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                                                                                                             IMM-4097-96

 

 

Ottawa (Ontario), le jeudi 19 juin 1997.

 

EN PRÉSENCE DE : monsieur le juge Gibson

 

 

ENTRE :

 

 

 

                                                   WAI HUNG LO,

 

                                                                                                                  requérant,

 

 

 

                                                                 et

 

 

 

 

                                  MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

                                          ET DE L’IMMIGRATION,

 

                                                                                                                       intimée.

 

 

 

                                                   ORDONNANCE

 

 

LE JUGE GIBSON

 

 

            VU LA DEMANDE déposée par l’avocate du requérant pour le compte de ce dernier en vue d’obtenir une ordonnance aux termes de l’article 18 de la Loi sur la Cour fédérale :

 

a)annulant la décision par laquelle Mary Coulter, troisième secrétaire chargée de l’Immigration au Commissariat du Canada à Hong Kong, a rejeté, le 11 octobre 1996, la demande de résidence permanente au Canada du requérant;

 

b)renvoyant l’affaire à l’intimée pour qu’il soit de nouveau statué sur celle-ci en fonction des directives que la Cour jugera convenables;

 


ORDONNANCE

 

La demande de contrôle judiciaire est accueillie, la décision faisant l’objet du présent contrôle est annulée, et l’affaire est renvoyée à l’intimée pour qu’un autre fonctionnaire statue de nouveau sur celle-ci d’une manière qui ne sera pas incompatible avec les motifs accompagnant la présente ordonnance.

 

 

 

     FREDERICK E. GIBSON    

                                                                                                      juge

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Traduction certifiée conforme                                    __________________________

                                                                                    Bernard Olivier, LL.B.



 

 

 

                                                                                                             IMM-4097-96

 

 

ENTRE :

 

 

 

                                                   WAI HUNG LO,

 

                                                                                                                  requérant,

 

 

 

                                                                 et

 

 

 

 

                                  MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

                                          ET DE L’IMMIGRATION,

 

                                                                                                                       intimée.

 

 

 

                                      MOTIFS DE L’ORDONNANCE

 

 

 

 

LE JUGE GIBSON

 

           

            Les présents motifs font suite à une demande de contrôle judiciaire de la décision par laquelle une agente des visas du Commissariat du Canada à Hong Kong a rejeté, le 11 octobre 1996, la demande de résidence permanente au Canada du requérant.  Le requérant avait déposé une demande pour son propre compte et pour celui de son épouse et de l’un de ses deux enfants, l’autre étant déjà citoyen canadien. 

 

            Voici le libellé d’une partie de la lettre de décision :

          [TRADUCTION] La présente lettre a trait à votre demande de résidence permanente au Canada et à l’entrevue que vous avez eue le 10 octobre 1996.  J’ai terminé mon évaluation de votre demande et je dois malheureusement vous informer que j’ai conclu que vous ne satisfaisiez pas aux exigences prévues pour immigrer au Canada à titre de personne appartenant à la catégorie des parents aidés.

 

          Aux termes des paragraphes 8 (1) et 10 (1) du Règlement sur l’immigration de 1978, modifié, les immigrants appartenant à la catégorie des parents aidés sont appréciés suivant chacun des facteurs énumérés dans la colonne I de l'annexe I du Règlement.  Ces facteurs sont les suivants : les études, la préparation professionnelle spécifique, l’expérience, la demande dans la profession, l’emploi réservé ou la profession désignée, le facteur démographique, l’âge, la connaissance du français et de l’anglais, l’entrevue, et la personnalité.

 

 


          J’ai apprécié votre demande en fonction de la profession d’administrateur immobilier, pour laquelle vous avez obtenu les points d’appréciation suivants :

 

                                          [Le nombre de points d’appréciation alloués était de 62.]

 

          Pour être choisi à titre de parent aidé, vous deviez obtenir au moins 65 points d’appréciation.  Normalement, le nombre de points requis est de 70, mais étant donné que vous présentiez une demande à titre de personne appartenant à la catégorie des parents aidés, 5 points ont été retranchés de ce nombre.  Cependant, vous n’avez pas obtenu le nombre minimal de points d’appréciation requis.

 

          Aucune autre profession ne figure à votre demande, pour laquelle vous ou votre épouse seriez qualifié ou dans laquelle vous auriez acquis une expérience, et qui ferait que votre demande serait accueillie.

 

          J’estime que les points d’appréciation qui vous ont été alloués sont le reflet fidèle de votre capacité de vous établir avec succès au Canada.

 

[...]

 

          J’ai également tenu compte d’autres facteurs en appréciant votre demande et j’ai conclu que rien n’étayait une décision favorable.

 

[...]

            Le requérant est au début de la quarantaine.  Il est marié.  Son épouse et lui ont deux enfants, dont l’aîné est citoyen canadien, car il est né au Canada.  Les parents du requérant, ses trois soeurs et son frère vivent au Canada.  Ils sont tous citoyens canadiens ou immigrants ayant obtenu le droit d’établissement. 

 

            Le requérant a vécu et étudié au Canada pendant quelque sept années.  Il a fréquenté quatre établissements d’enseignement postsecondaire au Canada, mais n’a reçu aucun certificat ni diplôme de l’un de ceux-ci.  Il a également suivi des cours postsecondaires à Hong Kong et a reçu des certificats attestant qu’il les a réussis.  À l’époque visée, cela faisait plus de neuf années qu’il travaillait pour le même employeur dans son domaine, la gestion immobilière, à Hong Kong. 

 

            L’épouse du requérant avait travaillé comme comptable pendant plus de neuf années.  À l’époque visée, elle suivait des cours en vue de devenir comptable général accrédité au Canada.  À l’instar du requérant, elle avait vécu et étudié au Canada, dans son cas pendant plus de six années.

 

            Les questions soulevées dans la présente demande portent sur le nombre de points d’appréciation alloués au requérant au chapitre des « études » et de la « personnalité ».  S’il avait obtenu le nombre maximum de points d’appréciation pour l’un ou l’autre de ces facteurs, il aurait obtenu assez de points pour être admissible à titre de personne appartenant à la catégorie des parentes aidés.

 

            Les questions soulevées pour le compte du requérant étaient les suivantes :

1.l’intimée a-t-elle fondée sa décision sur une conclusion de fait erronée, tirée de façon abusive ou arbitraire et sans tenir compte des éléments dont elle disposait en ce qui concerne les études et la personnalité du requérant?;

 

2.l’intimée a-t-elle violé un principe de justice naturelle ou d’équité procédurale que la loi l’obligeait à respecter lorsqu’elle omis d’apprécier les compétences, les études et la capacité du requérant de s’établir avec succès au Canada, et de lui donner l’occasion de répondre aux arguments invoqués contre lui?; et

 

3.l’intimée a-t-elle omis d’exercer son pouvoir discrétionnaire d’accorder un redressement spécial lorsqu’elle a omis de considérer les motifs d’ordre humanitaire susceptibles d’être invoqués?

 

 

 

            Le requérant et son épouse ont eu une entrevue, quoique cette dernière ait débuté au moins une heure et demie en retard.  L’entrevue a duré environ vingt minutes.

 

            Dans sa déclaration sous serment, l’agente des visas a déclaré :

                [TRADUCTION]

6.  Au début de l’entrevue, j’ai expliqué à M. Lo la raison pour laquelle il avait été convoqué à une entrevue.  Par ailleurs, j’ai clairement dit au requérant et à son épouse de m’interrompre s’ils avaient des questions ou si je disais quoi que ce soit qui ne leur semblait pas clair.  Le requérant et son épouse parlaient couramment l’anglais et ils semblaient avoir compris ce que je leur avais dit.  J’ai également expliqué au requérant que l’entrevue servait à déterminer s’il satisfaisait aux exigences relatives à la profession mentionnée dans sa demande, soit la gestion immobilière, et à lui fournir l’occasion de répondre à l’évaluation de ses études.  En outre, je lui ai expliqué que sa personnalité serait appréciée à l’entrevue.

 

7.  Peu après le début de l’entrevue, j’ai dit au requérant que je trouvais ses études insuffisantes, et je lui ai fourni l’occasion de produire tout certificat ou diplôme qu’il aurait obtenu [...]

 

[...]

 

8.  Malgré plus de sept années d’études au Canada, soit au Y.M.C.A. College, à l’Université Simon Fraser, au Capillano College et au Columbia College, le requérant n’a pas obtenu un seul certificat ou diplôme d’études postsecondaires [...]

 

9.  Après avoir discuté avec M. Lo de ses antécédents professionnels, de ses responsabilités actuelles, de son séjour au Canada et de ses plans d’avenir, je lui ai décrit les points d’appréciation qui lui avaient été accordés.  M. Lo a semblé comprendre le processus d’évaluation de sa demande. 

 

10.  J’ai accordé sept points au requérant au chapitre de la personnalité.  À mon avis, ce nombre de points reflète avec fidélité la capacité de M. Lo de s’établir avec succès au Canada, vu sa capacité d’adaptation, sa motivation, son initiative et son ingéniosité.  En déterminant le nombre de points que j’ allouerais au chapitre de la personnalité, j’ai pleinement tenu compte du fait que M. Lo avait passé un certain nombre d’années au Canada et qu’il avait fréquenté quatre établissements d’enseignement postsecondaire au cours d’une période de sept années, sans jamais obtenir de diplôme.  Vu que le nombre de points alloués au chapitre des études tenait compte des études antérieures du requérant, que le fait qu’il avait de la famille a Canada avait déjà été considéré par le retranchement de cinq points au nombre minimum de points requis, que les six points alloués au chapitre de l’expérience tenait compte de son expérience en gestion, et que les neufs points alloués au chapitre de la langue tenait compte de sa maîtrise de l’anglais, j’estime que la personnalité du requérant a été correctement appréciée, sans que les points alloués relativement à des facteurs déjà considérés aient été comptabilisés en double.

 

 

[...]

 

12.  Quant à l’exercice favorable du pouvoir discrétionnaire, je n’ai pas estimé que le présent cas méritait une telle recommandation, étant donné qu’il a été tenu compte de tous les aspects du cas et que le nombre de points d’appréciation alloués reflétait avec fidélité la probabilité que le requérant s’installe avec succès au Canada.

 

[...]

 

                                                                                        [Non souligné dans l’original.]

 

 

            J’ai souligné une partie du paragraphe 6 de la déclaration sous serment de l’agente des visas, car il ressort des mots soulignés que [TRADUCTION] « l’occasion de répondre » offerte au requérant portait sur l’appréciation de ses études et non sur sa personnalité en général ni sur toute incidence que ses habitudes scolaires ont pu avoir sur l’évaluation de ce facteur.  Je fais remarquer qu’au paragraphe 9 de sa déclaration, l’agente des visas affirme qu’il a été question, à l’entrevue, du séjour du requérant au Canada et des plans d’avenir de ce dernier, bien que l’on puisse s’interroger sur le temps consacré à ces questions, étant donné que l’entrevue a duré, au total, environ vingt minutes.

 

            Il ressort clairement des paragraphes cités de la déclaration sous serment de l’agente des visas que celle-ci avaient des réserves sur le requérant vu ses habitudes scolaires, et en particulier le fait qu’il n’avait jamais réussi d’études au Canada menant à l’obtention d’un certificat ou d’un diplôme.

 

            Dans les notes qu’elle a prises par ordinateur suite à l’entrevue qu’elle a eue avec le requérant, l’agente des visas a écrit :

[TRADUCTION]

 

Je conviens, cependant, que le requérant devrait recevoir seulement dix points au chapitre des études, car il n’a pas été en mesure de produire un diplôme ni un certificat exigeant, comme condition d’admission, davantage que ce qui est prévu au formulaire no 5.

 

J’ai alloué sept points au requérant au chapitre de la personnalité.  Le requérant et son épouse ont vécu au Canada pendant plus de sept années.  Il se peut que le fait que ni le requérant, ni son épouse n’ait obtenu un seul diplôme au cours de cette période démontre un manque d’initiative et/ou de motivation.

 

            Je conclus donc que les habitudes scolaires du requérant au Canada ont eu une incidence sur la façon dont l’agente des visas a apprécié les « études » et la « personnalité » de ce dernier. 

 

            Je suis convaincu qu’en ce qui concerne le facteur des « études », l’importance qui a été accordée aux habitudes scolaires du requérant au Canada, et en particulier au fait qu’il n’a jamais réussir à obtenir de certificat ni de diplôme, était tout à fait acceptable et conforme au Règlement sur l’immigration de 1978[1].  Cependant, j’ai plus de mal à accepter qu’il ait été tenu compte de ces faits dans l’évaluation du facteur de la personnalité.  Premièrement, il ne ressort nullement du dossier que le requérant ait jamais été avisé du fait que l’agente des visas trouvait que ses habitudes scolaires au Canada pouvaient dénoter chez lui un manque d’initiative et/ou de motivation.  Il ne ressort tout simplement pas du dossier que le requérant a eu l’occasion de répondre à une telle opinion.  Or, il se peut fort bien que le requérant eût fourni une réponse convaincante faisant état de son initiative et sa motivation, et non l’inverse.  Deuxièmement, l’omission d’allouer des points au chapitre des « études » pour des études postsecondaires n’ayant pas abouti à l’obtention d’un diplôme ou d’un certificat, et le fait d’apprécier le facteur de la « personnalité »en fonction de cette même considération constituent, à mon avis, une forme de [TRADUCTION] « double compte » d’une considération, même si l’agente des visas prétend le contraire[2].

 

            Compte tenu de ces considérations, je suis convaincu que l’agente des visas a commis une erreur susceptible de faire l’objet d’un contrôle.  En conséquence, la présente demande de contrôle judiciaire sera accueillie.

 

            Je suis pleinement conscient que la règle selon laquelle les cours ne doivent pas s’ingérer dans l’exercice qu’un organisme désigné par la loi fait d’un pouvoir discrétionnaire simplement parce que la cour aurait exercé ce pouvoir différemment si la responsabilité lui en avait incombé constitue un principe élémentaire du droit[3].  Selon moi, l’agent des visas agit à titre de [TRADUCTION] « organisme désigné par la loi » lorsqu’il s’acquitte de ses fonctions en examinant les demandes d’immigration au Canada provenant de l’étranger.  De la même façon, je suis convaincu que l’agent des visas fait l’exercice d’un pouvoir discrétionnaire lorsqu’il apprécie la « personnalité », en particulier dans le cadre d’une entrevue portant sur la capacité d’adaptation, la motivation, l’initiative, l’ingéniosité et d’autres qualités similaires.  Cela dit, je doute qu’il faille considérer que la décision délibérée d’une personne de poursuivre des études variées sans se soucier des formalités en vue de l’obtention d’un certificat ou d’un diplôme dénote un manque de motivation ou d’initiative.  En fait, je suis convaincu qu’il se peut fort bien que cela indique exactement le contraire.  Traditionnellement du moins, l’obtention d’un diplôme et non la simple poursuite d’études semble avoir été la norme.  On peut soutenir que les personnes qui n’empruntent pas les sentiers battus et qui choisissent plutôt d’approfondir leurs connaissances au sens large du terme devraient être félicitées et non pénalisées.  Cela ne veut pas dire que le requérant en l’espèce, pendant son séjour au Canada, approfondissait ses connaissances pour le simple plaisir de la chose.  Le dossier dont je dispose ne contient aucune information sur la raison pour laquelle le requérant a fréquenté plusieurs institutions sans obtenir de certificat ni de diplôme de l’une ou l’autre d’entre elles.

 

            À la fin de l’audition de la présente affaire, j’ai invité les avocats à faire des observations quant à la certification d’une question.  L’avocat de l’intimée n’a recommandé aucune certification.  L’avocate du requérant a laissé entendre qu’il se pouvait que la présente affaire soulève des questions méritant d’être certifiées, mais elle n’en n’a proposé aucune.  Je suis convaincu que la présente affaire porte principalement sur les faits.  Vu les circonstances, aucune question ne sera certifiée.

 

 

 

     FREDERICK E. GIBSON    

                                                                                                      juge

 

Ottawa (Ontario)

Le 19 juin 1997.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Traduction certifiée conforme                                    __________________________

                                                                                    Bernard Olivier, LL.B.


COUR FÉDÉRALE DU CANADA

SECTION DE PREMIÈRE INSTANCE

 

AVOCATS ET PROCUREURS INSCRITS AU DOSSIER

 

                                                                 

 

NO DU GREFFE :      IMM-4097-96

 

INTITULÉ DE LA CAUSE :            WAI HUNG LO c. MCI

 

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :         CALGARY (ALBERTA)

 

DATE DE L’AUDIENCE :       LE 12 JUIN 1997

 

MOTIFS DE L’ORDONNANCE PRONONCÉS PAR MONSIEUR LE JUGE GIBSON

 

EN DATE DU :19 JUIN 1997

 

 

 

ONT COMPARU :

 

 

Mme Dora Lam                                                            POUR LE REQUÉRANT

 

M. Brad Hardstaff                              POUR L’INTIMÉE

 

 

 

PROCUREURS INSCRITS AU DOSSIER :

 

 

German Fong Albus Lam                                           POUR LE REQUÉRANT

Calgary (Alberta)

 

 

M. George Thomson                                                   POUR L’INTIMÉE

Sous-procureur général du Canada



          [1]   DORS/78-172, modifié.

     Voir la décision Chatrova c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) (1996), 34 IMM. L.R. (2d) 59 (C.F. 1re inst.), dans laquelle madame le juge Reed a écrit, à la page 61 :

 

[...] l'agent des visas n'a pas seulement évalué ses compétences linguistiques dans le cadre des crédits accordés au titre du facteur 8 de l'annexe I (connaissance du français et de l'anglais) : il s'est également servi de ce qu'il considérait comme ses lacunes dans ce domaine pour ne pas lui accorder d'autres points au titre du facteur 9 (personnalité).

 

Madame le juge Reed s’est fondée sur l’existence de ce [TRADUCTION] « double compte » pour accueillir la demande de contrôle judiciaire dont elle était saisie.

          [3]   Voir par exemple Maple Lodge Farms Limited. c. Gouvernement du Canada et al., [1982]

                2 R.C.S. 2, aux pages 7 et 8.

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