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Date : 20040622

Dossier : IMM-3775-03

Référence : 2004 CF 886

ENTRE :

                                              THAMARAICHELVY LOGESWAREN

                                                        RUBIGAH LOGESWAREN

                                                    RUBAGANTH LOGESWAREN

                                                                                                                                     demanderesses

                                                                             et

                         LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

                                          LE SOLLICITEUR GÉNÉRAL DU CANADA

                                                                                                                                            défendeurs

                                                  MOTIFS DE L'ORDONNANCE

LE JUGE PHELAN

NATURE DE LA PROCÉDURE


[1]                La présente demande de contrôle judiciaire soulève la question de savoir s'il y a en l'espèce irrecevabilité résultant de l'identité des causes d'action ou irrecevabilité résultant de l'identité des questions en litige en ce qui concerne une seconde demande d'annulation du statut de réfugiées des demanderesses.

[2]                Les demanderesses sollicitent le contrôle judiciaire d'une décision interlocutoire rendue par la Commission de l'immigration et du statut de réfugié (la Commission), qui a rejeté la requête par laquelle elles demandaient de rejeter la demande que le ministre avait présentée d'annuler leur statut de réfugiées au sens de la Convention.

[3]                À la demande de l'avocat des défendeurs, le solliciteur général du Canada sera le défendeur.

LES FAITS

[4]                Les demanderesses sont une mère et deux enfants mineures d'origine tamoule du Sri Lanka, qui sont arrivées au Canada le 2 mars 1993. Elles ont affirmé qu'elles étaient parties du Sri Lanka le 10 février 1993.

[5]                Les demanderesses ont obtenu le statut de réfugiées le 6 mai 1993. Elles ont demandé le statut de résidentes permanentes. Cette demande est toujours pendante.

[6]                Le mari et père des demanderesses a aussi obtenu le statut de réfugié et il est depuis devenu citoyen canadien.


[7]                En 1994, à la suite d'un « tuyau » anonyme, le ministre a allégué que les empreintes digitales de Mme Logeswaren correspondaient à celles de « SK » , une personne qui avait demandé le statut de réfugié en 1987 (six années avant le moment auquel les demanderesses affirment être parties du Sri Lanka). La demande du statut de réfugié de « SK » avait été rejetée.

[8]                En 1999, le ministre a déposé une demande d'annulation du statut de réfugiées des demanderesses. Cette demande a été rejetée pour insuffisance de preuve quant à la similarité des empreintes digitales. Cette preuve consistait en le témoignage d'un agent d'immigration qui disait avoir eu une conversation avec un fonctionnaire suisse qui avait confirmé que les empreintes digitales correspondaient. Il n'y a pas lieu de s'étonner du résultat.

[9]                En l'an 2000, le ministre a reçu le dossier de suivi du gouvernement de la Suisse concernant « SK » . Le ministre était alors en mesure d'affirmer que la photographie de SK est celle de la mère demanderesse, Thamaraichelvy Logeswaren.

[10]            Au début de 2001, le ministre a demandé l'autorisation de déposer une seconde demande d'annulation en application de l'article 55 des Règles de la Section de la protection des réfugiés (les Règles) en se fondant sur ce nouvel élément de preuve reçu du gouvernement de la Suisse. Les demanderesses n'ont reçu aucun avis quant à la procédure engagée.

[11]            En mai 2001, un commissaire a fait savoir qu'il n'était pas disposé à faire droit à la demande, mais, apparemment, il a changé d'avis et a informé les demanderesses quant à la seconde demande d'annulation.

[12]            Les demanderesses ont déposé une requête en rejet de la demande d'annulation alléguant qu'il y avait chose jugée. Leur requête a été rejetée et c'est ce rejet qui fait l'objet du présent contrôle judiciaire.

[13]            Le ministre a décidé que la Loi sur l'immigration et la protection des réfugiés (la Loi) ne le limitait pas à une seule demande d'annulation. La Commission a conclu qu'il n'y avait ni abus de la procédure ni négligence de la part du ministre (le ministre n'avait pas pu produire toute la preuve des fausses déclarations en raison du refus des autorités suisses de communiquer tous les renseignements pertinents sans le consentement des demanderesses, consentement que les demanderesses n'avaient pas accordé).

[14]            Sur la question de la chose jugée, le commissaire a conclu que la question en litige en 1999 se rapportait aux empreintes digitales et que, par conséquent, la question des photographies n'était pas identique à la question tranchée en 1999. Par conséquent, il n'y avait pas irrecevabilité résultant de l'identité des questions en litige.

[15]            Finalement, le commissaire a décidé que si l'irrecevabilité résultant de l'identité des questions en litige était alléguée, il exercerait son pouvoir discrétionnaire pour ne pas en appliquer le principe. Il a pris cette décision en tenant compte de l'importance de l'intégrité du régime, de l'importance du caractère définitif des décisions et du préjudice qu'une nouvelle audience pourrait causer aux demanderesses.

ANALYSE

[16]            Vu que la question en litige dans le présent contrôle judiciaire est une question de droit, la décision correcte est la norme de contrôle qui s'applique.

[17]            L'application des principes de la chose jugée a été au coeur des débats du présent contrôle judiciaire, particulièrement de la part des demanderesses.

[18]            Il faut d'abord trancher la question de savoir si les demanderesses peuvent obtenir le contrôle judiciaire d'une décision interlocutoire.

[19]            Bien que de façon générale les décisions interlocutoires ne soient pas assujetties au contrôle judiciaire, parce qu'elles relèvent en grande partie d'un pouvoir discrétionnaire, lorsque une décision est cruciale quant à la décision finale et qu'elle a suffisamment d'importance, elle peut faire l'objet d'un contrôle judiciaire (voir Citizens' Mining Council of Newfoundland and Labrador Inc. c. Canada (Ministre de l'Environnement), [1999] A.C.F. no 273 (le juge MacKay)).

[20]            En l'espèce, il ne serait pas juste d'exiger des demanderesses qu'elles se soumettent à une nouvelle audience si le ministre n'a pas le droit de l'obtenir. La décision interlocutoire définit effectivement la portée de la décision finale et son importance justifie le contrôle judiciaire.

[21]            Bien que devant moi l'argumentation ait principalement porté sur l'application des principes de common law relatifs à la chose jugée, je prends la Loi comme point de départ de mon analyse.

[22]            La disposition principale est le paragraphe 109(1) de la Loi :


109. (1) La Section de la protection des réfugiés peut, sur demande du ministre, annuler la décision ayant accueilli la demande d'asile résultant, directement ou indirectement, de présentations erronées sur un fait important quant à un objet pertinent, ou de réticence sur ce fait.

109. (1) The Refugee Protection Division may, on application by the Minister, vacate a decision to allow a claim for refugee protection, if it finds that the decision was obtained as a result of directly or indirectly misrepresenting or withholding material facts relating to a relevant matter.


[23]            Cette disposition générale permettant l'annulation du statut de réfugié obtenu par suite de fausses déclarations est développée dans les Règles.

[24]            Le paragraphe 55(1) des Règles, sur lequel le ministre s'appuie, prévoit que :


55. (1) Le demandeur d'asile ou le ministre peut demander à la Section de rouvrir toute demande d'asile qui a fait l'objet d'une décision ou d'un désistement.

55. (1) A claimant or the Minister may make an application to the Division to reopen a claim for refugee protection that has been decided or abandoned.


Cette disposition permet la présentation d'une première demande d'annulation.

[25]            Le paragraphe 56(1) est des plus importants pour le contrôle judiciaire :


56. (1) La personne protégée ou le ministre peut demander à la Section de rouvrir la demande d'annulation ou la demande de constat de perte d'asile qui a fait l'objet d'une décision ou d'un désistement.

56. (1) The Minister or a protected person may make an application to the Division to reopen an Application to Vacate Refugee Protection or an Application to Cease Refugee Protection that has been decided or abandoned.


Cette disposition prévoit la possibilité de demander de nouveau l'annulation du statut de réfugié, et c'est exactement ce que le ministre fait en l'espèce.

[26]            Je ne vois pas en quoi la Loi empêche le ministre de présenter plus d'une demande lorsqu'il s'agit de faire annuler le statut de réfugié dans les cas où il a été obtenu par suite de fausses déclarations.

[27]            L'importance de l'intégrité du régime de protection des réfugiés est trop grande pour que des personnes qui ne méritent pas cette protection puissent continuer d'en bénéficier alors qu'il existe de bonnes raisons de la leur retirer.


[28]            L'article 109 confère à la Section de la protection des réfugiés (SPR) un large pouvoir discrétionnaire d'accueillir ou de rejeter les demandes. C'est par un exercice judicieux de ce pouvoir que l'abus de la procédure par le ministre dans le cas de dépôts de demandes injustifiées ou répétées devrait être contrôlé. Le défaut de contrôler de tels abus sera aussi susceptible de contrôle judiciaire.

[29]            Le pouvoir discrétionnaire conféré par l'article 109 est semblable à celui qui doit être exercé pour l'application des principes de la chose jugée, comme l'a établi le juge Binnie dans l'arrêt Danyluk c. Ainsworth Technologies Inc., [2001] 2 R.C.S. 460, 2001 CSC 44.

[30]            Dans l'exercice du pouvoir discrétionnaire conféré par l'article 109, la SPR doit tenir compte de principes tels que l'irrecevabilité résultant de l'identité des causes d'action (le principe applicable en l'espèce) et l'irrecevabilité résultant de l'identité des questions en litige. Bien que ces deux principes de la chose jugée soient semblables, ils ne sont pas identiques.

[31]            En l'espèce, le principe de l'irrecevabilité résultant de l'identité des causes d'action est applicable parce qu'il s'agit du même organisme décideur, des mêmes parties et de la même question. Ce qui diffère, c'est que la preuve n'est pas la même quant à cette même question, celle des fausses déclarations faites par les demanderesses.

[32]            Je suis d'avis que, comme lorsqu'il s'agit de l'irrecevabilité résultant de l'identité des questions en litige, il existe un pouvoir discrétionnaire dans l'application du principe de l'irrecevabilité résultant de l'identité des causes d'action, encore que son étendue puisse être moins grande. Le pouvoir discrétionnaire conféré par la common law doit jouer un rôle secondaire par rapport au pouvoir conféré à la SPR par la Loi.


[33]            Vu le régime prévu par la Loi, jusqu'à la limite où la chose jugée, dans son principe de l'irrecevabilité résultant de l'identité des causes d'action, s'applique, le législateur confère expressément à la SPR le pouvoir discrétionnaire de statuer sur une demande d'annulation (ou de la rouvrir)

[34]            La Commission a exercé son pouvoir discrétionnaire (conféré par la Loi et en vertu des principes de la chose jugée) correctement, prenant en considération les facteurs pertinents, et elle a rendu une décision raisonnable.

[35]            Cependant, elle n'a pas pris en considération la question de savoir si le ministre avait présenté sa demande en vertu de la bonne disposition des Règles. Comme je l'ai dit précédemment, l'article 55 s'applique dans le cas de la première demande d'annulation. Le ministre n'avait pas le droit de présenter la seconde demande en vertu de cette disposition.

[36]            C'est l'article 56 des Règles qui fournit le recours approprié. Cette disposition accorde expressément au ministre le droit de demander de rouvrir la première demande d'annulation, même si une décision a déjà été prise.

[37]            Par conséquent, la présente demande de contrôle judiciaire sera accueillie en partie, la décision en cause sera annulée et l'affaire sera renvoyée à la Commission. Le défendeur pourra modifier sa demande pour la fonder sur l'article 56 des Règles.


[38]            Les parties pourront proposer une question à certifier avant que je rende l'ordonnance. Les demanderesses auront sept (7) jours à compter de la date des présents motifs pour signifier et déposer leurs observations sur toute question; le défendeur aura sept (7) jours par la suite et, enfin, les demanderesses auront trois (3) jours pour répondre.

                                                                                                                           _ Michael L. Phelan _            

                                                                                                                                                     Juge                         

Traduction certifiée conforme

Jacques Deschênes


                                                             COUR FÉDÉRALE

                                              AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

DOSSIER :                                  IMM-3775-03

INTITULÉ :                                 THAMARAICHELVY LOGESWAREN, RUBIGAH LOGESWAREN, RUBAGANTH LOGESWAREN

c.

MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION et SOLLICITEUR GÉNÉRAL DU CANADA

LIEU DE L'AUDIENCE :          TORONTO (ONTARIO)

DATE DE L'AUDIENCE :         LE 15 MARS 2004

MOTIFS DE

L'ORDONNANCE :                   LE JUGE PHELAN

DATE DES MOTIFS :               LE 22 JUIN 2004

COMPARUTIONS :

Kumar Sriskanda                                                                              POUR LES DEMANDERESSES

Kareena Wilding                                                                                       POUR LES DÉFENDEURS

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Kumar Sriskanda

Toronto (Ontario)                                                                              POUR LES DEMANDERESSES

Morris Rosenberg

Sous-procureur général du Canada

Ottawa (Ontario)                                                                                       POUR LES DÉFENDEURS

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