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Date : 19990429


Dossier : IMM-3587-98

ENTRE :


NASIMA PARVEEN,


demanderesse,


- et -


LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L"IMMIGRATION,


défendeur.


MOTIFS DE L"ORDONNANCE

LE JUGE REED

[1]      Il s"agit d"une demande de contrôle et d"annulation d"une décision d"une agente des visas qui est arrivée à la conclusion que la demanderesse n"était pas qualifiée pour travailler en tant que secrétaire de direction au Canada; elle ne s"est pas vu octroyer assez de points pour obtenir le statut d"immigrante ayant reçu le droit d"établissement.


[2]      Comme cela se produit souvent dans ces cas, les descriptions de la demanderesse et de l"agente des visas diffèrent considérablement en ce qui a trait à ce qui s"est passé lors de l"entrevue de la demanderesse par l"agente des visas. J"y reviendrai plus loin.

[3]      Il y a, en tout cas, une erreur fondamentale dans la décision. L"agente des visas a conclu que la demanderesse n"était pas qualifiée en tant que secrétaire de direction parce qu"il lui manquait certaines compétences de base en secrétariat : dactylographie, sténographie, prise de dictée. Pourtant, dans la lettre de refus envoyée à la demanderesse, l"agente des visas a déclaré qu"elle avait été évaluée non seulement en tant que secrétaire de direction mais aussi en tant que secrétaire, un emploi pour lequel l"agente des visas a déclaré la demanderesse qualifiée. Les compétences de base en secrétariat sont communes à ces deux catégories, mais une secrétaire de direction se voit confier des fonctions plus étendues. Selon le juge Evans, dans Hussain c. Ministre de la Citoyenneté et de l"Immigration ( Canada), [1998] A.C.F. no 1538, ces fonctions sont de travailler pour un membre du personnel de direction, de rechercher et analyser l"information pour l"employeur, d"expédier les affaires courantes lorsque l"employeur est absent.

[4]      La demanderesse affirme dans son affidavit qu"aucune question ne lui a été posée par l"agente des visas à propos des fonctions supplémentaires qu"une secrétaire de direction doit accomplir au sens de la définition de cette profession dans la CCDP. Cette affirmation n"est pas contredite par le défendeur. Ce fait, à lui seul, lorsque mis en relation avec la conclusion de l"agente des visas voulant que la demanderesse soit qualifiée en tant que secrétaire, suffit pour exiger que la décision faisant l"objet de ce contrôle soit annulée. Aux termes du paragraphe 18.1(4) de la Loi sur la Cour fédérale, la décision de l"agente des visas a été prise de façon abusive, arbitraire et sans tenir compte des éléments dont l"agente disposait.

[5]      Il y a, de plus, un défaut fondamental dans la présente affaire. Le dossier qui a été fourni à la Cour par le défendeur est incomplet. Il a été " dépouillé ". L"avocat du défendeur affirme que cela se produit à cause d"une politique de " dossier mince " et de la difficulté de conserver les dossiers complets de tous les individus qui produisent une demande d"immigration au Canada dans les diverses ambassades à l"étranger. La période de temps durant laquelle une personne peut interjeter appel d"une décision d"un agent des visas est limitée. Je ne puis être d"accord avec l"allégation que le fardeau administratif de conserver le dossier complet pendant cette période soit trop lourd.

[6]      Je ne donnerai que deux exemples pour démontrer l"insuffisance du dossier. L"agente des visas a annexé à l"affidavit qu"elle a produit en réponse à l"affidavit de la demanderesse une page de notes manuscrites (de sa main et de celle de la demanderesse) réalisée au moment de son entrevue avec la demanderesse. Dans son affidavit, elle déclare que ces notes démontrent le manque d"habilités de la demanderesse à prendre une dictée et à rédiger en anglais. On ne retrouve cependant pas ce document dans le dossier qui a été déposé à la Cour. Il s"agit clairement d"un des documents dont le dossier a été " dépouillé ". Cela soulève, dans n"importe quel esprit raisonnable, la question à savoir : quoi d"autre a été enlevé du dossier?

[7]      La demanderesse et l"agente des visas soutiennent deux positions très différentes quant à savoir si la demanderesse a bel et bien reçu une formation officielle en secrétariat. L"agente des visas allègue dans son affidavit :

                 [TRADUCTION] La demanderesse a confirmé qu"elle n"avait jamais reçu de formation officielle en secrétariat et qu"elle avait acquis toute sa compétence " sur-le-tas ".                 

Il n"y a rien dans les notes CAIPS de l"agente prises au moment de l"entrevue qui permette de soutenir cette affirmation. Les notes disent : [TRADUCTION] " elle [la demanderesse] a admis que cela faisait longtemps qu"elle n"avait pas eu à dactylographier. Elle n"a pas subi de test officiel de dactylographie récemment ... ". La demanderesse allègue dans son affidavit, qui a été déposé avant celui de l"agente des visas :

                 [TRADUCTION] On m"a demandé si j"avais suivi un cours de secrétariat, la durée du cours et le contenu du cours. J"ai répondu que j"avais suivi un programme de certificat d"un an en science du secrétariat en 1979, pour lequel un certificat a été délivré en 1980. Le cours comprenait la dactylographie, le classement, la sténographie, des cours d"anglais, etc.                 

La demanderesse affirme aussi qu"elle a remis à l"agente des visas une copie certifiée conforme du certificat obtenu à l"occasion de ce cours, sous pli d"une lettre datée soit du 17 décembre 1996 ou d"une autre datée du 21 février 1997. Ni l"une ni l"autre de ces lettres, pas plus que le diplôme ne se retrouvent dans le dossier déposé à la Cour.

[8]      La Cour est ainsi incitée à croire que la demanderesse ne dit pas la vérité quand elle affirme que ces documents ont été remis à l"agente des visas, et qu"elle ne disait pas la vérité quand elle a dit à l"agente des visas qu"elle avait reçu une formation officielle. Cela dit, les données informatisées que l"on trouve dans le dossier du défendeur démontrent que plus de documents relatifs aux études que ceux qui se retrouvent maintenant dans le dossier de la Cour ont été remis au défendeur par la demanderesse. De plus, lors de sa première demande afin d"obtenir le statut d"immigrante ayant reçu le droit d"établissement, la demanderesse a inscrit dans son formulaire de demande de résidence permanente le diplôme en science du secrétariat qu"elle avait obtenu en 1980 (pour l"année 1978-1979). Ainsi, il est fort peu probable que la demanderesse ait " confirmé " à l"agente des visas qu"elle n"avait pas de formation officielle en secrétariat.

[9]      Il y a d"autres divergences similaires entre la description donnée par la demanderesse et celle donnée par l"agente des visas au sujet de ce qui s"est passé à l"entrevue. Je ne crois pas qu"il soit nécessaire de les décrire. Je pense qu"il est suffisant de noter que c"est le défendeur qui est maître du dossier présenté à la Cour. Ainsi, tout différend qui survient à cause de lacunes dans le dossier devrait, en général, être interprété contre le défendeur plutôt qu"en sa faveur. À vrai dire, je pense qu"un dossier incomplet pourrait, dans certaines circonstances, constituer un motif suffisant en soi d"annulation d"une décision faisant l"objet d"une demande de contrôle judiciaire. Le défendeur, en tant que partie devant la Cour et ayant le pouvoir de décider du degré d"exhaustivité des dossiers conservés relativement à ces entrevues, a la responsabilité de garantir que la Cour dispose d"un dossier complet et précis.

[10]      Une façon par laquelle les agents des visas pourraient parvenir à des dossiers plus complets, à part de ne pas les " dépouiller ", serait de faire des photocopies de tous les documents qui leur sont apportés par un demandeur à l"occasion d"une entrevue, avant de les retourner au demandeur. Il arrive bien trop souvent qu"un demandeur affirme que des documents ont été apportés à l"entrevue puis n"ont pas été pris en compte par l"agent des visas, alors que l"agent des visas en cause affirme que les documents n"ont jamais été déposés. Les agents des visas sont saisis de nombreuses demandes; on peut s"attendre à ce qu"ils n"aient pas un souvenir aussi précis de l"évènement que le demandeur. Je ne suis pas prêt à adopter l"approche que l"avocat du défendeur semblait proposer à savoir que les agents des visas n"ont aucun intérêt dans ces demandes et que, pour ce motif, leur version devrait être crue lorsqu"elle est contraire à celle du demandeur. Aussitôt que la décision d"un agent des visas est contestée, cette personne a un intérêt à justifier sa décision. Cette réaction est tout à fait naturelle. À ce moment, l"agent des visas n"est pas une personne n"ayant aucun intérêt dans l"affaire.

[11]      Pour ces motifs, la décision de l"agente des visas est annulée et la demande de la demanderesse est renvoyée pour réexamen devant un agent des visas différent.

" B. Reed "

___________________________

Juge

Winnipeg (Manitoba)

Le 29 avril 1999

Traduction certifiée conforme

Martin Desmeules

COUR FÉDÉRALE DU CANADA

SECTION DE PREMIÈRE INSTANCE


AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

No DU GREFFE :                  IMM-3587-98
INTITULÉ DE LA CAUSE :          NASIMA PARVEEN c. LE MINISTRE DE
                         LA CITOYENNETÉ ET DE L"IMMIGRATION
LIEU DE L"AUDIENCE :              Winnipeg (Manitoba)
DATE DE L"AUDIENCE :          Le 28 avril 1999

MOTIFS DE L"ORDONNANCE PAR MADAME LE JUGE REED

EN DATE DU :                  29 avril 1999

ONT COMPARU :

Mira Thow                      pour la demanderesse
Lyle Bouvier                      pour le défendeur

Ministère de la Justice

301-310 Broadway

Winnipeg (Manitoba)

R3C 0S6

AVOCATS AU DOSSIER :

Zaifman Associates

191, avenue Lombard, 5e étage

Winnipeg (Manitoba)

R3B 0X1                      pour la demanderesse

Morris Rosenberg

Sous-procureur général du Canada          pour le défendeur
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