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Date : 20010209

Dossier : T-1082-00

Citation neutre : 2001 CFPI 49

Ottawa (Ontario), le vendredi 9 février 2001

EN PRÉSENCE DE :       Madame le juge Dawson

ENTRE :

                                  RACHEL LEAH MOSS

                                                                                       demanderesse

                                                  - et -

                LE MINISTRE DU REVENU NATIONAL et

L'AGENCE CANADIENNE DES DOUANES ET DU REVENU

                                                                                            défendeurs

                 MOTIFS DE JUGEMENT ET JUGEMENT

LE JUGE DAWSON

[1]    La demanderesse cherche à obtenir une injonction portant que certains ordres de payer émis en vertu de la Loi de l'impôt sur le revenu, L.R.C. (1985), ch.1 (5e suppl.) (la Loi) soient retirés ou réduits de façon à ce que le montant total en cause ne dépasse pas 119 762,95 $.


LES FAITS

[2]    En janvier 1997, une cotisation a été établie à l'égard de la demanderesse en vertu des dispositions de la Loi et de la Loi sur la taxe d'accise, L.R.C. (1985), ch. E-15, et ce tant à titre personnel qu'en ce qui concerne l'obligation fiscale qui incombait à son époux par suite d'un certain nombre d'opérations non sans liens de dépendance qui ont résulté en un transfert de biens de ce dernier à elle. La cotisation établie à l'égard de la demanderesse s'élevait à 301 956,21 $.

[3]    Le ministre du Revenu national (le ministre) a obtenu ce qu'on appelle une ordonnance dite « de recouvrement préventif » en vertu de l'article 225.2 de la Loi. Cette ordonnance permettait au ministre de prendre des mesures de recouvrement contre la demanderesse avant la fin du processus d'appels en matière fiscale.

[4]    En vertu de cette ordonnance, le ministre a émis des ordres de payer à trois compagnies d'assurance, soit NN Life, Manulife et Equitable Life, qui détenaient toutes des contrats au nom de la demanderesse.


[5]                La demanderesse a invité notre Cour, en application du paragraphe 225.2(8) de la Loi, à examiner l'ordonnance de recouvrement préventif. La Cour a rejeté sa demande dans une ordonnance datée du 19 novembre 1997 et confirmé l'ordonnance de recouvrement préventif originale. En exposant les motifs de cette ordonnance, le juge Muldoon a fait les remarques suivantes :

Personne ne semble contester que la valeur nette réelle de ces comptes [détenus par NN Life, Manulife et Equitable Life] dépasse de loin 337 591,46 $. Si le chiffre dont fait état M. Moss dans ses dépositions est correct, la valeur actuelle dépasse les 600 000,00 $. Il a été jugé dans les affaires fiscales que le ministère ne doit pas saisir (ou bloquer) plus qu'il n'en faut pour se désintéresser (Satellite Earth, supra, page 298 C.T.C.; Laframboise c. La Reine, [1986] 2 C.T.C. 274). Cette règle est absolument correcte. L'article 225.2 n'habilite pas le ministère à saisir, ni la Cour à l'autoriser à saisir « tout ou partie du montant de la cotisation » si le délai prévu pour le recouvrement doit compromettre celui-ci. Donc si l'ordonnance est maintenue, elle ne peut autoriser que la saisie du montant qui couvre la dette fiscale de l'intimée.

[6]                Par suite de ces remarques, la demanderesse a invité notre Cour à modifier ou clarifier son ordonnance de façon à limiter les mesures de recouvrement au montant de la dette fiscale en cause. Dans une ordonnance datée du 24 décembre 1997, le juge Muldoon, soulignant que les parties ne pouvaient ni voulaient régler leur différend, a statué que l'ordonnance de recouvrement préventif soit confirmée « pour l'instant » .

[7]                Le 29 mars 1999, la demanderesse a présenté une autre requête visant à obtenir la levée de l'ordonnance de recouvrement préventif, en tout ou en partie, sur le fondement que ses avoirs que les trois compagnies d'assurance avaient en leur possession étaient effectivement « bloqués » . On estimait à l'époque que la valeur de ces avoir s'élevait à 525 939,78 $, alors qu'on estimait que la dette fiscale n'était que de 176 026,67 $, en raison des mesures de recouvrement qui avaient été prises. Cette requête a été rejetée par le juge Campbell, qui a conclu qu'il n'avait pas compétence pour accorder une telle réparation.


[8]                Pour ce qui est des ordres de payer, chaque compagnie d'assurance avait d'abord soutenu que comme les contrats prévoyaient des versements d'annuités, ils ne pouvaient faire l'objet d'une saisie ou exécution. Chaque compagnie a donc fait valoir qu'au lieu de verser à Revenu Canada le montant de l'ordre de payer qui lui avait été signifié, elle suspendrait plutôt le contrat, empêchant ainsi la demanderesse de retirer des fonds en vertu de ce dernier jusqu'à ce qu'on ait tranché le statut de ces contrats ou déterminé le montant d'impôt que la demanderesse devait payer.                                                              

[9]                En décembre 1997, NN Life a effectivement mis fin au contrat, d'une valeur de 287 000 $ environ, qui la liait à la demanderesse. De cette somme, la compagnie d'assurance a versé 270 000 $ à Revenu Canada et gardé le reste en tant que pénalité pour rachat prématuré. La demanderesse a soutenu que cela avait eu pour effet de faire passer à 119 762, 95 $ le montant qu'elle devait à Revenu Canada.

L'ANALYSE

[10]            La demanderesse soutient dans la présente demande que comme elle ne peut accéder aux fonds qu'elle possède en vertu des contrats conclus avec les divers assureurs, elle se trouve contre son gré dans une situation financière et personnelle qui lui est préjudiciable. La somme totale des montants bloqués est évaluée à environ 526 000 $, une somme considérablement plus importante que celle que la demanderesse doit au titre de l'impôt.


[11]            Bien qu'elle ait concédé que le ministre pouvait agir comme il l'a fait, la demanderesse fait tout de même valoir qu'il ressort clairement de la loi que le défendeur ne doit pas saisir plus qu'il n'en faut pour se désintéresser. La demanderesse se fonde à cet égard sur les remarques du juge Muldoon et la jurisprudence qu'il cite. La demanderesse dit également que dans les circonstances particulières de la présente affaire, on doit présumer que le ministre savait que les mesures prises par le défendeur avaient non seulement pour effet de dégager suffisamment de fonds, mais également une somme considérablement plus importante que la somme requise. Enfin, la demanderesse se plaint du fait que les efforts qu'elle a déployés pour régler cette question avec le défendeur ont été vains et que ce dernier s'est comporté de façon volontairement punitive.

[12]            En réponse, le défendeur soutient que l'affaire ne soulève aucune question justiciable devant la Cour vu qu'elle est chose jugée et que, de toute façon, on ne peut empêcher le ministre de prendre des mesures de recouvrement légitimes en vertu de la loi.

[13]            J'ai conclu, malgré l'habile plaidoirie de l'avocat de la demanderesse, que la demande doit être rejetée au motif que la demanderesse n'a pas établi que le défendeur a outrepassé sa compétence ou agi en contravention de la loi.


[14]            J'ai noté les remarques du juge Muldoon que le défendeur ne doit pas saisir plus qu'il n'en faut pour se désintéresser. Cependant, la preuve ne m'a pas convaincue que le ministre a saisi plus qu'il n'en fallait pour se désintéresser.

[15]            Bien que les ordres de payer n'aient pas été produits en preuve devant la Cour, on a concédé que chaque ordre avait été émis en bonne et due forme à l'égard du montant de la cotisation qui avait alors été établie. Le fait qu'on ait bloqué l'ensemble des sommes dues au titre de contrats qui, soutient-on, prévoyaient le versement d'annuités ne résultait pas d'un quelconque vice des ordres de payer ou d'émission de ces derniers, mais plutôt de la position que chaque assureur a adoptée, selon laquelle les contrats d'assurance ne pouvaient être saisis ni exécutés. Comme la demanderesse l'a déclaré dans son affidavit, compte tenu de cette position, les assureurs [TRADUCTION] « refusaient de verser à Revenu Canada la somme que prévoyaient les ordres de payer, suspendant plutôt les contrats et refusant de permettre » à la demanderesse de retirer des fonds.                                                                                                                                        


[16]            En ce qui concerne le reste des fonds bloqués, la question de savoir si chaque police d'assurance ne peut effectivement pas être saisie ou exécutée n'a pas été tranchée, et elle ne m'a pas été soumise. Tant que cette question n'aura pas été tranchée, il est possible que, dans le cas où on conclurait que chaque police ne peut être saisie ni exécutée, le défendeur ne soit pas en mesure de recouvrer quoi que ce soit en vertu des ordres de payer. Compte tenu de cela, on ne peut soutenir, à mon avis, que le ministre a agi de façon punitive ou erronée en ne retirant ou ne réduisant pas les ordres de payer.

[17]            Enfin, dans la mesure où la demanderesse se plaint du fait qu'elle n'est pas parvenue à régler ces questions avec le défendeur et qu'en conséquence, les mesures que le ministère a prises étaient dénuées de bonne foi, le dossier dont je disposais ne m'a pas convaincue que la position du défendeur se fondait sur une quelconque considération inconvenante ou que la Cour devrait imposer au défendeur une méthode de recouvrement particulière ou limiter les efforts légitimes qu'il fait à cet égard.

[18]            Vu cette conclusion, il n'est pas nécessaire que j'examine l'argument subsidiaire du défendeur selon lequel la présente affaire est chose jugée.

[19]            Le défendeur a demandé que les dépens relatifs à la présente demande lui soient accordés sur la base de frais entre procureur et client.


[20]            Comme la Cour d'appel fédérale l'a récemment fait remarquer dans l'arrêt Apotex Inc. c. Canada (Ministre de la Santé nationale et du Bien-être social), [2000] A.C.F. no 1919, A-684-99 (23 novembre 2000) (C.A.F.), au paragraphe 8, « [l]es frais entre le procureur et son client sont exceptionnels et ne doivent généralement être accordés qu'en raison d'une faute reliée au litige » . La Cour d'appel fédérale a en outre souligné que dans son arrêt Baker c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [1999] 2 R.C.S. 817, à la page 864, la Cour suprême du Canada a appliqué l'approche traditionnelle selon laquelle « [l]es dépens comme entre procureur et client ne sont généralement accordés que s'il y a eu conduite répréhensible, scandaleuse ou outrageante d'une des parties » .

[21]            Malgré les observations convaincantes de l'avocat du défendeur, je n'ai pas été convaincue que la conduite de la demanderesse mérite la désapprobation de notre Cour, qui se manifesterait pas l'octroi de dépens sur la base de frais entre procureur et client.

[22]            En conséquence, pour ces motifs, la présente demande est rejetée. Le défendeur a droit à ses dépens, qui devront être fixés de la manière habituelle.

JUGEMENT

[23]            LA COUR ORDONNE QUE :

1.    La demande soit rejetée.


2.    La demanderesse devra payer aux défendeurs les dépens de la demande, qui devront être fixés conformément à la colonne III du tableau du Tarif B des Règles de la Cour fédérale (1998).

« Eleanor R. Dawson »

                                                                                               J.C.F.C.                      

Traduction certifiée conforme

Bernard Olivier, B.A., LL.B.


COUR FÉDÉ RALE DU CANADA

SECTION DE PREMIÈRE INSTANCE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

NO DU GREFFE :                                  T-1082-00

INTITULÉ DE LA CAUSE :                 Rachel Leah Moss c. Le ministre du Revenu                                                   national et autre

LIEU DE L'AUDIENCE :                     Winnipeg (Manitoba)

DATE DE L'AUDIENCE :                   le 16 janvier 2001

MOTIFS D'ORDONNANCE EXPOSÉS PAR MADAME LE JUGE DAWSON

EN DATE DU :                                     9 février 2001

ONT COMPARU :                

M. Arthur Stacey                                                          POUR LA DEMANDERESSE

M. Jeff Pniowsky                                                          POUR LE DÉFENDEUR

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :     

Thompson Dorfman Sweatman                                    POUR LA DEMANDERESSE

Winnipeg (Manitoba)

M. Morris Rosenberg                                                    POUR LE DÉFENDEUR

Sous-procureur général du Canada

Winnipeg (Manitoba)

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