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Date : 20050603

Dossier : T-1438-04

Référence : 2005 CF 778

Ottawa (Ontario), le 3 juin 2005

EN PRÉSENCE DE MONSIEUR LE JUGE SHORE

ENTRE :

MARIA DEL ROSARIO MORALES

demanderesse

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

défendeur

MOTIFS DE L'ORDONNANCE ET ORDONNANCE

INTRODUCTION

[1]                Lorsque l'auteur de la demande de citoyenneté n'a pas accumulé le nombre de jours de résidence requis par la Loi, il y a un autre critère[1] grâce auquel on peut déterminer s'il est admissible à la citoyenneté.

LA PROCÉDURE JUDICIAIRE

[2]                Il s'agit d'un appel interjeté en vertu du paragraphe 14(5) de la Loi sur la citoyenneté[2] (la Loi) de la décision en date du 22 juillet 2004, par laquelle un juge de la citoyenneté a rejeté la demande de citoyenneté canadienne présentée par la demanderesse au motif qu'elle n'avait pas rempli la condition de résidence prévue par l'alinéa 5(1)c) de la Loi.

LE CONTEXTE

[3]                La demanderesse, Mme Maria Del Rosario Morales, est citoyenne du Mexique; elle est d'abord venue au Canada à titre de visiteuse le 27 août 1996. Elle s'est établie au Canada le 27 juillet 1998 à titre de résidente permanente, parrainée par son époux canadien, John McKay. Elle a présenté une demande de citoyenneté canadienne le 27 juillet 2002.

LA DÉCISION VISÉE PAR LE PRÉSENT APPEL

[4]                Le juge de la citoyenneté a pris en compte les facteurs énoncés de manière systématique dans la décision Koo (Re) (1re inst.)[3] et a relevé les faits suivants, qui l'ont amené à rejeter, en fin de compte, la demande de citoyenneté en cause. Les deux fils de Mme Morales résident au Mexique. Son époux, John McKay, est citoyen canadien et il réside au Canada. Mme Morales a présenté de nombreux signes passifs de sa résidence au Canada, notamment une demande d'emploi, une carte d'assurance sociale, des relevés de services publics, des dossiers médicaux, des copies de passeport, ainsi que des documents de son époux tels que ses déclarations de revenus, relevés bancaires et évaluations foncières. Elle a également produit des lettres de référence d'amis de la famille. Mme Morales a exposé ses activités sociales et caritatives dans la région de Vancouver. Au cours de la période de résidence de 1 460 jours requise par la loi, Mme Morales a été physiquement présente au Canada pendant 598 jours et en a été absente pendant 862 jours. Il lui manquait donc 497 jours. Les absences de Mme Morales s'expliquent par sa décision de passer du temps à la résidence de plaisance de son époux à Mazatlan (Mexique). Depuis le 27 juillet 1998, Mme Morales partage son temps entre le Mexique et le Canada, passant la plupart de son temps au Mexique.

LA QUESTION EN LITIGE

[5]                Le juge de la citoyenneté a-t-il commis une erreur lorsqu'il a conclu que la demanderesse n'avait pas rempli la condition de résidence prévue par l'alinéa 5(1)c) de la Loi?

ANALYSE

[6]                La norme de contrôle qui s'applique aux appels en matière de citoyenneté est la décision raisonnable simpliciter, car la question de savoir si l'intéressé a rempli la condition de résidence établie par la Loi est une question mixte de fait et de droit, et il faut faire preuve d'une certaine retenue judiciaire à l'égard des juges de la citoyenneté, en raison de leurs connaissances et de leur expérience dans ce domaine (Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration) c. Fu[4], Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration) c. Chen[5], Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration) c. Chang[6]).

[7]                Toute personne qui demande la citoyenneté doit remplir le critère établi à l'alinéa 5(1)c) de la Loi, qui stipule :

5.              (1) Le ministre attribue la citoyenneté à toute personne qui, à la fois :

[...]

5.              (1) The Minister shall grant citizenship to any person who

...

c) est un résident permanent au sens du paragraphe 2(1) de la Loi sur l'immigration et la protection des réfugiés et a, dans les quatre ans qui ont précédé la date de sa demande, résidé au Canada pendant au moins trois ans en tout, la durée de sa résidence étant calculée de la manière suivante :

(c) is a permanent resident within the meaning of subsection 2(1) of the Immigration and Refugee Protection Act, and has, within the four years immediately preceding the date of his or her application, accumulated at least three years of residence in Canada calculated in the following manner:

(i) un demi-jour pour chaque jour de résidence au Canada avant son admission à titre de résident permanent,

(i) for every day during which the person was resident in Canada before his lawful admission to Canada for permanent residence the person shall be deemed to have accumulated one-half of a day of residence, and

(ii) un jour pour chaque jour de résidence au Canada après son admission à titre de résident permanent;

[...]

(ii) for every day during which the person was resident in Canada after his lawful admission to Canada for permanent residence the person shall be deemed to have accumulated one day of residence;

...

[8]                Le législateur fédéral a bien précisé que l'auteur d'une demande de citoyenneté peut s'absenter du Canada pendant une année au cours de la période de quatre ans qui précède la date de sa demande. Par conséquent, il a prescrit que celui-ci doit être résident du Canada pendant au moins trois ans, soit 1 095 jours. Bien que le terme « résidence » ne soit pas défini au paragraphe 2(1) de la Loi, le fait qu'il lui soit permis de s'absenter pendant un an indique nettement que sa présence physique au Canada est exigée durant les trois autres années.

[9]                Le critère servant à établir si le demandeur « réside » au Canada au sens de la Loi a été exposé par la juge Reed dans la décision Koo (Re) (1re inst.), précitée. Selon ce critère, le juge de la citoyenneté doit dire si « le Canada est [...] le pays où le requérant a centralisé son mode d'existence » [7]. La juge Reed a donné une liste non limitative de six facteurs permettant de vérifier si le demandeur répond au critère. Il incombe au juge de la citoyenneté de les appliquer. Les voici :

(1)           la personne était-elle physiquement présente au Canada durant une période prolongée avant de s'absenter juste avant la date de sa demande de citoyenneté?

(2)           où résident la famille proche et les personnes à charge (ainsi que la famille étendue) du requérant?

(3)           la forme de présence physique de la personne au Canada dénote-t-elle que cette dernière revient dans son pays ou, alors, qu'elle n'est qu'en visite?

(4)           quelle est l'étendue des absences physiques (lorsqu'il ne manque à un requérant que quelques jours pour atteindre le nombre total de 1 095 jours, il est plus facile de conclure à une résidence réputée que lorsque les absences en question sont considérables)?

(5)           l'absence physique est-elle imputable à une situation manifestement temporaire (par exemple, avoir quitté le Canada pour travailler comme missionnaire, suivre des études, exécuter un emploi temporaire ou accompagner son conjoint, qui a accepté un emploi temporaire à l'étranger)?

(6)           quelle est la qualité des attaches du requérant avec le Canada : sont-elles plus importantes que celles qui existent avec un autre pays?

[10]            Mme Morales prétend que le juge de la citoyenneté a commis une erreur lorsqu'il lui a reproché de n'avoir pas été physiquement présente au Canada et donc de n'avoir pas établi sa résidence ici, et qu'il n'a tenu que peu ou pas compte des autres facteurs du critère de la décision Koo (Re) (1re inst.).

[11]            La Cour conclut que le juge de la citoyenneté a appliqué correctement le critère de la décision Koo (Re) (1re inst.). Ses motifs sont clairs et la preuve appuie ses conclusions. Il est clair qu'il n'a pas conclu que la présence physique de l'intéressé est obligatoire, contrairement à ce qu'allègue Mme Morales, et qu'il a envisagé la possibilité que la condition de résidence puisse être remplie malgré son absence physique du pays; en effet, il a fait les observations suivantes :

[TRADUCTION] Vous savez sans doute que le terme « résidence » , tel qu'utilisé dans la Loi sur la citoyenneté, comporte une certaine imprécision ou ambiguïté. Cela a donné lieu à de nombreuses controverses juridiques et, dans la pratique, à un consensus : on peut s'écarter de la période de 1 095 jours prescrite par la Loi, sous certaines conditions et dans des limites raisonnables.

[12]            La Cour conclut que le juge de la citoyenneté a tenu compte, comme il le devait, de l'ensemble des facteurs exposés dans la décision Koo (Re) (1re inst.) avant de rendre sa décision.

i)          Mme Morales a-t-elle été physiquement présente au Canada durant une période prolongée avant de s'absenter juste avant la date du dépôt de sa demande de citoyenneté?

[13]            Le juge de la citoyenneté a signalé que Mme Morales est d'abord venue au Canada à titre de visiteuse le 27 août 1996, puis a obtenu le droit d'établissement le 27 juillet 1998. Le dossier du tribunal révèle que, depuis son arrivée, Mme Morales n'a pas séjourné au Canada pendant une période prolongée avant ses absences à répétition, et que ses séjours au Mexique se sont multipliés immédiatement avant et après son établissement au Canada.

ii)         Où résident la famille proche et les personnes à charge (ainsi que la famille étendue) de Mme Morales?

[14]            Le juge de la citoyenneté a signalé que si l'époux de Mme Morales est résident au Canada, ses deux fils résident au Mexique. Mme Morales avance que ses liens familiaux avec le Mexique ne sont pas solides parce qu'un de ses fils prévoit déménager en Europe, que son autre fils lui rend visite au Canada et que son frère prévoit s'établir au Canada; cependant, leur intention n'a pas de pertinence quant à la mission du juge de la citoyenneté. Lorsque Mme Morales a déposé sa demande, ses fils et son frère résidaient au Mexique, et ce fait confirme les liens entre Mme Morales et ce pays.

            iii)        La forme de la présence physique de Mme Morales au Canada dénote-t-elle que cette dernière revient dans son pays ou, alors, qu'elle n'est qu'en visite?

[15]            Bien qu'il ait reconnu que Mme Morales vit parfois au Canada, le juge de la citoyenneté a conclu que le Mexique était son pays de résidence. Il a relevé que Mme Morales passait la plupart de son temps à Mazatlan (Mexique), à la résidence de plaisance de son époux, et qu'elle y menait une vie heureuse, régulière et stable. Il a conclu que le Mexique était le lieu où elle est née, où elle a grandi, et où elle a passé sa vie adulte.

            iv)        Quelle a été la durée de ses absences physiques?

[16]            Le juge de la citoyenneté a conclu que Mme Morales n'avait été physiquement présente au Canada que pendant 598 jours sur 1 460. Ce décalage est important et ses absences ont été de longue durée. Il ne s'agit pas d'un cas où il ne manque que quelques jours pour remplir les conditions posées par la loi, et les absences de Mme Morales ont souvent duré plus de 130 jours consécutifs. Le juge de la citoyenneté a souligné que Mme Morales avait passé environ 59 pour cent de son temps à l'extérieur du Canada. Compte tenu de l'importance que la Cour accorde à ce facteur (voir, par exemple, Zhang c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration[8]) et Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration) c. Chiu[9]), ces absences donnent à penser que Mme Morales n'avait pas centralisé son mode de vie au Canada.

            v)         L'absence physique de Mme Morales était-elle imputable à une situation manifestement temporaire (comme lorsque l'on quitte le Canada pour travailler comme missionnaire, suivre des études, occuper un emploi temporaire ou accompagner son conjoint qui a accepté un emploi temporaire à l'étranger)?

[17]            Le juge de la citoyenneté a conclu que les absences de Mme Morales du Canada semblent constituer une partie intégrante de son mode de vie, et non un phénomène temporaire. Mme Morales fait valoir que ses absences sont temporaires, parce qu'il s'agit de vacances. Toutefois, ces absences ne sont pas une série de courtes vacances épisodiques. Il s'agit d'absences prolongées et régulières, se produisant tous les ans, du Canada vers son pays d'origine, qui sont donc partie intégrante de son mode de vie plutôt qu'un phénomène temporaire devant se terminer à une date clairement fixée, comme lorsqu'une personne occupe un poste temporaire à l'étranger.

vi)        Quelle est la qualité des attaches de Mme Morales avec le Canada : sont-elles plus importantes que celles qui existent avec un autre pays?

[18]            Le juge de la citoyenneté a conclu que, au mieux, la vie de Mme Morales était partagée entre le Canada et le Mexique, et qu'elle n'avait pas centralisé son mode de vie au Canada, mais l'avait divisé. Depuis son établissement en juillet 1998, Mme Morales a passé la plupart de son temps au Mexique. Ses attaches avec le Mexique sont au moins aussi fortes que ses attaches avec le Canada.

[19]            La Cour conclut que la décision du juge de la citoyenneté était raisonnable et ne l'annulera pas[10]. En l'espèce, le juge de la citoyenneté a examiné les liens de Mme Morales avec le Canada, bien qu'elle ait été peu présente physiquement au pays, et il a conclu, à la lumière de l'ensemble de la preuve, qu'elle n'avait pas suffisamment centralisé son mode de vie au Canada. Il a correctement appliqué le critère de la décision Koo (Re), précitée, et sa décision doit être maintenue.

CONCLUSION

[20]            Pour ces motifs, la Cour répond à la question posée par la négative. Par conséquent, la demande de contrôle judiciaire est rejetée.


ORDONNANCE

LA COUR ORDONNE :

1.         La demande de contrôle judiciaire est rejetée.

2.         Aucune question n'est certifiée.

« Michel M.J. Shore »

Juge

Traduction certifiée conforme

François Brunet, LL.B., B.C.L.


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

DOSSIER :                                                     T-1438-04

INTITULÉ :                                                    MARIA DEL ROSARIO MORALES

                                                                        c.

                                                                        LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

                                                                        ET DE L'IMMIGRATION

LIEU DE L'AUDIENCE :                              VANCOUVER (COLOMBIE-BRITANNIQUE)

DATE DE L'AUDIENCE :                            LE 24 MAI 2005

MOTIFS DE L'ORDONNANCE

ET ORDONNANCE :                                    LE JUGE SHORE

DATE DES MOTIFS :                                   LE 3 JUIN 2005

COMPARUTIONS:

Thora Sigurdson                                                POUR LA DEMANDERESSE

Jonathan Shapiro                                               POUR LE DÉFENDEUR

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER:

Fasken Martineau DuMoulin                              POUR LA DEMANDERESSE

Vancouver (Colombie-Britannique)

John H. Sims, c.r.                                              POUR LE DÉFENDEUR

Sous-ministre de la Justice et

sous-procureur général



[1] Celui du mode de vie centralisé.

[2] L.R.C. 1985, ch. C-29.

[3] [1992] A.C.F. no 1107 (QL).

[4] [2004] A.C.F. no 88 (C.F.) (QL).

[5] [2004] A.C.F. no 1040 (C.F.) (QL).

[6] [2003] A.C.F. no 1871 (C.F.) (QL).

[7] Koo (Re) (1re inst.), précitée, au paragraphe 10.

[8] [2000] A.C.F. no 1943 (QL).

[9] [1999] A.C.F. no 896 (1re inst.) (QL).

[10] En ce qui concerne le caractère raisonnable d'une décision, nous renvoyons à la décision Barreau du Nouveau-Brunswick c. Ryan, [2003] C.S.C. 20, paragraphe 55.

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