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Date : 19971205


Dossier : T-2082-95

OTTAWA (ONTARIO), LE 5 DÉCEMBRE 1997

DEVANT : MONSIEUR LE JUGE LUTFY

ENTRE


CHRISTOPHER WILSON,


demandeur,


et


SA MAJESTÉ LA REINE DU CHEF DU CANADA,


défenderesse.


JUGEMENT

     La défenderesse ayant présenté une requête en jugement sommaire le 2 avril 1997;

     Les observations que les parties ont présentées par écrit ou lors de la conférence téléphonique du 4 septembre 1997 ayant été examinées;

     IL EST PAR LES PRÉSENTES ORDONNÉ :

1.      Que la requête en jugement sommaire présentée par la défenderesse soit accueillie;
2.      Que l'action intentée par le demandeur soit rejetée;
3.      Aucune ordonnance n'est rendue à l'égard des dépens.

                                        Allan Lutfy

                                 Juge

Traduction certifiée conforme

François Blais, LL.L.


Date : 19971205


Dossier : T-2082-95

ENTRE


CHRISTOPHER WILSON,


demandeur,


et


SA MAJESTÉ LA REINE DU CHEF DU CANADA,


défenderesse.


MOTIFS DU JUGEMENT

LE JUGE LUTFY

[1]      En février 1994, la mère du demandeur est décédée. À ce moment-là, le demandeur était incarcéré à l'établissement de Collins Bay. À peu près un mois plus tard, le père du demandeur a écrit à son fils pour l'informer du décès de sa mère. Sur les conseils des représentants de Service correctionnel Canada du bureau de London (Ontario), le père du demandeur a pris des dispositions pour que la lettre soit livrée conformément aux instructions que le Service lui avait données. Le demandeur n'a jamais reçu la lettre.

[2]      En juillet 1994, le demandeur, qui ne savait pas que sa mère était morte, a écrit à ses parents. Il n'avait pas communiqué avec eux depuis la fin de 1993. En août 1994, le père du demandeur a répondu à cette lettre et a de nouveau informé le demandeur du décès de sa mère.

[3]      Après avoir examiné la plainte formulée par le demandeur, l'enquêteur correctionnel a reconnu que le Service avait reçu la lettre initiale du mois de mars 1994. Aucune explication n'a été donnée au sujet de l'omission de livrer la lettre au demandeur. La défenderesse ne conteste pas que le demandeur n'a pas reçu ladite lettre.

[4]      Le demandeur a intenté une action en dommages-intérêts par suite de l'omission du Service de livrer la lettre en question. Il allègue avoir éprouvé "énormément d'angoisse et de souffrance" et avoir été "plongé dans la dépression et le désespoir du fait qu'il n'avait pas été informé du décès de sa mère en temps opportun".

[5]      La défenderesse demande le rejet de cette action au moyen d'un jugement sommaire pour le motif : a) qu'elle n'avait aucune obligation de diligence envers le demandeur à l'égard de la livraison de la lettre initiale; b) que le demandeur n'a pas été atteint d'une "maladie mentale identifiable" ou d'un "trouble mental ou physique durable" justifiant l'introduction d'une action fondée sur le fait qu'on lui avait par négligence infligé un choc nerveux; c) que le "préjudice mental" allégué par le demandeur n'était pas une conséquence prévisible de la conduite négligente de la défenderesse; et d) qu'il n'existait pas de lien de causalité entre le présumé acte de négligence de la défenderesse et le préjudice subi par le demandeur.

[6]      Aux fins de la présente requête, j'ai présumé que la défenderesse avait une obligation de diligence envers le demandeur, que le trouble dont le demandeur se plaint peut donner lieu à des poursuites et que le préjudice était prévisible. Toutefois, à mon avis, l'action intentée par le demandeur doit être rejetée parce que ce dernier n'a pas établi l'existence d'un lien de causalité entre le préjudice allégué et le fait qu'il n'a pas été informé du décès de sa mère en mars 1994.

[7]      En répondant à la requête en jugement sommaire présentée par la défenderesse, il incombe au demandeur de "présenter sa cause sous son meilleur jour", principe adopté par la Cour d'appel dans l'arrêt Feoso Oil Ltd. c. Sarla (Le) , [1995] 3 C.F. 68, à la page 82.

[8]      Le paragraphe suivant de l'affidavit du demandeur est ce qui permet le mieux d'établir un lien de causalité entre le préjudice allégué et l'omission de la défenderesse de livrer la lettre du mois de mars 1994 au demandeur :

     [TRADUCTION]                 
     Par suite de l'omission du Service de m'informer du décès de ma mère, je n'ai pas pu partager d'une façon appropriée le processus de deuil avec mon père et les autres membres de ma famille. J'ai éprouvé une gamme inhabituelle d'émotions, dont la culpabilité, la frustration, le manque d'estime personnelle et le désespoir, et je continue à faire face à de longues périodes de dépression.                 
[9]      Une lecture minutieuse de ce passage de l'affidavit n'établit pas nécessairement le lien entre le fait que le demandeur n'a pas pu partager d'une façon appropriée le processus de deuil avec son père et les autres membres de sa famille et les autres symptômes allégués. La nouvelle du décès de la mère a été communiquée au demandeur quelque temps après que celle-ci eut été enterrée. L'Enquêteur correctionnel a proposé que le demandeur soumette une demande en vue d'être autorisé à s'absenter temporairement pour des raisons d'ordre humanitaire afin de visiter la tombe de sa mère. Rien ne montre que le demandeur ait donné suite à cette proposition.
[10]      Le demandeur a produit les rapports d'observations cliniques d'un psychologue de l'établissement correctionnel et les rapports de deux autres psychologues qui ont effectué des évaluations à la demande du Service. De son côté, la défenderesse a produit une évaluation psychiatrique prélibératoire. Ces rapports médicaux permettent d'établir que le demandeur a été élevé dans un milieu familial difficile et qu'il a commencé à participer à des activités criminelles il y a une quinzaine d'années lorsqu'il était un jeune adolescent. Parmi ces divers documents médicaux, on ne mentionne qu'en passant l'omission de livrer la lettre du mois de mars 1994 :
     [TRADUCTION]          
     M. Wilson a laissé entendre que sa crise la plus récente de dépression était principalement attribuable à la façon inepte et insensible dont le SCC lui avait communiqué la nouvelle du décès de sa mère. Apparemment, l'échange de lettres a pris énormément de temps (M. Wilson estime que cela a pris six mois). Par la suite, M. Wilson s'est vu refuser la possibilité de pleurer d'une façon appropriée la perte de sa mère. Dans l'intervalle, il avait présenté plusieurs griefs à cet égard. Malheureusement, ses efforts ne lui ont donné que peu de satisfaction. Par contre, il est devenu plus amer, frustré et déprimé du fait que le SCC n'arrivait pas à régler l'affaire.          
Ni le rapport dont cet extrait est tiré ni les autres rapports médicaux n'établissent l'existence d'un lien de causalité entre la faute qui, selon le demandeur, aurait été commise par la défenderesse et les symptômes de dépression du demandeur. Dans son rapport, le psychiatre dit ceci :
     [TRADUCTION]
     Rien ne montrait qu'il ait été atteint d'une grave maladie mentale. L'historique de ses symptômes dépressifs semblait anormal par rapport aux critères qui s'appliquent à une grave dépression. La période de dépression décrite était brève; il y avait retrait et une certaine hypersomnie. Toutefois, les humeurs décrites semblaient être composées d'un mélange étrange d'hostilité, de mécontentement, de frustration ainsi que d'un certain degré de dysphorie ou de dépression.                 
Ces remarques ne sont pas liées au fait qu'on a tardé à informer le demandeur du décès de sa mère et elles n'étaient pas non plus nécessairement liées à la période qui s'était écoulée depuis le décès de la mère.
[11]      Bref, il existait selon certains éléments de preuve des symptômes de dysphorie ou une légère forme de dépression. Les remarques relatives aux symptômes figurant dans les documents médicaux ont été faites dans le contexte d'un passé familial tumultueux et de nombreuses déclarations de culpabilité. Selon la preuve dont je dispose, il n'existe aucun lien entre le fait que le demandeur n'a pas reçu la lettre du mois de mars 1994 et les symptômes dont il se plaint dans cette action. En l'absence de quelque preuve d'un lien de causalité, il n'existe aucune question véritable justifiant la tenue d'une audience.
[12]      Par conséquent, la requête en jugement sommaire est accueillie et l'action est rejetée. Compte tenu des circonstances qui ont donné lieu à la présente action, aucune ordonnance n'est rendue au sujet des dépens.
                                        Allan Lutfy          
                                 Juge          
Ottawa (Ontario)          
le 5 décembre 1997          
Traduction certifiée conforme          
François Blais, LL.L.          

COUR FÉDÉRALE DU CANADA

SECTION DE PREMIÈRE INSTANCE


AVOCATS ET PROCUREURS INSCRITS AU DOSSIER

No DU GREFFE :      T-2082-95

INTITULÉ DE LA CAUSE :      CHRISTOPHER WILSON c. LA REINE

REQUÊTE JUGÉE sans comparution personnelle conformément à l'article 324 des Règles

LIEU DE L'AUDIENCE :      OTTAWA (ONTARIO)

DATE DE L'AUDIENCE :      LE 25 AVRIL 1997

MOTIFS DU JUGEMENT du juge Lutfy en date du 5 décembre 1997

ONT COMPARU :

CHRISTOPHER WILSON      POUR LE DEMANDEUR

DOUGLAS O. SMITH      POUR LA DÉFENDERESSE

PROCUREURS INSCRITS AU DOSSIER :

CHRISTOPHER WILSON      POUR SON PROPRE COMPTE

CAMPBELLFORD (ONTARIO)

OTTAWA (ONTARIO)

GEORGE THOMSON      POUR LA DÉFENDERESSE

SOUS-PROCUREUR GÉNÉRAL

DU CANADA

OTTAWA (ONTARIO)

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