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     Date: 19991223

     Dossier: T-1677-99




Entre:

     KARLA-LEANNE TEALE

     Demanderesse

     ET

     LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

     Défendeur



     MOTIFS DE L'ORDONNANCE


ME RICHARD MORNEAU, PROTONOTAIRE:


[1]      Cette Cour est saisie d'une requête en intervention de Southam Inc. et al aux fins de faire revoir la directive émise par cette Cour le 3 novembre 1999 (la Directive).

Contexte

[2]      Le 20 septembre 1999, la demanderesse a déposé une demande de contrôle judiciaire (la demande de contrôle) à l'encontre d'une décision des autorités du pénitencier où elle est présentement détenue. Par cette décision, la demanderesse se voyait refuser une demande de permission de sortir avec escorte (escorted temporary absence) qu'elle avait formulée auparavant auprès desdites autorités.

[3]      Conformément à la règle 317(2) des Règles de la Cour fédérale (1998) (les règles), la demanderesse dans sa demande de contrôle requiert l'office fédéral en cause, soit les autorités du pénitencier, de lui transmettre ainsi qu'au greffe de cette Cour une copie certifiée des documents suivants:

The complete file of the applicant upon which the Joliette Institution warden relied to base her decision;
Any interview notes or any notes taken by the Joliette Institution warden, or any other person in charge, in the purpose of assessing the applicant's application for escorted temporary absence;
A print-out of any existing computer information concerning the applicant not included in the material cited above.

[4]      Le 12 octobre 1999, les autorités du pénitencier se sont conformées à cette demande et ont transmis au greffe de cette Cour une copie certifiée des documents. Ces documents se trouvent répartis sous vingt-deux onglets et totalisent près de 317 pages (ci-après "le dossier du pénitencier") (le greffe de cette Cour a numéroté consécutivement pour fins de régie interne les pages de ce dossier).

[5]      Dans un affidavit soumis à l'appui du maintien de la Directive (l'affidavit de la demanderesse), la demanderesse décrit ainsi le contenu du dossier du pénitencier; description à laquelle la Cour est prête à se rendre pour les fins de l'analyse présente:

2.      That the Tribunal's record contains various material which includes nine (9) psychological/psychiatric reports, thirty (30) letters from citizens, two (2) letters from lawyers in support of my application for escorted temporary absences, nine (9) reports written by different S.C.C. workers, and a computer data base print-out that includes all kinds of information, decisions, interview notes, perceptions and apprehension of different S.C.C. workers about me;
3.      That the Tribunal record also includes a handwritten letter that I wrote in support of my application;

[6]      Le 3 novembre 1999, les autorités administratives de cette Cour ont porté à mon attention le fait que des copies du dossier du pénitencier avaient été remises au public (y inclus aux médias) et on m'interrogeait par le biais d'une demande de directives à savoir si ce dossier devait être considéré comme confidentiel et, si oui, si une ordonnance de non-publication était de mise.

[7]      Le jour même j'émettais la Directive dont le texte se lit comme suit:

Unless an order to the contrary is obtained by any interested party at his or her request, the documents received on October 12, 1999 in this file from Correctional Service Canada must be treated as confidential. It is hereby directed that any copies of the material mentioned above that have been distributed by the Registry of this Court be considered as confidential and are hereby subject to a non-publication ban.
(mon souligné)

[8]      Le 4 novembre 1999, la demanderesse déposait au dossier de cette Cour son affidavit au soutien de sa demande de contrôle.

[9]      Il est à noter ici que tant le texte de la demande de contrôle que l'affidavit du 4 novembre de la demanderesse ne sont point visés par la Directive et sont donc disponibles pour l'information du public.

[10]      Il est à noter de plus, tel que mentionné à l'audition, qu'au temps de la rédaction et de l'émission de la Directive, il n'était pas à ma connaissance que certains médias avaient déjà publié de larges extraits du dossier du pénitencier. Nous aurons l'occasion de revenir plus loin sur l'impact à donner à ce fait (voir paragraphe 45).

[11]      Le 17 novembre 1999, soit quatorze (14) jours après l'émission de la Directive, Southam Inc. et al déposaient la requête mentionnée au premier paragraphe.

[12]      Le 18 novembre 1999, la demanderesse signifiait et déposait un avis de désistement de sa demande de contrôle. Le même jour, la défenderesse en les présentes, la Procureure générale du Canada, avisait la Cour et les autres parties intéressées que vu entre autres ledit désistement, elle ne participerait pas à la requête de Southam Inc. et al et qu'elle s'en remettait quant à cette requête à la discrétion de la Cour.

Analyse

[13]      Avant d'étudier les motifs sous-jacents à l'émission de la Directive et d'analyser ceux en faveur ou non de son maintien, il y a lieu de disposer d'une série de points, que je qualifierais de préliminaires, soulevés par la demanderesse. Sous cette rubrique, on disposera de la requête en intervention de Southam Inc. et al.

Aspects préliminaires

[14]      Premièrement, contrairement à ce que soutient la demanderesse, la Cour est d'avis qu'elle a toujours juridiction pour se prononcer sur une telle demande d'intervention puisque malgré le fait que la demanderesse se soit désistée de sa demande de contrôle judiciaire, le présent dossier de cette Cour ainsi que les documents qu'il contient demeurent. Partant, la Directive produit toujours ses effets.

[15]      Ce n'est pas à ce niveau que l'impact du désistement de la demanderesse doit se faire sentir mais bien à l'égard du maintien ou non de la Directive; aspect que nous aborderons ultérieurement. (Voir paragraphes 39 et suivants.)

[16]      Deuxièmement, je ne pense pas que l'on puisse écarter la possibilité pour Southam Inc. et al d'intervenir en les présentes au motif que les parties demanderesse et défenderesse au dossier n'ont elles-mêmes jamais participé au débat sur l'octroi de la Directive.

[17]      La Directive, il est évident, est principalement dirigée contre les médias. Bien que je ne suis pas d'accord pour affirmer, comme l'ont soutenu Southam Inc. et al, que la Cour suprême dans l'arrêt Dagenais c. Société Radio-Canada [1994] 3 R.C.S. 835 impose le devoir à toute cour de notifier les médias avant d'émettre une ordonnance de non-publication (voir en ce sens les propos du juge Lamer en pages 868-69), je suis néanmoins d'avis qu'il est tout à fait approprié d'accorder aux médias leur mot à dire dans tout débat en révision d'une telle ordonnance.

[18]      La Directive prévoit en son tout début la possibilité pour toute partie intéressée - donc, en soi, une personne ou une entité autre que les seules parties demanderesse et défenderesse au litige - à rechercher la revue de celle-ci.

[19]      Selon moi, Southam Inc. et al ont l'intérêt suffisant pour se voir accorder le droit d'intervenir au présent dossier pour les fins de faire revoir la Directive. Si l'on applique pour cette fin le test élaboré par cette Cour dans l'arrêt Canadian Council of Professional Engineers et al. v. Memorial University of Newfoundland (1997), 135 F.T.R. 211, en page 212, Southam Inc. et al le rencontrent dans ses trois aspects. Entre autres, ces derniers peuvent valablement soutenir que les droits constitutionnels suivants qu'ils exercent au nom du public, soit le droit à la publicité des débats judiciaires et leur droit à la liberté d'expression, sont brimés par la Directive. Puisque l'on peut considérer que le droit des médias à la liberté d'expression inclut le droit à la publicité des débats judiciaires, nous parlerons dorénavant du droit à la liberté d'expression.

[20]      Voilà pourquoi à l'audition j'ai indiqué à Southam Inc. et al (ci-après les intervenants) qu'ils se voyaient accorder le droit d'intervenir au présent dossier pour les fins de revoir la Directive. Pour les fins de la règle 109(3), les intervenants à l'égard de la Directive se gouverneront comme toute partie défenderesse et pourront bénéficier, ou être sujets, dépendamment de la situation, aux dépens et bénéficier du droit d'appel.

[21]      Par ailleurs, considérant que la Directive prévoit la possibilité de rechercher une "ordonnance" au contraire, il y a lieu dans les circonstances de traiter la Directive à toutes fins que de droit comme une ordonnance au sens des Règles de la Cour fédérale (1998) (les règles) pour les fins de la présente revue. Cette revue recherchée par les intervenants n'est pas de la nature d'un appel d'une ordonnance du protonotaire mais bien de la nature d'une requête en annulation en vertu de la règle 399, et plus spécialement des alinéas 399(1)a) et 399(2)a). Il est donc loisible que ce soit la Cour telle que constituée alors qui se penche maintenant sur la présente demande en annulation.

[22]      Quant aux points préliminaires pertinents soulevés par les intervenants, ils touchent plus à l'à-propos de l'émission de la Directive. Il y a donc lieu de les regarder sous cette rubrique qui touchera également au maintien ou non de la Directive.

L'à-propos de la Directive et son maintien présent

[23]      La Cour n'est pas prête à soutenir que la Directive est illégale du fait qu'elle n'a pas été recherchée par l'une ou l'autre des parties tel que l'exige la règle 151 ou qu'elle excède la juridiction du protonotaire en raison du fait que la Directive serait équivalente à une injonction.

[24]      La Directive ne fait pas référence à aucune règle spécifique parce qu'elle n'a pas été émise sous l'égide et l'autorité stricte d'une règle en particulier. C'est en ayant à l'esprit les critères de la règle 151(2) - qui encapsule l'état de la jurisprudence sur la balance des intérêts à soupeser - que la Cour a agi en tirant son autorité non pas d'une requête mais de la juridiction implicite de cette Cour à pouvoir contrôler son propre processus.

[25]      D'autre part, si une requête sous la règle 151 avait été présentée, tout protonotaire de cette Cour aurait pu clairement se prononcer sur celle-ci. Je ne vois pas pourquoi lorsque l'esprit de cette règle est utilisé par le biais de la juridiction implicite de cette Cour que le protonotaire n'aurait pas juridiction.

[26]      Si un protonotaire peut émettre une ordonnance de confidentialité, il m'apparaît également qu'il a l'autorité pour émettre une ordonnance de non-publication. En l'espèce, si une ordonnance de confidentialité avait été imposée au départ, il n'y aurait eu nul besoin de compléter celle-ci par une ordonnance de non-publication puisque les intervenants n'auraient pu accéder au dossier du pénitencier. L'ordonnance de non-publication a été rendue nécessaire puisque les documents étaient en la possession des intervenants au moment de l'émission de la Directive. L'ordonnance de non-publication est donc un tentacule, une extension de l'ordonnance de confidentialité. Elle est donc de la nature d'une ordonnance de confidentialité et non de celle d'une injonction. De fait, il m'appert qu'une ordonnance de non-publication est similaire dans ses effets à une ordonnance de huis-clos qu'un protonotaire peut rendre en vertu de la règle 29(2). Partant, dans les circonstances, un protonotaire pouvait émettre la Directive.

[27]      En cas de non respect d'une ordonnance de non-publication, le protonotaire n'aurait certes pas juridiction pour condamner ultimement tout contrevenant pour outrage au tribunal, mais il pourrait certes agir en première partie d'une requête à cet effet (voir règle 467(1)) et laisser à un juge de cette Cour la deuxième partie (règle 469 et suivantes).

[28]      Les intervenants soutiennent également que cette Cour au moment d'étudier la demande de directives n'avait pas devant elle la preuve requise démontrant que le besoin de confidentialité à l'égard du dossier du pénitencier l'emportait sur leur droit à la liberté d'expression.

[29]      Je ne suis pas d'accord avec cet argument eu égard aux circonstances de l'espèce.

[30]      Il faut savoir, tel que mentionné à l'audition, qu'au moment d'émettre la Directive, la Cour, bien que sachant que la partie demanderesse était dûment représentée par procureur, se devait néanmoins d'agir, et ce, avec célérité, dans le but, entre autres, de protéger toute information personnelle qui aurait porté sur tout tiers innocent et qui se serait retrouvée au dossier du pénitencier. Un examen même sommaire du dossier permet de réaliser que de telles informations qui touchent la vie privée de tiers innocents (tels les personnes ayant écrit à la demanderesse et qui décrivent dans leurs lettres des situations personnelles passées d'une nature parfois très troublante et qui, de surcroît, y indiquent leurs noms et leurs coordonnées complètes) se retrouvent au dossier.

[31]      Au 3 novembre 1999, la Cour avait donc devant elle des documents, soit le dossier du pénitencier, qui à sa face même contient des informations personnelles confidentielles portant sur des aspects fondamentaux de la vie privée de gens. Ces aspects de la vie privée sont extrêmement importants. Voici du reste comment la majorité de la Cour suprême rappelle cette importance dans un arrêt tout récent, soit R. c. Mills, arrêt du 25 novembre 1999, no 26358, aux pages 80 et suivantes:

     Ce droit de ne pas être importuné par l'État comporte la capacité de contrôler la diffusion de renseignements confidentiels. Comme le juge La Forest l'a affirmé dans l'arrêt R. c. Duarte, [1990] 1 R.C.S. 30, aux pp. 53 et 54:
Il est [...] reconnu depuis longtemps que la liberté de ne pas être obligé de partager nos confidences avec autrui est la marque certaine d'une société libre. Le juge Yates, dans la décision Millar v. Taylor (1769), 4 Burr. 2303, 98 E.R. 201, dit, à la p. 2379 et à la p. 242:
     [TRADUCTION] Il est certain que tout homme a le droit de ne pas exprimer ses opinions, s'il ne le veut pas: il a certainement le droit de juger s'il les rendra publiques ou s'il ne les livrera qu'à ses amis.
     Ces préoccupations en matière de vie privée sont à leur plus fort lorsque des aspects de l'identité d'une personne sont en jeu, comme dans le cas des renseignements "relatifs au mode de vie d'une personne, à ses relations intimes ou à ses convictions politiques ou religieuses": Thomson Newspapers , précité, aux pp. 517 et 518, le juge La Forest, cité avec approbation dans l'arrêt Baron, précité, aux pp. 444 et 445.
     Il ne faut pas minimiser l'importance de ces préoccupations en matière de vie privée. Plusieurs commentateurs ont souligné que la vie privée est aussi nécessairement liée à de nombreux rapports humains fondamentaux. Comme Charles Fried le dit, dans "Privacy" (1997-68), 77 Yale L.J. 475, aux pp. 477 et 478:
[TRADUCTION] Respecter et aimer les autres, leur faire confiance et ressentir de l'affection à leur égard, et nous considérer nous-mêmes comme étant l'objet d'amour, de confiance et d'affection sont au coeur de notre perception de nous-mêmes en tant que personnes parmi d'autres personnes, et la vie privée constitue l'élément ambiant nécessaire à ces attitudes et à ces actes, comme l'oxygène l'est pour la combustion.
Voir également David Feldman, "Privacy-related Rights: Their Social Value", dans Peter Birks, dir., Privacy and Loyalty (1997) 15, aux pp. 26 et 27, et James Rachel, "Why Privacy is Important" (1975), 4 Philosophy & Public Affairs 323. Notre Cour a reconnu ces aspects fondamentaux de la vie privée dans l'arrêt R. c. Plant, [1993] 3 R.C.S. 281, à la p. 293, où le juge Sopinka a affirmé au nom de la majorité:
Étant donné les valeurs sous-jacentes de dignité, d'intégrité et d'autonomie qu'il consacre, il est normal que l'art. 8 de la Charte protège un ensemble de renseignements biographiques d'ordre personnel que les particuliers pourraient, dans une société libre et démocratique, vouloir constituer et soustraire à la connaissance de l'État. Il pourrait notamment s'agir de renseignements tendant à révéler des détails intimes sur le mode de vie et les choix personnels de l'individu. [Nous soulignons.]

[32]      Au 3 novembre 1999, la Cour se trouvait confrontée avec le contenu du dossier du pénitencier. C'est là la preuve que la Cour avait devant elle. Elle n'agissait donc pas sans preuve et elle ne pouvait perdre un temps précieux à attendre ou rechercher plus. La Cour ne pouvait certes attendre que des tiers se manifestent par la présentation d'une requête sous la règle 151. La bonne administration de la justice commandait autrement.

[33]      Sachant que les médias disposaient depuis peu du dossier du pénitencier - tel qu'indiqué précédemment, le tribunal ignorait alors que la publication de larges extraits était déjà une réalité - la Cour se devait d'agir au nom de la vie privée avec célérité et ne pouvait en ce sens se préoccuper de notifier les médias, et ce, face aux difficultés et au temps qu'un tel exercice aurait demandé. (Voir Dagenais, supra, p. 868 au bas.)

[34]      Le même contexte factuel et donc la même célérité n'ont pas dicté à la Cour de mesures alternatives à la Directive et n'ont pas permis de plus un exercice de prélèvement ou d'élagage (tel celui prévu par l'article 25 de la Loi sur l'accès à l'information, L.R.C. 1985, c. A-1, telle qu'amendée).

[35]      Enfin, il apparaissait à la Cour que les effets bénéfiques de la Directive sur la vie privée étaient plus importants que ses effets préjudiciables sur la libre expression des médias.

[36]      En ce sens la Directive rencontre l'essence du test de l'arrêt Oakes suivant l'analyse de la Cour suprême dans Dagenais, supra, p. 878, et ce, en autant que la Directive soit soumise à l'examen de la Charte, voir Dagenais, supra, p. 941.

[37]      En somme, dans les faits, la Cour faisait face à un conflit entre la protection de la vie privée et la liberté d'expression des médias et il lui est apparu qu'elle devait donner préséance - du moins, pour un temps - à la protection de la vie privée.

[38]      S'il est dit "pour un temps", c'est qu'il faut de plus se rappeler que la Directive in limine appelait à une demande de révision par les médias s'ils devaient se sentir lésés. En ce sens, la Directive aurait pu être revue rapidement, voire sur une base urgente. Les intervenants auraient pu alors soulever tout argument de droit ou de faits pour amener cette Cour à circonscrire davantage la Directive. Toutefois, les intervenants ont attendu plus de quatorze (14) jours, soit au 17 novembre 1999 pour déposer la requête à l'étude; requête qui devait initialement être entendue le 22 novembre 1999.

[39]      Or, tel qu'indiqué précédemment (voir paragraphe 12), le 18 novembre 1999, la demanderesse s'est désistée de sa demande. Puisque le public est maintenant assuré qu'il n'y aura pas de débat en cette Cour quant au droit ou non de la demanderesse à bénéficier d'une permission de sortir avec escorte, le droit du public à l'information doit céder le pas au droit à la vie privée de la demanderesse qui a toujours retenu ce droit même au pénitencier.

[40]      Dans son affidavit, la demanderesse indique ce qui suit quant à sa perception du contenu du dossier du pénitencier et quant au fait qu'elle considère n'avoir jamais renoncé au caractère confidentiel de ce dernier:

4.      That most of the 22 documents (which includes the 30 letters from citizens) make reference to some of the most private areas of my life which I intend to keep, if not confidential, as private as possible;
5.      That although I brought a Motion for Judicial Review to the Federal Court against the Joliette institution warden decision, I never intended to make my correctional record accessible to the public and never consented that it be disclosed to same;
[...]
8.      That exhibit 22 contains mostly private aspects of my life in prison as interpreted by same S.C.C. workers;
[...]
10.      That the Tribunal record contains various information about other persons in which I have a lot of sympathy and respect (friends, family, professionals and other inmates);

[41]      La Cour est prête à accepter cette perception de la demanderesse aux fins d'inclure de façon principale maintenant dans la balance des intérêts les préoccupations en matière de vie privée de la demanderesse.

[42]      Les intervenants ont soutenu avec vigueur que l'on devait considérer que la demanderesse avait renoncé à toute protection en matière de vie privée en demandant au pénitencier que les documents à la base de la décision attaquée par la demanderesse soient transmis via la règle 318 et ce, sans que la demanderesse obtienne de façon concomitante une ordonnance sous la règle 151 afin de protéger tout aspect de sa vie privée.

[43]      Une telle conclusion m'apparaît trop drastique dans les circonstances.

[44]      Certes la demanderesse aurait pu faire preuve de prudence lorsqu'elle a requis du pénitencier la transmission du dossier de ce dernier. Cette prudence aurait pu s'exercer par la demande d'une ordonnance sous la règle 151. À la décharge de la demanderesse, on doit reconnaître que ce n'est pas elle qui a colligé ces documents un à un. Le dossier du pénitencier a plutôt été monté par cette institution et transmis au greffe de cette Cour. Il est vrai qu'alors la demanderesse aurait pu dès le 12 octobre 1999 présenter une requête sous la règle 151. Elle ne l'a pas fait. Elle en a toutefois payé le prix puisqu'avant l'émission de la Directive, les intervenants, et autres médias, ont publié et diffusé de larges extraits du dossier du pénitencier. Par ces publications, il m'appert que le droit du public à l'information, droit sous-jacent à la liberté d'expression des intervenants, a été largement servi. Pour ce qui est du reste de l'information, sous réserve des paragraphes qui suivent, la vie privée de la demanderesse doit maintenant prévaloir.

[45]      Il y a donc lieu de maintenir la Directive sauf en ce qui a trait à toute information qui aurait déjà été publiée au moment de l'émission de la Directive. Malgré l'opposition de la demanderesse à cet égard, il m'apparaît que cette conclusion est inéluctable puisqu'au moment de la Directive, toute information déjà publiée était forcément du domaine public. Comme la Cour ne connaissait pas ce fait au temps de la Directive, il y a lieu de restreindre la Directive à cet égard.

[46]      Par ailleurs, si la Cour a bien saisi les propos du procureur de la demanderesse, ce dernier a dit craindre à l'audition que si la Directive est ainsi amputée, les intervenants et autres médias pourront possiblement chercher à publier du dossier du pénitencier - puisque certains en possèdent une copie complète - de l'information toujours protégée par la Directive en soutenant que cette information, directement ou indirectement, constitue de l'information qui avait été publiée au 3 novembre 1999.

[47]      Je ne puis partager cette crainte de la demanderesse. On doit certes présumer de la bonne foi et du caractère responsable des médias. Si malheureusement la situation décrite par la demanderesse devait se matérialiser, la demanderesse disposera alors de ses recours en outrage au tribunal.

[48]      D'autre part, il est fort possible que l'information déjà publiée inclue en tout ou en partie les documents se retrouvant aux onglets 1 et 2 du dossier du pénitencier. Si tel est le cas, cette information n'est pas sujette à la Directive. Si tel n'est toutefois pas le cas, je suis alors d'avis face aux propos tenus en cours d'audition que cette information ne doit pas être sujette à la Directive.

[49]      D'autre part, et malgré que cet aspect ait été discuté en cours d'audition, je ne peux me résoudre après réflexion à accorder à la demanderesse en vertu de la règle 398(1)a) un sursis de l'ordonnance accompagnant les présents motifs. À cet effet, il est clair à mon avis que la demanderesse pour ce qui est de l'information maintenant soustraite à la protection de la Directive ne rencontre pas aucune des exigences du test jurisprudentiel à appliquer en l'espèce, soit le triple critère énoncé dans l'arrêt Manitoba (P.G.) c. Metropolitan Stores (MTS) LTD. et autres, [1987] 1 R.C.S. 110.

[50]      Enfin, malgré la demande de dépens formulée par la demanderesse dans le cadre de cette requête des intervenants, je juge que celle-ci doit être adjugée sans frais.

[51]      Une ordonnance sera émise en conséquence.



Richard Morneau

     protonotaire

MONTRÉAL (QUÉBEC)

le 23 décembre 1999

     COUR FÉDÉRALE DU CANADA

     NOMS DES AVOCATS ET DES PROCUREURS INSCRITS AU DOSSIER


NO DU DOSSIER DE LA COUR:

INTITULÉ DE LA CAUSE:

T-1677-99

KARLA-LEANNE TEALE

     Demanderesse

ET

LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

     Défendeur


LIEU DE L'AUDIENCE:Montréal (Québec)

DATE DE L'AUDIENCE:le 29 novembre 1999


MOTIFS DE L'ORDONNANCE DE ME RICHARD MORNEAU, PROTONOTAIRE

DATE DES MOTIFS DE L'ORDONNANCE:      le 23 décembre 1999

COMPARUTIONS:


Me Pascal Lescarbeau

pour la demanderesse

Me Nadia Hudon

pour le défendeur

Me Mark Bantey

pour Southam Inc. et al

PROCUREURS INSCRITS AU DOSSIER:


Me Pascal Lescarbeau

Montréal (Québec)

pour la demanderesse

Me Morris Rosenberg

Sous-procureur général du Canada

pour le défendeur

Lafleur Brown

Me Mark Bantey

Montréal (Québec)

pour Southam Inc. et al

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