonstances de l'affaire, ils ne devaient pas être renvoyés du Canada pour des motifs d'ordre humanitaire.

LES QUESTIONS EN LITIGE

1.          La Commission a-t-elle commis une erreur susceptible de contrôle en concluant que le demandeur principal ne s'était pas conformé aux conditions énoncées dans la décision rendue par la Commission en date du 29 juillet 2002?

2.          Les conclusions de la Commission concernant les motifs d'ordre humanitaire sont-elles erronées?

ANALYSE

1.          La Commission a-t-elle commis une erreur susceptible de contrôle en concluant que le demandeur principal ne s'était pas conformé aux conditions énoncées dans la décision rendue par la Commission en date du 29 juillet 2002?

[6]                Comme il a été mentionné précédemment, le demandeur principal a obtenu le statut de résident permanent au Canada sous réserve des conditions associées à la catégorie des entrepreneurs. Les conclusions de la Commission sur la question de savoir si le demandeur principal s'est conformé à certaines conditions liées à la catégorie des entrepreneurs, plus précisément à celles qui l'obligeait à investir dans une entreprise et à y participer activement, sont contestées.

[7]                Les demandeurs contestent la conclusion de la Commission selon laquelle le demandeur principal « n'a pas produit de preuve quant à son droit de propriété sur Mirani 3000 » . Ils contestent également la conclusion de la Commission selon laquelle aucune preuve corroborante d'une entente signée entre le demandeur principal et M. Mario Ciarla concernant les investissements faits dans « Les Entreprises Mario Ciarla Inc. » n'a été produite. Les demandeurs soutiennent que, dans les deux cas, la Commission a commis une erreur en ne tenant pas compte de la preuve et des documents joints à l'affidavit du demandeur principal.

[8]                Il est bien établi que le décideur n'est pas tenu de faire référence à chaque élément de preuve dans ses motifs. La Cour d'appel fédérale a dit ce qui suit à ce sujet dans Florea c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration), [1993] A.C.F. no 598, au paragraphe 1 :

Le fait que la Section n'a pas mentionné tous et chacun des documents mis en preuve devant elle n'est pas un indice qu'elle n'en a pas tenu compte; au contraire un tribunal est présumé avoir pesé et considéré toute la preuve dont il est saisi jusqu'à preuve du contraire.

[9]                La Commission est présumée avoir tenu compte de toute la preuve jusqu'à preuve du contraire. En l'espèce, le demandeur principal n'a pas réussi à prouver que la Commission n'a pas tenu compte des éléments de preuve joints à son affidavit. Je juge que le décideur a analysé toute la preuve et a conclu que celle-ci ne répondait pas aux attentes de la Commission en ce qui a trait à la preuve qui était nécessaire pour prouver que le demandeur principal avait contribué de manière importante à l'économie du Canada en investissant dans une entreprise à laquelle il participait activement. La Commission a affirmé dans sa décision :

Il appert de la Pièce R-11 que l'appelant principal et M. Mario Ciarla ont conclu une entente sur des placements à faire dans Les Entreprises Mario Ciarla Inc. Malheureusement, aucune preuve corroborante n'a été produite pour établir que l'entente a été signée et que les conditions qui y sont énumérées ont été exécutées; aucun état financier n'a été fourni pour prouver que l'appelant a effectué ce placement et aucun certificat d'actions ni aucune résolution du conseil d'administration n'a été produit pour prouver que l'appelant principal a rempli les obligations issues de cette entente.

L'appelant principal a précisé que les sommes investies dans Mario Ciarla Inc. ont été transférées à Mirani 3000 pour qu'il puisse s'acquitter de ses obligations associées à la catégorie des entrepreneurs. Une fois de plus, aucun élément de preuve n'a été produit pour prouver que les sommes d'argent ont été transférées d'une entreprise à l'autre, aucun élément de preuve ne fait état de la vente d'actions, aucun certificat d'actions, rien qui pourrait amener le tribunal à conclure que l'appelant principal participait activement à Mirani 3000, aucun élément de preuve réel ne démontre qu'il a assumé un rôle de direction ou de gestion dans cette entreprise.

(Décision de la Commission datée du 9 mai 2005, aux paragraphes 24 et 25)

[10]            Le demandeur principal soutient que la Commission a commis une erreur de droit en rejetant cet élément de preuve important. Plus précisément, la Commission n'aurait pas du prendre en considération le fait qu'un chèque de 50 000 $ libellé à l'ordre de Mirani 3000 et daté du 6 février 2004 avait été signé par l'épouse du demandeur principal. Les demandeurs soutiennent que l'identité du signataire du chèque n'a aucune pertinence pour ce qui est de savoir s'ils ont fait un investissement important au Canada.

[11]            Le fait que la Commission a pris en considération l'identité du signataire du chèque a peu d'importance en l'espèce. Ce qui est important, c'est que la Commission a statué, après avoir soupesé tous les éléments de preuve, qu'un seul chèque ne prouve pas que le demandeur principal a réellement fait un investissement dans une entreprise au Canada dans laquelle il jouait un rôle actif. J'estime que la Commission n'a pas commis une erreur susceptible de contrôle lorsqu'elle a conclu que le demandeur principal n'avait pas respecté les obligations qui lui incombaient en tant que résident permanent appartenant à la catégorie des entrepreneurs, contrevenant ainsi à l'une des conditions énoncées dans la décision rendue par la Commission en date du 29 juillet 2002.

2.          Les conclusions de la Commission concernant les motifs d'ordre humanitaire sont-elles erronées?

[12]            Le demandeur principal fonde en grande partie sa demande de contrôle judiciaire sur l'existence de motifs d'ordre humanitaire justifiant la prise de mesures spéciales à l'égard de sa fille, conformément à l'alinéa 67(1)c) de la Loi, qui est libellé comme suit :



67 (1) Il est fait droit à l'appel sur preuve qu'au moment où il en est disposé :

67 (1) To allow an appeal, the Immigration Appeal Division must be satisfied that, at the time that the appeal is disposed of,

c) sauf dans le cas de l'appel du ministre, il y a - compte tenu de l'intérêt supérieur de l'enfant directement touché - des motifs d'ordre humanitaire justifiant, vu les autres circonstances de l'affaire, la prise de mesures spéciales.

c) other than in the case of an appeal by the Minister, taking into account the best interest of a child directly affected by the decision, sufficient humanitarian and compassionate considerations warrant special relief in light of all the circumstances of the case.

[13]            Dans Bhalru c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [2005] CF 777, [2005] A.C.F. no 981, le juge Shore conclut que la norme de contrôle qui s'applique aux conclusions relatives au paragraphe 67(1) de la Loi est celle de la décision manifestement déraisonnable. Il motive ainsi cette conclusion au paragraphe 18 :

Dans l'arrêt Jessani c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration) [...], la Cour d'appel fédérale a déclaré que la norme de retenue judiciaire qui doit viser les conclusions factuelles de la Commission relativement au paragraphe 70(1) de la Loi sur l'immigration (maintenant paragraphe 67(1) de la LIPR) est la norme de la décision manifestement déraisonnable. La Section de première instance de la Cour fédérale a déclaré qu'elle ne fait pas obstacle au pouvoir discrétionnaire que confère la loi à la SAI aussi longtemps que ce pouvoir est exercé de bonne foi et sans l'influence de considérations non pertinentes. Dans la décision Mohammed c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration) [...], la Cour a écrit :

Le pouvoir discrétionnaire étendu qui est conféré à la section d'appel en ce qui concerne sa compétence en equity est prévu à l'alinéa 70(1)b) de la Loi, qui habilite la section d'appel à déterminer « eu égard aux circonstances particulières de l'espèce » , si un résident permanent devrait être renvoyé du Canada. Lorsque ce pouvoir discrétionnaire a été exercé de bonne foi et sans être influencé par des considérations non pertinentes et qu'il n'est pas exercé de façon arbitraire ou illégale, la Cour n'a pas le droit d'intervenir, même si elle aurait pu exercer ce pouvoir discrétionnaire différemment si elle avait été à la place de la section d'appel.

[14]            En ce qui concerne la fille du demandeur principal, les demandeurs contestent la conclusion de la Commission selon laquelle « [a]ucun élément de preuve ne démontre qu'elle a des liens solides au Canada » . Les demandeurs prétendent que la Commission a manqué aux principes de justice naturelle en ne reconnaissant pas la crédibilité d'un témoignage fait sous serment et non contredit et en rejetant les motifs d'ordre humanitaire concernant la fille du demandeur principal pour la simple raison qu'elle ne disposait pas d'éléments de preuve additionnels confirmant que celle-ci avait un fiancé et qu'elle entretenait une relation avec lui depuis deux ans et demi. De plus, le demandeur soutient que la Commission a entravé son pouvoir discrétionnaire en ne déterminant pas si la preuve non contredite qui avait été présentée constituait des motifs d'ordre humanitaire suffisants.

[15]            Comme il a été mentionné précédemment, la Commission a sursis, en 2002, à l'exécution des mesures d'expulsion prises contre les demandeurs pendant deux ans, sous réserve de certaines conditions. Selon elle, des motifs d'ordre humanitaire justifiaient l'octroi d'un sursis :

La fille aînée a un ami de coeur ici, au Canada [...] Donc, les deux aînés semblent avoir des projets de vie personnelle sérieux au Canada. L'intérêt de ces enfants est de rester au Canada [...] Même si la période de sept ans passée au Canada n'est pas si longue, j'estime que dans les circonstances, c'est un degré d'enracinement suffisant pour que le renvoi du Canada ait des conséquences indésirables pour la vie de plusieurs personnes.

[16]            Lorsque la Commission a annulé le sursis en 2005, elle semble ne pas avoir tenu compte des conclusions à l'égard des demandeurs qu'elle avaient tirées auparavant relativement aux motifs d'ordre humanitaire. Par exemple, elle a conclu que la fille du demandeur principal n'avait pas de liens solides avec le Canada alors qu'elle avait dit le contraire en 2002.

[17]            La Commission se trouve dans une position très délicate en l'espèce. D'une part, le demandeur principal a clairement violé les règles applicables aux résidents permanents appartenant à la catégorie des entrepreneurs. D'autre part, le Canada n'a aucun intérêt à expulser des personnes qui se sont intégrées à la société canadienne et ont contribué à son bien-être.

[18]            Il faut souligner qu'en obtenant un sursis d'exécution des mesures d'expulsion prises contre eux, les demandeurs ont déjà eu une deuxième chance de se conformer aux règles. Même s'il connaissait les conséquences du défaut de se conformer aux conditions du sursis, le demandeur principal a fait preuve de complaisance et n'a montré aucun respect pour le processus d'immigration et les règles qui le régissent. Il essaie maintenant de rester au Canada pour des motifs d'ordre humanitaire qui concernent sa fille et les liens de celle-ci avec le Canada.

[19]            J'estime que la Commission a commis une erreur en concluant que la fille du demandeur principal n'avait pas de liens solides avec le Canada. Cette personne est instruite, elle s'est intégrée à la société canadienne et y a contribué, comme la Commission l'a reconnu en 2002. Le commissaire a même dit qu'il était [traduction] « impressionné » par son curriculum vitae; je le suis également. Cela dit, je n'estime pas que la décision de la Commission d'annuler le sursis d'exécution des mesures d'expulsion soit manifestement déraisonnable. Il serait injuste et contraire aux principes du régime canadien de l'immigration de rendre une décision différente. Le demandeur principal a eu une deuxième chance et n'a pas respecté les règles. Il ne devrait pas être récompensé pour avoir contrevenu aux règles au point de permettre à sa famille de demeurer au Canada assez longtemps pour y créer des liens solides et pour être admissible à un autre sursis d'exécution fondé sur des motifs d'ordre humanitaire.

[20]            Quoique cette décision puisse sembler injuste pour la fille du demandeur principal, celle-ci ferait sûrement, vu ses qualités remarquables, une excellente candidate à la résidence permanente si elle présentait sa propre demande. Si une telle candidate n'est pas acceptée, il est difficile d'imaginer qui le sera.


ORDONNANCE

LA COUR ORDONNE :

·         La demande de contrôle judiciaire est rejetée.

·         Aucune question n'est certifiée.

« Pierre Blais »

Juge

Traduction certifiée conforme

David Aubry, LL.B.


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

DOSSIER :                                                           IMM-3566-05

INTITULÉ :                                                          SEYED JAMAL SAADAT MAND, SABIHAH ALI YOUSEF, JENAN SEYED JAMAL SAADAT MAND et FAISAL SEYED JAMAL SAADAT MAND

                                                                              c.

                                                                              LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

                                                                              ET DE L'IMMIGRATION

LIEU DE L'AUDIENCE :                                    MONTRÉAL (QUÉBEC)

(TRIBUNAL-ÉCOLE, UNIVERSITÉ MCGILL)

DATE DE L'AUDIENCE :                                  LE 15 NOVEMBRE 2005

MOTIFS DE L'ORDONNANCE :                     LE JUGE BLAIS

DATE DES MOTIFS :                                         LE 2 DÉCEMBRE 2005

COMPARUTIONS :

Mitchell Goldberg                                                    POUR LES DEMANDEURS

Gretchen Timmins                                                    POUR LE DÉFENDEUR

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Mitchell Goldberg                                                    POUR LES DEMANDEURS

Montréal (Québec)

John H. Sims, c.r.                                                    POUR LE DÉFENDEUR

Sous-procureur général du Canada

Montréal (Québec)

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