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Date : 20060605

Dossier : IMM-4225-05

Référence : 2006 CF 693

Ottawa (Ontario), le 5 juin 2006

EN PRÉSENCE DE MONSIEUR LE JUGE BEAUDRY

 

ENTRE :

BERNARDO DIAZ MARTINEZ

demandeur

et

 

LE MINISTE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

défendeur

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

[1]               Il s’agit d’une demande de contrôle judiciaire, présentée en application du paragraphe 72(1) de la Loi sur l'immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27 (la Loi), concernant une décision datée du 30 mai 2005 dans laquelle la Section de la protection des réfugiés de la Commission de l'immigration et du statut de réfugié (la Commission) a conclu que le demandeur n’était ni un réfugié au sens de la Convention, ni une personne à protéger.


QUESTIONS EN LITIGE

[2]               Le demandeur soulève deux questions :

  1. La Commission a-t-elle commis une erreur susceptible de contrôle dans l’appréciation de la crédibilité du demandeur?
  2. La Commission a-t-elle, à tort, laissé ses conclusions relatives à la crédibilité du demandeur indûment influencer son analyse concernant la protection offerte par l’État et la possibilité de refuge intérieur (PRI)?

 

[3]               Pour les motifs qui suivent, les deux questions reçoivent une réponse négative et la demande de contrôle judiciaire sera rejetée.

 

FAITS

[4]               Le demandeur est un citoyen du Mexique. Il est né le 7 mai 1975 à Celaya, dans l’État de Guanajuato.

 

[5]               Le demandeur est arrivé au Canada le 9 avril 2002 et il a revendiqué le statut de réfugié le 28 octobre 2002.

 

[6]               En mai 2001, le demandeur se trouvait avec deux autres hommes à bord d’une automobile. Le conducteur s’appelait Carlos Alberto.

 

[7]               Carlos Alberto avait dit au demandeur qu’il était membre d’un gang impliqué dans le commerce de la drogue et les vols de voitures, mais ce dernier avait cru qu’il s’agissait d’un bluff.

 

[8]               L’automobile a été interceptée par la police au motif qu’il s’agissait d’une automobile volée.

 

[9]               Le demandeur ne savait pas que l’automobile avait été volée, mais, tout comme les deux autres hommes à bord du véhicule, il a été arrêté et détenu.

 

[10]           Pendant sa détention, le demandeur a rapporté à la police ce que Carlos Alberto lui avait dit concernant ses activités illégales. La police a libéré le demandeur et Carlos Alberto a juré qu’il paierait cher le fait de l’avoir dénoncé.

 

[11]           Le demandeur croit que le désir de vengeance de Carlos Alberto résulte du fait qu’il a été battu par les policiers pendant sa détention.

 

[12]           En juin 2001, Carlos Alberto et deux agents de la police judiciaire fédérale ont abordé le demandeur et l’ont menacé.

 

[13]           En septembre 2001, alors qu’il se trouvait près de chez lui, le demandeur a été battu par Carlos Alberto et deux agents de la police judiciaire fédérale. Le demandeur a tenté de déposer une plainte, mais il n’a pas réussi à obtenir l’aide des services de police.

 

[14]           En décembre 2001, il a de nouveau été menacé.

 

[15]           En mars 2002, il a été enlevé et battu. Son agresseur a menacé de le tuer s’il ne se joignait pas à son gang criminel.

 

[16]           Pour sauver sa vie, le demandeur a dit qu’il deviendrait membre du gang en question mais, le 3 avril, il a obtenu un passeport et, quelques jours plus tard, il s’est enfui au Canada.

 

[17]           Le demandeur prétend que les agents de la police judiciaire fédérale sont de connivence avec des criminels comme Carlos Alberto, qui leur offrent des pots‑de‑vin.

 

[18]           Le demandeur prétend qu’il ne serait en sécurité nulle part au Mexique parce que Carlos Alberto et les agents de la police judiciaire fédérale pourraient le retrouver, où qu’il soit.

 

[19]           Il affirme de plus que, partout au Mexique, la police est corrompue et qu’il ne peut obtenir la protection de l’État.

 

DÉCISION FAISANT L’OBJET DU CONTRÔLE

[20]           La Commission a rejeté la demande du demandeur après avoir conclu que sa preuve n’étayait pas certaines de ses allégations :

·        un rapport médical atteste qu’il a été battu en septembre 2001, mais rien ne permet d’établir par qui il a été battu;

·        il n’existe aucune preuve du fait que le demandeur a dénoncé Carlos Alberto à la police. Le demandeur soutient qu’il s’agissait d’une dénonciation verbale et qu’elle n’a pas été consignée par écrit;

·        le demandeur n’a soumis aucune preuve concernant la plainte qu’il aurait déposée auprès de la police après avoir été battu en mars 2002, et ce, bien qu’il ait affirmé l’avoir soumise par écrit. Le demandeur prétend que la copie de sa plainte était dans une boîte contenant des documents importants, qu’il a laissée au Mexique, mais qu’un ami à lui n’a pas été en mesure de la trouver. Compte tenu du fait que le demandeur était au Canada depuis déjà trois ans au moment de l’audience, la Commission n’a pas jugé son explication crédible;

·        le demandeur a prétendu qu’il étudiait le droit au moment où les évènements se sont produits et qu’il avait fait une demande écrite auprès de la faculté de droit en vue d’obtenir de l’aide. Il n’a toutefois pas fourni de copie de cette demande à la Commission.

 

[21]           La Commission a également conclu que le demandeur n’avait pas réfuté la présomption selon laquelle, au Mexique, il aurait accès à la protection de l’État, et qu’il n’avait pas démontré ne disposer d’aucune possibilité de refuge intérieur.

 

[22]           La Commission a déclaré que même si les allégations du demandeur étaient vraies, il n’en restait pas moins que les policiers corrompus, qui protégeaient Carlos Alberto, exerçaient leurs activités seulement dans la région de Celaya, et que rien ne permettait de conclure que ces policiers le pourchasseraient partout au Mexique ou que le demandeur ne pouvait solliciter la protection d’un autre service de police ailleurs au Mexique.

 

[23]           Certes, le conseil du demandeur a présenté des observations concernant la corruption des policiers mexicains, mais la Commission a fait référence à une preuve documentaire indiquant que bien que certaines régions du Mexique soient effectivement confrontées à la corruption policière, le problème ne s’est pas généralisé au point d’empêcher les citoyens mexicains d’obtenir la protection de la police.

 

[24]           Le demandeur a déclaré qu’il ne voulait pas aller à Mexico parce que le taux de criminalité de cette ville est élevé et que son service de police est corrompu. La Commission a conclu, compte tenu de la preuve documentaire, que les autorités mexicaines avaient fait des efforts sérieux pour mettre un frein à la criminalité et aux abus de pouvoir des policiers de Mexico.

 

[25]           Malgré les observations soumises par conseil du demandeur concernant l’omniprésence de la corruption des policiers au Mexique, la Commission a conclu que le demandeur avait une possibilité de refuge intérieur dans le district fédéral de Mexico et qu’il n’avait pas une connaissance directe de la protection que l’État est en mesure d’accorder dans ce district.

 

ANALYSE

1.         La Commission a-t-elle commis une erreur susceptible de contrôle dans l’appréciation de la crédibilité du demandeur?

[26]           Le demandeur prétend que la Commission a commis une erreur susceptible de contrôle en concluant que la preuve soumise pour étayer ses allégations était insuffisante.

 

[27]           Le demandeur fait valoir que la Commission n’a pas fourni, de façon « claire et non équivoque », les motifs qui l’ont amenée à mettre à doute la crédibilité du demandeur. (Wilanowski c. Canada (Ministre de l’emploi et de l’immigration), [1993] A.C.F. no 371 (C.A.F.). Le demandeur ajoute que la Commission ne peut simplement s’en tenir à dire que la preuve est insuffisante.

 

[28]           Le demandeur soutient que la Commission n’a pas considéré son témoignage d’un point de vue approprié étant donné qu’elle ne semble pas avoir estimé, malgré l’absence de preuve contraire, qu’il était digne de foi.

 

[29]           Le demandeur fait également valoir que la Commission n’a pas tenu compte de l’article de journal qu’il a soumis à son attention pour corroborer son récit concernant son arrestation par la police en mai 2001. La Commission constate l’existence de cet article dans son résumé des faits, mais elle n’y réfère pas dans le cadre de son analyse.

 

[30]           Ce document corrobore le récit du demandeur et celui‑ci fait valoir que, compte tenu de l’importance que revêt ledit document, le principe général selon lequel la Commission n’est pas tenue de se référer dans ses motifs à chacun des éléments de preuve dont elle dispose ne saurait justifier son omission d’y faire référence. Ainsi, en l’espèce, un énoncé général portant que la Commission a examiné tous les éléments de preuve qui lui ont été soumis serait insuffisant (Cepada-Gutierrez c. Canada (Ministre de l’emploi et de l’immigration), [1998] A.C.F. no 1425 (C.F. 1re inst.) (QL)).

 

[31]           Le défendeur, quant à lui, affirme que la Commission a motivé de façon « claire et non équivoque » sa conclusion défavorable concernant la crédibilité du demandeur.

 

[32]           Certes, il existe un principe selon lequel il faut présumer que le témoignage d’un demandeur est véridique, mais le défendeur souligne que cette présomption peut être réfutée s’il y a des raisons de douter de l’exactitude du témoignage.

 

[33]           Le défendeur se réfère au paragraphe 100(4) de la Loi et à la règle 7 des Règles pour appuyer l’argument selon lequel, faute d’explications plausibles et crédibles pour justifier l’omission de produire des documents pertinents, il n’était pas déraisonnable que la Commission tire une conclusion défavorable concernant la crédibilité du demandeur.

 

[34]           Le défendeur soutient que la Commission a fourni de nombreuses raisons expliquant pourquoi elle a douté de la véracité des allégations du demandeur.

 

 

Norme de contrôle

[35]           Les conclusions de la Commission en matière de crédibilité sont des conclusions de fait et, en tant que telles, elles commandent, dans le cadre d’un contrôle judiciaire, un degré élevé de retenue. La norme de contrôle applicable est par conséquent celle de la décision manifestement déraisonnable (Aguebor c. Canada (Ministre de l’emploi et de l’immigration) (1993), 160 N.R. 315 (C.A.F.)).

 

[36]           Après avoir soigneusement examiné les motifs de la Commission et, compte tenu du paragraphe 100(4) de la Loi et de la règle 7 des Règles, je ne crois pas que la Commission a commis une erreur en évaluant la crédibilité du demandeur.

 

[37]           La Commission était en droit de conclure que le demandeur n’avait pas soumis une preuve suffisante pour étayer ses allégations étant donné qu’il n’a pas fourni d’explications raisonnables concernant les raisons pour lesquelles il n’a pas été en mesure d’obtenir les documents qu’il dit exister.

 

[38]           Vu l’existence de motifs raisonnables pour douter de la véracité des allégations du demandeur, la Commission n’a pas selon moi considéré son témoignage d’un point de vue inadéquat.

 

[39]           De plus, bien que la Commission n’ait pas dans ses motifs fait explicitement référence à l’article de journal, elle n’a pas mis en doute le fait que le demandeur ait été arrêté en mai 2001.

 

[40]           L’article en question vient étayer la prétention selon laquelle le demandeur a été arrêté parce qu’il était à bord d’un véhicule volé. Si la Commission avait, sans faire référence à l’article de journal, mis en doute la véracité de cette allégation, elle aurait effectivement omis de tenir compte d’un élément de preuve. Toutefois, étant donné que cette allégation spécifique n’a pas été mise en doute par la Commission, je ne crois pas que la Cour devrait intervenir au simple motif que la Commission n’en fait pas explicitement mention dans son analyse concernant la crédibilité du demandeur.

 

2.                  La Commission a-t-elle, à tort, laissé ses conclusions relatives à la crédibilité du demandeur indûment influencer son analyse concernant la protection offerte par l’État et la possibilité de refuge intérieur (PRI)?

[41]           Le demandeur soutient que les conclusions de la Commission concernant sa crédibilité ont vicié son examen de la question de savoir si le demandeur avait une PRI ainsi que son analyse concernant la protection offerte par l’État. Il fait valoir que dans l’hypothèse où la Cour estimerait que les conclusions de la Commission concernant la crédibilité sont manifestement déraisonnables, les conclusions de cette dernière concernant la protection offerte par l’État et la PRI ne sauraient être maintenues.

 

Protection de l’État

[42]           Étant donné qu’il était persécuté par des représentants de l’État (des agents de la police judiciaire fédérale de Celaya), il n’était pas raisonnable que la Commission s’attende à ce qu’il demande la protection de l’État.

 

[43]           Le demandeur a déclaré avoir déposé en mars 2002 une plainte contre les policiers qui l’avaient battu et s’être adressé à la faculté de droit en vue d’obtenir de l’aide. Le demandeur prétend qu’à eux seuls ces événements ― si la Commission avait cru qu’ils s’étaient effectivement produits ― auraient suffit à établir qu’il ne pouvait compter sur la protection de l’État.

 

[44]           Le défendeur, quant à lui, soutient que la Commission était en droit de conclure que le demandeur n’avait par réfuté la présomption selon laquelle, au Mexique, il est possible d’avoir accès à la protection de l’État compte tenu du fait que ce pays est une démocratie et qu’il est censé être en mesure de protéger ses citoyens (Canada (Procureur général) c. Ward, [1993] 2 R.C.S. 689, Soto c. Canada (Ministre de l’emploi et de l’immigration), 2005 CF1654, [2005] A.C.F. no 2107 (C.F. 1re inst.) (QL)).

 

Possibilité de refuge intérieur

[45]           Le demandeur soutient en outre que la Commission a également commis une erreur en rejetant ou en écartant la preuve concernant la situation à Mexico, qu’il a soumise pour appuyer son argument selon lequel il n’avait pas de PRI à cet endroit.

 

[46]           Le conseil du demandeur a présenté des observations détaillées concernant la corruption des policiers à Mexico. Le demandeur soutient que dans ce contexte, la conclusion de la Commission selon laquelle [traduction] « [l’]une des régions où les services de police fonctionnent relativement bien est le district fédéral de Mexico » est manifestement déraisonnable.

 

[47]           Le défendeur, quant à lui, fait valoir que la Commission n’a pas commis d’erreur dans son analyse de la PRI et que le demandeur ne s’est tout simplement pas acquitté du fardeau qui lui incombait de démontrer qu’il serait en danger au Mexique, quel que soit l’endroit où il pourrait se trouver (Rasaratnam c. Canada (Ministre de l’emploi et de l’immigration), [1992] 1 C.F. 706 (C.A.F.), Thirunavukkarasu c. Canada (Ministre de l’emploi et de l’immigration), [1994] 1 C.F. 589 (C.A.F.)).

 

 

 

Norme de contrôle

[48]           La question de savoir si un demandeur a réfuté la présomption de la protection de l’État ou l’argument de la PRI est une question mixte de fait et de droit. La norme de contrôle applicable est celle de la décision raisonnable simpliciter (Baker c. Canada (Ministre de l’emploi et de l’immigration), [1999] 2 R.C.S. 817.

 

[49]           Après avoir lu avec attention la décision de la Commission, je conclus que ses conclusions défavorables concernant la crédibilité du demandeur n’ont pas vicié son analyse concernant l’accès à la protection de l’État et la PRI. L’analyse de ces questions fait partie d’une série de motifs subsidiaires justifiant le rejet de la demande. Vu les conclusions auxquelles la Cour arrive concernant celles que la Commission a tirées relativement à la question de la crédibilité, il n’est sans doute pas nécessaire d’examiner de façon très détaillée les conclusions de cette dernière en ce qui concerne la deuxième question.

 

[50]           Toutefois, je ne crois pas, et ce, peu importe l’appréciation portée par la Cour sur les conclusions de la Commission concernant la première question, que les conclusions qu’elle a tirées relativement à la deuxième question étaient déraisonnables.

 

[51]           Le témoignage du demandeur et les observations de son conseil concernant la situation à Mexico et l’ampleur de la corruption au sein des services de police dans tout le pays ont peut‑être contredit la preuve documentaire dont disposait la Commission, mais ils n’avaient pas plus de force probante que les rapports auxquels s’est référée la Commission dans ses motifs.

 

[52]           Il était loisible à la Commission d’examiner l’ensemble de la preuve dont elle disposait et elle pouvait conclure que la preuve documentaire, sur laquelle elle s’est appuyée dans ses motifs, donnait un meilleur portrait de la situation à Mexico. Il n’était pas déraisonnable de conclure que le demandeur aurait pu solliciter la protection de l’État ou qu’il avait une PRI au Mexique.

 

[53]           Les parties ne souhaitaient pas faire certifier une question.


 

JUGEMENT

 

LA COUR ORDONNE que la demande de contrôle judiciaire soit rejetée. Aucune question n’est certifiée.

 

« Michel Beaudry »

Juge

 

 

 

 

 

 

Traduction certifiée conforme

Chantal DesRochers, LL.B.

 

 


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

DOSSIER :                                                    IMM-4225-05

 

INTITULÉ :                                                   BERNARDO DIAZ MARTINEZ

                                                                        et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                             Toronto (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :                           24 mai 2006

 

MOTIFS DU JUGEMENT

ET JUGEMENT :                                          Le juge Beaudry

 

DATE DES MOTIFS :                                 5 juin 2006

 

 

 

COMPARUTIONS :

 

Patricia Wells                                                                           POUR LE DEMANDEUR

 

Margherita Braccio                                                                   POUR LE DÉFENDEUR

 

                                                                                               

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Patricia Wells                                                                           POUR LE DEMANDEUR

Toronto (Ontario)                                                                    

 

John H. Sims, c.r.                                                                     POUR LE DÉFENDEUR

Sous-procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

 

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