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Date : 20060310

Dossier : IMM-2431-05

Référence : 2006 CF 319

Ottawa (Ontario), le 10 mars 2006

EN PRÉSENCE DE MONSIEUR LE JUGE RUSSELL

ENTRE :

MOUDHAT CHALAN

demandeur

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

défendeur

MOTIFS DE L'ORDONNANCE ET ORDONNANCE

[1]                Il s'agit d'une demande de contrôle judiciaire, présentée en vertu du paragraphe 72(1) de la Loi sur l'immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27 (la Loi), d'une décision (la décision) de la Section de la protection des réfugiés de la Commission de l'immigration et du statut de réfugié (la Commission). Le 8 avril 2005, la Commission a conclu que le demandeur n'est ni un réfugié au sens de la Convention ni une personne à protéger aux termes des articles 96 et 97 de la Loi.

LES QUESTIONS EN LITIGE

[2]                Le demandeur soulève les questions suivantes :

1.       La Commission a-t-elle commis une erreur du fait qu'elle a mal interprété une partie de la preuve?

2.       La Commission a-t-elle commis une erreur du fait qu'elle n'a pas tenu compte d'éléments de preuve dont elle était saisie ou qu'elle a tiré des conclusions qui n'étaient pas fondées sur la preuve?

3.       La Commission a-t-elle commis une erreur en tirant des conclusions déraisonnables quant aux faits et quant au caractère invraisemblable de la preuve?

CONTEXTE

[3]                Le demandeur est né le 4 février 1984 au camp de réfugiés de Jabalia dans la bande de Gaza, dans les Territoires occupés. Sa famille et lui sont des réfugiés de l'UNRWA.

[4]                Le demandeur allègue qu'en juin 2002, deux de ses amis ont été assassinés par des membres d'un groupe non nommé dont la mission est de découvrir et d'éliminer des personnes qui ont collaboré avec Israël. Deux semaines après cet événement, le père du demandeur a appelé ce dernier et l'a averti de fuir chez son oncle à Khan Younis, à quelque vingt kilomètres de distance.

[5]                Le père du demandeur lui aurait dit qu'un groupe non identifié d'hommes armés était venu à la maison familiale à la recherche du demandeur, parce que son nom figurait sur la liste des collaborateurs. Le demandeur est resté à Khan Younis durant les deux années suivantes. Il est demeuré discret, mais ses parents ont continué de lui rendre visite. Le demandeur soutient que durant cette période, des inconnus se sont régulièrement rendus à la maison de ses parents au camp de réfugiés de Jabalia pour le voir. Cette situation l'a conduit à quitter pour solliciter l'asile à l'étranger.

[6]                Le demandeur a quitté la bande de Gaza le 19 septembre 2004 et a revendiqué le statut de réfugié à son arrivée au Canada, le 20 septembre 2004.

LA DÉCISION

[7]                Dans ses motifs, la Commission a conclu que la demande d'asile du demandeur comportait de nombreux problèmes de crédibilité et de vraisemblance.

[8]                Plus particulièrement, la Commission a conclu que les aspects suivants du récit circonstancié du demandeur manquaient de crédibilité ou de vraisemblance :

(a)              la prétention du demandeur selon laquelle l'Autorité palestinienne et des groupes comme le Hamas et les Brigades des martyrs d'Al-Aqsa se gardent de revendiquer la responsabilité de l'assassinat de collaborateurs dans le but de préserver leur réputation;

(b)              le fait que le demandeur a affirmé avoir remarqué qu'il était surveillé, après le décès de ses amis et avant son départ pour Khan Younis, alors que les hommes armés se seraient présentés à la résidence de ses parents à un moment où il n'y était pas lui-même;

(c)              l'allégation du demandeur portant que les hommes armés ont attendu quelque deux semaines après le décès de ses amis avant de tenter de s'emparer de lui parce qu'ils menaient une enquête entre-temps;

(d)              l'allégation selon laquelle les hommes armés se sont présentés aux parents du demandeur comme les meurtriers des amis de leur fils et leur ont dit qu'ils avaient l'intention de tuer aussi ce dernier, donnant ainsi aux parents l'occasion d'avertir le demandeur et de lui recommander de fuir;

(e)              le fait que le demandeur ait pu fuir le camp de réfugiés de Jabalia pour se rendre à Khan Younis en autobus sans être découvert ni rencontrer quelque obstacle que ce soit;

(f)                le récit du demandeur selon lequel, malgré le fait qu'il ait été activement recherché par des personnes qui voulaient l'assassiner, ses parents l'ont régulièrement visité à Khan Younis sans être repérés par les tueurs;

(g)              l'affirmation du demandeur selon laquelle il a pu traverser la frontière égyptienne à Rafah muni d'un titre de voyage authentique de l'Autorité palestinienne sans aucune difficulté.

[9]                La Commission a aussi conclu que la déclaration du demandeur selon laquelle il était demeuré à Khan Younis deux ans avant de fuir (pendant que son père tentait en vain d'établir son innocence au camp de réfugiés de Jabalia) soulevait un doute quant à sa crainte subjective du groupe de militants.

[10]            Les parents du demandeur ont témoigné par téléphone et ils ont corroboré le récit de leur fils. Toutefois, la Commission a jugé que leur témoignage n'était pas crédible parce qu'il comportait des allégations invraisemblables semblables à celles du demandeur.

[11]            La Commission a préféré se fier à la preuve documentaire qui fait état de ce que l'assassinat de personnes soupçonnées d'agir comme collaborateurs dans les Territoires occupés se fait au grand jour, et qui indique que le plus souvent, la responsabilité de ces assassinats est revendiquée par une milice privée ou par l'Autorité palestinienne.

LA NORME DE CONTRÔLE

[12]            Il est bien établi que la Cour ne peut intervenir à l'égard des conclusions de fait et des conclusions relatives à la crédibilité de la Commission à moins que celle-ci ait commis une erreur manifestement déraisonnable (Aguebor c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration), [1993] A.C.F. no 732 (CAF)).   

[13]            Comme l'a exposé la Cour dans la décision Bains c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [1998] A.C.F. no 1144 (1re inst.) au paragraphe 11, une conclusion de la Commission quant à la crédibilité ne peut être annulée que si l'existence de l'un des critères énoncés ci-dessous est démontrée :

(a)              la Commission n'a fourni aucun motif valable pour conclure à l'absence de crédibilité du demandeur;

(b)              les inférences tirées par la Commission s'appuient sur des conclusions quant à la vraisemblance qui, de l'avis de la Cour, ne sont pas du tout convaincantes;

(c)              la décision est fondée sur des inférences qui ne sont pas étayées par la preuve;

(d)              la conclusion relative à la crédibilité découle d'une conclusion de fait erronée, tirée de façon abusive ou arbitraire ou sans tenir compte de la preuve.

[14]            Les conclusions de la Commission quant à la crédibilité doivent faire l'objet de la plus grande retenue judiciaire et ne devraient être annulées qu'en conformité avec les critères énoncés ci-dessus. En matière de crédibilité ou de vraisemblance, la Cour ne devrait pas substituer son opinion à celle de la Commission, sauf dans les « cas les plus évidents » .

ANALYSE

            Interprétation erronée de la preuve

[15]            Le demandeur soutient que la Commission a mal interprété sa preuve parce qu'il [traduction] « n'a pas déclaré qu'il connaissait effectivement l'identité du groupe » . Il a décrit le groupe responsable de ses problèmes comme [traduction] « un groupe spécial qui se consacre à la poursuite des collaborateurs » .

[16]            Toutefois, mon examen de la décision contestée me porte à croire que la Commission n'a pas douté de la crédibilité du demandeur en raison du fait qu'il n'a pas pu préciser le nom de la milice privée ou en spécifier l'identité. La Commission n'a pas mal interprété la preuve du demandeur à cet égard. La Commission reconnaît l'explication du demandeur pour justifier qu'il ne pouvait indiquer le nom de la milice ( « [O]n ne sait pas toujours quel groupe fait quoi parce que divers groupes sont actifs dans les Territoires occupés, notamment le Hamas » ), mais elle n'a pas jugé crédible son affirmation concernant les réticences du groupe en question à revendiquer la responsabilité de l'exécution de collaborateurs ou de personnes soupçonnées de collaboration :

Comme le demandeur d'asile n'a tout simplement pas pu identifier les présumés auteurs du meurtre des frères, le tribunal lui a demandé s'il alléguait que personne n'avait revendiqué ces décès. Le demandeur d'asile a répondu que, dans les Territoires occupés, lorsqu'on interroge un groupe à propos d'un meurtre, le groupe répond automatiquement qu'il n'en est pas responsable et qu'il faut vérifier si d'autres groupes en sont responsables. Il a ajouté à titre d'exemple que le Hamas ne se permettrait pas de ternir sa réputation en revendiquant un décès [...] le demandeur d'asile a déclaré qu'aucun groupe n'assume de responsabilité à l'égard de décès dans les Territoires occupés.

[17]            Lorsque la Commission a examiné la preuve documentaire, elle a tenté de trouver « une référence qui corrobore l'affirmation du demandeur d'asile selon laquelle des groupes, qu'ils soient connus ou non, des Territoires occupés esquivent ou déclinent toute responsabilité pour la mort de présumés collaborateurs ou de collaborateurs d'Israël » . Autrement dit, c'est la question de la « responsabilité » qui a suscité les doutes de la Commission et non l'incapacité du demandeur de désigner par son nom la milice responsable du décès des frères :

Cependant, le demandeur d'asile a non seulement été incapable de présenter de preuve objective à l'appui de sa déclaration selon laquelle des groupes ou des justiciers non identifiés déclinent toute responsabilité pour le meurtre de présumés collaborateurs, mais le tribunal estime que la preuve documentaire objective déposée à titre de pièces dans le cadre de sa demande d'asile contredit en très grande majorité son allégation quant à la revendication des meurtres de présumés collaborateurs et de collaborateurs invétérés dans les Territoires occupés. En effet, les groupes ou les particuliers (qu'ils soient connus ou non) revendiquent publiquement leur rôle dans la grande majorité des cas, voire dans tous les cas, de meurtre. La preuve documentaire donne des détails quant aux auteurs des meurtres.

[18]            La Commission analyse ensuite la preuve documentaire et tire les conclusions suivantes :

Le tribunal remarque que la preuve documentaire démontre incontestablement que le traitement que réservent les groupes qui participent à l'intifada actuelle aux collaborateurs et aux présumés collaborateurs d'Israël se fait publiquement pour dissuader d'autres Palestiniens qui envisageraient d'espionner pour Israël. Somme toute, les auteurs des crimes ne se gênent pas pour revendiquer les actes, notamment parce que l'Autorité palestinienne ne mène pas d'enquêtes et n'appréhende pas les auteurs des crimes.

Par conséquent, le tribunal estime que la preuve documentaire objective démontre que les présumés espions dans les Territoires occupés sont tués ouvertement et que les groupes responsables de ces meurtres admettent leurs crimes franchement. Le tribunal conclut selon la prépondérance des probabilités que l'allégation du demandeur d'asile selon laquelle aucun groupe n'a revendiqué le meurtre de deux présumés collaborateurs dans le camp Jabalia n'est pas crédible et elle l'amène à conclure que les meurtres n'ont pas été commis comme le demandeur d'asile le prétend. L'analyse suivante étaye davantage cette conclusion.

[19]            Dès lors, la seule question sur ce point consiste à se demander si la conclusion de la Commission, à savoir que « la preuve documentaire objective démontre que les présumés espions dans les Territoires occupés sont tués ouvertement et que les groupes responsables de ces meurtres admettent leurs crimes franchement » , est manifestement déraisonnable compte tenu de la preuve documentaire objective dont disposait la Commission.

[20]            Selon le demandeur, cette conclusion est manifestement déraisonnable parce que, si tous les groupes n'évitent pas de revendiquer la responsabilité d'une exécution, cette question dépend en réalité de l'identité de l'auteur. Toutes les exécutions ne sont pas revendiquées.

[21]            Le demandeur attire l'attention sur un rapport du Département d'État américain, le U.S. Department of State Country Report for 2003, publié en février 2004, qui indique à la page 24 que [traduction] « des civils palestiniens ont aussi tué dans les Territoires occupés au moins cinq Palestiniens qui avaient apparemment collaboré avec Israël. La plupart des exécutions ont été commises par des petits groupes de tireurs palestiniens non identifiés. L'Autorité palestinienne n'a mené aucune enquête ni procédé à aucune arrestation à la suite de ces meurtres. »

[22]            Je ne crois pas que le passage cité soit utile au demandeur. Il a déclaré que les décès avaient été causés par un groupe spécial, non par des « civils palestiniens » qui avaient formé un petit groupe « de tireurs palestiniens non identifiés » . Dans son affidavit, le demandeur atteste avoir dit dans son témoignage :

                        [Traduction]

[...] que les groupes connus jouant un rôle politique ne voulaient pas être associés aux exécutions et que, interrogés au sujet de ces exécutions, ils niaient toute implication dans la poursuite et le meurtre de collaborateurs particuliers.

[23]            Comme on le voit, la preuve du demandeur ne portait pas sur des « petits groupes » de « civils palestiniens » . Il a lui-même parlé des « groupes connus » qui, dit-il, mettaient des membres à la disposition du « groupe spécial » parce que les groupes connus [traduction] « ne voulaient pas être associés aux exécutions » .

[24]            Suivant la preuve documentaire objective au dossier de la Commission, les « groupes connus » n'ont aucune réticence à revendiquer la responsabilité d'assassinats. Partant, la preuve du demandeur ne trouve pas appui dans la preuve documentaire, et la conclusion de la Commission à cet égard n'était pas déraisonnable.   

[25]            Le demandeur soulève différentes autres questions relatives à l'invraisemblance qui ressortent clairement du reste de la décision. Je peux certainement constater que la Commission a commis une erreur (pour ce qui est de la question de l'autobus, par exemple) et a peut-être mal apprécié d'autres éléments (par exemple, la nature exacte des liens personnels d'amitié entre le demandeur et les garçons tués), mais j'estime que ces points n'entachent pas irrémédiablement la décision. La Commission a fait état de ces points uniquement parce que, à son avis, d'autres facteurs étayaient sa conclusion principale selon laquelle « les meurtres n'ont pas été commis comme le demandeur d'asile le prétend » . Je ne crois pas que la décision de la Commission aurait été différente si ces erreurs avaient été portées à son attention. La conclusion essentielle, dans la décision de la Commission, est que la Commission a été incapable de croire le demandeur parce que le « groupe spécial » qu'il craignait n'aurait pas hésité, suivant la preuve documentaire, à revendiquer la responsabilité du décès des deux garçons. Le demandeur n'a pas démontré que la conclusion principale de la Commission est manifestement déraisonnable. La Cour ne peut pas intervenir pour apprécier à nouveau la preuve et substituer son opinion à celle de la Commission.


ORDONNANCE

LA COUR ORDONNE :

1.                   La demande est rejetée.

2.                   Il n'y a aucune question à certifier.

« James Russell »

Juge

Traduction certifiée conforme

Thanh-Tram Dang, B.C.L., LL.B.


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

DOSSIER :                                         IMM-2431-05

INTITULÉ :                                        MOUDHAT CHALAN

                                                            c.

            LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE         L'IMMIGRATION

LIEU DE L'AUDIENCE :                 OTTAWA (ONTARIO)

DATE DE L'AUDIENCE :                LE 6 DÉCEMBRE 2005

MOTIFS DE L'ORDONNANCE

ET ORDONNANCE :                        LE JUGE RUSSELL

DATE DES MOTIFS :                       LE 10 MARS 2006

COMPARUTIONS :

SILVIA R. MACIUNAS POUR LE DEMANDEUR

TATIANA SANDLER                                                             POUR LE DÉFENDEUR

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

SILVIA R. MACIUNAS POUR LE DEMANDEUR

AVOCATE

OTTAWA (ONTARIO)

JOHN H. SIMS, c.r.

SOUS-PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA                   POUR LE DÉFENDEUR

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