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Date : 20060613

Dossier : T‑1832‑04

Référence : 2006 CF 741

Ottawa (Ontario), le 13 juin 2006

EN PRÉSENCE DE MONSIEUR LE JUGE TEITELBAUM

 

ENTRE :

RHODIA UK LIMITED et RHODIA INC.

demanderesses/défenderesses reconventionnelles

 

et

 

JARVIS IMPORTS (2000) LTD. et 116038 B.C. LTD.

défenderesses/demanderesses reconventionnelles

 

 

MOTIFS DE L'ORDONNANCE ET ORDONNANCE

 

[1]               Il s'agit d'un appel interjeté par les demanderesses par voie d'avis de requête et visant à obtenir :

a.       une ordonnance annulant partiellement l'ordonnance en date du 27 mars 2006 par laquelle le protonotaire Lafrenière : 1) enjoignait aux demanderesses de communiquer aux défenderesses dans les 30 jours, pour autant qu'ils fussent en leur possession et sous leur contrôle, des exemplaires d'une facture par an faisant état de la vente au Canada de chacune des catégories de marchandises suivantes en liaison avec la marque de commerce PROBAN : fibres textiles, filés, tissés, tricots, filets, feutrés et contrecollés; dentelles, broderies, rubans et lacets; nattes, carpettes, tapis et paillassons; et préparations de traitements ignifuges pour fibres textiles, filés, tissés, tricots, filets, feutrés et contrecollés de toutes sortes; et 2) exigeait que les demanderesses fassent de leur mieux, sans toutefois déployer d'efforts extraordinaires, pour produire autant de ces factures que possible avant le commencement de l'interrogatoire préalable des demanderesses, prévu pour le 4 avril 2006;

 

b.      les dépens afférents à la présente requête;

 

c.       toutes autres mesures de réparation que les avocats pourraient recommander et que la Cour pourrait autoriser.

 

 

 

[2]               Les motifs de la présente requête en appel sont exposés aux paragraphes 1 à 13 de l'avis de requête en appel, pages 2 à 5 du dossier de requête des demanderesses.

 

[3]               L'action des demanderesses a pour objet la contrefaçon de la marque de commerce déposée PROBAN, la commercialisation trompeuse et la dépréciation de l'achalandage.

 

[4]               Les défenderesses affirment au paragraphe 8 de leurs conclusions écrites que [TRADUCTION] « [l]es allégations en cause nient expressément l'emploi de la marque de commerce allégué par les demanderesses, en plus de plaider l'abandon ».

 

[5]               Les demanderesses ont fait valoir devant le protonotaire que les factures demandées par les défenderesses [TRADUCTION] « ne sont pas pertinentes et que le non-emploi et l'abandon forment deux questions distinctes ».

 

[6]               Les demanderesses soutiennent maintenant ce qui suit dans leurs conclusions écrites :

[TRADUCTION] La production de toutes les factures liées à la marque de commerce PROBAN n'est pertinente qu'à l'égard de la question des dommages-intérêts. Il a été rendu une ordonnance d'instruction distincte à ce sujet. La production de toutes ces factures ne tendrait ni à prouver ni à réfuter l'allégation d'abandon, puisque l'abandon doit être distingué du non-emploi. Cette production ne s'impose que dans le contexte de la phase des dommages‑intérêts. Les échantillons de factures provenant de son preneur de licence, Westex Inc., et les volumes totaux de ventes au Canada établissent l'emploi et le non-abandon. [Renvoi omis.]

 

 

[7]               Les défenderesses font valoir que le protonotaire a ordonné la production d'une facture par an pour chaque catégorie de marchandises désignée dans l'enregistrement de la marque en question, et non de toutes les factures comme les demanderesses le donnent à entendre. Elles  soutiennent également que les documents en question sont pertinents puisqu'elles les ont demandés afin d'étayer leur allégation de non-emploi en plus de leur allégation d'abandon. Les défenderesses affirment également qu'il est établi que l'intention d'abandon peut être inférée de la période de non-emploi d'une marque de commerce, invoquant Opus Building Corp., (1995), 60 C.P.R. (3d) 100, et B.F. Goodrich Co. c. J.A. & M. Côté Ltée, [1950] R.C.E. 221.

 

[8]               J'estime que la norme de contrôle applicable à la décision du protonotaire doit être cherchée dans l'arrêt bien connu Canada c. Aqua-Gem Investments Ltd., [1993] 2 CF 425.

 

[9]               Le juge Létourneau, s'exprimant au nom de la Cour d'appel fédérale au paragraphe 12 de l'arrêt McIntosh et al. c. Société canadienne des auteurs, compositeurs et éditeurs de musique, [2004] A.C.F. no 219, 2004 CAF 57 (QL), dossier A-193-03, propose les observations suivantes touchant la norme de contrôle applicable à l'appel de la décision d'un protonotaire :

La juge a appliqué à l'examen de la décision de la protonotaire la norme de contrôle établie par la présente cour dans l'arrêt Canada c. Aqua-Gem Investments Ltd., [1993] 2 C.F. 425, à savoir qu'on ne doit pas toucher l'ordonnance d'un protonotaire portée en appel devant un juge, à moins :

a.       que les questions soulevées dans la requête ne soient fondamentales pour l'issue de l'affaire;

 

b.      que l'ordonnance ne soit clairement erronée, en ce sens que le protonotaire a exercé son pouvoir discrétionnaire en se fondant sur un principe erroné ou sur une mauvaise appréciation des faits.

J'ai employé le nouveau libellé tel qu'il figure dans l'arrêt Merck & Co. c. Apotex Inc., [2003] A.C.F. no 1925, 2003 CAF 488, lequel inverse la suite des propositions initialement énoncées et montre clairement que la « question déterminante pour l'issue de l'affaire » se rapporte à l'objet d'une ordonnance rendue par le protonotaire et non à l'effet de cette ordonnance : voir les paragraphes 18 et 19 de cette décision. Comme notre collègue le juge Décary l'a signalé, il règne de temps en temps une certaine confusion au sujet de cette dernière question parce que le juge qui procède à l'examen met l'accent sur l'effet de l'ordonnance même du protonotaire. Dans le contexte d'une modification, le juge doit examiner les modifications elles‑mêmes pour voir si elles soulevaient une question déterminante pour l'issue de l'affaire, et non la décision ou l'ordonnance du protonotaire refusant ou accordant les modifications.

 

[10]           La juge Heneghan fait observer ce qui suit aux paragraphes 56 et 57 de la décision Stevens c. Canada (Procureur général), [2002] A.C.F. no 142, 2002 CFPI 2 (QL), dossier T‑2682‑87 :

La norme de contrôle applicable à l'appel dirigé contre une ordonnance d'un protonotaire est énoncée ainsi dans l'arrêt Canada c. Aqua Gem Investments Ltd., précité, à la page 463 :

[…]

Si l'ordonnance discrétionnaire est manifestement erronée parce que le protonotaire a commis une erreur de droit (concept qui, à mon avis, embrasse aussi la décision discrétionnaire fondée sur un mauvais principe ou sur une mauvaise appréciation des faits) ou si elle porte sur des questions ayant une influence déterminante sur l'issue du principal, le juge saisi du recours doit exercer son propre pouvoir discrétionnaire en reprenant l'affaire depuis le début.

Dans le jugement James River Corp. of Virginia, précité, à la page 160, le juge Reed expliquait ainsi ce qu'il fallait entendre par des questions ayant une influence déterminante sur l'issue du principal :

À titre d'exemples, constituent des questions ayant une influence déterminante sur l'issue du principal l'enregistrement d'un jugement par défaut, la décision refusant la modification d'un acte de procédure, celle permettant l'ajout de défendeurs additionnels, donnant ainsi ouverture à la réduction de la responsabilité du défendeur existant, la décision sur une requête en rejet d'action pour défaut de poursuivre. Or, on ne peut dire d'aucun des points soulevés par les présents appels en ce qui concerne la réponse aux questions posées à l'interrogatoire préalable qu'il a une influence déterminante sur l'issue du principal. [Renvois omis.]

 

[11]           Je suis d'avis que le fait d'ordonner la production, [TRADUCTION] « pour autant qu'ils soient en la possession ou sous le contrôle des demanderesses, des exemplaires d'une facture par an faisant état de la vente au Canada de chacune des catégories de marchandises suivantes en liaison avec la marque de commerce PROBAN », pour reprendre les termes du paragraphe 2 de l'ordonnance du protonotaire Lafrenière en date du 27 mars 2006, ne soulève pas, en ce qui concerne les demanderesses, une « question déterminante pour l'issue de l'affaire » selon la définition de l'arrêt McIntosh, précité.

 

[12]           Par conséquent, la cour saisie d'un recours contre la décision discrétionnaire d'un protonotaire ne devrait pas envisager volontiers de substituer son opinion à celle de ce dernier.

 

[13]           Vu les conclusions orales des demanderesses et les conclusions écrites présentées de part et d'autre, je suis convaincu que l'ordonnance du protonotaire Lafrenière est raisonnable et correcte. 

 

[14]           L'ordonnance en question prescrit la production d'une facture par an faisant état de la vente au Canada de catégories de marchandises déterminées en liaison avec la marque de commerce PROBAN. Dans le cas où la facture produite aux fins d'établir la vente d'une catégorie de marchandises en liaison avec ladite marque porterait sur plusieurs catégories pour une année donnée, il ne serait évidemment pas nécessaire de produire d'autres factures faisant état de la vente, cette même année, des autres catégories figurant déjà sur cette facture.

 

ORDONNANCE

 

LA COUR ORDONNE que l'appel soit rejeté avec dépens.

 

 

 

 

« Max M. Teitelbaum »

Juge

 

 

Traduction certifiée conforme

Christiane Bélanger, LL.L.


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

 

DOSSIER :                                        T‑1832‑04

 

INTITULÉ :                                       RHODIA UK LIMITED et RHODIA INC.

                                                            c.

                                                            JARVIS IMPORTS (2000) INC. et 116038 B.C. LTD.

 

 

LIEU DE L'AUDIENCE :                 MONTRÉAL (QUÉBEC)

 

DATE DE L'AUDIENCE :               LE 5 JUIN 2006

 

MOTIFS DE L'ORDONNANCE :  LE JUGE TEITELBAUM

 

DATE DES MOTIFS :                      LE 13 JUIN 2006

 

 

 

COMPARUTIONS :

 

Hélène D’Iorio

 

POUR LES DEMANDERESSES/

défenderesses reconventionnelles

 

Paul Smith

 

POUR LES DÉFENDERESSES/

demanderesses reconventionnelles

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Gowling Lafleur Henderson s.r.l.

Montréal (Québec)

 

POUR LES DEMANDERESSES/

défenderesses reconventionnelles

Paul Smith Intellectual Property Law

Vancouver (C.‑B.)

 

POUR LES DÉFENDERESSES/

demanderesses reconventionnelles

 

 

 

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