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Date : 20060607

Dossier : T-1760-05

Référence : 2006 CF 715

ENTRE :

SIMONE SHERMAN

demanderesse

et

 

L’AGENCE DES DOUANES ET DU REVENU DU CANADA

défenderesse

 

MOTIFS DU JUGEMENT

LA JUGE MACTAVISH

 

[1]               Simone Sherman sollicite le contrôle judiciaire d’une décision rendue en matière de preuve par le Tribunal canadien des droits de la personne (le Tribunal) au regard de la plainte relative aux droits de la personne qu’elle a portée contre son employeur, l’Agence des douanes et du revenu du Canada (l’Agence).  

 

[2]               Mme Sherman avait demandé que le Tribunal applique la préclusion pour question déjà tranchée aux conclusions auxquelles est arrivé l’examinateur indépendant concernant le grief qu’elle a déposé à la suite de la cessation de son emploi à l’Agence. L’examinateur indépendant a conclu que le congédiement de Mme Sherman était injustifié, que l’Agence avait fait preuve de mauvaise foi envers elle et que l’Agence n’avais pas pris de mesures d’accommodement  adéquates concernant sa déficience.

[3]               Le Tribunal a jugé que les trois conditions préalables à l’application de la préclusion pour question déjà tranchée étaient réunies dans le cas de la décision de l’examinateur indépendant, mais le Tribunal a néanmoins exercé son pouvoir discrétionnaire de ne pas appliquer la préclusion. Mme Sherman allègue que le Tribunal a commis maintes erreurs dans l’exercice de son pouvoir discrétionnaire et qu’il y a donc lieu d’annuler sa décision. 

 

[4]               Pour les motifs exposés ci-dessous, je suis convaincu qu’il convient de rejeter la demande de contrôle judiciaire de Mme Sherman parce qu’elle est prématurée. 

 

Les faits

[5]               La pléthore de procédures judiciaires mettant en cause ces parties tire son origine des blessures de stress répétitives subies par Mme Sherman à son lieu de travail il y a plus d’une décennie ainsi que de la manière dont l’Agence a traité la déficience que ces blessures ont entraînée.   

           

[6]               Lorsque l’Agence a mis fin à l’emploi de Mme Sherman, celle-ci a déposé une plainte à la Commission canadienne des droits de la personne; dans sa plainte, Mme Sherman soutient avoir été victime de pratiques discriminatoires dans le cours de son emploi à l’Agence.

 

[7]               La Commission de la sécurité professionnelle et de l’assurance contre les accidents du travail de l’Ontario (la CSPAAT) a rendu bon nombre de décisions au sujet de l’admissibilité de Mme Sherman à des services de réadaptation professionnelle et à des prestations pour accident de travail.

 

[8]               En outre, Mme Sherman a contesté son congédiement au moyen d’un examen par un tiers indépendant (l’ETI). Cette procédure d’examen, établie par l’Agence en vertu du pouvoir que lui confère la Loi sur l’Agence des douanes et du revenu du Canada, L.C. 1999, ch.17, prévoit la tenue d’un examen indépendant des congédiements, des mises à pied, des rétrogradations ainsi que de certaines mesures de dotation. 

 

[9]               À l’issue d’une longue audience, l’examinateur indépendant a rendu une décision dans laquelle il critique sévèrement l’Agence. L’examinateur indépendant a conclu, entre autres choses, que l’Agence n’avait aucune raison de mettre fin à l’emploi de Mme Sherman en se fondant sur sa prétendue incapacité d’accomplir les tâches essentielles de son poste. L’examinateur indépendant a donc ordonné la réintégration de Mme Sherman. Il a également conclu qu’avant de renvoyer Mme Sherman, l’Agence n’avait pas pris les mesures d’accommodement adéquates concernant sa déficience.  

 

L’instance devant la Commission des relations de travail dans la fonction publique

[10]           Par la suite, la Commission des relations de travail dans la fonction publique (la CRTFP) a instruit divers griefs déposés par Mme Sherman à l’encontre du refus de lui accorder un congé pour accident de travail. Dans une décision préliminaire, la CRTFP a statué qu’il y a lieu d’appliquer la préclusion pour question déjà tranchée aux conclusions de l’examinateur indépendant. Cela signifie que la CRTFP a décidé d’interdire à l’Agence de remettre en litige neuf points précis tranchés par l’examinateur indépendant. Ces points comprennent les conclusions relatives à la nature et à l’étendue du handicap physique de Mme Sherman, de même qu’à l’opportunité des mesures prises par l’Agence pour accommoder cette dernière.  

 

[11]           La CRTFP a refusé d’appliquer la préclusion pour question déjà tranchée aux décisions de la CSPAAT, lesquelles traitent également du caractère suffisant des mesures prises par l’Agence pour accommoder Mme Sherman.

 

[12]           Par la suite, l’Agence a demandé le contrôle judiciaire de la décision de la CRTFP. Le juge Barnes a rejeté sa demande parce que celle-ci était prématurée : voir Canada (Agence des douanes et du revenu) c. Sherman, [2006] A.C.F. n0 232, 2006 CF 192.

 

Autres procédures judiciaires

[13]           Insatisfaite de la manière dont l’Agence a réagi à la décision de la CRTFP, Mme Sherman a subséquemment présenté à la Cour une demande de mandamus en vue de contraindre l’Agence à mettre en oeuvre les modalités de la décision qui ont trait à l’indemnité pour perte de salaire. Cette demande a été accueillie par le juge von Finckenstein : (Sherman c. Canada (Agence des douanes et du revenu), [2005] A.C.F. n0 209, 2005 CF 173).

 

[14]           Les décisions portant sur la deuxième demande de mandamus de Mme Sherman et sa requête visant à faire déclarer que l’Agence a violé l’ordonnance du juge von Finckenstein sont prises en délibéré.

 

Qu’est-ce que la préclusion pour question déjà tranchée?

[15]           Avant de passer en revue la décision du Tribunal attaquée dans la présente demande, il convient de bien comprendre la nature et l’objet de la préclusion pour question déjà tranchée. 

 

[16]           L’autorité de la chose jugée est une doctrine d’intérêt public qui tend à favoriser les intérêts de la justice : Danyluk c. Ainsworth Technologies Inc., [2001] 2 R.C.S. 460, 2001 CSC 44.

 

[17]           Cette doctrine vise à empêcher les parties de remettre en litige des questions déjà tranchées dans d’autres instances. Parmi les considérations de principe qui sous-tendent la doctrine, mentionnons la nécessité de mettre fin aux différends et l’objectif de protéger l’individu d’une multiplicité d’actions en justice découlant des mêmes circonstances : Angle c. Ministre du Revenu national, [1975] 2 R.C.S. 248, à la p. 267, le juge Laskin (dissident sur un autre point).

 

[18]           Des préoccupations ont été exprimées au sujet des coûts qu’occasionne le chevauchement de procédures, ainsi que du risque que plusieurs instances appelées à trancher la même question rendent des décisions contradictoires : Rasanen c. Rosemount Instruments Ltd. (1994), [1994] O.J. n0 200, 17 O.R. (3d) 267 (C.A. Ont.).

 

[19]           Comme l’a fait remarquer la Cour suprême du Canada dans Danyluk, au paragr. 25, (citant Angle, précité, à la p. 254, le juge Dickson)), trois conditions doivent être réunies pour faire entrer en jeu la préclusion pour question déjà tranchée :

i)          La même question a été décidée dans chacune des procédures;

ii)         La décision faisant intervenir la préclusion pour question déjà tranchée est finale;

iii)                 Les parties aux deux procédures en cause, ou leurs ayants droit, sont les mêmes.

 

[20]           Lorsqu’on satisfait aux trois éléments du critère, il ne s’ensuit pas nécessairement que la préclusion pour question déjà tranchée sera appliquée. En effet, l’organisme juridictionnel à qui on demande d’appliquer la préclusion a le pouvoir discrétionnaire de s’en abstenir pour rendre une décision équitable, selon les circonstances de chaque cas : Danyluk, au paragr. 63. Voir aussi Minott c. O'Shanter Development Co., [1999] O.J. n0 5, 42 O.R. (3d) 321, au paragr. 23.

 

[21]           Les facteurs à prendre en considération dans l’exercice de ce pouvoir discrétionnaire comprennent les suivants :

a)         Le libellé de la loi qui confère le pouvoir de rendre l’ordonnance administrative en question;

b)         L’objet de la loi;

c)         La possibilité de faire appel;

d)         Les garanties dont disposent les parties à la procédure administrative;

e)         L’expertise du décisionnaire administratif;

f)          Les circonstances à l’origine de la procédure administrative précédente;

g)         Le risque d’injustice, considéré par la Cour comme le facteur le plus important.


 

[22]           C’est l’exercice de ce pouvoir discrétionnaire par le Tribunal qui est contesté en l’espèce.

 

[23]           Avant d’étudier la décision du Tribunal sous examen, il y a lieu de faire observer que, même si les requêtes demandant au Tribunal d’appliquer la préclusion pour question déjà tranchée aux décisions d’autres tribunaux administratifs sont monnaie courante, on a soulevé la question de savoir si la Loi canadienne des droits de la personne a en fait modifié les règles de la common law relatives à la préclusion pour question déjà tranchée en interdisant l’application de cette préclusion dans un cas comme celui qui nous occupe : voir Canada (P.G.) c. Commission canadienne des droits de la personne et al., [1991] A.C.F. n0 334, 43 F.T.R. 47, au paragr. 69 (C.F. 1re inst.).

 

[24]           En outre, mis à part les considérations d’ordre législatif, la Cour s’est dite réticente, pour des motifs d’intérêt public, à appliquer la préclusion pour question déjà tranchée aux décisions portant sur des plaintes relatives aux droits de la personne qui ont été rendues par des tribunaux spécialisés : Société Postes Canada c. Barrette, [1999] 2 C.F. 250, (1998), 15 Admin. L.R. (3d) 134, 157 F.T.R. 278, au paragr. 79 (inf. pour d’autres motifs [2000] 4 C.F 145 (C.A.F.)).

 

[25]           Cela dit, les parties ont, semble-t-il, plaidé leur cause respective en tenant pour acquis qu’il est permis d’invoquer la préclusion pour question déjà tranchée dans une instance du Tribunal. Je rendrai donc ma décision en me fondant sur telle présomption. 

 

 

 

L’instance devant le Tribunal canadien des droits de la personne

[26]           Après le renvoi de sa cause au Tribunal, Mme Sherman a demandé à celui-ci de rendre une décision préliminaire portant qu’il est lié par les conclusions de l’examinateur indépendant du fait de la préclusion pour question déjà tranchée. C’est la décision du Tribunal de rejeter la demande en ce sens de Mme Sherman qui fait l’objet de la présente demande de contrôle judiciaire.

 

[27]           Dans sa décision, le Tribunal a conclu que les trois conditions à l’application de la préclusion pour question déjà tranchée étaient réunies dans le cas de la décision de l’examinateur indépendant. Plus précisément, le Tribunal a jugé que les deux procédures en cause concernaient les mêmes questions en litige, que la décision de l’examinateur indépendant était finale et que les parties à la procédure d’ETI et à la procédure du Tribunal étaient les mêmes.  

 

[28]           Le Tribunal a néanmoins décidé qu’il lui fallait exercer son pouvoir discrétionnaire de ne pas appliquer la préclusion pour question déjà tranchée aux conclusions de l’examinateur indépendant.  

 

[29]           Lorsqu’il a tiré la conclusion susmentionnée, le Tribunal a porté une attention particulière à la nature de la procédure d’ETI elle-même, notamment le fait que la procédure a été instituée selon des lignes directrices administratives et qu’elle n’offre qu’un nombre limité de formes de réparation. De plus, le Tribunal n’a trouvé aucune règle accordant à l’examinateur indépendant la compétence exclusive de régler les différends liés à la cessation d’emploi. 

 

[30]           Le Tribunal se préoccupait aussi des garanties procédurales offertes par la procédure d’ETI, faisant observer que l’examinateur indépendant n’avait pas certains des pouvoirs nécessaires pour garantir que chacune des parties ait la possibilité de prendre connaissance des prétentions de l’autre partie et de les réfuter. À cet égard, le Tribunal a relevé que l’examinateur indépendant a lui‑même reconnu que l’absence de pouvoir, dans les lignes directrices de l’ETI, d’assigner des témoins et d’exiger la production de documents constituait un [traduction] « handicap important dans le processus d’appréciation des faits » dans les affaires complexes comme en l’espèce. 

 

[31]           Finalement, le Tribunal a statué que l’application de la préclusion pour question déjà tranchée aux conclusions de l’examinateur indépendant serait sans doute trop lourde et impossible à gérer, et ne servirait pas l’intérêt de la justice.  

 

[32]           Le Tribunal a donc refusé d’appliquer la préclusion pour question déjà tranchée aux conclusions de l’examinateur indépendant. 

 

[33]           Puisque la présente demande intéresse une décision préliminaire rendue par un tribunal administratif en matière de preuve, la question qu’il faut se poser est de savoir s’il convient de traiter la demande maintenant ou de la rejeter parce qu’elle est prématurée.  

 

[34]           Toutefois, avant de répondre à cette question, il me faut parler de la manière dont les parties ont traité du caractère prématuré de la demande dans le cadre de la présente instance.

 

 

L’entente intervenue entre les parties

[35]           De toute évidence, les parties souhaitaient que la CRTFP et le Tribunal établissent la portée de la procédure avant qu’elles fassent valoir leurs arguments respectifs au fond. Les parties ont donc convenu que Mme Sherman ne soulèverait pas la question du caractère prématuré dans le cadre de la demande de contrôle judiciaire de l’Agence. Cette demande vise la décision préliminaire par laquelle la CRTFP applique la préclusion pour question déjà tranchée aux conclusions de l’examinateur indépendant.    

 

[36]           En retour, l’Agence consent à ne pas prétendre que la demande de contrôle judiciaire de Mme Sherman à l’égard de la décision préliminaire rendue par la Commission canadienne des droits de la personne est prématurée.

 

[37]           La demande de contrôle judiciaire de l’Agence visant la décision de la CRTFP en matière de preuve a été instruite pour la première fois par le juge Barnes, qui a rejeté la demande au motif que celle-ci est prématurée. Bien qu’il ait reconnu le souhait des parties d’obtenir le contrôle judiciaire de la décision de la CRTFP avant l’audition de l’affaire au fond, le juge Barnes n’était pas convaincu qu’il y avait de bonnes raisons de s’écarter du principe bien établi selon lequel la Cour ne doit pas, dans la plupart des cas, modifier la décision qu’a prise un tribunal administratif en matière de preuve ou de procédure avant de rendre sa décision finale.  

 

[38]           L’entente entre les parties semble avoir pris fin, probablement en raison à la suite de la décision du juge Barnes. L’Agence a pris pour position devant moi qu’il y a lieu de rejeter la présente demande au motif que celle-ci est prématurée. J’examinerai maintenant ce point.

 

La demande de contrôle judiciaire de Mme Sherman est-elle prématurée?

[39]           En l’absence de circonstances spéciales, il ne convient pas de contester la décision rendue par un tribunal administratif en matière de preuve avant que celui-ci ait rendu sa décision finale : voir Zündel c. Canada (Commission des droits de la personne), [2000] 4 C.F. 255, 256 N.R. 125 (C.A.), au paragr. 10, et Szczecka c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1993] A.C.F. n0 934, 116 D.L.R. (4th) 333, à la p. 335.

 

[40]           Il en est ainsi pour un certain nombre de raisons, notamment la possibilité que l’issue de l’affaire rende la demande de Mme Sherman théorique et le risque de fragmentation du processus, de même que les frais et les retards que cela occasionnerait. L’absence d’un dossier complet au stade préliminaire et l’impossibilité qui en découle de voir quel rôle la décision a-t-elle joué, en dernière analyse, dans le règlement du litige suscitent également des inquiétudes. Il se peut également que le tribunal ait à modifier plus tard sa décision initiale.

 

[41]           La juge Sharlow a donné les exemples suivants de ce qui peut être considéré comme des « circonstances spéciales » au paragraphe 15 de la décision Canada (Commission canadienne des droits de la personne) c. Canada 3000 Airlines Ltd. (re Nijjar), [1999] A.C.F. n0 725 : 

Des circonstances spéciales peuvent exister si le contrôle judiciaire de la décision mise en cause règle définitivement un droit fondamental d’une partie (Canada c. Succession Schnurer, [1997] 2 C.F. 545 (C.A.F.)), ou si l’on demande le contrôle judiciaire d’une question qui porte sur la légitimité même du Tribunal (Cannon c. Canada, [1998] 2 C.F. 104 (C.F. 1re inst.) [...]

 

 

[42]           Mme Sherman soutient qu’il existe en l’espèce des circonstances spéciales justifiant l’intervention immédiate de la Cour. Plus précisément, elle dit que la décision du Tribunal contestée a pour effet de circonscrire la portée de l’audition. Elle ne devrait pas être obligée de participer à une longue audition et de voir le Tribunal régler les questions déjà tranchées par l’examinateur indépendant. Non seulement la doctrine de la préclusion pour question déjà tranchée vise-t-elle précisément à éviter une faute de ce genre, mais, en outre, pareille faute risque de donner lieu à des décisions contradictoires.  

 

[43]           Finalement, Mme Sherman dit qu’en suspendant la procédure du Tribunal en attendant l’issue de la présente demande de contrôle judiciaire, la Cour a démontré qu’elle subirait un préjudice irréparable si elle était contrainte de débattre à nouveau de questions déjà tranchées. 

 

[44]           Mme Sherman ne m’a pas convaincue de l’existence de circonstances spéciales dans lesquelles la Cour serait tenue d’instruire sa demande de contrôle judiciaire au stade actuel.

 

[45]           Le fait que Mme Sherman ait à subir une longue audition qui, selon elle, durera quelque 19 jours, n’est pas déterminant en l’espèce. À cet égard, je note que, dans Lorenz c. Air Canada, [1999] A.C.F. n 1383, le juge Evans a refusé d’instruire une demande de contrôle judiciaire à l’encontre d’une décision concernant une allégation de partialité, préférant attendre que la Commission ait rendu sa décision finale. Dans l’affaire Lorenz, cinq jours d’audience s’étaient déjà écoulés, et les parties estimaient alors avoir franchi seulement le quart de l’audition; il restait donc vraisemblablement quelque 15 jours d’audience. 

 

[46]           Qui plus est, l’avocat de Mme Sherman a parlé à maintes reprises des difficultés auxquelles celle-ci ferait face si l’affaire était instruite, mais la Cour ne dispose d’aucune preuve montrant qu’elle éprouverait des difficultés particulières auxquelles n’a jamais été confrontée une autre partie.

 

[47]           Je ne suis pas persuadée que le fait de suspendre la procédure du Tribunal en attendant l’issue de la présente demande de contrôle judiciaire démontre l’existence de « circonstances spéciales » qui justifient l’intervention de la Cour à ce stade-ci. Il y a lieu de faire observer que la Cour a accordé l’ordonnance de suspension sur consentement des parties et que l’ordonnance ne renferme aucune conclusion précise quant au préjudice irréparable que subirait Mme Sherman en cas de poursuite de l’instance. Dans la mesure où la Cour tire implicitement pareille conclusion dans l’ordonnance, cette conclusion traite seulement de la période entre l’octroi de la suspension et l’audition de la présente demande.

           

[48]           Étant donné que Mme Sherman formule ses arguments sous l’angle du préjudice irréparable, je fais remarquer que la Cour a aussi statué que les dépens engagés en vain ne constituent pas un préjudice irréparable : voir Bell Canada c. Syndicat des communications, de l’énergie et du papier du Canada, [1997] A.C.F. n0 207, aux paragr. 37 à 40.

 

[49]           Enfin, je ne suis pas convaincue que la décision rendue dans Logeswaren c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [2004] A.C.F. n 1086, 2004 CF 886, sur laquelle se fonde Mme Sherman, dicte l’issue de l’espèce. Dans cette affaire, le juge Phelan était disposé à instruire sur-le-champ une demande de contrôle judiciaire à l’encontre d’une décision interlocutoire rendue par la Commission de l’immigration et du statut de réfugié (la Commission). La Commission a conclu que le principe de la chose jugée n’empêchait pas le ministre de faire une nouvelle demande en vue de faire annuler une conclusion antérieure de la Commission selon laquelle l’intéressé avait droit à l’asile. 

 

[50]           Il appert que la décision sous examen dans l’affaire Logeswaren portait sur le droit du ministre de présenter la demande d’annulation en cause. A cet égard, la question dont était saisie la Cour dans Logeswaren tenait davantage de la contestation de compétence, en ce sens qu’elle mettait en cause la légitimité même du processus.  

 

[51]           Ce n’est pas le cas ici. Il s’agit en l’espèce du genre de décision en matière de preuve que prennent fréquemment les tribunaux administratifs.   

 

[52]           Pour reprendre les propos du juge Barnes, la plupart des considérations de principe qui

sous-tendent la règle du caractère prématuré s’appliquent dans la présente affaire. On ne m’a pas persuadée qu’il existe en l’espèce des circonstances exceptionnelles justifiant l’intervertion de la Cour à ce stade-ci.    

 

[53]           En conséquence, je rejetterai la demande de contrôle judiciaire parce qu’elle est prématurée.

 

Les dépens

[54]           Les avocats m’ont demandé l’occasion de présenter des observations au sujet des dépens une fois que j’aurai rendu ma décision en l’espèce. Par conséquent, chacune des parties aura une


semaine pour faire des observations quant aux dépens et cinq jours de plus pour répondre aux observations de l’autre partie.  

 

 

« Anne L. Mactavish »

Juge

 

 

 

Traduction certifiée conforme

David Aubry, LL.B.

 


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

 

DOSSIER :                                        T-1760-05      

 

INTITULÉ :                                       SIMONE SHERMAN

                                                            c.

                                                            AGENCE DES DOUANES ET DU REVENU

                                                            DU CANADA

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                 TORONTO (ONTARIO)

 

 

DATE DE L’AUDIENCE :               LE 31 MAI 2006

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT :            LA JUGE MACTAVISH

 

 

DATE DES MOTIFS :                      LE 7 JUIN 2006

 

 

 

COMPARUTIONS :

 

Steven Welchner

 

POUR LA DEMANDERESSE

Christopher Leafloor

Joseph Cheng

 

POUR LA DÉFENDERESSE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Bureau d’avocats Welchner

Ottawa (Ontario)

 

POUR LA DEMANDERESSE

John H. Sims, c.r.

Ministère de la Justice

Toronto (Ontario)

POUR LA DÉFENDERESSE

 

 

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