Décisions de la Cour fédérale

Informations sur la décision

Contenu de la décision

Date : 20060314

Dossier : IMM-10496-04

Référence : 2006 CF 332

Ottawa (Ontario), le 14 mars 2006

EN PRÉSENCE DE MADAME LA JUGE SNIDER

ENTRE :

JOHNNY HERRA CASTRO

ERICK GERARDO ROJAS ELIZONDO

demandeurs

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L'IMMIGRATION

défendeur

MOTIFS DE L'ORDONNANCE ET ORDONNANCE

[1]         Johnny Herra Castro (M. Herra) et Erick Gerardo Rojas Elizondo (M. Rojas) (collectivement, les demandeurs) sont citoyens du Costa Rica et demandent l'asile au Canada sur le fondement de leur orientation sexuelle. Les demandeurs sont un couple d'homosexuels vivant ensemble depuis 2001. Dans une décision datée du 2 décembre 2004, un tribunal de la Section de la protection des réfugiés de la Commission de l'immigration et du statut de réfugié (la Commission) a rejeté leur demande d'asile. Le motif principal de ce rejet était que les demandeurs n'avaient pas réfuté la présomption de protection de l'État. La Commission a également conclu que les traitements dont avaient été victimes les demandeurs ne constituaient pas, cumulativement, de la persécution. Les demandeurs souhaitent obtenir le contrôle judiciaire de cette décision.   

Questions

[2]         La présente demande soulève les questions suivantes :

  1. La Commission a-t-elle commis une erreur en concluant que la protection de l'État serait accordée aux demandeurs?

  1. La Commission a-t-elle commis une erreur en n'évaluant pas l'effet cumulatif sur les demandeurs (et en particulier sur M. Herra) de la séries d'incidents violents dont ils avaient été victimes ainsi qu'en n'évaluant pas les répercussions possibles de ces incidents sur leur capacité à se prévaloir de la protection de l'État?

Analyse

[3]         Les deux questions soulevées par les demandeurs sont liées et je vais les examiner ensemble.

(a)    Principes fondamentaux concernant la protection de l'État

[4]         Un principe fondamental de la protection des réfugiés veut qu'une personne victime de persécution se prévale d'abord de la protection de son propre État avant de demander celle d'un autre pays. En conséquence, il est bien établi dans la jurisprudence canadienne qu'un demandeur d'asile doit prouver, d'une façon claire et convaincante, que l'État ne peut ou ne veut le protéger (Canada (Procureur général) c. Ward, [1993] 2 R.C.S. 689). La véritable question est de savoir s'il eût été raisonnable dans les circonstances de s'attendre à ce que la personne tente de se prévaloir de la protection offerte par son propre gouvernement, plutôt que de chercher refuge au Canada (Hussain c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), 2003 CFPI 406, au paragraphe 7).

(b)    Norme de contrôle

[5]         Bien qu'il existe un certain débat dans la jurisprudence de la Cour fédérale quant à la norme de contrôle adéquate à appliquer aux décisions de la Commission en matière de protection de l'État, je suis disposée à accepter les résultats de l'analyse pragmatique et fonctionnelle effectuée par ma collègue la juge Tremblay-Lamer dans Chaves c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), 2005 CF 193. Dans cette affaire, la juge Tremblay-Lamer a jugé que la norme de la décision raisonnable simpliciter était la plus appropriée pour la question de la protection adéquate de l'État. Aux fins de la présente demande, je suis d'accord avec elle et j'adopte son raisonnement exposé aux paragraphes 7 à 12. Une décision satisfait à la norme de la décision raisonnable « si elle est fondée sur une explication défendable, même si elle n'est pas convaincante aux yeux de la cour de révision » (Barreau du Nouveau-Brunswick c. Ryan, [2003] 1 R.C.S. 247, au paragraphe 55).

(c)     Obligation des demandeurs de s'efforcer d'obtenir la protection de l'État

[6]         Les demandeurs, de leur propre aveu, ont fait peu d'efforts pour obtenir l'aide de la police. Dans sa décision, la Commission a mentionné un certain nombre de recours différents dont disposaient les demandeurs. Plus précisément, la Commission a nommé la police locale, le bureau de l'ombudsman, les tribunaux et le ministère de la Sécurité.

[7]         Les demandeurs soutiennent que la Commission n'a pas présenté de preuve indiquant la façon dont les institutions répondraient aux incidents particuliers subis par les demandeurs, qui comprennent des menaces de mort, de la discrimination dans l'emploi, des graffitis et du vandalisme faits par des gens de leur quartier, un comportement répréhensible de la part des policiers ainsi que du harcèlement sexuel provenant de symboles d'autorité (en l'espèce, un prêtre et un psychologue qui auraient fait des avances à M. Herra). Les demandeurs prétendent que les persécutions qu'ils subissent sont si nombreuses et diverses qu'il serait difficile voire impossible de les enrayer toutes. Les demandeurs devraient déposer de multiples plaintes et entamer de nombreuses actions contre plusieurs institutions, entrer dans la clandestinité, engager des avocats, vivre séparément et continuer à endurer le harcèlement pendant ce temps. Selon les demandeurs, ce scénario représente une négation des droits fondamentaux de la personne. En fait, les demandeurs soutiennent que, même s'ils avaient fait plus d'efforts, la police ne leur aurait pas offert la protection de l'État pour tous leurs problèmes.

[8]         Le premier problème dans cet argument est qu'il n'incombe pas à la Commission de prouver que les institutions de l'État répondraient aux incidents particuliers. Au contraire, il incombe aux demandeurs de réfuter la présomption de protection de l'État. Si les demandeurs souhaitaient s'appuyer sur l'argument voulant que le Costa Rica ne puisse réagir à aucun des incidents particuliers (comme la discrimination dans l'emploi ou le harcèlement sexuel provenant de prêtres), ils auraient dû présenter une preuve à cet effet. Qu'ils ne l'aient pas fait ne signifie pas que la Commission doit prouver le contraire.

[9]         Deuxièmement, il me semble que le niveau de protection exigé par les demandeurs n'existe tout simplement nulle part pour personne. Les demandeurs prétendent en fait qu'ils devraient pouvoir se présenter à la police une fois, signaler la litanie de torts qu'ils subissent et recevoir une [traduction] « garantie » qu'il sera mis fin à chacun des torts et qu'ils ne se reproduiront plus. Dans tous les pays, la police et les autres agences de l'État ne peuvent réagir qu'aux incidents particuliers pour lesquels leur aide est demandée. Il s'ensuit que, peu importe l'endroit où elle habite, une personne devra probablement [traduction] « déposer de multiples plaintes et entamer de nombreuses actions contre plusieurs institutions » .

[10]       Comme l'affirme la Cour d'appel fédérale dans Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration) c. Villafranca (1992), 18 Imm.L.R. (2d) 130, aux pages 132 et 133 :

Aucun gouvernement qui professe des valeurs démocratiques ou affirme son respect des droits de la personne ne peut garantir la protection de chacun de ses citoyens en tout temps. Ainsi donc, il ne suffit pas que le demandeur démontre que son gouvernement n'a pas toujours réussi à protéger des personnes dans sa situation.

[11]       Ainsi, la Commission pouvait raisonnablement juger de l'existence d'une protection de l'État pour les incidents décrits par les demandeurs et ne pas exiger de l'État une protection parfaite. Cependant, dans ce cadre, il incombait à la Commission d'examiner tant la preuve produite par les demandeurs que la preuve documentaire objective et de tirer des conclusions satisfaisant à la norme de la décision raisonnable simpliciter. Je vais maintenant examiner les arguments des demandeurs selon lesquels la décision ne satisfait pas à cette norme.

(d)    Bureau de l'ombudsman

[12]       Les demandeurs soutiennent que la décision de la Commission est déraisonnable parce que la Commission a jugé que le bureau de l'ombudsman pouvait fournir une protection efficace aux demandeurs.

[13]       Cet argument pourrait être fondé si la Commission n'avait mentionné que le bureau de l'ombudsman et n'avait compté que sur lui pour protéger les demandeurs (Bobrik c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [1994] A.C.F. no 1364 (1re inst.) (QL). Cependant, un examen des motifs de la Commission montre que la Commission n'a pas commis cette erreur.

[14]       M. Rojas a fait part, dans son témoignage, de violences qu'il aurait subies de la police en 1990. Il n'a pas signalé à la police les menaces de mort plus récentes en raison de cette expérience précédente. La Commission a rejeté cette excuse.

La preuve documentaire révèle que le nombre de plaintes pour abus de pouvoirs policiers ou inconduite policière a diminué depuis que le gouvernement a commencé à mettre en oeuvre le Code pénal de 1994 et la Loi renforçant les pouvoirs de la police civile, laquelle est entrée en vigueur le 23 mars 2001. En outre, en cas d'abus de pouvoirs policiers ou d'inconduite policière, les citoyens disposent, auprès du bureau de l'ombudsman, d'un mécanisme efficace pour traiter les plaintes [...]

[15]       Cet extrait démontre que la Commission a d'abord regardé si, objectivement, les violences policières qu'aurait subies M. Rojas en 1990 pouvaient se répéter en 2004. Une diminution du nombre de plaintes dénonçant des abus de pouvoirs policiers constitue une preuve démontrant l'existence, d'une manière prospective, d'une protection par la police au Costa Rica. Bien que la Commission poursuive son explication sur le bureau de l'ombudsman et la façon dont il traite les plaintes, elle le fait en le décrivant comme un « mécanisme efficace » pour s'occuper des agents de police malveillants dont le comportement ne se conformerait pas à leur devoir légal, et non pas comme le premier niveau de protection principal. En d'autres mots, la Commission, en se fondant sur la preuve portée à sa connaissance, a conclu que l'abus de pouvoirs policiers dont a été victime M. Rojas en 1990 a peu de chances de se reproduire et que, s'il se reproduisait, le bureau de l'ombudsman serait efficace pour examiner une plainte. Ainsi, il n'était pas déraisonnable pour la Commission de conclure que « le demandeur d'asile aurait dû se prévaloir des options à sa disposition » et qu' « [i]l n'existe aucune preuve convaincante indiquant que, si le demandeur d'asile avait cherché à se prévaloir des recours disponibles auprès du ministre de la Sécurité, des tribunaux ou de l'ombudsman [...], l'État n'aurait pas eu la capacité ou la volonté de le protéger » . Dans les motifs en question, l'analyse que fait la Commission de la preuve qui lui est soumise la mène à la conclusion qu'elle a tirée. La décision selon laquelle M. Rojas pouvait se prévaloir de la protection de l'État n'est pas déraisonnable.

(e)     Capacité de M. Herra d'obtenir la protection de l'État

[16]       En ce qui concerne la question de l'existence de la protection de l'État pour M. Herra, la même preuve documentaire et le même raisonnement s'appliquent. C'est-à-dire que si M. Herra avait demandé la protection de la police pour les menaces de mort qu'il aurait reçues, selon toute probabilité, il aurait été protégé efficacement, bien qu'imparfaitement, par l'État. La seule question qui reste pour ce demandeur est de savoir si sa situation personnelle faisait en sorte qu'il était déraisonnable de sa part de demander la protection de l'État. De façon générale, une personne peut-elle se soustraire à l'obligation de demander la protection de l'État, qui lui aurait été raisonnablement offerte, en raison de sa situation personnelle? Je crois que la réponse à cette question est « non » .

[17]       M. Herra prétend que sa famille, sa belle-famille, ses voisins, son employeur et même un prêtre et un psychologue auxquels il avait demandé de l'aide lui ont fait beaucoup de mal. Il soutient que, à cause de l'effet cumulatif de ces mauvais traitements, il n'est pas raisonnable de s'attendre à ce qu'il demande la protection de l'État. Je ne suis pas d'accord.

[18]       Tel que mentionné ci-dessus, il ne s'agit pas d'une affaire où l'État ne peut ou ne veut offrir de protection; M. Herra a témoigné n'avoir tenté qu'une fois de signaler à la police les menaces de mort. Il ne s'agit pas non plus d'un cas où le demandeur d'asile s'est vu refuser à plusieurs reprises la protection de l'État. Les policiers n'étaient pas les présumés agents de persécution. Les incidents qui ont entraîné le départ de M. Herra étaient liés à des actes commis par sa belle-famille et par ses voisins, et non par la police. La prétention de M. Herra est que, en raison de son expérience personnelle en tant qu'homosexuel, il faudrait conclure qu'il était déraisonnable de s'attendre à ce qu'il demande la protection de l'État.   

[19]       En évaluant l'existence d'une protection de l'État, l'attention doit porter sur la capacité de l'État à protéger. Tel que l'a cité le juge LaForest dans Ward, précité, à la page 723, le professeur Hathaway a décrit l'obligation en ces mots :

[traduction] De toute évidence, on ne saurait dire que l'État ne fournit pas de protection si le gouvernement n'a pas eu l'occasion de réparer une forme de préjudice dans des circonstances où la protection aurait pu raisonnablement être assurée [...]

[20]       Bien que M. Herra puisse trouver difficile de faire appel à la police ou d'exercer les autres recours dont il dispose, il n'est pas dispensé de l'obligation de le faire. Dans la présente affaire, le gouvernement n'a pas eu l'occasion de réparer un préjudice (sauf lors d'un bref échange) et les demandeurs n'ont pas montré que, si eux ou des personnes se trouvant dans une situation semblable avaient fait appel aux autorités de façon concrète, une protection ne leur aurait pas été raisonnablement offerte. Dans les circonstances, il était objectivement déraisonnable de la part de M. Herra de ne pas demander la protection des autorités dans son pays.

Conclusion

[21]       Pour ces motifs, je conclus que la décision de la Commission n'était pas déraisonnable. Cette décision s'appuie sur la preuve. La Commission a pris en compte la preuve portée à sa connaissance et n'a pas mal compris ou mis de côté d'élément de preuve. Même si la Commission semble avoir accepté le récit des demandeurs, ces derniers n'ont pas réfuté la présomption de protection de l'État. Ainsi, il n'était pas déraisonnable pour la Commission de rejeter leur demande d'asile.

[22]       Les demandeurs ont demandé que je certifie la question suivante :

[traduction] Le fait de ne pas aborder expressément une question soulevée par un conseil dans ses observations constitue-t-il une erreur de droit quand il existe un litige sur la question de savoir si la Commission a effectivement examiné la question soulevée?

[23]       Je crois que les demandeurs font allusion à leur observation selon laquelle la Commission n'a pas considéré l'effet cumulatif du traitement qu'ils auraient subi en tant que couple homosexuel en examinant la question de savoir s'ils ont été persécutés. Cependant, que le traitement subi par les demandeurs soit qualifié de persécution ou de discrimination n'est pas la question ayant tranché la présente demande. La demande soumise à la Commission et celle soumise à la Cour ont plutôt été tranchées par la conclusion selon laquelle les demandeurs n'ont pas réfuté la présomption de protection de l'État. En conséquence, il n'est pas nécessaire d'examiner cette question, la question proposée n'est pas déterminante dans la présente demande et aucune question ne sera certifiée.   

ORDONNANCE

LA COUR ORDONNE :

  1. La demande est rejetée;

  1. Aucune question de portée générale n'est certifiée.

« Judith A. Snider »

Juge

Traduction certifiée conforme

Elisabeth Ross


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

DOSSIER :                                                                 IMM-10496-04

INTITULÉ :                                                                JOHNNY HERRA CASTRO ET AL.

                                                                                    c.

                                                            LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

LIEU DE L'AUDIENCE :                                          TORONTO (ONTARIO)

DATE DE L'AUDIENCE :                                        LE 16 FÉVRIER 2006

MOTIFS DE L'ORDONNANCE

ET ORDONNANCE :                                                LA JUGE SNIDER

DATE DES MOTIFS :                                               LE 14 MARS 2006

COMPARUTIONS :

W. Alan Hart                                                                 POUR LES DEMANDEURS

A. Leena Jaakkimainen                                      POUR LE DÉFENDEUR

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

W. Alan Hart                                                                 POUR LES DEMANDEURS

Avocat

Toronto (Ontario)

John H. Sims, c.r.                                                          POUR LE DÉFENDEUR

Sous-procureur général du Canada

 Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.