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                                                                                                                                 Date : 20000426

                                                                                                                         Date : IMM-5864-98

Ottawa (Ontario), le 26 avril 2000

EN PRÉSENCE DE MONSIEUR LE JUGE PELLETIER

Entre

                               CALISTA MANOHARAN, VINISTEN MANOHARAN

                                                 et BANWESTON MANOHARAN

                                                                                                                                        demandeurs

                                                                          - et -

                     LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

                                                                                                                                           défendeur

                                        ORDONNANCE (MOTIFS ET DISPOSITIF)

Le juge PELLETIER

[1]         La demanderesse Calista Manoharan ayant revendiqué le statut de réfugié en son nom propre et au nom de ses deux enfants, la section du statut de réfugié a conclu qu'une partie de son témoignage était invraisemblable et que ni elle-même ni les membres de sa famille n'avaient le profil d'individus susceptibles d'intéresser les Tigres pour la libération de l'Eelam ou l'armée sri-lankaise. En fin de compte, la section du statut a jugé que la demanderesse ne craignait pas avec raison d'être persécutée au Sri Lanka et n'était donc pas une réfugiée. Celle-ci conteste cette décision par voie de recours en contrôle judiciaire, en son nom propre et au nom de ses enfants à charge.


[2]         La demanderesse est une Tamoule du Nord du Sri Lanka. À l'époque où elle avait 24 ans et était encore célibataire, les Tigres ont cherché à l'enrôler par les menaces. Sa mère s'est empressée de la marier, ce qui « l'exemptait effectivement de la conscription par les LTTE » [1]. La demanderesse et son nouveau mari sont restés dans le Nord et ont eu deux enfants, lesquels sont également demandeurs dans ce recours. Le mari était astreint à des corvées de temps à autre, ce qui lui valait l'attention de l'armée. En septembre 1997, des militaires sont venus l'arrêter. Heureusement, les deux n'étaient pas à la maison. Ils en ont profité pour s'enfuir à Mullaitivu, qui était aux mains des Tigres. Durant un bombardement contre la région, elle a été séparée de son mari; elle a alors décidé de suivre un agent à Colombo, d'où elle est partie pour le Canada.


[3]         La section du statut a mis en doute l'affirmation faite par la demanderesse qu'elle s'est retrouvée séparée de son mari et a choisi de le laisser derrière pour suivre un agent à Colombo et au Canada. Il est de droit constant que l'appréciation de la crédibilité et de la plausibilité relève de la compétence première de la section du statut, et que le juge est tenu à une grande obligation de réserve même à l'égard des conclusions en matière de vraisemblance qu'elle fonde sur ses connaissances spécialisées[2]. Elle ne peut cependant fonder ses conclusions sur une déformation des éléments de preuve produits[3]. Dans son mémoire, la demanderesse relève trois questions à l'égard desquelles elle soutient que la section du statut a déformé son témoignage. Elle cite à l'appui son affidavit déposé dans le cadre du recours en contrôle judiciaire. Il se trouve cependant que cet affidavit ne correspond pas tout à fait au témoignage rendu devant la section du statut, tel qu'il ressort de la transcription de l'audience. À titre d'exemple parmi d'autres, la demanderesse affirme dans son affidavit qu'elle « a fait les dépositions suivantes en témoignage à l'audience » . Il s'agit de sa déclaration que son mari avait été enlevé par les Tigres et devait payer une rançon pour sa libération. Il n'en était nullement question à l'audience. Ce renseignement ne figure qu'en réponse à la question no 37 du formulaire de renseignements personnels (FRP), en termes moins catégoriques que dans son affidavit. La Cour doit examiner la décision de la section du statut à la lumière des éléments de preuve dont celle-ci était saisie, et non de quelque autre élément de preuve possible.

[4]         La demanderesse conteste les conclusions d'invraisemblance qu'a tirées la section du statut, compte tenu de son profil, au sujet de sa fuite de la région de Mullaitivu sans son mari et de sa crainte de l'armée et des Tigres pour la libération. Pour ce qui est des circonstances dans lesquelles la demanderesse est partie du Sri Lanka sans son mari, il s'agit là d'une assertion qui peut raisonnablement être considérée comme invraisemblable. La Commission n'a commis aucune erreur en concluant dans ce sens. Le verdict d'invraisemblance est tout simplement une conclusion en matière de crédibilité, à laquelle la Cour ne touchera pas à moins d'erreur flagrante. La divergence entre la preuve documentaire quant au profil des gens auxquels s'intéressent les Tigres pour la libération d'une part, et le témoignage de la demanderesse sur ses difficultés avec ces derniers d'autre part, est une question qui relève de l'expertise propre de la section du statut. Il est constant qu'elle est en droit d'ajouter davantage foi aux preuves documentaires qu'au témoignage de la demanderesse[4]. En l'espèce, les preuves documentaires indiquent que celle-ci ne correspond pas au profil de ceux auxquels s'intéressent le plus les combattants. La section du statut a le pouvoir d'apprécier les renseignements produits par la demanderesse dans son FRP ainsi que son témoignage de vive voix à la lumière des preuves documentaires.

[5]         En dernière analyse, rien ne justifie une intervention quelconque de la Cour.


[6]         La demanderesse propose la question suivante à certifier :

[TRADUCTION]

La section du statut commet-elle une erreur en rejetant la plausibilité des éléments de preuve produits par la demanderesse, tout en ignorant les preuves testimoniales, écrites et documentaires objectives qui corroborent la revendication de celle-ci?

[7]         La question proposée est rhétorique en ce qu'il est clair que la section du statut doit examiner tous les éléments de preuve produits pour parvenir à sa décision. Ce dont se plaint la demanderesse, c'est la force probante que la section du statut attribue à certains éléments de preuve, de préférence à d'autres qui sont plus favorables à ses prétentions. Aucune question ne sera certifiée.

                                                                ORDONNANCE

La Cour déboute la demanderesse de son recours en contrôle judiciaire contre la décision en date du 26 octobre 1998 de la section du statut de réfugié.

                                                                                                                    Signé : J.D. Denis Pelletier            

                                                                                          _________________________________

                                                                                                                                                     Juge                             

Traduction certifiée conforme

Martine Brunet


                                                 COUR FÉDÉRALE DU CANADA

                                            SECTION DE PREMIÈRE INSTANCE

                                  AVOCATS ET AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

DOSSIER No :                                    IMM-5864-98

INTITULÉ DE LA CAUSE :             Calista Manoharan et al. c. M.C.I.

LIEU DE L'AUDIENCE :                  Toronto (Ontario)

DATE DE L'AUDIENCE :                1er octobre 1999

MOTIFS DE L'ORDONNANCE PRONONCÉS PAR LE JUGE PELLETIER

LE :                                                      26 avril 2000

ONT COMPARU:

M. Robert Blanshay                                           pour les demandeurs

Mme Sally Thomas                                             pour le défendeur

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER:

M. Robert Blanshay                                           pour les demandeurs

Toronto (Ontario)

M. Morris Rosenberg                                        pour le défendeur

Sous-procureur général du Canada



[1]      Dossier de la demande, p. 8.

[2]      Eledchumanasamy c. Canada [1999] A.C.F. no 378, jugement rendu par le juge Evans.

[3]      Owusu-Ansah c. Canada [1989] A.C.F. no 442, (1989) 98 N.R. 312.

[4]      Ivanov c. Canada [1995] A.C.F. no 184.

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