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Date : 20020118

Dossier : T-2124-01

Référence neutre : 2002 CFPI 62

ENTRE :

                                                          MADAME HOURIA SENOUS

                                                                                                                                         demanderesse

ET

MONSIEUR BERNARD FONTAINE

et

MONSIEUR LAURENT DELBARRE

et

MONSIEUR BORIS DUBOILLE

et

MONSIEUR DARIO PERETTO

et

LA PROCUREURE GÉNÉRALE DU CANADA

                                                                                                                                               défendeurs

                                     MOTIFS DE L'ORDONNANCE ET ORDONNANCE

LE JUGE BLAIS


[1]                 Il s'agit d'une requête visant à obtenir une ordonnance provisoire pour le sursis ou la suspension des mesures d'exécution découlant de la décision rendue le 6 novembre 2001 par Développement des ressources humaines Canada, Direction Travail, rejetant une requête en appel relatif à quatre ordres de paiement émis le 12 octobre 2001 à l'encontre de Madame Houria Senous, demanderesse.

BREF RAPPEL DES FAITS

[2]                 La demanderesse a reçu quatre ordres de paiement datés du 12 octobre 2001 à titre d'administrateur de la compagnie Centre international de formation aéronautique de Mirabel (CIFAM) Inc.

[3]                 La demanderesse a fait appel de ces quatre ordres de paiement en vertu du paragraphe 251.11(1) du Code canadien du travail.

[4]                 La demanderesse ne s'est cependant pas conformée aux dispositions de l'article 251.11(2) du Code canadien du travail et n'a pas consigné auprès du Ministre du Travail les montants visés par les quatre ordres de paiement en question.


[5]                 En date du 6 novembre 2001, Madame Lucette St-Jacques, Inspecteur, Direction Travail à Développement des ressources humaines Canada, informait la demanderesse que la requête en appel ne pouvait pas être acceptée puisqu'elle ne répondait pas aux conditions prévues, soit les dispositions de l'article 251.11, paragraphe 2.

[6]                 Par la suite, les quatre personnes créancières de ces ordres de paiement ont demandé au Ministre d'enregistrer au greffe de la Cour fédérale lesdits ordres de paiement.

[7]                 En date d'aujourd'hui, les ordres de paiement n'ont pas encore été enregistrés auprès de la Cour fédérale aux termes du paragraphe 251.15(3) du Code canadien du travail.

[8]                 En date du 3 décembre 2001, la demanderesse déposait une demande de contrôle judiciaire visant à obtenir l'annulation de la décision rendue le 6 novembre 2001. Dans sa demande de contrôle judiciaire, la demanderesse conteste particulièrement la validité, l'applicabilité et l'effet des articles 251.11(2) et 251.18 du Code canadien du travail.

ANALYSE


[9]                 D'entrée de jeu, il est important de rappeler que la validité des quatre ordres de paiement n'est pas contestée comme tel, la demanderesse insistant plutôt sur le fait que la décision du 6 novembre 2001 empêche la demanderesse de pouvoir présenter adéquatement son appel étant dans l'impossibilité de consigner auprès du Ministre les montants visés par les quatre ordres de paiement.

[10]            La demanderesse considère que les exigences posées par les dispositions de l'article 251.11(2) du Code canadien du travail sont exorbitantes et devraient être par conséquent déclarées inconstitutionnelles.

[11]            Finalement, la demanderesse suggère que la Cour sursoie aux ordres de paiement en attendant que la Cour fédérale se prononce sur la constitutionnalité des dispositions attaquées.

[12]            Il est important de noter que l'avis prévu à l'article 57 de la Loi sur la Cour fédérale quant à la constitutionnalité de la loi attaquée n'a pas été donné. Cette question ne sera évidemment pas abordée dans ma décision, laquelle question sera abordée par le juge qui aura à décider sur le fond de la question, le procureur de la demanderesse ayant assuré le tribunal que l'avis prévu à l'article 57 de la Loi sur la Cour fédérale sera donné conformément à la loi.


[13]            La Cour devra maintenant examiner si la demanderesse rencontre les exigences énoncées par la Cour suprême du Canada dans l'affaire RJR-Macdonald Inc. c. Canada (Procureur général), [1994] 1 R.C.S. 311, soit l'existence d'une question sérieuse à juger en l'instance, l'existence d'un préjudice irréparable et le fait que la balance des inconvénients puisse favoriser la demanderesse.

[14]            Les parties ont débattu assez longuement à savoir si la validité constitutionnelle des dispositions de l'article 251.11(2) du Code canadien du travail puisse constituer une question sérieuse à débattre.

[15]            En prenant pour acquis, sans le décider, qu'il existe une question sérieuse à débattre et pour seule fin d'analyse, la Cour va examiner s'il existe un préjudice irréparable.

[16]            Je dois mentionner que la preuve à ce chapitre n'a pas été concluante. La santé précaire de la demanderesse ainsi que ses difficultés financières et le fait qu'elle soit bénéficiaire d'aide sociale ne constituent en aucun cas un préjudice irréparable à mon avis.

[17]            La situation financière supposément meilleure, de l'avis de la demanderesse, des quatre défendeurs autrefois à son emploi, ne peut encore moins constituer un motif valable.

[18]            Les dispositions législatives aux termes de la Partie III du Code canadien du travail ont été mises en place pour le bénéfice des employés et non pour le bénéfice des administrateurs des entreprises insolvables, comme l'a bien rappelé le procureur des défendeurs.

[19]            La demanderesse prétend que les biens personnels qui seront éventuellement saisis risquent d'être vendus à un prix inférieur à leur valeur réelle ce qui entraînerait un préjudice qui ne pourra jamais être compensé en argent, advenant le succès de la demanderesse dans son recours en contrôle judiciaire.

[20]            La demanderesse a également informé la Cour qu'elle reconnaissait devoir une certaine partie des sommes réclamées bien qu'elle n'ait pas expliqué de quelle façon elle comptait pouvoir s'acquitter de cette dette.

[21]            Je ne peux que conclure que les prétentions de la demanderesse quant à son préjudice irréparable ne sont que vagues et spéculatives.

[22]            Madame le juge Tremblay-Lamer dans Laliberté (Re) [1999] A.C.F. no 501 (C.F. 1ère inst.), précisait au paragraphe 10 :

En tout état de cause, la jurisprudence a établi que la preuve du tort irréparable doit être claire et non spéculative.

[23]            Le troisième élément du test consiste à déterminer en faveur de qui penche la balance des inconvénients.

[24]            En définitive, la demanderesse demande de suspendre l'application de la loi qui autorise le recouvrement de créance établi par la Partie III du Code canadien du travail.

[25]            Ce sont des dispositions précises de la loi qui permettent d'enregistrer les ordres de paiement et de procéder à des saisies de biens en vertu de ces ordres de paiement.

[26]            Je n'ai aucune hésitation à conclure qu'il n'est pas dans l'intérêt de la justice de surseoir aux ordres de paiement et aux mesures d'exécution éventuelles, prévues par la loi.

[27]            Agir en ce sens aurait sans aucun doute un impact majeur sur ledit système de recouvrement, ce qui n'est en rien justifié.

[28]            Encore une fois, l'honorable juge Tremblay-Lamer précisait dans sa décision Laliberté (Re), supra:


5. Toutefois, si la suspension demandée était accordée, les travailleurs concernés devraient attendre qu'une décision finale soit rendue quant à la constitutionnalité des dispositions législatives pour recevoir les sommes auxquelles ils ont droit.

6. De plus, l'impact d'une telle décision dépasserait la situation personnelle immédiate du débiteur judiciaire puisqu'il n'y aurait aucun motif de ne pas surseoir à tous les ordres de paiement déjà donnés et à venir à l'égard de tout autre débiteur judiciaire en attendant une décision sur cette question.

7. Tel que je l'avais indiqué dans l'affaire Delisle (Gaétan Délisle c. Procureur général du Canada (le 20 février 1997), T-258-97 (F.C. 1ère inst.) et Manitoba (Procureur général) c. Metropolitan Stores Ltd., [1987] 1 R.S.C. 110), je conclus de nouveau que l'intérêt public ne justifie pas de paralyser un système législatif en place au simple motif qu'il pourrait faire l'objet, éventuellement, d'une déclaration d'inconstitutionnalité.

[29]            Bref, la demanderesse n'a pas réussi à me convaincre qu'elle subirait un tort irréparable si le sursis n'était pas accordé ou encore que la balance des inconvénients puisse pencher en sa faveur. La Cour n'a aucune hésitation à conclure que la balance des inconvénients penche en faveur des défendeurs.

[30]            Pour toutes ces raisons, la présente requête pour un sursis est rejetée avec dépens.

Pierre Blais                                          

Juge

OTTAWA, ONTARIO

Le 18 janvier 2002


COUR FÉDÉRALE DU CANADA SECTION DE PREMIÈRE INSTANCE

NOMS DES AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

DOSSIER: T-2124-01

INTITULÉ: MADAME HOURIA SENOUS C.

MONSIEUR BERNARD FONTAINE ET

MONSIEUR LAURENT DELBARRE ET

MONSIEUR BORIS DUBOILLLE ET

MONSIEUR DARIO PERETTO ET

LA PROCUREURE GÉNÉRALE DU CANADA

LIEU DE L'AUDIENCE: MONTRÉAL, QUÉBEC

DATE DE L'AUDIENCE: LE 14 JANVIER 2002

MOTIFS DE L'ORDONNANCE ET ORDONNANCE: L'HONORABLE JUGE BLAIS

DATE DES MOTIFS ET ORDONNANCE: LE 18 JANVIER 2002.

COMPARUTIONS

ME RONALD RODRIGUE POUR LA DEMANDERESSE

ME RAYMOND PICHÉPOUR LES DÉFENDEURS

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER:

ME RONALD RODRIGUE POUR LA DEMANDERESSE SAINT-JÉRÔME, (QUÉBEC)

MORRIS ROSENBERG POUR LE DÉFENDEUR SOUS-PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

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