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Date : 20050913

Dossier : IMM-9323-03

Référence : 2005 CF 1233

OTTAWA (Ontario), le 13 septembre 2005

EN PRÉSENCE DE MONSIEUR LE JUGE TEITELBAUM

ENTRE :

                                            OSCAR MARQUEZ HERRERA

                                                                                                                          demandeur

ET :

                LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

                                                                                                                             défendeur

                          MOTIFS DE L'ORDONNANCE ET ORDONNANCE

LE JUGE TEITELBAUM

[1]                 Bien que touts les actes de procédure soient en français et que les observations verbales aient été faites en français, le demandeur a exigé que je rende ma décision en anglais.

[2]                 Le demandeur est un citoyen mexicain, âgé de 29 ans, qui craint d'être persécuté du fait de son homosexualité.

[3]                 Il déclare avoir été victime de violence verbale et physique, et ce, dès un très jeune âge au Mexique, qu'il a été rejeté par sa famille et offensé par ses compagnons de classe. Il signale également plusieurs incidents survenus à l'âge adulte. Le premier est une bagarre contre des membres de son équipe de basket-ball en décembre 1990, bagarre durant laquelle il dit avoir été blessé par un pétard et avoir subi des brûlures du second degré.


[4]                 Le demandeur affirme aussi qu'il a commencé à entretenir une relation avec un collègue de travail en décembre 1995, ce qui a entraîné leur congédiement. Ensuite, le demandeur déclare qu'en septembre 2000, lui et son partenaire ont été battus par quelques officiers de police après être sortis d'un bar gai, main dans la main, vers 4 heures du matin. Il dit qu'il ne pouvait pas déposer de plainte formelle à propos de cet incident parce qu'il n'était pas en mesure d'identifier les officiers qui l'ont attaqué, et s'est fait dire qu'il ne pouvait pas déposer de plainte contre la conduite d'un policier sans être capable de fournir un nom. Après cet incident, son partenaire l'a quitté et est allé vivre avec sa famille à Cancun. (Son partenaire, Ricardo, est arrivé plus tard au Canada, et c'est en parlant avec lui que le demandeur dit avoir eu l'intention de venir également au Canada, parce que les homosexuels y sont plus en sécurité. La transcription indique que le demandeur a parlé longuement de rejoindre ici Ricardo, même s'ils ne forment plus un couple.)

[5]                 En octobre 2001, le demandeur a trouvé un nouvel emploi dans une banque grâce à un contact, mais en février 2002, il a été battu par des compagnons de travail lors d'une soirée jusqu'à ce que d'autres compagnons de travail interviennent. Il dit qu'il a été congédié à la suite de cet incident. Il a par la suite obtenu un autre emploi en avril 2002, mais lorsque ses nouveaux employeurs ont appris en décembre 2002 qu'il était gai, ils lui ont demandé de démissionner. Il a déposé une plainte au bureau régional de l'emploi et des services sociaux.

[6]                 En janvier 2003, le demandeur a noué une relation avec le propriétaire d'un salon de coiffure nommé Alejandro Lara Oropeza. Le 1er février 2003, l'appartement d'Alejandro a été cambriolé. Alejandro a soupçonné un voisin qui l'avait menacé et a fait un rapport à la police. Peu de temps après, le 3 mars 2003, six hommes ont fait irruption dans le salon de coiffure et ont battu Alejandro et le demandeur si durement qu'Alejandro est encore dans le coma dans un hôpital du Mexique. (Une facture d'hôpital faisant état de ses traitements a été remise à la Commission.)


LA DÉCISION FAISANT L'OBJET DU CONTRÔLE JUDICIAIRE

[7]                 La Commission a jugé que le demandeur n'est pas un réfugié au sens de la Convention ni une personne à protéger pour les raisons suivantes :

- la Commission a conclu que le demandeur n'était pas crédible en raison, dit-elle, des différences entre sa documentation et son témoignage oral devant la Commission;

- la Commission a également déclaré que le demandeur n'était pas crédible à ses yeux parce qu'il n'a fait que répéter ses réponses écrites devant la Commission et n'a pas fourni de détails supplémentaires en réponse aux questions verbales;

- la Commission a estimé que le demandeur n'avait pas présenté assez d'éléments pour prouver son homosexualité et n'a pas cru qu'il était gai; la Commission a remarqué en particulier que le demandeur n'avait pas une _ allure efféminée _.

- le demandeur a présenté un document daté de 1996 concernant son traitement de la peau fait par un dermatologue; la Commission a conclu que ce traitement ne pouvait pas être lié à ses brûlures du second degré subies lors de l'incident du pétard, en 1990;


- la Commission a conclu que le compte rendu du demandeur relativement à l'incident du pétard de 1990 était différent dans son témoignage, en ce sens qu'il a mentionné avoir accidentellement frappé avec une balle quelqu'un qui a cru que le geste était délibéré, et que l'agression n'avait donc pas de lien avec son homosexualité;

- le demandeur a fourni des documents sur son hospitalisation d'une durée de trois jours après l'incident survenu en 2000, à l'extérieur de la boîte de nuit, et la Commission est arrivée à la conclusion que (a) la documentation ne prouvait pas que son hospitalisation était liée à l'agression et que (b) le demandeur n'a pas mentionné dans son formulaire de renseignements personnels (FRP) avoir été hospitalisé après l'agression, ce qui était une incohérence; le demandeur a fourni des détails supplémentaires sur l'incident de la boîte de nuit survenu en 2000, détails qui n'apparaissaient pas dans son FRP, notamment que les agresseurs lui avaient mis une cagoule pour qu'il ne puisse pas voir leur visage, ce qui était une incohérence;


- la Commission n'a pas cru le demandeur lorsqu'il a affirmé qu'il ne pouvait pas porter plainte contre un policier au sujet de l'incident de la boîte de nuit survenu en 2000, compte tenu de la preuve documentaire selon laquelle la police du Mexique accepte les plaintes au sujet d'incidents de nature criminelle dont les auteurs sont inconnus, et du fait que le demandeur et Alejandro avaient signalé le cambriolage de 2003 à la police, même s'ils ne connaissaient pas l'identité des malfaiteurs;

- la Commission a conclu que le document concernant la plainte d'Alejandro à la police au sujet du cambriolage de 2003 était faux et n'a pas accepté les explications du demandeur selon lesquelles certaines parties du document étaient masquées en raison de mesures de sécurité toujours appliquées à de tels documents par les agents mexicains afin d'empêcher une falsification;

- le demandeur a témoigné que le Secrétariat du travail et de la sécurité sociale du Mexique (Défense des travailleurs) avait délivré aux parties une assignation à comparaître au sujet de sa plainte verbale concernant son congédiement de 2002, dans les quatre jours qui ont suivi sa plainte; la Commission a déclaré qu'elle ne croyait pas que le Secrétariat ait réagi si rapidement à une plainte verbale, mais a omis de fournir des motifs pour étayer cette conclusion;

- la facture concernant l'hospitalisation d'Alejandro, fournie par le demandeur, était adressée à sa soeur, au même appartement où ils vivaient lorsque Alejandro a subi son agression; la Commission a conclu que si le voisin du demandeur avait participé à l'agression, alors la soeur aurait déménagé;


- la Commission a noté une contradiction entre le témoignage du demandeur selon lequel Alejandro avait été emmené à l'hôpital Del Seguro Social après l'agression survenue au salon de coiffure en 2003, et le fait que la facture de l'hôpital provienne de l'American British Cowdray Medical Center I.A.P.;

- le demandeur a également déposé une facture de pharmacie pour son traitement reçu après l'agression de 2003 au salon de coiffure, mais la Commission y a vu une incohérence, en ce sens que le demandeur n'avait pas mentionné dans son FRP avoir eu besoin d'un traitement après l'agression.

[8]                 La Commission a aussi pris le soin de préciser, à la fin de sa décision, qu'elle a seulement _ constaté _ certaines des contradictions et des incohérences lorsqu'elle a examiné la preuve après l'audience, notamment la preuve produite par le demandeur le jour de l'audience. La Commission a indiqué que puisque la l'audience était terminée, elle n'a pas eu l'occasion de _ confronter _ le demandeur à ce sujet, et qu'il ne servait à rien de _ rouvrir _ les enquêtes, parce qu'il n'était pas jugé crédible.


LES ARGUMENTS DU DEMANDEUR

[9]                 Le demandeur présente trois principaux arguments :

1) La Commission a violé les principes de justice naturelle en agissant de manière partiale à son endroit avec ses commentaires relatifs à son manque d'_ allure efféminée _ (Ithibu c. Le ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration, 2001 CFPI 288, Ahumada c. Le ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration, [1999] A.C.F. no 1851)[1].

2) La Commission a reconnu que le demandeur n'avait pas eu l'occasion de donner des explications sur ce qu'elle jugeait être des incohérences dans son témoignage parce qu'elle ne s'en était rendu compte qu'après l'audience, et ceci équivaut à un manque d'équité procédurale (Sheikh c. Le ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration, 2003 CFPI 272).


3) La Commission a commis une erreur dans l'analyse de la protection de l'État en présumant que le demandeur pouvait solliciter la protection des policiers et porter plainte contre eux, alors que ce sont des agents de police qui l'ont agressé lors de l'incident de la boîte de nuit en 2000 (Hernandez c. Le ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration, 2003 CFPI 182).

LES ARGUMENTS DU DÉFENDEUR

[10]            Le défendeur fait les observations suivantes :

1) Il faut faire preuve d'une grande retenue à l'égard des conclusions tirées par la Commission au sujet de la crédibilité (Aguebor c. Le ministre de l'Emploi et de l'Immigration, (1993), 160 NR 315 (C.A.F.), Kumar c. Le ministre de l'Emploi et de l'Immigration, [1993] A.C.F. no 219 (C.A.F.), Sheikh c. Le ministre de l'Emploi et de l'Immigration, [1990] 3 C.F. 238, Ismaeli c. Le ministre de la Citoyenneté et l'Immigration, [1995] A.C.F. no 573). La Cour ne peut pas simplement substituer son opinion à celle du tribunal (Oduro c. Le ministre de l'Emploi et l'Immigration, [1993] A.C.F. no 560, Mohimani c. Le ministre de l'Emploi et l'Immigration, [1993] A.C.F. no 564).


2) Le fardeau de la preuve incombait au demandeur et il ne s'en est pas acquitté (Adjei c. Le ministre de l'Emploi et l'Immigration, [1989] 2 C.F. 680, Perez c. Le ministre de la Citoyenneté et l'Immigration, [1995] A.C.F. no 18, El Jarjouhi c. Le ministre de l'Emploi et l'Immigration, [1994] A.C.F. no 466, article 7 des Règles de la Section de la protection des réfugiés, DORS/2002-228, sous-alinéa 205a)ii du Guide des procédures et critères à appliquer pour déterminer le statut de réfugié du Haut commissariat des Nations unies pour les réfugiés, Genève, janvier 1992). La Cour fédérale a déjà confirmé des décisions portant que le demandeur n'avait pas présenté suffisamment de preuves de son homosexualité (Polyakov c. Le ministre de la Citoyenneté et l'Immigration, [1996] A.C.F. no 300, Zamanibakhsh c. Le ministre de la Citoyenneté et l'Immigration, [2002] A.C.F. no 1525).


3) La Commission peut tirer une conclusion défavorable quant à la crédibilité en se fondant sur les incohérences et les omissions dans le FRP du demandeur (Basseghi c. Le ministre de la Citoyenneté et l'Immigration, [1994] A.C.F. no 1867, Grinevich c. Le ministre de la Citoyenneté et l'Immigration, [1997] A.C.F. no 444, Mostajelin c. Le ministre de l'Emploi et l'Immigration, [1993] A.C.F. no 28, Lobo c. Le ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration, [1995] A.C.F. no 597, Kutuk c. Le ministre de la Citoyenneté et l'Immigration, [1995] A.C.F. no 1754).

4) La Commission n'est pas tenue de mettre le revendicateur en présence des incohérences et des invraisemblances ressortant de sa preuve, particulièrement lorsqu'une partie de cette preuve n'a été produite que le matin de l'audience (Contreras c. Le ministre de la Citoyenneté et l'Immigration, [2000] A.C.F. no 906, Belhadj c. Le ministre de la Citoyenneté et l'Immigration, [1995] A.C.F. no 276).

5) Les allégations de partialité doivent être soulevées à la première occasion raisonnable (Canada c. Taylor, [1990] 3 R.C.S. 892, In re Tribunal des droits de la personne et Énergie atomique du Canada Ltée, [1986] 1 C.F. 103 (C.A.F.), Kavunzu c. Canada, [2000] A.C.F. no 1560). Une allégation de partialité est grave et ne peut pas être faite à la légère (Committee for Justice and Liberty et autres c. Office national de l'énergie et autres, [1978] 1 R.C.S. 369 (l'arrêt Crowe), Arthur c. Canada (Procureur Général), (2001), 283 N.R. 346). Une personne renseignée qui aurait bien réfléchi à la situation de manière réaliste et pratique ne serait pas encline à conclure que la Commission a fait preuve de partialité.


6) Il incombe au demandeur de démontrer que l'État ne peut pas assurer sa protection (Ward c. Procureur général du Canada, [1993] 2 R.C.S. 689, Mendivil c. Canada (Secrétaire d'État), (1994) 167 N.R. 91 (C.A.F.), Roble c. Ministre de l'Emploi et l'Immigration, (1994) 169 N.R. 125).

ANALYSE

(i) Les allégations de partialité

[11]            Le défendeur a fourni très peu de réponses directes aux arguments du demandeur concernant la conclusion de la Commission portant que le demandeur ne semblait pas avoir une _ allure efféminée _, sauf pour dire que les allégations de partialité étaient graves et ne devraient pas être faites à la légère. C'est exact. Je ne suis pas d'avis qu'elles sont lancées à la légère dans cette affaire, pas du tout.


[12]            Il n'y a vraiment aucune raison pour la Commission de même mentionner le _ caractère efféminé _ du demandeur, ou son absence, dans sa décision, à moins qu'elle présume qu'un homosexuel doit être efféminé dans son apparence ou sa conduite, et ceci indépendamment des commentaires faits par l'avocat du demandeur et reproduits aux pages 377 et 378 du dossier du tribunal. C'est un stéréotype complètement discrédité qui ne devrait avoir aucune incidence sur le jugement de la Commission en ce qui concerne la crédibilité du demandeur.

[13]            J'ai tiré la conclusion suivante dans la décision Kotkova c. Canada (Le ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), 2004 CF 1188, une demande d'autorisation, aux paragraphes 10 et 11 :

En outre, je ne comprends pas le commentaire suivant du commissaire : _ De plus, la revendicatrice en apparence ne semble pas juive. _ À quoi ressemble un juif? _..._

Cette déclaration du commissaire fait clairement naître une crainte raisonnable de partialité.

[14]            Cette conclusion a été reprise par le juge Pinard à l'étape du contrôle judiciaire dans la même affaire, Kotkova c. Canada (Le ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), 2004 CF 1706, au paragraphe 4 :

Qu'elle soit exprimée consciencieusement ou non, ce genre d'opinion toute faite se fonde entièrement sur l'apparence d'une personne et est malheureusement telle qu'elle encourage des préjugés inacceptables contre les Juifs; elle ne peut être utilisée dans le but de discréditer la crainte exprimée par la demanderesse d'être persécutée du fait de sa religion juive. À mon avis, dans les circonstances, ce genre de commentaire entache de nullité toute la décision en cause.


[15]            Ce raisonnement s'applique directement à la présente espèce. Les homosexuels font l'objet de nombreux préjugés, desquels font partie les stéréotypes sur l'efféminement. Le manque d'efféminement du demandeur n'est pas un motif valable pour mettre en doute sa crédibilité lorsqu'il affirme être un homosexuel, et j'affirme ce qui précède malgré la remarque faite par l'avocat du demandeur dans les pages du dossier du tribunal mentionnées ci-dessus.

[16]            Le critère à l'égard de la partialité établi dans l'arrêt Committee for Justice and Liberty c. Office national de l'énergie, [1978] 1 R.C.S. 369, et R. c. S. (R.D.), [1997] 3 R.C.S. 484, est le suivant :

[...] à quelle conclusion en arriverait une personne bien renseignée qui étudierait la question en profondeur, de façon réaliste et pratique. Croirait-elle que, selon toute vraisemblance, [le décideur], consciemment ou non, ne rendra pas une décision juste?

[17]            Je crois qu'il n'est pas difficile pour une personne bien renseignée de conclure que la déclaration de la Commission dénote un degré d'ignorance et de préjugés qui est non seulement inhabituel de manière générale, mais qui est particulièrement aberrant de la part d'un preneur de décision qui se trouve dans une position pour trancher des demandes délicates et susceptibles de porter sur l'homosexualité.


[18]            Outre la présence de partialité, une telle conclusion est manifestement déraisonnable. Le juge Campbell a fait une analyse approfondie des raisons pour lesquelles les conclusions relatives à la crédibilité ne peuvent pas reposer sur des apparences extérieures, dans l'arrêt Vodics c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), 2005 CF 783. Il a noté au paragraphe 11 que, conformément au principe établi dans l'arrêt Maldonado c. Ministre de l'Emploi et de l'Immigration, [1980] 2 C.F. 302 (C.A.), il faut de solides motifs pour rejeter le témoignage fait sous serment d'un demandeur d'asile :

¶ 11       Il n'est pas difficile de comprendre que, en toute justice pour la personne qui jure de dire toute la vérité, des motifs concrets s'appuyant sur une preuve forte doivent exister pour qu'on refuse de croire cette personne. Soyons clairs. Dire qu'une personne n'est pas crédible, c'est dire qu'elle ment. Donc, pour être juste, le décideur doit pouvoir exprimer les raisons qui le font douter du témoignage sous serment, à défaut de quoi le doute ne peut servir à tirer des conclusions. La personne qui rend témoignage doit bénéficier de tout doute non étayé.

[19]            Il a ensuite examiné l'application des stéréotypes par la Commission aux paragraphes 15 à 17 :

¶ 15       L'utilisation des connaissances spécialisées dans le processus décisionnel, qui est en fait l'utilisation de connaissances personnelles acquises par le décideur, est acceptable, mais elle est assortie d'une contrainte très importante lorsqu'il s'agit de l'utilisation de stéréotypes. Cette question est abordée par les juges L'Heureux-Dubé et McLachlin (maintenant juge en chef) dans l'arrêt R. c. S. (R.D.), [1997] 3 R.C.S. 484 :

29. À notre avis, le test développé par la jurisprudence quant à la crainte raisonnable de partialité reflète cette réalité qui veut que si le juge ne peut jamais être tout à fait neutre, c'est-à-dire parfaitement objectif, il peut et il doit, néanmoins, s'efforcer d'atteindre l'impartialité. Ce test suppose donc qu'il est inévitable et légitime que l'expérience personnelle de chaque juge soit mise à profit et se reflète dans ses jugements, à condition que cette expérience soit pertinente, qu'elle ne soit pas fondée sur des stéréotypes inappropriés, et qu'elle n'entrave pas la résolution juste et équitable de l'affaire à la lumière des faits mis en preuve.


L'arrêt R. c. S. (R.D.) portait sur le test de la crainte raisonnable de partialité d'un juge, mais le commentaire concernant les notions de neutralité, d'impartialité et de prudence qui doivent guider l'utilisation des stéréotypes s'applique également aux décideurs de la SSR.

¶ 16       Le Canadian Oxford Dictionary (2004) définit stereotype (stéréotype) comme une impression préconçue, uniformisée et simpliste à l'excès des caractéristiques d'une personne ou d'une situation. L'utilisation d'un stéréotype présente un risque : la personne qui fait exception à cette impression simpliste à l'excès n'est pas à l'abri de l'application erronée de l'impression.

¶ 17       Lorsque la SSR se prononce en matière d'origine ethnique, il semble évident que le fait qu'un demandeur d'asile particulier ne correspond pas à un profil stéréotypé particulier ne peut être retenu contre lui si l'on n'est pas certain, avec un certain degré de certitude que, selon la preuve, la personne devrait correspondre au profil stéréotypé. Il est juste de dire, je crois, qu'il est très difficile si ce n'est impossible d'en arriver à ce niveau de certitude. En fait, avant que la présente décision ne fût rendue, l'utilisation de stéréotypes avait fait l'objet d'un commentaire important de la part du juge Kelen dans Tubacos c. Canada (M.C.I.), [2002] A.C.F. no 290 :      [citation omise].

Si l'on présume donc de la véracité du témoignage sous serment portant sur l'origine ethnique, le fait que le déclarant ne correspond pas à la façon dont le décideur comprend l'origine ethnique ne constitue pas, en l'absence du niveau de certitude exigé, une preuve digne de foi permettant de réfuter la présomption. Par conséquent, le simple fait qu'une personne fait exception à un profil ethnique, même pour plusieurs facteurs, ne permet pas de conclure qu'elle n'est pas la personne qu'elle prétend être. Il se pourrait fort bien que, en l'absence d'une preuve admissible et digne de foi contraire à l'allégation de l'origine ethnique, par exemple une évaluation digne de foi du lignage ethnique, des aveux ou une autre preuve contraire directe, il faille accepter la déclaration sous serment de la personne même ou son origine ethnique.

[20]            Ce raisonnement s'applique également au témoignage sous serment relatif à l'orientation sexuelle.

[21]            Bien que je sois d'avis que, conformément aux commentaires énoncés par le juge Pinard dans Kotkova, précitée, l'ensemble de la décision est entachée et doit être renvoyée, je fournirai une analyse de certains points supplémentaires.


[22]            Le défendeur soutient, dans l'argumentation écrite, que les allégations de partialité n'ont pas été faites à l'audience, et qu'elles doivent être l'être dès que possible après les faits qui ont apparence de partialité. Je noterais ici que la partialité a été révélée par les mots mêmes utilisés dans la décision rendue par la Commission et qu'elle ne pouvait donc pas être contestée au moment de l'audience.

(ii) L'obligation de confronter

[23]            Le défendeur renvoie à deux décisions de la juge Tremblay-Lamer et affirme qu'il n'y a pas d'obligation de mettre un revendicateur en présence de ses incohérences et contradictions. Toutefois, la juge Tremblay-Lamer a en fait établi un critère pour déterminer si une telle obligation est applicable, au paragraphe 16 de la décision Ngongo c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [1999] A.C.F. no 1627 (C.F. 1re inst.) en ligne sur QL :

¶ 16       À mon avis, il s'agit de regarder dans chaque dossier la situation factuelle, la législation applicable et la nature des contradictions notées. Les facteurs suivants peuvent servir de guide :

1. La contradiction a-t-elle été découverte après une analyse minutieuse de la transcription ou de l'enregistrement de l'audience ou était-elle évidente?

2. S'agissait-il d'une réponse à une question directe du tribunal?

3. S'agissait-il d'une contradiction réelle ou uniquement d'un lapsus?

4. Le demandeur était-il représenté par avocat, auquel cas celui-ci pouvait l'interroger sur toute contradiction?


5. Le demandeur communiquait-il au moyen d'interprète? L'usage d'un interprète rend les méprises attribuables à l'interprétation (et alors, les contradictions) plus probables.

6. Le tribunal fonde-t-il sa décision sur une seule contradiction ou sa décision est-elle fondée sur plusieurs contradictions ou invraisemblances?

[24]            La Commission déclare elle-même qu'elle a remarqué la plupart des incohérences après l'audience, qu'elle ne pouvait donc pas interroger le demandeur à ce sujet et que ce n'était pas nécessaire, car elle avait déjà conclu qu'il n'était pas crédible. Si la décision défavorable quant à sa crédibilité a été rendue avant que ne soient notées la plupart des incohérences, sur quoi, alors, était fondée cette décision défavorable? À mon avis, ce paragraphe de la décision renforce seulement la conclusion de partialité mentionnée plus haut.

[25]            Dans les circonstances, l'avocat du demandeur n'était pas présent pour réagir quant aux contradictions au moment où elles ont été notées, elles n'ont apparemment été constatées qu'après une analyse ultérieure, il ne s'agissait pas de réponses à des questions directes du tribunal, et on ne sait pas vraiment à quel moment les incohérences ont été suffisamment nombreuses pour que la Commission en arrive à sa conclusion sur la crédibilité.


[26]            De plus, la Commission semble avoir tiré des conclusions défavorables fondées sur le témoignage écrit présenté par le demandeur qui contredisait son témoignage verbal, ainsi que sur ce même témoignage verbal qui était trop répétitif du témoignage écrit. La Commission ne peut jouer sur les deux tableaux à la fois.

[27]            La Commission semble également avoir trouvé des incohérences là où il n'y a pas d'incohérence : elle blâme le demandeur parce qu'il a omis d'indiquer dans son FRP qu'il a eu besoin de soins médicaux après les agressions de 2000 et de 2003, alors que les descriptions des incidents indiquent clairement qu'il a été battu par des groupes d'hommes nettement plus nombreux que lui. C'eût été beaucoup plus incohérent s'il n'avait pas eu besoin de soins médicaux. Comme le défendeur le mentionne lui-même dans ses arguments, le FRP est censé fournir les faits bruts, et l'audience est supposée être le lieu où ceux-ci peuvent être expliqués (Basseghi, précitée, Grinevich, précitée). Il semblerait qu'on n'ait pas suivi cette approche dans le présent dossier.

[28]            Le demandeur a tenté d'expliquer certaines des incohérences dans ses arguments présentés à la Cour, soulignant, par exemple, qu'Alejandro a tout d'abord été transporté à l'hôpital Del Seguro Social, mais qu'il avait dû être transféré dans un centre hospitalier spécialisé à cause de la gravité de son état.


[29]            Même s'il est vrai qu'une partie de la preuve du demandeur a été présentée seulement le matin de l'audience, mais qu'elle avait été transmise une semaine auparavant à la Commission, cette dernière avait la possibilité de suspendre brièvement l'audience pour l'examiner. Les mots mêmes de la Commission semblent indiquer que ce n'est pas seulement dans cette dernière preuve que des incohérences ont été constatées une fois l'audience terminée :

Malheureusement, le tribunal a constaté certaines de ces différences lors de son délibéré plus particulièrement, à la suite de l'examen des pièces présentées le jour même de l'audience et n'a pu, dans les circonstances, confronter le demandeur. De plus, le tribunal n'a pas jugé utile de rouvrir son enquête considérant que l'ensemble de l'histoire de monsieur nous apparaît non crédible et invraisemblable. En effet, force a été de constater qu'aucune des vingt-deux pièces présentées par le demandeur ne fait état de son orientation sexuelle comme étant la source de ses difficultés.

(iii) Les conclusion de faits erronés

[30]            Le demandeur soutient, à bon droit selon moi, que la Commission a mal interprété son témoignage sur son incapacité de porter plainte au sujet de l'agression survenue à l'extérieur de la boîte de nuit en 2000. Le demandeur a précisé s'être laissé dire qu'il ne pouvait pas porter plainte relativement à la conduite des policiers sans les identifier. Il n'a pas fait de déclaration générale sur l'incapacité de porter plainte au Mexique sur tout crime commis sans identifier l'auteur. Cependant, la Commission semble avoir confondu ces deux processus, qui sont distincts même au Canada, où une plainte contre un policier est souvent déposée auprès d'un commissaire à la déontologie ou autre organisme similaire plutôt que d'être signalée comme un crime, alors qu'un crime de nature générale commis par un auteur inconnu est signalé à la police.


[31]            La Commission a aussi omis de procéder à l'analyse appropriée du niveau de protection de l'État auquel le demandeur pouvait s'attendre après s'être plaint à la police d'avoir été battu parce qu'il était homosexuel, alors qu'il alléguait justement que c'était la police qui l'avait battu. Le demandeur a aussi déposé des éléments de preuve documentaire sur la conduite des policiers envers les homosexuels, dont certaines parties se retrouvaient dans la preuve documentaire de la Commission elle-même, comme en fait état le demandeur dans ses arguments. Mais cet aspect de la preuve documentaire n'a pas du tout été pris en compte par la Commission dans sa décision.


[32]            De plus, la Commission a conclu que le demandeur n'est pas un homosexuel, sans procéder aux vérifications nécessaires de la preuve de la manière habituelle employée dans une affaire de la sorte. Les décisions citées par le défendeur (Polyakov, précitée, Zamanibakhsh, précitée), indiquent qu'une personne qui affirme être homosexuelle est fréquemment interrogée sur les choses qu'une personne gaie, dans un pays donné, est censée connaître, tels que les parcs et les lieux de rencontre fréquentés par les gais de leur ville. Aucune question de ce type n'a été posée. Les questions au sujet de la discrimination contre les homosexuels au Mexique (aux pages 365 et 366 du dossier du tribunal) avaient pour objet la situation parallèle de Ricardo, l'ancien petit ami du demandeur, et n'ont pas été mentionnées dans la décision comme étant la raison justifiant la conclusion défavorable quant à la crédibilité.

[33]            La Commission n'a pas cru le témoignage du demandeur sur l'assignation à comparaître lancée par le Secrétariat aux employeurs qui l'avaient congédié, estimant son action beaucoup trop efficace. Aucune mention n'a été faite dans la décision de l'explication fournie par le demandeur aux pages 340 et 341 et

358 et 359 du dossier du tribunal, dans la transcription, sur la façon dont fonctionne le bureau régional, ou des raisons pour lesquelles la Commission n'a pas cru cette explication.

CONCLUSION

[34]            La Commission a violé un principe tant de justice naturelle que d'équité procédurale et a tiré des conclusions de fait manifestement déraisonnables et erronées. Cette décision ne peut pas être maintenue et l'affaire sera renvoyée à la Commission pour qu'un tribunal différemment constitué statue sur elle.

[35]            Les deux parties ont indiqué à la Cour qu'elles n'avaient aucune question grave à faire certifier.


                                                         ORDONNANCE

La demande de contrôle judiciaire est accueillie. L'affaire est renvoyée à la Commission pour qu'un tribunal différemment constitué statue sur elle.

                                                                                                         « Max M. Teitelbaum »             

                                                                                                                                        Juge                             

OTTAWA (Ontario)

13 septembre 2005

Traduction certifiée conforme

Jacques Deschênes, LL.B.


                                                       COUR FÉDÉRALE

                                       AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

DOSSIER :                                              IMM-9323-03

INTITULÉ :                                               Oscar Marquez Herrera

c.

Le ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration

LIEU DE L'AUDIENCE :                       Montréal (Québec)

DATE DE L'AUDIENCE :                     le 6 septembre 2005

MOTIFS :                                                  LE JUGE TEITELBAUM

DATE DES MOTIFS :                            le 13 septembre 2005

COMPARUTIONS :

Valentine Goddard

0688, Charlevoix

Montréal (Québec)

H3K 2X9                                                   POUR LE DEMANDEUR

Caroline Cloutier

Ministère de la Justice

200, René-Lévesque Ouest

Montréal (Québec)                                   POUR LE DÉFENDEUR

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Valentine Goddard

Avocate                                                     POUR LE DEMANDEUR

John H. Sims, c.r.

Sous-procureur général

du Canada

Ottawa (Ontario)                                       POUR LE DÉFENDEUR



[1] Le demandeur cite également une section ayant trait à la justice naturelle dans un document de novembre 2000 publié par la Commission de l'immigration et du statut de réfugié intitulé _ Guide des points saillants du droit des réfugiés à l'intention des commissaires de la SSR _. Bien que ce document soit antérieur à la Loi sur l'immigration et la protection des réfugiés (LIPR), j'en ai annexé les extraits pertinents de manière à ce que vous puissiez suivre les arguments du demandeur.


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