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                                                                                                                     Date : 20040824

                                                                                                        Dossier : IMM-5422-03

                                                                                                    Référence : 2004 CF 1164

Ottawa (Ontario), le 24 août 2004

EN PRÉSENCE DE MADAME LA JUGE SNIDER

ENTRE :

                                                HAGI ISRAFIL MAMISHOV

                                                                                                                               demandeur

                                                                       et

                   LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

                                                                                                                                 défendeur

                          MOTIFS DE L'ORDONNANCE ET ORDONNANCE

LA JUGE SNIDER

[1]         Le demandeur, M. Hagi Israfil Mamishov, prétend être un apatride d'origine à la fois arménienne et azerbaïdjanaise et craindre avec raison d'être persécuté par les nationalistes azerbaïdjanais en raison de ses racines arméniennes. Dans sa décision du 18 juin 2003, la Section de la protection des réfugiés de la Commission de l'immigration et du statut de réfugié (la Commission) a rejeté sa demande d'asile. M. Mamishov demande le contrôle judiciaire de cette décision.


Les questions en litige

[2]         Le demandeur soulève trois questions :

1.         En limitant la présentation de la preuve à la seule question de l'identité et en fondant sa décision sur cette seule preuve, la Commission a-t-elle enfreint les règles de justice naturelle?

2.          La Commission a-t-elle trompé les attentes légitimes du demandeur en prenant d'abord des mesures pour faire vérifier son passeport azerbaïdjanais pour ensuite procéder à l'audition de l'affaire sans obtenir le résultat de cette vérification?

3.          La Commission a-t-elle commis une erreur en concluant que le passeport du demandeur était authentique, au vu de l'affirmation du demandeur qu'il ne l'était pas et compte tenu du fait que la Commission n'a pas elle-même vérifié l'authenticité du passeport?


La décision de la Commission

[3]         La Commission a tiré deux inférences clés. La première est que le demandeur n'est pas apatride : il est citoyen azerbaïdjanais. Cette inférence s'appuyait sur son opinion selon laquelle son passeport azerbaïdjanais était authentique. L'autre inférence est que la mère du demandeur n'était pas d'origine arménienne et donc, que le demandeur lui-même n'était pas d'origine arménienne.

[4]         Se fondant sur ces deux inférences clés, la Commission a conclu de la façon suivante :

Fort de mes conclusions à propos de la citoyenneté du demandeur et de l'origine ethnique de sa mère, j'estime que, selon la prépondérance des probabilités, les incidents décrits dans son récit circonstancié ne se sont pas produits [...] Ces difficultés provenaient de ses origines ethniques prétendument mélangées que je ne trouve ni crédibles ni dignes de foi.

Analyse

Première question : La Commission a-t-elle enfreint les règles de justice naturelle en n'examinant pas sur le fond la demande d'asile du demandeur?


[5]         L'audition de la demande du demandeur s'est étendue sur deux jours. Pendant ces deux jours, l'audience a surtout porté sur : a) la citoyenneté du demandeur et b) la crédibilité de son affirmation selon laquelle il était d'origine arménienne. À la fin de la deuxième journée d'audience, avant la présentation des dernières observations des avocats, la Commission a énoncé de la façon suivante la procédure qu'elle suivrait :

[traduction] Ce que nous allons faire, j'aimerais entendre vos observations sur les questions dont nous avons parlé jusqu'à maintenant et, après, je vais rendre une décision sur ces questions. Il se peut que je puisse aussi vous communiquer une décision finale à ce moment-là, ou que j'aie à poursuivre l'audience pour entendre la preuve sur d'autres questions que nous n'avons pas abordées.

[6]         L'avocat du demandeur et l'agent de protection des réfugiés (APR) ont présenté leurs observations. Ils n'ont soulevé aucune objection à cette façon de procéder.

[7]         Le demandeur allègue maintenant que, si l'audience avait été poursuivie et que la Commission l'eût entendu sur le fond de sa demande, la Commission aurait pu arriver à une conclusion différente quant à sa crainte subjective. Cependant, la transcription des deux jours d'audience montre bien que l'avocat du demandeur était parfaitement au courant de l'intérêt de la Commission pour les deux premières questions qu'elle considérait comme déterminantes. Bref, le demandeur (par l'entremise de son avocat) savait que la Commission pourrait rejeter sa demande sur la base de ces questions relatives à l'identité et il a implicitement consenti à ce qu'il en soit ainsi. Il n'a exprimé aucune objection au moment où la procédure a été énoncée et il ne peut donc pas maintenant s'en plaindre.


[8]         Quoi qu'il en soit, j'estime que les deux questions examinées en profondeur à l'audience et analysées dans la décision permettent de statuer sur la demande. L'examen du dossier, y compris les notes du point d'entrée, le Formulaire sur les renseignements personnels (FRP) et la transcription de l'audience, montre que tous les incidents de persécution invoqués ont eu lieu parce que le demandeur serait d'origine arménienne. La Commission a conclu que les deux seuls documents qui avaient un rapport avec l'origine ethnique du demandeur étaient un faux certificat de naissance et une carte militaire qui n'établissait pas l'origine arménienne de sa mère.

[9]         Si le demandeur ne pouvait pas établir devant la Commission cet élément, qui était au coeur de sa demande, il ne pouvait pas avoir gain de cause. La Commission l'a longuement interrogé sur cette question et lui a donné amplement l'occasion de réunir et de présenter des éléments de preuve.


[10]       Le demandeur dit que son argumentation repose sur la jurisprudence (Kaur c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration (1993), 21 Imm. L.R. (2d) 301 (C.F. 1re inst.)), Li c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [1994] A.C.F. no 1109 (1re inst.) (QL); Mercier-Néron c. Canada (Ministre de la Santé nationale et du Bien-être social (1995), 98 F.T.R. 36)). Cependant, après avoir examiné les affaires auxquelles il renvoie, j'estime qu'elles ne lui sont d'aucun secours. Dans ces affaires, les demandeurs avaient été empêchés de présenter des éléments de preuve et leur argumentation. Comme je l'ai mentionné, l'audience s'est déroulée d'une façon à laquelle le demandeur avait consenti et on ne l'a pas empêché de présenter des témoignages ou des éléments de preuve pertinents.

[11]       En conclusion sur cette question, j'estime que la façon dont la Commission a procédé était connue et admise par les parties et qu'elle n'a pas enfreint les règles de justice naturelle.

Deuxième question : La Commission a-t-elle trompé les attentes légitimes du demandeur?

[12]       L'une des inférences clés tirées par la Commission était que le demandeur n'était pas apatride, mais un citoyen azerbaïdjanais, et la Commission a tiré cette inférence principalement en se fondant sur le passeport azerbaïdjanais que le demandeur avait présenté au point d'entrée. Bien qu'il ait d'abord dit aux agents de l'immigration que son passeport était authentique, il a par la suite nié sa validité.

[13]       Au cours de la première journée d'audience, le président a demandé au demandeur s'il s'opposerait à ce que la Commission : [traduction] « vérifie auprès du gouvernement de l'Azerbaïdjan l'authenticité de [son] passeport » . Après la première journée d'audience, une demande formelle a été faite par la Commission dans les termes suivants :


[traduction] Veuillez confirmer que le passeport azerbaïdjanais numéro PO642935 a effectivement été délivré par les autorités azerbaïdjanaises à Havi Israfil Mamishov [...]

[14]       La demande a été envoyée à un agent d'immigration à l'ambassade du Canada à Ankara, en Turquie. La réponse suivante a été reçue :

[traduction] La seule façon de vérifier l'information serait d'envoyer le dossier à l'ambassade de l'Azerbaïdjan. Vu que j'ai examiné ce dossier moi-même, je peux vous affirmer que j'estimais qu'il s'agissait d'un passeport authentique. J'ajouterais que, vu la nature de la visite du demandeur au Canada, il n'y avait et il n'y a toujours guère de raison, selon moi, pour penser que le passeport n'a pas été délivré régulièrement.

[15]       Aucune autre demande de renseignement n'a été envoyée et aucune autre preuve n'a été déposée quant à l'authenticité du passeport. Le demandeur était au courant de l'existence de cette preuve et il n'a pas cherché à déposer d'autres éléments de preuve relativement au passeport.

[16]       Le demandeur affirme que la demande de vérification de l'authenticité du passeport que la Commission a adressée à un tiers indépendant a fait naître une attente légitime qu'une procédure de vérification serait suivie. Selon lui, le défaut de suivre la procédure et de procéder à une telle vérification auprès de l'ambassade de l'Azerbaïdjan constitue une erreur susceptible de contrôle judiciaire. Je ne suis pas d'accord.


[17]       Les parties ont accepté que la doctrine de l'attente légitime s'applique à la présente affaire si les conditions énoncées dans Canada c. Lidder (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration (1992), 136 N.R. 254, par. 22 (C.A.F.), sont remplies. Ces conditions sont les suivantes :

-            une assertion concernant un fait faite avec l'intention qu'on y donne suite ou qu'une personne raisonnable présume qu'on devait y donner suite;

-             celui que visait l'assertion y a donné suite;

-            celui que visait l'assertion a modifié sa position par suite de l'assertion et a par là subi un préjudice.

[18]       Pour la présente analyse, l' « assertion » est constituée des actions de la Commission qui auraient conduit le demandeur à conclure que la Commission ferait faire la vérification du passeport par l'ambassade de l'Azerbaïdjan.


[19]       Après avoir examiné le dossier, y compris les lettres, les courriels et les notes de service portant sur le sujet du passeport, j'estime que la Commission n'a fait aucune assertion selon laquelle elle vérifierait le passeport de quelque façon que ce soit. Au mieux, les actions de la Commission peuvent être considérées comme une intention de faire des recherches au sujet du passeport, et cela a été fait. En outre, la Commission n'a certainement fait aucune promesse ou déclaration selon laquelle elle s'engageait à rassembler les éléments de preuve concernant le passeport ou que le demandeur était déchargé de l'obligation d'obtenir et de présenter d'autres éléments de preuve pour cette partie cruciale de sa demande. Enfin, il était loisible à la Commission d'obtenir n'importe quelle preuve qu'il était raisonnablement possible d'obtenir. Dans la mesure où la Commission a communiqué au demandeur toute l'information qu'elle obtenait et qu'elle lui a donné l'occasion de présenter des observations sur cette preuve, elle n'a pas enfreint les règles de justice naturelle.

[20]       Enfin, il ressort clairement de la transcription de la deuxième journée d'audience que le demandeur savait que la Commission prenait comme prémisse l'opinion de l'ambassade du Canada et qu'elle ne demanderait pas d'autres renseignements sur le passeport. Il appartenait alors au demandeur de rectifier toute erreur qui pourrait lui causer un préjudice, en adressant lui-même des demandes de renseignements et en présentant d'autres éléments de preuve propres à étayer sa prétention que le passeport était faux. Il n'en a rien fait et n'a demandé aucune autorisation en ce sens non plus. Selon moi, même si les actions de la Commission et ses omissions auraient pu donner naissance à une attente raisonnable ou donner lieu à un manquement aux règles de justice naturelle (ce que je ne crois pas), le demandeur a certainement, par son comportement, renoncé implicitement à ses recours.

[21]       Dans les circonstances, la Commission n'a pas commis d'erreur en ne faisant pas faire la vérification du passeport par l'ambassade de l'Azerbaïdjan.


Troisième question : La Commission a-t-elle commis une erreur en considérant que le passeport du demandeur était authentique?

[22]       Le demandeur soutient que la Commission a commis une erreur en se fondant sur l'opinion de l'agent d'immigration selon laquelle son passeport était authentique. Cet argument revient en fait à alléguer que la conclusion de la Commission sur la validité du passeport était manifestement déraisonnable.

[23]       Avant de tirer une conclusion sur la validité du passeport, la Commission se devait de soupeser la preuve dont elle disposait. Il va sans dire qu'une déclaration de l'ambassade de l'Azerbaïdjan aurait été la meilleure preuve de l'authenticité du passeport. Cependant, en l'absence d'une telle preuve, la Commission disposait de la déclaration de l'agent d'immigration. Cet agent d'immigration, qui travaillait à l'ambassade du Canada en Turkie, voyait des passeports tous les jours et la situation du demandeur lui était familière. Par conséquent, il avait une certaine connaissance des passeports et il n'avait aucun intérêt dans l'issue de la procédure engagée devant la Commission. Bien qu'il ait admis dans sa correspondance que la seule façon d'être sûr de l'authenticité du passeport était de l'envoyer à l'ambassade de l'Azerbaïdjan, son opinion méritait qu'on lui accorde un poids considérable.


[24]       Par contre, la seule autre preuve dont disposait la Commission sur la question du passeport provenait du demandeur lui-même. Il avait d'abord dit aux agents d'immigration que son passeport était valide. Ensuite, il a changé son fusil d'épaule. Il est évident qu'un passeport valide allait mettre à néant sa prétention d'être apatride. Selon moi, il n'était pas déraisonnable que la Commission choisisse de se fier au témoignage de l'agent d'immigration et conclue que le passeport était valide. Je n'ai aucune raison d'intervenir en rapport avec la conclusion de la Commission.

Conclusion

[25]       Pour ces motifs, je rejetterai la demande de contrôle judiciaire.

[26]       Le demandeur me demande de certifier la question suivante :

L'équité exige-t-elle que toute la preuve sur le fond d'une demande d'asile ait été entendue avant que la Commission rende sa décision?

Vu la conclusion à laquelle je suis arrivée sur la première question, à savoir que le demandeur n'a pas été empêché de présenter des éléments de preuve au soutien de sa demande, il n'est pas nécessaire de répondre à cette question.


                                                          ORDONNANCE

LA COUR ORDONNE :

1.          La demande est rejetée;

2.          Aucune question grave de portée générale n'est certifiée.                     

       « Judith A. Snider »

                                                                                                                                                                                                  

                                                                                                                                         Juge                      

Traduction certifiée conforme

Jacques Deschênes


                                                       COUR FÉDÉRALE

                                        AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

DOSSIER :                                               IMM-5422-03

INTITULÉ :                                              HAGI ISRAFIL MAMISHOV

c.

M.C.I.

LIEU DE L'AUDIENCE :                        TORONTO (ONTARIO)

DATE DE L'AUDIENCE :                      LE 4 AOÛT 2004

MOTIFS DE L'ORDONNANCE

ET ORDONNANCE :                            LA JUGE SNIDER

DATE DES MOTIFS :                             LE 24 AOÛT 2004

COMPARUTIONS :

Barbara Jackman                                         POUR LE DEMANDEUR

Robert Bafaro                                             POUR LE DÉFENDEUR

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER:

Barbara Jackman                                         POUR LE DEMANDEUR

Avocate

Toronto (Ontario)

Morris Rosenberg                                        POUR LE DÉFENDEUR

Sous-procureur général du Canada

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