Décisions de la Cour fédérale

Informations sur la décision

Contenu de la décision

        



Date : 20010131


Dossier : T-799-00

Entre :

     MICHELINE MONTREUIL

     Demanderesse

     ET

     COMMISSION CANADIENNE

     DES DROITS DE LA PERSONNE

     Défenderesse


     MOTIFS DE L'ORDONNANCE


ME RICHARD MORNEAU, PROTONOTAIRE


[1]      La Cour est saisie en l'espèce de trois requêtes. Ces trois requêtes tiennent essentiellement aux faits, d'une part, que la demanderesse aurait utilisé pour se désigner à sa demande de contrôle judiciaire (la demande) un nom - en fait le problème, si problème il y a, se situerait à l'égard du prénom uniquement - qui n'est pas celui figurant à son acte de naissance et, d'autre part, qu'elle aurait désigné la mauvaise entité comme partie défenderesse dans le cadre de sa demande. Une fois son erreur constatée quant à la désignation de la défenderesse, la demanderesse aurait tardé à en demander la correction à cette Cour.

[2]      Deux des requêtes proviennent de la demanderesse et visent dans leur essence à obtenir l'autorisation de cette Cour de corriger l'erreur de désignation à l'égard de la défenderesse. L'autre requête est mue par la Banque nationale du Canada (la Banque) et recherche la radiation de la demande sur la base des déficiences exposées ci-avant.

[3]      Les présents motifs et l'ordonnance les accompagnant disposent de ces trois requêtes.

Les faits

[4]      En juin 1999, la demanderesse dépose une plainte devant la Commission canadienne des droits de la personne (la Commission). Dans celle-ci, la demanderesse accuse la Banque d'avoir fait preuve d'un comportement discriminatoire à son égard en raison de son sexe ou plus précisément, en raison de sa situation de personne en changement de sexe ou, plus généralement à cause du fait qu'elle est une "personne en transition" contrevenant ainsi, allègue-t-on, aux dispositions des articles 3 et 7 de la Loi canadienne sur les droits de la personne.

[5]      Par lettre datée du 6 avril 2000, la Commission informe la demanderesse que sa plainte est irrecevable parce qu'elle ne satisfait pas à l'article 41(1)c) de la Loi canadienne sur les droits de la personne. Cet alinéa de cette loi tient qu'une plainte est irrecevable si cette plainte ne relève pas de la compétence de la Commission. La décision écrite de la Commission n'en dit pas plus.

[6]      Le 3 mai 2000, la demanderesse entreprend sa demande où elle soutient que la Commission a commis un excès de juridiction. La demanderesse désigne alors la Commission comme défenderesse à la demande.

[7]      Par lettre datée du 19 mai 2000, la Commission informe la demanderesse que la Commission ne peut pas être considérée comme défenderesse à la demande.

[8]      Le 28 juillet 2000, la demanderesse fait signifier à la Cour et à la Banque sa requête pour directives dans laquelle elle cherche à apporter les corrections nécessaires. À la veille de la présentation de cette requête, la Banque signifie son dossier de réponse à cette requête et, par une requête séparée, la Banque recherche la radiation de la demande de la demanderesse. Essentiellement, cette dernière requête et le dossier de réponse que l'on vient de mentionner sont au même effet.

Analyse

[9]      Il y a lieu de débuter avec l'attaque de la Banque à l'effet que la demande contrevient aux articles 5 et 9 du Code civil du Québec et qu'elle doit donc être radiée puisqu'elle doit être vue comme nulle ab initio de nullité absolue. La raison étant que la demanderesse s'y désigne comme Micheline Montreuil plutôt que comme Pierre Montreuil, nom qui serait conforme à l'acte de naissance de la demanderesse qui indique "Joseph Yves Pierre Papineau Montreuil".

[10]      Suivant la Banque, les enseignements contenus aux arrêts Vilon (Héritiers) c. Madill, (1987) 11 Q.A.C. 96, et Lee v. Seagal's (Michael) Inc., [1972] 7 C.P.R. (2d) 148, et les articles précités du C.c.Q. font en sorte que la demanderesse, en n'utilisant pas son nom tel que décrit à son acte de naissance, a contrevenu à une règle de droit public que l'on doit sanctionner d'une nullité absolue ab initio.

[11]      Les articles 5 et 9 du C.c.Q. se lisent comme suit:


Art. 5. Toute personne exerce ses droits civils sous le nom qui lui est attribué et qui est énoncé dans son acte de naissance.

Art. 5. Every person exercises his civil rights under the name assigned to him and stated in his act of birth.

Art. 9. Dans l'exercice des droits civils, il peut être dérogé aux règles du présent code qui sont supplétives de volonté; il ne peut, cependant, être dérogé à celles qui intéressent l'ordre public.

Art. 9. In the exercise of civil rights, derogations may be made from those rules of this Code which supplement intention, but not from those of public order.

[12]      Les faits de l'arrêt Lee, supra, sont d'une telle différence avec la dynamique du présent dossier que cet arrêt présente selon moi peu d'intérêt dans l'analyse qui nous occupe. Dans cette affaire qui remonte à 1972, la présente Cour a statué que des particuliers avaient posé des gestes contractuels tels en matière de propriété intellectuelle qu'ils s'étaient relégués à titre de partie non-existante et que leur procédure devait donc être vue comme une nullité complète. Sur cette base la requête présentée par cette partie fut rejetée.

[13]      Dans l'affaire Vilon, supra, un particulier a entrepris sous un nom d'emprunt (Vilon) et non sous son nom véritable (Lachapelle) un recours judiciaire contre une compagnie d'assurance. Lachapelle mourut en cours d'instance.

[14]      Ses héritiers présentèrent une requête en amendement pour substituer le nom de Gérard Lachapelle à celui d'Eric Vilon. Cette requête fut présentée alors que le délai de prescription de l'action était écoulé. La Cour supérieure rejeta la requête en irrecevabilité mais accueillit la requête en amendement. Madill en appela. La Cour d'appel du Québec accueillit l'appel et statua que l'assignation originale était nulle de nullité absolue parce que non faite sous le nom véritable du demandeur. Par conséquent, le délai de prescription s'écoula, faute d'action valablement intentée. La requête en amendement des héritiers ne fut donc pas accueillie parce qu'elle aurait tenté de faire revivre un droit éteint par prescription.

[15]      L'arrêt Vilon se distingue du cas à l'étude sous plusieurs aspects.

[16]      Premièrement, bien que dans cet arrêt la Cour reconnaisse à l'ancêtre de l'article 5 C.c.Q. un caractère d'ordre public, la nullité absolue de son non-respect fut imposée comme résultat inéluctable en raison de la présence de l'article 14 alors du C.c. qui lui stipulait clairement la nullité absolue en cas de violation.

[17]      Cet article 14 se lisait ainsi:


Art. 14. Les lois prohibitives emportent nullité, quoiqu'elle n'y soit pas prononcée.

Art. 14. Prohibitive laws import nullity, although such nullity be not therein expressed.

[18]      Cet article 14 n'est pas repris au C.c.Q. L'article qui semble vouloir s'y substituer est l'article 9 C.c.Q. qui se lit:


Art. 9. Dans l'exercice des droits civils, il peut être dérogé aux règles du présent code qui sont supplétives de volonté; il ne peut, cependant, être dérogé à celles qui intéressent l'ordre public.

Art. 9. In the exercise of civil rights, derogations may be made from those rules of this Code which supplement intention, but not from those of public order.

[19]      Le législateur ne prescrit pas ici la sanction de la nullité.

[20]      Si une contravention à l'article 5 C.c.Q. - que l'on peut tenir d'ordre public - devait entraîner la nullité absolue de la procédure la concrétisant, ne peut-on penser que la Cour d'appel du Québec - alors qu'elle était appelée à se prononcer en novembre 1999 sur le bien-fondé d'une requête de la demanderesse en les présentes - aurait soulevé d'office cette nullité. (Voir Montreuil c. Directeur de l'État civil, [1999] R.J.Q. 2819.) En fin de cet arrêt (page 2826), la Cour a justement été appelée à considérer cet article 5 et, bien que rappelant le texte de l'article, la Cour n'a point soulevé le fait que la procédure introductive devant elle - qui avait été apparemment instituée sous le nom de Micheline Montreuil - devait être radiée pour cause de nullité absolue. Lors de l'émission de sa décision, la Cour s'est contentée de corriger la désignation de la demanderesse pour qu'elle se lise "Pierre Montreuil, se désignant sous le nom de Micheline".

[21]      Toujours en ce qui a trait à l'affaire Vilon, on remarque que la décision dans cette affaire fut rendue sous l'ancien Code civil, qu'elle impliquait une question de prescription et visait une personne ayant employé tant un nom qu'un prénom qui n'étaient pas ceux de son acte de naissance.

[22]      Ici, la prescription n'est pas en jeu et seul le prénom de la demanderesse demande possiblement correction.

[23]      Vu les motifs qui précèdent, je n'entends donc pas faire droit à la requête de la Banque et radier la demande de la demanderesse.

[24]      On peut s'étonner que la Banque s'érige en défenderesse de l'ordre public alors qu'il appert que malgré les nombreux recours institués par la demanderesse sous le nom de Micheline Montreuil et impliquant les Procureurs généraux, aucun - hormis apparemment à une reprise - n'a soulevé l'article 5 C.c.Q. pour faire échec à un recours de la demanderesse.

[25]      Toutefois, vu la grande insistance de la Banque à l'égard de l'article 5 C.c.Q.;

[26]      Vu que la demanderesse tient surtout, au delà de sa désignation pour l'instant, à être entendue au mérite sur sa demande;

[27]      Vu que ce que je propose et ordonne ci-dessous est fait dans l'espoir que la Banque ira de l'avant avec le mérite de la demande de la demanderesse et détournera son regard de la procédure;

[28]      Vu que la Cour d'appel du Québec a agi de façon similaire dans l'affaire Montreuil, supra;

[29]      Vu toutefois que la demanderesse ne tient pas à être limitée à un seul prénom;

[30]      Il y a lieu d'ordonner que sur la base, entre autres, des règles 3, 53(1), 52(2) et 76a) des Règles de la Cour fédérale (1998) (les Règles), la demanderesse - qui deviendra "le demandeur" - soit désignée dorénavant à l'ensemble des procédures ou documents portant intitulé de cause, comme suit:

         "Joseph Yves Pierre Papineau Montreuil connu sous le nom de Micheline Montreuil".

[31]      D'autre part, la Banque soutient également dans sa requête que la Cour doit rejeter la demande de permission de modifier l'intitulé des procédures pour retirer la Commission à titre de défenderesse et d'y ajouter la Banque à titre de défenderesse au motif que cette demande n'est pas faite selon les dispositions adéquates des Règles.

[32]      Cet argument de la Banque doit également être rejeté.

[33]      Après des démarches et recherches que l'on peut qualifier de raisonnables, la demanderesse - qui se représente seule - a cru à tort que la Commission devait apparaître à sa demande comme défenderesse. Elle a donc entrepris à temps sa demande contre la Commission. Lorsque prévenue par la Commission que la Banque était la défenderesse que devait viser la demande, la demanderesse par sa requête en directives s'est adressée à cette Cour afin que la situation soit remédiée.

[34]      Je considère que les affidavits déposés par la demanderesse révèlent compte tenu de toutes les circonstances l'impliquant que cette dernière a réagi dans un délai raisonnable après avoir été avisée par la Commission.

[35]      Les modifications en jeu s'évaluent selon moi selon les règles 3, 53, 104(1)b) et 104(2) que la demanderesse invoque toutes en bout de course si l'on combine sa requête pour directives et son dossier de réponse à la requête en rejet de la Banque.

[36]      Les règles précitées se lisent comme suit:


Art. 3. Les présentes règles sont interprétées de façon à permettre d'apporter une solution au litige qui soit juste et la plus expéditive et économique possible.

Art. 3. These Rules shall be interpreted and applied so as to secure the just, most expeditious and least expensive determination of every proceeding on its merits.

Art. 53. (1) La Cour peut assortir toute ordonnance qu'elle rend en vertu des présentes règles des conditions et des directives qu'elle juge équitables.

(2) La Cour peut, dans les cas où les présentes règles lui permettent de rendre une ordonnance particulière, rendre toute autre ordonnance qu'elle juge équitable.

Art. 53.(1) In making an order under these Rules, the Court may impose such conditions and give such directions as it considers just.


(2) Where these Rules provide that the Court may make an order of a specified nature, the Court may make any other order that it considers just.

104.(1) La Cour peut, à tout moment, ordonner:

(...)

b) que soit constituée comme partie à l'instance toute personne qui aurait dû l'être ou dont la présence devant la Cour est nécessaire pour assurer une instruction complète et le règlement des questions en litige dans l'instance; toutefois, nul ne peut être constitué codemandeur sans son consentement, lequel est notifié par écrit ou de telle autre manière que la Cour ordonne

(2) L'ordonnance rendue en vertu du paragraphe (1) contient des directives quant aux modifications à apporter à l'acte introductif d'instance et aux autres actes de procédure.

104. (1) At any time, the Court may

(...)

(b) order that a person who ought to have been joined as a party or whose presence before the Court is necessary to ensure that all matters in dispute in the proceeding may be effectually and completely determined be added as a party, but no person shall be added as a plaintiff or applicant without his or her consent, signified in writing or in such other manner as the Court may order.

(2) An order made under subsection (1) shall contain directions as to amendment of the originating document and any other pleadings.

[37]      Il m'apparaît évident qu'en fonction de ces règles et des circonstances en l'espèce cette partie de la requête de la Banque doit également échouer et que comme corollaire la requête de la demanderesse doit être accueillie. Partant, la Commission sera retirée comme défenderesse et la Banque y sera substituée et ce, à l'égard de toute procédure ou document portant intitulé de cause en l'espèce.

[38]      Par les motifs qui précèdent, je pense que les corrections et remèdes qui devaient être apportés au présent dossier l'ont été et je ne considère pas que l'on doive regarder la situation sous l'angle d'une prorogation de délais en vertu de l'article 18.1 de la Loi sur la Cour fédérale, S.R.C. 1985, c. F-7, ou de la règle 8. La requête de la demanderesse déposée le 31 août 2000 (document 26 de cette Cour) sera donc simplement rejetée pour cette raison.

[39]      Aucun frais ne seront adjugés sur les trois requêtes soumises.


Richard Morneau

     protonotaire

MONTRÉAL (QUÉBEC)

le 31 janvier 2001

     COUR FÉDÉRALE DU CANADA

     NOMS DES AVOCATS ET DES PROCUREURS INSCRITS AU DOSSIER


NO DU DOSSIER DE LA COUR:

INTITULÉ DE LA CAUSE:

T-799-00

MICHELINE MONTREUIL

     Demanderesse

ET

COMMISSION CANADIENNE DES DROITS DE LA PERSONNE

     Défenderesse



LIEU DE L'AUDIENCE:Québec (Québec)

DATE DE L'AUDIENCE:le 16 janvier 2001

MOTIFS DE L'ORDONNANCE DE ME RICHARD MORNEAU, PROTONOTAIRE

DATE DES MOTIFS DE L'ORDONNANCE:le 31 janvier 2001



ONT COMPARU:


Mme Micheline Montreuil

pour la demanderesse

Me André Giroux

pour la Banque nationale du Canada

PROCUREURS INSCRITS AU DOSSIER:


Ogilvy Renault

Montréal (Québec)

pour la Banque nationale du Canada

 Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.