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Date : 20040812

Dossier : IMM-1678-03

Référence : 2004 CF 1121

Ottawa (Ontario), le 12 août 2004

EN PRÉSENCE DE MADAME LA JUGE MACTAVISH

ENTRE :

                                                            DEQ MOHAMED ALI

                                                                                                                                           demandeur

                                                                             et

                         LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

                                                                                                                                             défendeur

                                MOTIFS DE L'ORDONNANCE ET ORDONNANCE

[1]                Deq Mohamed Ali prétend être un citoyen de la Somalie. Sa demande d'asile a été rejetée par la Section de la protection des réfugiés de la Commission de l'immigration et du statut de réfugié parce que le Commissaire a conclu que M. Ali n'avait pas réussi à établir son identité.


[2]                M. Ali cherche à faire annuler cette décision, affirmant que la Commission a mal interprété certains aspects de la preuve et qu'elle en a ignoré d'autres. De plus, M. Ali dit que la Commission a agi injustement en omettant de l'alerter du fait que le Commissaire avait l'intention de s'appuyer sur sa propre connaissance spécialisée relativement à la présentation matérielle des « Tesseras » ou soit les cartes d'identité nationale somaliennes. M. Ali dit qu'on lui a donc enlevé la possibilité de présenter des arguments quant à la fiabilité de ces renseignements ou de fournir une explication au soutien de sa propre position à ce sujet.

Norme de contrôle

[3]                La majorité des conclusions contestées sont des conclusions de fait. Par conséquent, la norme de contrôle est celle de la décision manifestement déraisonnable : Aguebor c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration) (1993), 160 N.R. 315 (C.A.F.).

[4]                L'omission alléguée du Commissaire d'alerter M. Ali du fait qu'il avait l'intention de s'appuyer sur sa propre connaissance spécialisée relativement à la présentation matérielle des Tesseras soulève une question d'équité procédurale. Les questions d'équité procédurale sont examinées à la lumière de la norme de la décision correcte: Ha c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [2004] A.C.F. no 174.

Questions en litige

[5]                M. Ali relève plusieurs erreurs alléguées de la part de la Commission. À mon avis, ces questions peuvent aisément être regroupées en trois catégories :

1.          La Commission s'est-elle injustement appuyée sur sa propre connaissance spécialisée relativement à la présentation matérielle des Tesseras somaliens?


2.          La Commission a-t-elle tiré une conclusion manifestement déraisonnable lorsqu'elle a conclu que M. Ali n'avait pas fourni une explication satisfaisante de son omission de produire des éléments de preuve documentaire quant à son identité? et

3.         La Commission a-t-elle tiré des conclusions manifestement déraisonnables concernant la crédibilité des témoins?

La Commission s'est-elle injustement appuyé sur sa propre connaissance spécialisée relativement à la présentation matérielle des Tesseras somaliens?

[6]                Les obligations d'équité procédurale de la Commission qui ont trait à sa capacité de s'appuyer sur des renseignements extrinsèques sont codifiées à l'article 18 des Règles de la Section de la protection des réfugiés :

Avis aux parties - Avant d'utiliser un renseignement ou une opinion qui est du ressort de sa spécialisation, la Section en avise le demandeur d'asile ou la personne protégée et le ministre - si celui-ci est présent à l'audience - et leur donne la possibilité de :

a) faire des observations sur la fiabilité et l'utilisation du renseignement ou de l'opinion; et

b) fournir des éléments de preuve à l'appui de leurs observations.

[7]                Dans la présent affaire, M. Ali a témoigné qu'on lui avait délivré une carte Tessera, mais qu'il n'en avait pas en sa possession depuis plusieurs années. Il a dit qu'il avait oublié sa carte lorsqu'il s'est enfui de sa maison au moment où la guerre a éclaté.


[8]                Le Commissaire a alors demandé à M. Ali de décrire la carte, ce qu'il a fait. Le Commissaire n'a aucunement mentionné qu'il avait quelque connaissance particulière relativement à la présentation matérielle usuelle de la Tessera, ou qu'il avait des doutes relativement à la description que donnait M. Ali.

[9]                Toutefois, dans ses motifs, la Commission a conclu que la description faite par M. Ali des Tessera comportait des lacunes importantes, et a dit :

[traduction] « [...] lorsqu'on vous a demandé de le décrire, vous avez décrit un document qui ne ressemble en rien aux Tesseras somaliens que j'ai pu voir et j'en ai vu des centaines. Je suis commissaire depuis environ huit ans et demi, M. Ali, et j'ai eu l'occasion de voir des centaines de Tesseras [...]

[10]            La Commission a donc clairement fait usage de sa connaissance spécialisée relativement aux caractéristiques matérielles des cartes d'identité somaliennes pour tirer une conclusion défavorable contre M. Ali, sans lui avoir d'abord donné la possibilité de présenter des arguments sur la fiabilité et l'utilisation du renseignement. Cela constitue une erreur de procédure, et un manquement au principe de justice naturelle : Kabedi c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), 2004 CF 442.

[11]            L'avocate du défendeur convient du fait que la conclusion de la Commission sur cette question est difficile à soutenir. Toutefois, l'avocat plaide que l'erreur n'est pas, en elle-même, suffisamment importante pour justifier l'annulation de la décision de la Commission. Même si je suis convaincue que cette conclusion était assez fondamentale dans la décision de la Commission, je n'ai pas besoin de déterminer si, en elle-même, l'erreur constitue un fondement suffisant pour annuler la décision de la Commission; en effet, comme je l'énonce plus loin, je suis convaincue que la Commission a commis d'autres erreurs.


La Commission a-t-elle tiré une conclusion manifestement déraisonnable lorsqu'elle a conclu que M. Ali n'avait pas fourni une explication satisfaisante de son omission de produire des éléments de preuve documentaire quant à son identité?

[12]            Dans sa décision, la Commission a dit qu'elle n'était pas satisfaite des raisons offertes par M. Ali pour expliquer son incapacité de produire des documents d'identité. Au soutien de cette conclusion, la Commission a uniquement renvoyé à la déclaration de M. Ali selon laquelle il n'existait pas en Somalie au moment opportun un gouvernement duquel il pouvait obtenir des documents d'identité. Cependant, il ne s'agissait là que d'une partie de l'explication de M. Ali. Dans son témoignage, M. Ali a également expliqué qu'il avait dû s'enfuir de Mogadishu pendant la guerre, et qu'au moment de s'enfuir, il se préoccupait davantage de sa propre sécurité que de rassembler ses documents.

[13]            Il était certainement loisible à la Commission de rejeter cet élément de preuve, mais il ne lui était pas loisible de simplement l'ignorer. À première vue, l'explication de M. Ali est raisonnable, et cet élément de preuve était au coeur de la question de l'identité. Par conséquent, je suis d'avis que, dans ses motifs, la Commission avait l'obligation de s'arrêter à l'explication de M. Ali et de dire pourquoi elle n'a pas trouvé l'explication convaincante.


[14]            Comme l'a dit le juge Pelletier dans la décision Veres c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [2001] 2 C.F. 124 (1re inst.): « Il relève du mandat de la [Commission] de refuser de croire l'explication de M. Veres quant à l'absence de copies de documents importants. Il ne relève pas de son mandat de ne tenir aucun compte d'une explication raisonnable et de considérer la preuve comme si l'explication n'avait jamais été donnée. » L'omission par la Commission de s'arrêter à l'explication de M. Ali concernant l'absence de documents d'identité constitue donc une autre erreur susceptible de contrôle.

La Commission a-t-elle tiré des conclusions manifestement déraisonnables concernant la crédibilité des témoins?

[15]            Deux personnes ont témoigné à l'audience tenue relativement à la demande d'asile de M. Ali - M. Ali lui-même et Farah Deqa. Mme Deqa était censément une camarade de classe de M. Ali en Somalie, et a témoigné au soutien de l'identité du demandeur. La Commission a conclu que ni M. Ali ni M. Deqa n'étaient des témoins crédibles, en se fondant surtout sur les invraisemblances alléguées contenues dans leur récit.

[16]            Je suis d'accord avec le défendeur que la Commission, ayant vu les témoins, se trouvait dans la meilleure position pour apprécier la crédibilité de chaque témoin. Ceci dit, toutefois, et ayant eu la possibilité d'étudier toute la transcription de l'audience, il est évident que, dans plusieurs cas, la Commission a relevé des incompatibilités dans les récits des témoins là où il n'y en avait pas.


[17]            À titre d'exemple, il a été question du degré de connaissance entre M. Ali et Mme Deqa au moment où ils allaient à l'école ensemble. Dans ses motifs, la Commission a dit : [traduction] « Vous avez dit que vous la connaissiez bien et pourtant elle a dit qu'elle vous connaissait à peine, juste assez pour vous saluer. »

[18]            Il est vrai que lorsque la question a d'abord été posée à M. Ali, on lui a demandé s'il connaissait bien Mme Deqa et il a répondu par l'affirmative. Toutefois, la question de savoir à quel point le lien entre les deux était étroit a ensuite été examinée plus à fond avec M. Ali par son propre avocat, par l'agent de protection des réfugiés et par le Commissaire. Il est rapidement ressorti du témoignage de M. Ali que lui et Mme Deqa ne se connaissaient qu'un peu. Chacun savait qui l'autre était, et ils se disaient bonjour lorsqu'ils se croisaient à l'école. Toutefois, M. Ali a dit clairement qu'il ne connaissait pas grand-chose au sujet de Mme Deqa. Par exemple, il ne savait pas où elle habitait, quels étaient ses passetemps ou ce qu'elle aimait faire après l'école.

[19]            À mon avis, il était injuste que le Commissaire prenne une seule phrase d'une description très longue de la relation entre M. Ali et Mme Deqa et se serve de cette phrase sans tenir compte du reste pour conclure à une incompatibilité entre ce témoignage et celui de Mme Deqa. Si on examine de façon juste l'ensemble du témoignage de M. Ali sur cette question, il n'y a pas d'incompatibilité.


[20]            De la même façon, la Commission a conclu à une incompatibilité entre le témoignage de M. Ali et celui de Mme Deqa, quant à la façon dont M. Ali a pu reprendre contact avec Mme Deqa à son arrivée au Canada. Une fois de plus, lorsqu'on étudie dans leur ensemble le témoignage des deux personnes, il n'y vraiment pas d'incompatibilité entre les deux versions des événements.

[21]            Je n'ai pas l'intention d'examiner chacune des autres conclusions contestées; je m'en tiendrai à dire que lorsqu'on lit la décision de la Commission à la lumière des éléments de preuve dont elle disposait, on a vraiment l'impression que le Commissaire a été trop zélé en tentant de relever des incompatibilités possibles dans le témoignage des deux témoins, dans le but de discréditer M. Ali.

[22]            Par conséquent, même si on tient compte de la norme de contrôle très élevée fondée sur la retenue judiciaire dont il est question dans la présente affaire, je suis convaincue que la décision de la Commission doit être annulée.

Certification

[23]            Ni l'une ni l'autre des parties n'a soulevé de question pour certification et aucune question ne ressort du présent dossier.


                                                                ORDONNANCE

LA COUR ORDONNE :

1.          La présente demande de contrôle judiciaire est accueillie et l'affaire est renvoyée devant un tribunal différemment constitué afin que celui-ci procède à un nouvel examen et statue à nouveau sur l'affaire.

2.          Aucune question grave de portée générale n'est certifiée.

                                                                                                                          « Anne L. Mactavish »          

                                                                                                                                                     Juge                        

Traduction certifiée conforme

Caroline Raymond, LL.L.


COUR FÉDÉRALE DU CANADA

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

DOCKET                                                       IMM-1678-03

INTITULÉ :                                                    DEQ MOHAMED ALI

c.

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

DATE DE L'AUDIENCE :                            LE 11 AOÛT 2004

LIEU DE L'AUDIENCE :                              OTTAWA (ONTARIO)

MOTIFS DE L'ORDONNANCER

ET ORDONNANCE :                                    LA JUGE MACTAVISH

DATE DES MOTIFS :                                   LE 12 AOÛT 2004

COMPARUTIONS:

Byron E. Pfeiffer                                                POUR LE DEMANDEUR

Lynn Marchildon                                               POUR LE DÉFENDEUR

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER:

Byron E. Pfeiffer                                                POUR LE DEMANDEUR

Avocat

157 rue McLeod

Ottawa (Ontario).

K2P 0Z6

Lynn Marchildon                                               POUR LE DÉFENDEUR

Ministère de la Justice

Bureau 2206, East Memorial Building

284, rue Wellington

Ottawa, Ontario

K1A 0H8                                                         

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