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Date : 20060404

Dossier : IMM-4315-05

Référence : 2006 CF 430

OTTAWA (Ontario), le 4 avril 2006

EN PRÉSENCE DE MONSIEUR LE JUGE TEITELBAUM

ENTRE :

CHARLES ENAHORO

demandeur

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L'IMMIGRATION

défendeur

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

[1]                Il s'agit d'une demande de contrôle judiciaire, déposée en vertu du paragraphe 72(1) de la Loi sur l'immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27 (LIPR), d'une décision de la Section de la protection des réfugiés (SPR) de la Commission de l'immigration et du statut de réfugié (la Commission), rendue le 27 juin 2005 par avis de décision, et dans laquelle la Commission a rejeté la demande de réouverture de la demande d'asile de M. Enahoro.

[2]                Le demandeur est un citoyen du Nigeria de 30 ans. Il est arrivé au Canada à l'aéroport international Pearson le 28 mai 2002 et a déposé une demande d'asile le même jour, alléguant craindre avec raison d'être persécuté au Nigeria du fait qu'il avait refusé de se joindre au culte secret ogboni.

[3]                Après le décès de son père, le 27 février 2002, le demandeur devait le remplacer en tant que chef du royaume du Bénin. Les aînés l'ont avisé que des sacrifices humains auraient lieu au cours du processus d'initiation. Le demandeur a refusé de participer à ces cérémonies. Il a été enlevé et placé en isolement pour qu'il change d'idée au sujet de sa participation aux cérémonies. Il s'est échappé et a été déclaré personne disparue dans son village. Il savait que si la police le retrouvait, il serait échangé aux aînés contre de l'argent et qu'il serait forcé de participer à des cérémonies qui comprenaient des sacrifices humains.

[4]                Le contrôle judiciaire ne porte pas sur le bien-fondé de la demande d'asile.

[5]                L'audition de la demande d'asile était prévue pour le 27 septembre 2004 et le demandeur en avait été avisé par lettre le 10 août 2004. Le demandeur allègue être tombé malade le jour précédant son audience et son avocat a demandé un ajournement le 26 septembre 2004. La Commission n'a pas répondu à cette demande d'ajournement. Le demandeur n'a présenté aucune preuve corroborant le fait qu'il avait été malade.

[6]                La Commission a prévu une audience sur le désistement (audience de justification) pour le 24 mai 2005 sans consulter l'avocat du demandeur. L'avocat ne pouvait pas se présenter à une audience à cette date parce qu'il devait donner un cours de formation professionnelle du barreau à Toronto le 24 mai 2005.

[7]                L'avocat du demandeur a fait parvenir trois lettres à la Commission lui demandant de reporter la date de l'audience, sans succès. Les demandes de report ont été rejetées.

[8]                Le 24 mai 2005, le demandeur s'est présenté seul à l'audience de désistement. Il a expliqué qu'il avait été malade le 26 septembre 2004 et qu'il n'avait pas pu se présenter à l'audition de sa demande d'asile le 27 septembre 2004. Le demandeur était peu éduqué et maîtrisait mal l'anglais; pour ces motifs, il a demandé à la Commission que l'audience ne se poursuive pas sans la présence de son avocat.

[9]                La Commission a considéré que le demandeur se désistait. Aucun rapport médical n'avait été présenté afin de corroborer le fait que le demandeur avait été malade, et la Commission s'est interrogée sur le moment de l'absence.

[10]            Le demandeur allègue que la décision de la Commission est manifestement déraisonnable.

[11]            Le demandeur soulève deux questions principales dans son exposé des arguments :

1.          Y a-t-il eu un déni de justice lorsque la Commission a conclu que le demandeur se désistait?

2.          La Commission a-t-elle injustement rejetée la demande de réouverture de la demande d'asile du demandeur?

[12]            Le demandeur soutient que la norme de contrôle d'une décision de la Commission au sujet du désistement d'un demandeur est la décision raisonnable simpliciter.

[13]            Je suis convaincu que la norme de contrôle est la décision manifestement déraisonnable, qu'a établie l'approche fonctionnelle et pragmatique en quatre étapes énoncée dans l'affaire Dr Q c. College of Physicians and Surgeons of British Columbia, 2003 CSC 19. Une procédure visant à déterminer s'il y a désistement, présidée par un tribunal spécialisé, est une analyse fondée entièrement sur les faits et se voit accorder une grande retenue judiciaire.

1.          Le rejet de la demande de réouverture de la demande d'asile comporte des erreurs graves

[14]            Le demandeur allègue que la décision de la Commission de rejeter sa demande de réouverture comporte des erreurs graves et ne devrait pas être maintenue parce qu'elle est fondée sur des conclusions de fait erronées que la Commission a tirées lorsqu'elle a prononcé le désistement de la demande d'asile.

[15]            Le demandeur fait référence au premier exposé des motifs présenté par la Commission, dans lequel la Commission notait à tort que l'avocat du demandeur était présent à l'audience de désistement. Le demandeur allègue que les motifs corrigés, qui notaient à juste titre que l'avocat du demandeur était absent, n'ont pas été présentés à temps au commissaire qui a examiné la demande de réouverture de sa demande d'asile.

[16]            Je ne crois pas que cette allégation soit fondée. La Commission a déposé la correction de ses motifs le 3 juin 2005, soit le jour même où les motifs erronés ont été déposés. La décision rejetant la requête de réouverture a été rendue le 27 juin 2005 - il n'y a rien au dossier qui m'incite à croire que la Commission n'était pas en possession des motifs corrigés qui notaient que l'avocat du demandeur ne s'était pas présenté à l'audience de justification.

2.          La Commission a violé les règles d'équité procédurale lorsqu'elle a prononcé le désistement de la demande d'asile

[17]            Le demandeur fait état de deux incidents distincts qui constitueraient une violation du droit d'être entendu.

1er incident - le 26 septembre 2004

[18]            Le 26 septembre 2004, l'avocat du demandeur a télécopié à la Commission une simple lettre demandant l'ajournement parce que son client était « malade » et qu'il était incapable de se présenter à l'audience prévue la journée suivante. Le demandeur soutient que la Commission n'a pas tenu compte du fait qu'il était malade et qu'elle a décidé de façon arbitraire de renvoyer l'affaire à une audience de désistement lors de laquelle il devrait justifier son absence à l'audience du 27 septembre 2004. La Commission ne s'est pas donné la peine de répondre à la requête en ajournement.

2e incident

[19]            Par la suite, la Commission a fixé l'audience de justification au 24 mai 2005, sans consulter l'avocat du demandeur. L'avocat devait donner un cours de formation professionnelle du barreau au Barreau du Haut-Canada. L'avocat a écrit trois fois à la Commission afin d'expliquer qu'il ne pouvait pas se présenter à l'audience du 24 mai 2005.

[20]            La Commission n'était pas tenue de consulter l'avocat du demandeur avant d'arrêter la date de l'audience. Le demandeur a été avisé par écrit de cette date d'audience le 30 mars 2005. La Commission devrait essayer d'arrêter une date qui convienne à l'avocat, mais elle n'est pas tenue de le faire.

[21]            Le défendeur formule trois observations :

1.                   La décision de rejeter la demande de réouverture de la demande d'asile était bien fondée.

2.                   Les règles d'équité n'ont pas été violées lorsque la Commission a prononcé le désistement de la demande d'asile.

3.                   Le demandeur doit faire sien le comportement de son avocat.

[22]            L'article 55 des Règles de la Section de la protection des réfugiés prescrit que la Section de la protection des réfugiés ne peut accepter de rouvrir une demande qu'en des circonstances bien limitées, comme le manquement à un principe de justice naturelle.

[23]            L'article 55 tient lieu de critère régissant les demandes de réouverture de demandes d'asile. Il se lit comme suit :

55.(1) Le demandeur d'asile ou le ministre peut demander à la Section de rouvrir toute demande d'asile qui a fait l'objet d'une décision ou d'un désistement.

55.(1) A claimant or the Minister may make an application to the Division to reopen a claim for refugee protection that has been decided or abandoned.

...

...

(4) La Section accueille la demande sur preuve du manquement à un principe de justice naturelle.

(4) The division must allow the application if it is established that there was a failure to observe a principle of natural justice.

[24]            Par conséquent, en ce qui a trait à une demande de réouverture d'une demande d'asile, la Section de la protection des réfugiés doit accueillir la demande « sur preuve du manquement à un principe de justice naturelle » . Je ne crois pas qu'il y ait eu manquement à un principe de justice naturelle en l'espèce. Mes motifs sont les suivants.

[25]            Le demandeur ne s'est pas présenté à la première audition de sa demande d'asile le 27 septembre 2004. Il a simplement fait savoir qu'il était malade, dans une lettre envoyée par son avocat le 26 septembre 2004. Il n'y a eu aucune autre précision et aucun rapport médical n'a été présenté par la suite. Il n'y a aucune preuve au sujet de la gravité de la maladie ou de la blessure du demandeur. Celui-ci n'a pas expliqué pourquoi cette maladie ou cette blessure l'avait empêché de se présenter à cette audience. La Commission aurait certainement pu composer avec les besoins du demandeur au cours de l'audience. La Commission n'avait aucune idée de la raison pour laquelle l'ajournement était demandé, autrement que de savoir que le demandeur était « malade » . La Commission pouvait raisonnablement renvoyer l'affaire à une audience de désistement (audience de justification).

[26]            L'avocat du demandeur a envoyé trois lettres à la Commission pour l'aviser qu'il ne pourrait pas être présent à l'audience de désistement. La Commission n'a pas accédé à sa demande d'ajournement. Les demandes d'ajournement ont été rejetées l'une après l'autre.

[27]            Le 24 mai 2005, l'avocat du demandeur donnait un cours de formation professionnelle du barreau au Barreau du Haut-Canada. L'avocat avait été avisé par écrit presque deux mois avant l'audience, soit le 30 mars 2005, que celle-ci aurait lieu le 24 mai 2005. Il ne s'est pas présenté à l'audience et il savait certainement que ceci causerait un grave préjudice à son client. Il n'y a aucune preuve donnant à penser que l'avocat du demandeur ait tenté de se faire remplacer par un autre avocat soit à l'audience, soit au cours de formation professionnelle du barreau. Je ne crois pas qu'il aurait été déraisonnablement ardu de trouver un remplaçant pour enseigner le cours de formation professionnelle du barreau.

[28]            La décision de la Commission de ne pas rouvrir la demande d'asile qui a fait l'objet d'un désistement est raisonnable, et la Cour ne peut pas intervenir.

JUGEMENT

[29]            La demande de contrôle judiciaire est rejetée. Les parties ne m'ont présenté aucune question à certifier.

« Max M. Teitelbaum »

JUGE

Traduction certifiée conforme

Evelyne Swenne, traductrice


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

DOSSIER :                                         IMM-4315-05

INTITULÉ :                                       Charles Enahoro c. M.C.I.

LIEU DE L'AUDIENCE :                  Toronto (Ontario)

DATE DE L'AUDIENCE :               Le 29 mars 2006

MOTIFS DU JUGEMENT :            LE JUGE TEITELBAUM

DATE DES MOTIFS :                      Le 4 avril 2006

COMPARUTIONS:

Majekodunmi Adego

(416) 746-0888

POUR LE DEMANDEUR

David Joseph

(416) 952-4088

POUR LE DÉFENDEUR

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Majekodunmi Adego

23 Westmore Drive, bureau 216

Rexdale (Ontario)

M9V 3Y7

POUR LE DEMANDEUR

John H. Sims, c.r.

Sous-procureur général du Canada

POUR LE DÉFENDEUR

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