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Date : 20191119


Dossier : IMM‑3439‑18

Référence : 2019 CF 1458

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 19 novembre 2019

En présence de monsieur le juge Pentney

ENTRE :

CANHUA XIE

YANJUAN CAO

demandeurs

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

[1]  Canhua Xie (le demandeur) et Yanjuan Cao (la demanderesse), qui forment un couple marié, sont des citoyens de la Chine qui sont venus au Canada et ont demandé l’asile. Ils ont trois enfants, tous nés au Canada. Ils affirment qu’ils seraient persécutés s’ils retournaient en Chine pour plusieurs motifs, à savoir (i) que la police les arrêtera en raison de leur rôle dans une manifestation contre l’expropriation de terres qui s’est soldée par des affrontements; (ii) qu’ils seront confrontés à des difficultés parce qu’ils ne peuvent payer l’amende qui leur sera imposée pour avoir enfreint la politique de l’« enfant unique » de la Chine; (iii) que la demanderesse sera forcée d’utiliser un dispositif intra‑utérin et de subir régulièrement des examens médicaux envahissants, et qu’ils risquent tous deux d’être stérilisés de force; et (iv) que la demanderesse ne sera pas en mesure de pratiquer sa foi chrétienne librement en Chine.

[2]  La Section de la protection des réfugiés (la SPR) a rejeté leurs demandes, en concluant qu’ils manquaient de crédibilité quant aux éléments clés de leur récit selon lequel ils étaient poursuivis par la police, et que les craintes de stérilisation forcée et de persécution fondée sur la religion n’étaient pas étayées par la preuve. Les demandeurs sollicitent maintenant le contrôle judiciaire de cette décision.

I.  Le contexte

[3]  Les demandeurs ont loué un verger en Chine en 2009 pour une période de dix ans, et ils avaient investi dans la propriété. Le 6 janvier 2012, ils ont été avisés par leur village que le terrain serait exproprié (ce qui annulait le bail) et qu’ils disposaient d’un délai de deux mois pour quitter le terrain. Peu de temps après, ils ont reçu des renseignements sur le montant de l’indemnité qu’ils devaient recevoir, et ils ont conclu que ce montant était injustement bas. Ils ont discuté de leurs préoccupations avec d’autres personnes touchées de la même façon dans leur village, et les demandeurs, ainsi que deux autres agriculteurs, se sont adressés à des représentants du gouvernement local à quatre reprises pour obtenir une meilleure indemnisation. Chaque fois, on leur disait d’attendre pour voir si leurs préoccupations pouvaient être résolues.

[4]  Le 20 février 2012, les responsables de la construction se sont présentés dans leur région et ont exigé que les propriétés soient libérées. Le 6 mars 2012, ces personnes sont revenues, cette fois avec les responsables de la sécurité, pour commencer la démolition. Les demandeurs et d’autres habitants du village ont manifesté pour essayer d’arrêter les travaux, et la manifestation a dégénéré en violence. En conséquence, les agents de sécurité ont menacé d’arrêter des manifestants, et les demandeurs ont fui les lieux. Ils se sont rendus chez leur cousin et, après avoir appris que des représentants du Bureau de la sécurité publique (le BSP) s’étaient présentés à leur domicile et y avaient laissé une citation à comparaître, et que d’autres villageois avaient été arrêtés, les demandeurs ont décidé de fuir la Chine.

[5]  Ils ont retenu les services d’un passeur pour les aider à voyager. Ils avaient obtenu des visas américains avant de quitter la Chine, étaient passés par Hong Kong et s’étaient envolés vers les États‑Unis, d’où ils se sont rendus au Canada. Les demandeurs sont arrivés au Canada le 28 avril 2012 et ont déposé leur demande d’asile deux jours plus tard.

II.  La décision faisant l’objet du contrôle

[6]  La SPR a reconnu que les demandeurs étaient des citoyens de la Chine, compte tenu de leur témoignage et des copies certifiées conformes de leurs passeports chinois. Elle a conclu que la question déterminante était de savoir si leur crainte d’être persécutés à leur retour en Chine était fondée. La SPR a rejeté leurs demandes au motif que leurs craintes alléguées n’étaient ni crédibles ni étayées par la preuve documentaire objective.

[7]  En ce qui concerne leurs allégations selon lesquelles ils étaient poursuivis par le BSP, le tribunal a reconnu que le BSP avait arrêté des manifestants à la suite de l’affrontement survenu dans le village des demandeurs, mais il a conclu que les demandeurs s’étaient enfuis avant cet incident. Le tribunal n’a toutefois pas cru leur allégation selon laquelle le BSP les recherchait. Les demandeurs ont présenté une citation à comparaître qui aurait été laissée chez eux, ainsi qu’une carte de visiteur de la prison, délivrée à l’un des fils du voisin qui avait été arrêté.

[8]  La SPR a conclu que la citation à comparaître ne comportait aucun élément de sécurité, et elle a accordé peu de poids aux documents parce qu’elle estimait que « les demandeurs [avaie]nt une inclination et la capacité à utiliser des moyens frauduleux de manière à se procurer de faux documents pour mener à bien leur projet de venir au Canada » (au par. 14). Il en était ainsi parce que les demandeurs avaient embauché un passeur pour les aider à fuir la Chine, et la preuve documentaire démontrait qu’il était facile d’obtenir des documents frauduleux en Chine.

[9]  La SPR n’a pas rejeté le témoignage selon lequel les autres agriculteurs qui avaient pris l’initiative avec les demandeurs de soulever des préoccupations auprès des autorités locales avaient été arrêtés, mais elle a conclu que cela n’appuyait pas les allégations des demandeurs, parce qu’ils s’étaient enfuis des lieux avant les arrestations. Elle a également rejeté leur témoignage selon lequel le BSP avait continué de se rendre à leur domicile et chez les membres de leur famille après 2012, parce qu’elle a conclu qu’il n’était pas crédible que le BSP se rende à plusieurs reprises chez eux, mais ne laisse pas de citation à comparaître de suivi ou de mandat d’arrestation. Par conséquent, la SPR a conclu que leur allégation selon laquelle ils étaient poursuivis par le BSP n’était pas crédible.

[10]  La SPR a également conclu que le fait que les demandeurs n’aient pas demandé l’asile aux États‑Unis nuisait à leur crédibilité. Elle a reconnu qu’ils avaient peut‑être embauché un passeur pour quitter la Chine, mais conclu qu’ils l’avaient fait pour venir au Canada, et non pour éviter d’être arrêtés par le BSP.

[11]  Enfin, sur ce point, la SPR a conclu que, même si le BSP était à la recherche des demandeurs, cela ne signifiait pas qu’ils étaient exposés à la persécution, parce que le BSP cherchait simplement à faire appliquer les lois locales contre les manifestations antigouvernementales.

[12]  En ce qui concerne l’exposé circonstancié des demandeurs concernant leur départ de la Chine, la SPR a conclu que leurs allégations manquaient de crédibilité, compte tenu de la preuve relative à la capacité du BSP de partager des renseignements dans le cadre de son projet Bouclier d’or et de la preuve selon laquelle les autorités de sécurité aéroportuaire avaient accès à ces renseignements. La SPR n’a pas accepté l’argument selon lequel le passeur avait pris toutes les dispositions nécessaires pour permettre aux demandeurs d’éviter les contrôles de sécurité à leur départ. Elle a conclu, selon la prépondérance des probabilités, qu’il n’aurait pas été possible pour les demandeurs de contourner toutes les vérifications de sécurité s’ils avaient été activement recherchés par le BSP.

[13]  Compte tenu de ces conclusions, la SPR a conclu, selon la prépondérance des probabilités, que les demandeurs n’étaient pas poursuivis par les autorités chinoises comme ils l’avaient allégué. Elle a en outre conclu que tout intérêt que le BSP pouvait avoir à leur égard était celui de les poursuivre pour avoir enfreint la loi, ce qui ne les exposait pas à de la persécution ou à une menace à leur vie, au risque de traitements ou peines cruels et inusités ou au risque d’être soumis à la torture.

[14]  En ce qui concerne les allégations relatives à la violation de la politique chinoise en matière de planification familiale, la SPR a reconnu que les demandeurs pourraient devoir payer des frais d’assistance sociale à leur retour, mais elle a conclu, en se fondant sur la jurisprudence de la Cour, que cela n’équivalait pas à de la persécution parce qu’il s’agissait d’une loi d’application générale, citant Wang c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2011 CF 636, au par. 27; Chen c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2015 CF 225, au par. 26, et Li c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2011 CF 610, au par. 17. Le tribunal a conclu que les demandeurs avaient démontré qu’ils étaient financièrement débrouillards et qu’il était raisonnable de s’attendre à ce qu’ils disposent des ressources financières nécessaires pour payer les frais en question.

[15]  En ce qui concerne la crainte de persécution de la demanderesse parce qu’elle serait forcée de subir régulièrement des évaluations de grossesse et d’être assujettie à des politiques restrictives en matière de contrôle des naissances qui nuiraient à sa liberté de reproduction, la SPR a reconnu qu’elle devrait subir un tel suivi, mais a conclu que cela n’équivalait pas à de la persécution. Le tribunal a pris note de la preuve documentaire selon laquelle la politique de planification familiale exigeait des vérifications obligatoires, par le personnel médical, des femmes en âge de donner naissance à un enfant, mais il a conclu que ces vérifications ne portaient pas atteinte à la liberté de reproduction de la demanderesse. L’essentiel de l’analyse de la SPR se trouve dans les passages suivants (aux par. 49 et 50) :

[...] il reste que la question est de savoir si des examens de grossesse périodiques entravent la liberté de reproduction de la demandeure d’asile et, par conséquent, constituent de la persécution. Le tribunal fait observer que l’examen de grossesse n’est pas invasif et se limite habituellement à une échographie ou plus souvent, à une analyse sanguine. [...]

À la lumière de la preuve dans la présente affaire, le tribunal estime que le fait que la demandeure d’asile doive se soumettre à des examens de grossesse périodiques et être surveillée pour s’assurer qu’elle utilise un contraceptif afin de détecter les grossesses non autorisées dans le cadre de la politique de planification familiale de la Chine n’enfreint pas ses droits fondamentaux, de sorte que cela ne constitue pas de la persécution. À cet égard, le tribunal estime qu’il n’y a pas suffisamment d’éléments de preuve convaincants pour étayer les arguments des demandeurs d’asile.

[16]  La SPR a également rejeté le risque de persécution allégué par la demanderesse relativement à sa grossesse éventuelle, parce qu’elle a conclu que cette allégation était hypothétique, citant à l’appui de cette conclusion la décision Liang c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2013 CF 765.

[17]  En ce qui concerne la crainte de persécution de la demanderesse fondée sur sa foi chrétienne, la SPR a conclu qu’elle s’était jointe à l’église Living Stone Assembly Church en avril 2017, et qu’elle avait été baptisée en octobre 2017, en faisant remarquer qu’elle était arrivée au Canada en 2012. La SPR a accordé peu de poids à ses connaissances sur le christianisme et à la lettre du pasteur de l’Église, et a conclu que la demanderesse s’était jointe à l’Église « uniquement dans le but d’étayer une demande d’asile frauduleuse » (au par. 57). En outre, la SPR a conclu que la preuve documentaire confirmait que, même si la demanderesse était une chrétienne pratiquante, le risque de persécution à son retour dans la province du Guangdong, en Chine, était faible en raison de changements dans l’approche du gouvernement à l’égard de la pratique religieuse.

[18]  Pour tous ces motifs, la SPR a conclu que les demandeurs n’avaient pas qualité de réfugiés au sens de la Convention ni celle de personnes à protéger au sens de l’article 96 et du paragraphe 97(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27.

III.  Les questions en litige et la norme de contrôle applicable

[19]  En l’espèce, la Cour doit décider si la décision de la SPR est raisonnable. Les questions suivantes se posent alors :

  1. Était‑il raisonnable pour la SPR de conclure que les demandeurs ne seraient pas persécutés en raison de la politique de planification familiale de la Chine?
  2. Était‑il raisonnable pour la SPR de conclure que les demandeurs n’étaient pas recherchés par le BSP?
  3. Était‑il raisonnable pour la SPR de conclure que la demanderesse ne serait pas exposée à plus qu’une simple possibilité de persécution religieuse?

[20]  Le contrôle selon la norme de la décision raisonnable « s’intéresse au caractère raisonnable du résultat concret de la décision ainsi qu’au raisonnement qui l’a produit » (Canada (Procureur général) c Igloo Vikski Inc., 2016 CSC 38, au par. 18). La cour de révision examine la décision eu égard « à la justification de la décision, à la transparence et à l’intelligibilité du processus décisionnel », ainsi qu’à l’appartenance de la décision « aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit » (Dunsmuir c Nouveau‑Brunswick, 2008 CSC 9, au par. 47). Ces critères sont respectés si les motifs « permettent à la cour de révision de comprendre le fondement de la décision du tribunal et de déterminer si la conclusion fait partie des issues possibles acceptables » (Newfoundland and Labrador Nurses’ Union c Terre‑Neuve‑et‑Labrador (Conseil du Trésor), 2011 CSC 62, au par. 16). La cour de révision ne doit intervenir que si ces critères ne sont pas respectés. Il ne lui incombe pas de soupeser de nouveau les éléments de preuve ou d’y substituer l’issue qui serait à son avis préférable (Canada (Citoyenneté et Immigration) c Khosa, 2009 CSC 12, aux par. 59 et 61).

IV.  Analyse

A.  Était‑il raisonnable pour la SPR de conclure que les demandeurs ne seraient pas persécutés en raison de la politique de planification familiale de la Chine?

[21]  Les demandeurs soutiennent que la SPR a commis une erreur parce qu’aucune de ses conclusions n’était étayée par la preuve. La SPR a conclu que les demandeurs n’auraient qu’à payer les frais de compensation sociale, mais la preuve indiquait que le recours à des mesures de planification familiale dures et coercitives, y compris la stérilisation forcée, se poursuivait en Chine malgré certains changements apportés aux politiques à cet égard. De plus, les frais de compensation sociale pourraient atteindre dix fois le revenu disponible annuel d’une personne et être imposés à chacun des parents séparément. La conclusion de la SPR selon laquelle les demandeurs auraient les moyens financiers de payer cette somme n’est pas étayée par la preuve.

[22]  En ce qui concerne la contraception et les examens de grossesse obligatoires, rien ne permettait au tribunal de conclure que le prélèvement obligatoire d’un échantillon de sang « n’est pas invasif », puisqu’il s’agit d’une atteinte directe à l’intégrité physique de la demanderesse. De plus, la SPR n’a pas mis en doute le fait que la demanderesse serait forcée de se faire installer un dispositif intra‑utérin ni qu’elle percevait cela comme de la persécution liée à sa liberté de reproduction. Cependant, la SPR n’a tout simplement pas traité de cet aspect de la demande.

[23]  Je conviens que la SPR a commis une erreur fatale en omettant d’examiner l’allégation des demandeurs selon laquelle ils craignaient d’être stérilisés à leur retour en Chine parce qu’ils avaient eu trois enfants pendant qu’ils se trouvaient au Canada. De plus, l’allégation de la demanderesse selon laquelle le fait d’être forcée de se soumettre à un contraceptif obligatoire par l’insertion d’un dispositif intra‑utérin équivalait à de la persécution était également énoncée clairement. Il s’agit là d’un élément essentiel de leur demande. Il a été mentionné dans le Formulaire de renseignements personnels des deux demandeurs, et répété dans leur témoignage. La SPR a reconnu la crainte de la demanderesse d’être forcée d’utiliser un contraceptif obligatoire sous la forme d’un dispositif intra‑utérin (au par. 44), mais a omis ensuite d’analyser l’une ou l’autre de ces allégations.

[24]  Il est de jurisprudence constante que les motifs d’un décideur n’ont pas à être parfaits et que le contrôle selon la norme de la décision raisonnable ne doit pas être une « chasse au trésor, phrase par phrase, à la recherche d’une erreur » (Syndicat canadien des communications, de l’énergie et du papier, section locale 30 c. Pâtes & Papier Irving, Ltée, 2013 CSC 34, au par. 54). Cependant, la jurisprudence de la Cour s’accorde également pour dire que le défaut de traiter d’un élément essentiel d’une demande d’asile peut être jugé déraisonnable lorsque la décision ne fournit pas d’indication que la question a été traitée, du moins implicitement (Paramanathan c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2012 CF 338, aux par. 14 à 19; Ghirmatsion c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2011 CF 519, aux par. 104 à 107).

[25]  En l’espèce, il n’est tout simplement pas possible d’inférer que la SPR a tenu compte de cet aspect des demandes des demandeurs. Il n’est pas possible de concilier sa conclusion selon laquelle les contrôles de grossesse ne sont « pas invasif[s] » et le fait de subir des examens obligatoires pour déceler des grossesses non autorisées « n’enfreint pas [les] droits fondamentaux [de la demandeure d’asile] » (aux par. 49 et 50) avec la preuve qui démontre qu’elle serait forcée de se faire installer un DIU, sans son consentement. Les deux conclusions sont tout simplement incompatibles.

[26]  Il existe une jurisprudence abondante de la Cour selon laquelle l’insertion obligatoire d’un dispositif intra‑utérin peut constituer une forme de persécution de la part de l’État. Je ne peux faire mieux que de citer deux décisions qui traitent directement de ce point. Dans Zheng c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2009 CF 327, au par. 14, le juge Robert Barnes s’est exprimé comme suit :

[14]  Je ne partage pas l’avis de la Commission selon lequel l’introduction forcée d’un stérilet n’est pas une forme de persécution de la part de l’État. Dans l’affaire E. (Mrs.) c. Eve, [1986] 2 R.C.S. 388, au paragraphe 92, la Cour suprême a décidé que la liberté de procréation d’une femme est un droit fondamental qui se situe très haut dans notre échelle de valeurs. La juge Dolores Hansen a fait une observation semblable dans l’affaire Chi c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [2002] A.C.F. no 186, où elle examinait la pratique chinoise de stérilisation et le port forcé du stérilet. Mon point de vue est identique aux commentaires qu’elle a faits au paragraphe 48 :

La demanderesse craint que l’État ne lui impose des mesures visant à l’empêcher d’avoir des enfants. En laissant entendre que la demanderesse pouvait retourner en Chine et y vivre seule sans crainte d’être ciblée pour la stérilisation ou le port d’un stérilet, le tribunal lui imposait un choix personnel important qu’elle ne voulait pas faire et il omettait de prendre en compte le contexte culturel.

[Souligné dans l’original.]

[27]  Dans le même ordre d’idées, le juge Sean Harrington a conclu, dans la décision Liu c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2015 CF 1193, au par. 14, qu’« [i]l est conforme à la jurisprudence et au bon sens de conclure que la violation du système reproducteur et de l’intégrité physique d’une femme, que ce soit par un avortement forcé ou par la pose forcée d’un DIU, constitue de la persécution [...] ».

[28]  Il convient de souligner que chaque cas dépend des faits qui lui sont propres, et qu’il existe des décisions dans lesquelles il a été conclu que la SPR avait examiné la preuve et raisonnablement évalué la demande (voir, par exemple, Huang c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2019 C 94, aux par. 17 et 18). ).

[29]  En l’espèce, toutefois, on n’a tout bonnement pas traité de cet aspect des demandes d’asile des demandeurs. Il n’est pas raisonnable que la SPR fasse simplement abstraction d’une allégation essentielle, en particulier lorsque la jurisprudence a reconnu que des allégations de cette nature établissaient l’existence d’une persécution. La présente affaire appartient à la catégorie décrite par le juge Donald Rennie dans Komolafe c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2013 CF 431, aux par. 10 et 11, dans un passage cité avec approbation dans l’arrêt Delta Air Lines Inc c Lukács, 2018 CSC 2, [2018] 1 RCS 6, au par. 28 :

[10]  L’arrêt Newfoundland and Labrador Nurses’ Union c Terre‑Neuve‑et‑Labrador (Conseil du Trésor), 2011 CSC 62, [2011] 3 RCS 708, ne valide pas la décision. L’arrêt Newfoundland Nurses établit que le contrôle judiciaire porte sur la décision en soi, et non sur le processus décisionnel. Lorsqu’elles sont manifestes, les lacunes de la preuve peuvent être comblées s’il est possible de le faire en s’appuyant sur la preuve et sur des inférences logiques, virtuellement comprises dans le résultat, mais non expressément tirées. La cour de révision examine le dossier dans le but de confirmer la décision.

[11]  L’arrêt Newfoundland Nurses ne donne pas à la Cour toute la latitude voulue pour fournir des motifs qui n’ont pas été donnés, ni ne l’autorise à deviner quelles conclusions auraient pu être tirées ou à émettre des hypothèses sur ce que le tribunal a pu penser. C’est particulièrement le cas quand les motifs passent sous silence une question essentielle. Il est ironique que l’arrêt Newfoundland Nurses, une affaire qui concerne essentiellement la déférence et la norme de contrôle, soit invoqué comme le précédent qui commanderait au tribunal ayant le pouvoir de surveillance de faire le travail omis par le décideur, de fournir les motifs qui auraient pu être donnés et de formuler les conclusions de fait qui n’ont pas été tirées. C’est appliquer la jurisprudence à l’envers. L’arrêt Newfoundland Nurses permet aux cours de contrôle de relier les points sur la page quand les lignes, et la direction qu’elles prennent, peuvent être facilement discernées. Ici, il n’y a même pas de points sur la page.

[30]  Je conclus que le défaut de la SPR d’évaluer cet aspect des demandes des demandeurs est déraisonnable. L’argument était axé sur la demande d’asile de la demanderesse concernant le fait qu’elle avait été forcée de se soumettre à l’insertion d’un DIU, mais le demandeur avait lui aussi affirmé qu’il craignait d’être forcé de subir une stérilisation. Il est difficile de dire quels éléments de preuve peuvent exister à l’égard de cet aspect de la demande, mais il n’appartient pas à la cour de révision d’examiner le dossier pour le découvrir.

[31]  Compte tenu de ma conclusion sur cette question, il n’est pas nécessaire d’examiner les autres arguments avancés par les demandeurs.

V.  Conclusion

[32]  Pour les motifs qui précèdent, la demande de contrôle judiciaire sera accueillie. L’affaire sera renvoyée pour nouvel examen à un tribunal différemment constitué de la SPR.

[33]  La présente affaire ne soulève aucune question grave de portée générale à certifier.


JUGEMENT dans le dossier IMM‑3439‑18

LA COUR STATUE que :

  1. La demande contrôle judiciaire est accueillie.

  2. L’affaire est renvoyée à laSection de la protection des réfugiés pour nouvel examen par un tribunal différemment constitué.

  3. Il n’y a aucune question de portée générale à certifier.

« William F. Pentney »

Juge

Traduction certifiée conforme

Ce 6e jour de décembre 2019.

Julie-Marie Bissonnette, traductrice agréée


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM‑3439‑18

INTITULÉ :

CANHUA XIE, YAJUAN CAO c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

LIEU DE L’AUDIENCE :

TORONTO (ONTARIO)

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 19 FÉVRIER 2019

JUGEMENT ET

MOTIFS :

LE JUGE PENTNEY

DATE DES MOTIFS :

LE 19 NOVEMBRE 2019

COMPARUTIONS :

Michael Korman

POUR LES DEMANDEURS

Catherine Vasilaros

POUR LE DÉFENDEUR

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Korman & Korman LLP

Avocats

Toronto (Ontario)

POUR LES DEMANDEURS

Procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

POUR LE DÉFENDEUR

 

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