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Date : 20010403

Dossier : Imm-2429-00

Référence neutre : 2001 CFPI 288

ENTRE :

JOSEPH ITHIBU

demandeur

- et -

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

défendeur

MOTIFS DE L'ORDONNANCE ET ORDONNANCE

LE JUGE BLAIS

[1]                Il s'agit d'une demande de contrôle judiciaire de la décision par laquelle la Commission de l'immigration et du statut de réfugié (la Commission) a statué, le 10 avril 2000, que le demandeur n'était pas un réfugié au sens de la Convention.

[2]                Le demandeur, un citoyen du Kenya âgé de 25 ans, affirme craindre avec raison d'être persécuté dans son pays du fait de ses activités politiques et de son orientation sexuelle.


[3]                En mars 1994, le demandeur s'est inscrit au programme de baccalauréat en commerce, d'une durée de quatre ans, à l'Université de Nairobi. Il a quitté l'université en juillet 1998 sans avoir terminé ses études.

[4]                Selon ses allégations, le demandeur aurait été membre de la University of Nairobi Education Student Organization (l'UNESO) de septembre 1997 au 15 juin 1998. En qualité de leader étudiant, il aurait censément participé à plusieurs manifestations étudiantes touchant les affaires étudiantes ainsi que des questions politiques générales.

[5]                L'année suivante, le 23 mars 1998, le demandeur aurait organisé une autre manifestation étudiante pour protester contre les nouvelles conditions d'admission à l'université et les nouveaux frais de scolarité. Cette manifestation a commencé dans le calme, mais a dégénéré en incident très destructeur en raison de la violence des étudiants et des policiers.

[6]                D'après ses allégations, le demandeur aurait aussi été membre d'un groupe gay appelé le Nairobi Independent People Movement. À l'audience, le demandeur a décrit les membres de ce groupe comme des gens d'affaires fortunés et influents. Il a organisé des réunions avec ce groupe et les membres de l'UNESO dans l'espoir d'obtenir du financement pour le groupe étudiant.

[7]                Le 13 juin 1998, le demandeur a organisé une soirée rencontre entre les deux groupes. Ce soir-là, ses confrères de l'université l'ont vu embrasser publiquement son ami William. Pour cette raison, on lui a demandé de démissionner de son poste à l'UNESO le 15 juin 1998.


[8]                Le demandeur affirme avoir été attaqué sur le campus en revenant à la résidence étudiante et attribue cette attaque au fait que son orientation sexuelle était maintenant connue. Il s'en est tiré avec des ecchymoses.

[9]                Le 4 juillet 1998, le demandeur a été arrêté chez lui. Les policiers ont fouillé la maison de fond en comble, se sont emparés de tous les papiers personnels du demandeur et ont dit à ses parents qu'ils l'arrêtaient en raison de sa participation aux troubles du 23 mars 1998. Ils ont également informé ses parents de son orientation sexuelle.

[10]            Le demandeur a été amené au poste de police où il prétend avoir été battu et torturé. Il a refusé de signer un document qui le reliait aux événements du 23 mars 1998. Un indicateur, qui était un de ses amis, lui a dit que la police planifiait un coup monté avec des gars de la rue et qu'elle avait l'intention de l'accuser en justice de les avoir sodomisés pendant qu'ils se trouvaient en prison. Le demandeur lui a donné le numéro de téléphone de son ami William. William l'a fait libérer sous caution le 7 juillet.

[11]            Le demandeur dit avoir habité avec son ami William jusqu'à son départ du pays le 28 août 1998.


AVIS D'UNE QUESTION CONSTITUTIONNELLE

[12]            Le 19 février 2001, le demandeur a déposé un affidavit de signification d'un avis de question constitutionnelle signifié le 16 février 2001 au ministre de la Justice de chaque province, à l'exception du Manitoba, et à l'avocat du défendeur.

[13]            Dans l'avis de question constitutionnelle, le demandeur exprime son intention de contester la validité constitutionnelle des pratiques en matière d'audition et du nouveau modèle d'audition devant la Commission à Montréal, ainsi que leur validité au regard des articles 7, 12 et 15 de la Charte et des obligations internationales du défendeur.

QUESTION PRÉLIMINAIRE

[14]            1.          L'avis de question constitutionnelle a-t-il été signifié régulièrement et la Cour peut-elle trancher les questions soulevées?

QUESTIONS EN LITIGE

[15]            2.          La Commission a-t-elle fait preuve de partialité et a-t-il été porté atteinte au droit du demandeur à une audition équitable?

1.                   La Commission a-t-elle commis une erreur en évaluant la crédibilité du demandeur?

2.                   La Commission a-t-elle commis une erreur en ne tenant pas compte de la situation objective qui existe au Kenya?

3.                   L'expulsion du demandeur porterait-elle atteinte aux droits que lui garantissent les articles 7 et 12 de la Charte et l'article 3 de la Convention contre la torture?


ANALYSE

Question préliminaire

1.        L'avis de question constitutionnelle a-t-il été signifié régulièrement et la Cour peut-elle trancher les questions soulevées dans l'avis de question constitutionnelle?

[16]            L'affidavit de signification révèle que l'avis de question constitutionnelle a été signifié au ministre de la Justice de chaque province plutôt qu'au procureur général de chaque province.

[17]            Il faut toutefois noter que l'avis de question constitutionnelle a été adressé à Morris Rosenberg, sous-procureur général du Canada et aux procureurs généraux des provinces.

[18]            L'affidavit de signification de Me Stewart Istvanffy indique qu'il a signifié l'avis par télécopieur au ministre de la Justice de chaque province, à l'exception du Manitoba, et qu'il l'a aussi signifié à l'avocat du défendeur.

[19]            L'article 57 de la Loi sur la Cour fédérale dispose :


57. (1) Les lois fédérales ou provinciales ou leurs textes d'application, dont la validité, l'applicabilité ou l'effet, sur le plan constitutionnel, est en cause devant la Cour ou un office fédéral, sauf s'il s'agit d'un tribunal militaire au sens de la Loi sur la défense nationale, ne peuvent être déclarés invalides, inapplicables ou sans effet, à moins que le procureur général du Canada et ceux des provinces n'aient été avisés conformément au paragraphe (2).

57. (1) Where the constitutional validity, applicability or operability of an Act of Parliament or of the legislature of any province, or of regulations thereunder, is in question before the Court or a federal board, commission or other tribunal, other than a service tribunal within the meaning of the National Defence Act, the Act or regulation shall not be adjudged to be invalid, inapplicable or inoperable unless notice gas been served on the Attorney General of Canada and the attorney general of each province in accordance with subsection (2).



[20]            La question à trancher consiste à déterminer si l'avis de question constitutionnelle a été signifié irrégulièrement parce qu'il a été signifié aux ministres de la Justice plutôt qu'aux procureurs généraux des provinces.

[21]            Habituellement, le ministre de la Justice occupe d'office la charge de procureur général. Toutefois, il s'agit de deux entités juridiques distinctes. Il faut souligner qu'il n'existe pas toujours un ministre de la Justice dans certaines provinces. Par exemple, en Ontario, en Colombie-Britannique et à l'Île-du-Prince-Édouard, il n'existe pas de ministre de la Justice; il existe seulement un procureur général. Par conséquent, je ne sais pas comment l'avocat du demandeur peut avoir affirmé sous serment avoir signifié l'avis au ministre de la Justice puisque cette personne n'existe pas.

[22]            Dans l'arrêt Eaton c. Conseil scolaire du comté de Brant, [1997] 1 R.C.S. 241, la Cour suprême du Canada a examiné le paragraphe 109(1) de la Loi sur les tribunaux judiciaires, L.R.O. 1990, ch. C.43, qui est semblable au paragraphe 57(1) de la Loi sur la Cour fédérale. Voici ce qu'a dit la Cour suprême :

Compte tenu de l'objet de l'art. 109 de la Loi sur les tribunaux judiciaires, je suis enclin à être d'accord avec l'opinion exprimée par la Cour d'appel du Nouveau-Brunswick dans D.N. c. New Brunswick (Minister of Health & Community Services), précité, et par le juge Arbour, dissidente, dans l'arrêt Mandelbaum, précité, selon laquelle la disposition impose une obligation, et l'omission de donner l'avis invalide une décision rendue en son absence sans que l'existence d'un préjudice ait été prouvée. Il me semble que l'absence d'avis est préjudiciable en soi à l'intérêt public. Je ne suis pas rassuré par le fait que le procureur général sera immanquablement en mesure d'expliquer après coup quelles mesures auraient pu être prises si l'avis avait été donné au moment opportun. Il y a donc un risque que, dans certains cas, une disposition législative puisse être annulée par défaut.


Il y a naturellement place à interprétation en ce qui concerne l'art. 109, et il peut se présenter des cas où l'omission de signifier un avis par écrit n'est pas fatale parce que le procureur général donne son consentement à ce que la question soit examinée ou parce qu'il y a eu un avis de facto qui équivaut à un avis par écrit. Il n'est toutefois pas nécessaire d'exprimer une opinion définitive sur ces questions, car je suis convaincu que, selon l'une ou l'autre tendance de la jurisprudence, la décision de la Cour d'appel n'est pas valide. Aucun avis ou quelque équivalent n'a été donné en l'espèce et, en fait, le procureur général et les tribunaux n'avaient aucune raison de croire que la Loi était contestée. Manifestement, l'art. 109 n'a pas été respecté et le procureur général a subi un préjudice grave en raison de l'absence d'avis.

[23]            Par conséquent, s'il y a eu avis de facto qui équivaut à un avis par écrit, l'omission de signifier un avis par écrit n'est pas nécessairement fatale. En l'espèce, je suis prêt à considérer que le fait que l'avis a été signifié aux ministres de la Justice plutôt qu'aux procureurs généraux des provinces n'est pas fatal. Lorsque le ministre de la Justice a reçu signification, on peut dire que le procureur général a connaissance de l'avis et a reçu signification.

[24]            Toutefois, je ne sais pas comment les procureurs généraux de l'Ontario, de la Colombie-Britannique et de l'Île-du-Prince-Édouard peuvent avoir eu connaissance de l'avis, puisqu'il n'existe pas de ministre de la Justice dans ces provinces et que l'avocat du demandeur a déclaré sous serment avoir signifié l'avis aux ministres de la Justice de ces provinces. Si l'avocat a commis une erreur dans son affidavit (ce qui est probable) et s'il a réellement signifié l'avis au procureur général, il se peut que cette erreur ne soit pas fatale non plus. Même s'il a adressé l'avis au ministre de la Justice de ces provinces, ce sont probablement les procureurs généraux qui l'ont reçu. Mes doutes tiennent plutôt au fait que je n'ai pas la certitude que l'avis a effectivement été signifié aux procureurs généraux. Pour l'instant, je présumerai qu'ils ont reçu signification, mais je ne suis pas certain qu'une présomption suffise en l'espèce.

[25]            De plus, le fait qu'aucune preuve n'établit que le procureur général du Manitoba a reçu signification de l'avis pose un grave problème.


[26]            Il existe deux courants jurisprudentiels en ce qui a trait au défaut de donner un avis en bonne et due forme. Dans l'arrêt Eaton c. Conseil scolaire du comté de Brant, précitée, la Cour suprême a donné l'explication suivante :

Bien que notre Cour n'ait pas encore abordé la question de l'effet juridique de l'absence d'avis, d'autres tribunaux l'ont fait. Les résultats sont contradictoires. Une première tendance favorise l'opinion selon laquelle, en l'absence d'avis, la décision est ipso facto invalide, tandis qu'une autre tendance soutient qu'en l'absence d'avis, une décision est annulable sur preuve de l'existence d'un préjudice.

[27]            Dans Gitxsan Treaty Society c. Hospital Em­ployees' Union, [2000] 1 C.F. 135 (C.A.), la Cour d'appel fédérale a dit :

Quant à la prétention selon laquelle les procu­reurs généraux n'ont pas démontré qu'ils ont subi un préjudice, la question du caractère obligatoire du paragraphe 57(1) n'a pas été tranchée de façon décisive par la Cour suprême du Canada. Cependant, à l'exception de certaines circonstances qui ne s'appli­quent pas en l'espèce, j'estime que la jurisprudence penche en faveur du caractère obligatoire de cette disposition. [...]

[...]

J'estime que ces commentaires indiquent qu'il existe une obligation de communiquer un avis en conformité avec le paragraphe 57(1) (sauf dans certaines circons­tances, soit lorsque les procureurs généraux consentent à l'examen de la question ou lorsqu'il y a eu un avis de facto) et que la présence ou l'absence de préjudice n'est pas un facteur pertinent.

[28]            Compte tenu de la jurisprudence qui précède, si l'avis n'a pas été signifié au procureur général du Manitoba, l'erreur doit être considérée fatale.

[29]            Il se peut toutefois que l'avis n'ait pas été nécessaire du tout. Le paragraphe 57(1) prévoit un avis dans le cas où la validité, l'applicabilité ou l'effet, sur le plan constitutionnel, d'une loi fédérale ou provinciale ou d'un de leurs textes d'application est en cause devant la Cour.


[30]            Le demandeur a l'intention de contester la validité constitutionnelle des pratiques en matière d'audition et du nouveau modèle d'audition devant la Commission. Il a aussi l'intention de soulever la question de la partialité administrative dans le contexte de l'audition des revendications du statut de réfugié des Africains par Jeannine Beaubien-Duque et Michel Goulet. Le demandeur soulèvera aussi le fait que sa propre expulsion contreviendrait à la Charte et aux normes internationales minimales. On ne peut dire que ces préoccupations mettent en cause la validité, l'applicabilité ou l'effet, sur le plan constitutionnel, d'une loi fédérale ou provinciale ou d'un de leurs textes d'application.

[31]            Le demandeur a toutefois l'intention de demander que la Charte soit interprétée de façon à inclure l'article 3 de la Convention contre la torture des Nations Unies, comme garantie fondamentale d'une société libre et démocratique.

[32]            Cette dernière question peut être considérée comme mettant en cause la validité, l'applicabilité ou l'effet, sur le plan constitutionnel, d'une loi fédérale.

[33]            Dans l'affaire Canada (Commissaire à l'information) c. Canada (Premier ministre), [1993] 1 C.F. 427 (1re inst.), le juge Rothstein a écrit ce qui suit :

Essayant de tourner l'article 57, l'avocat de Mme Calamai soutient que l'article 14 doit être « interprété » par référence à l'alinéa 2b) de la Charte et que pareille démarche est différente de la contestation de la validité, de l'applicabilité ou de l'effet de cet article.


Bien qu'il y ait des cas où un argument touchant l'interprétation d'une loi ne remet pas en question sa validité, son applicabilité ou son effet, je ne peux conclure, à la lumière des arguments présentés, que tel est le cas en l'espèce. L'avocat de Mme Calamai soutient que les renseignements en cause contribuent aux « valeurs fondamentales » , créant ainsi une présomption de droit d'accès, et que dans ce cas, l'exception prévue à l'article 14 est circonscrite par l'alinéa 2b) de la Charte. À supposer qu'il soit accueilli, je pense que cet argument aurait pour résultat de rendre inapplicable ou inopérante l'exception prévue à l'article 14 ou, à tout le moins, d'en limiter ou restreindre l'applicabilité ou l'effet lorsqu'il s'agit de documents relatifs aux valeurs fondamentales. S'il n'a pas pour résultat de limiter ou de restreindre l'applicabilité ou l'effet de l'exception, il ne servirait à rien d' « interpréter » l'article 14 par référence à la Charte.

En conséquence, voici les conclusions que je tire au sujet des arguments fondés sur la Charte :

1. La contestation fondée sur la Charte signifie nécessairement la contestation de l'article 14 de la Loi sur l'accès à l'information.

2. S'il est jugé que l'article 14 va à l'encontre de l'alinéa 2b) de la Charte, cet article sera inapplicable ou inopérant ou, au moins, son applicabilité ou son effet sera limité. Pareille décision n'est possible qu'après que l'avis prévu à l'article 57 de la Loi sur la Cour fédérale a été signifié, ce qui n'est pas le cas en l'espèce.

[34]            Dans la décision Canada (Commissaire de la Gendarmerie royale du Canada) (Re), [1993] 2 C.F. 351 (1re inst.), confirmée sans remarque sur ce point par [1994] 3 C.F. 562 (C.A.), le juge MacKay a tenu les propos suivants :

Si je ne m'abuse, la pratique de la Cour suprême veut qu'une question constitutionnelle sous le régime de la Charte soit assimilée à toute autre question constitutionnelle et qu'une question constitutionnelle ne soit formulée, en application de la Règle 32, que si la validité ou l'applicabilité constitutionnelle d'une loi ou de l'un de ses règlements d'application est contestée ou si le caractère inopérant d'une loi ou de l'un de ses règlements d'application est plaidé. Il ne convient pas de formuler une question en application de la Règle si la validité, l'applicabilité ou le caractère opérant d'un texte de loi n'est pas attaqué et si tout ce que la Cour est appelée à décider, c'est l'interprétation d'une loi au regard d'une disposition de la Charte (arrêt Tétreault-Gadoury c. Canada (Commission de l'emploi et de l'immigration), [1989] 2 R.C.S. 1110).

[...]

À la fin de l'audition, j'ai réservé ma décision relativement à la question soulevée afin d'étudier le point brièvement, en informant les avocats que le greffe les aviserait si, à mon avis, je jugeais l'article 57 applicable en l'espèce; dans l'affirmative, M. Jensen signifierait un avis aux procureurs généraux des provinces (et des territoires) et ceux qui seraient intéressés à intervenir auraient la possibilité d'obtenir le dossier et la transcription des débats en l'espèce et de plaider avant que la Cour n'ait rendu jugement sur le mémoire spécial. Après un bref examen, j'ai donné au greffe l'ordre d'informer les avocats que j'avais conclu que l'article 57 n'était pas applicable en l'espèce.


Cette conclusion repose sur les motifs qui sous-tendent l'argument présenté conjointement au nom des parties initiales à la présente espèce. On demande à la Cour d'interpréter la Loi sur la Gendarmerie royale du Canada d'une manière compatible avec la Charte – argument fondé sur la Charte qui n'a pas reçu l'appui de tous les avocats; on ne lui a pas demandé directement de statuer sur la validité, l'applicabilité ou le caractère opérant de la Loi, du point de vue constitutionnel. Vu ces circonstances, à mon avis, l'article 57 ne s'applique pas et il n'est pas obligatoire de donner l'avis à tous les procureurs généraux. Je tiens à faire remarquer que ce jugement ne comporte aucune conclusion du genre prévu à l'article 57 relativement à la loi en cause, soit la Loi sur la Gendarmerie royale du Canada.

[35]            En l'espèce, le demandeur a demandé que la Charte soit interprétée comme incluant l'article 3 de la Convention contre la torture des Nations Unies. La question de savoir si cette question met en cause l'effet d'une loi fédérale sur le plan constitutionnel n'est pas établie clairement.

[36]            Un élément appuie l'hypothèse selon laquelle elle soulève une question constitutionnelle, savoir le fait que le demandeur semble demander à la Cour d'attribuer à la Charte une interprétation qui aurait pour effet d'élever au rang de garantie constitutionnelle l'article 3 de la Convention contre la torture. Toutefois, la Convention contre la torture a été ratifiée par le Canada et est applicable à notre droit intérieur. Par conséquent, on peut tenir compte de l'article 3 même s'il n'a pas le statut d'une garantie accordée par la Charte. Je crois que le demandeur veut attribuer plus de poids à l'article 3 en l'englobant dans la Charte et en demandant à la Cour de le considérer comme une garantie constitutionnelle. Le cas échéant, je crois qu'un avis de question constitutionnelle serait nécessaire puisque cette question mettrait en cause l'effet de la Charte.

2.        La Commission a-t-elle fait preuve de partialité et a-t-il été porté atteinte au droit du demandeur à une audition équitable?


[37]            Le demandeur soutient que la Commission a fait preuve de partialité et avait déjà pris sa décision avant même d'entrer dans la salle d'audience. Le demandeur allègue que, la plupart du temps, il existe un lien étroit entre, d'une part, les affirmations défavorables sur la crédibilité ou la plausibilité du témoignage d'un demandeur du statut et, d'autre part, l'incompréhension ou les préjugés interculturels. Selon le demandeur, il a été attaqué pendant toute l'audition et son avocat et lui ont été constamment interrompus. Les membres de la Commission ont exprimé verbalement leur partialité à plusieurs occasions en disant [Traduction] « C'est votre réponse, c'est tout » et « C'est ce que vous répondez, monsieur » . Le demandeur soutient que ces propos révèlent la partialité préexistante et l'esprit fermé des membres de la Commission.

[38]            Le demandeur fait aussi valoir que la conclusion de la Commission selon laquelle il n'était pas crédible parce qu'il a nommé des auteurs africains lorsqu'on lui a demandé le nom d'auteurs qu'il avait étudiés en littérature anglaise témoigne de la pire sorte d'ignorance et de partialité culturelle. Cette conclusion révèle aussi un esprit fermé. La façon dont la Commission a interrogé le demandeur sur ce point et les conclusions radicales qu'elle a tirées ne respectent pas le droit à l'égalité garanti par l'article 15 de la Charte.


[39]            Le demandeur affirme qu'à Montréal, les pratiques en matière d'audition et le nouveau modèle d'audition portent atteinte au droit à une audition équitable et constituent de la partialité administrative. Selon le demandeur, la Commission demande systématiquement à l'avocat du demandeur du statut de réfugié de permettre à l'agent d'audience de poser ses questions en premier, contrairement à l'ordre naturel de présentation de la preuve quand le demandeur a le fardeau de la preuve. Les membres de la Commission disent systématiquement au demandeur du statut de réfugié qu'il ne doit pas répéter les faits exposés dans son FRP, bien que le droit à une audience lui soit garanti. La Commission interrompt souvent la présentation de la preuve. Le demandeur soutient que ces pratiques ne respectent pas le droit d'être entendu et contreviennent aux articles 7, 15 et 27 de la Charte.

[40]            Dans la décision Cota c. Canada (M.C.I.), [1999] A.C.F. no 872 (1re inst.), le juge Teitelbaum a dit ce qui suit :

En ce qui a trait à l'article 7 que soulève le demandeur, la Cour suprême du Canada a reconnu que le processus de détermination des revendications de réfugié doit se dérouler en conformité avec les principes de justice fondamentale prévue à l'article 7 de la Charte : Singh c. Canada (M.E.I.), (1985) 14 C.R.R. 13 (C.S.C.).

[41]            Dans l'arrêt Committee for Justice and Liberty c. Office national de l'énergie, [1978] 1 R.C.S. 369, à la page 394, la Cour suprême a énoncé ainsi le critère à appliquer pour déterminer s'il existe une crainte raisonnable de partialité :

. . . la crainte de partialité doit être raisonnable et le fait d'une personne sensée et raisonnable qui se poserait elle-même la question et prendrait les renseignements nécessaires à ce sujet. [. . .] [C]e critère consiste à se demander « à quelle conclusion en arriverait une personne bien renseignée qui étudierait la question en profondeur, de façon réaliste et pratique. Croirait-elle que, selon toute vraisemblance, [le décideur], consciemment ou non, ne rendra pas une décision juste? »

[42]            Dans l'affaire R. c. S. (R.D.), [1997] 3 R.C.S. 484, le juge Cory a décidé ce qui suit :

La personne raisonnable doit de plus être une personne bien renseignée, au courant de l'ensemble des circonstances pertinentes, y compris [TRADUCTION] « des traditions historiques d'intégrité et d'impartialité, et consciente aussi du fait que l'impartialité est l'une des obligations que les juges ont fait le serment de respecter » R. c. Elrick, [1983] O.J. No. 515 (H.C.), au par. 14. Voir aussi Stark, précité, au par. 74; R. c. Lin, [1995] B.C.J. No. 982 (C.S.), au par. 34. À ceci j'ajouterais que la personne raisonnable est également censée connaître la réalité sociale sous-jacente à une affaire donnée, et être sensible par exemple à l'ampleur du racisme ou des préjugés fondés sur le sexe dans une collectivité donnée.


[43]            Le défendeur souligne que le demandeur n'a pas demandé aux membres de la Commission de se récuser au moment de l'audition. Le demandeur soutient qu'il est essentiel que le demandeur qui allègue une crainte raisonnable de partialité démontre qu'il a demandé aux membres de la Commission de se récuser à la première occasion, sans quoi ses arguments seront rejetés.

[44]            Dans la décision Khakh c. Canada (M.E.I.), [1994] 1 C.F. 548 (1re inst.), le juge Nadon a passé en revue la jurisprudence portant sur la question du moment où une crainte raisonnable de partialité doit être soulevée. Il a conclu en ces termes :

On peut conclure des magistères ci-dessus que la crainte raisonnable de parti pris doit être soulevée à la première occasion. La question qui se pose alors est : « C'est à quel moment, la première occasion? » Selon Halsbury's Laws of England, que cite le juge Marceau, J.C.A., dans Affaire intéressant le tribunal des droits de la personne, il n'y a pas renonciation à moins que la partie qui a le droit de soulever l'objection ne soit pleinement au courant de la nature de la perte de qualité et n'ait eu la possibilité raisonnable de formuler l'objection.

Pour Mullan, le tribunal judiciaire saisi conclura qu'il y a renonciation implicite si la partie ou son représentant sont au courant des faits qui justifient une crainte de parti pris mais ne soulèvent aucune objection. Cependant, Mullan tempère son énoncé en ajoutant que cette partie ou son représentant doivent « savoir qu'ils ont le droit d'objecter » .

Craig fait remarquer que les tribunaux judiciaires ont moins tendance à conclure à renonciation implicite dans le cas où la partie ne sait pas qu'elle a le droit d'objecter.

[...]

Dans Regina v. Nailsworth Licensing Justices. Ex parte Bird (1953), 1 W.L.R. 1046 (Q.B. Div.), le juge en chef lord Goddard a fait l'observation suivante en page 1048 :

[traduction] Le procureur n'a pas immédiatement soulevé son objection et il semble clair qu'il a décidé de laisser l'affaire se poursuivre, en considérant qu'il s'agissait là d'une occasion en or pour demander l'annulation de l'ordonnance au cas où le comité se prononcerait en faveur de la demande. Voilà un motif suffisant pour justifier le rejet de cette requête ...

Dans West Region Tribal Council c. Booth et autres (1992), 55 F.T.R. 28, le juge Muldoon de cette Cour a jugé qu'une partie avait renoncé à exercer son droit de faire valoir la crainte raisonnable de parti pris puisqu'elle ne l'avait pas fait à la première occasion. Voici la conclusion qu'il a tirée à ce sujet [à la page 46] :


Une nullité ab initio peut être constatée et déclarée à n'importe quel moment par la suite, puisqu'elle n'a jamais eu d'effet, et ce à la lumière des preuves à cet effet. Cependant si une partie allègue le déni de justice naturelle pour cause de préjugé, cette partie devrait, non, elle est tenue d'exprimer immédiatement son allégation, car avec le passage du temps, pareille allégation ne serait peut-être plus démontrable. Il ne faut pas que l'allégation de préjugé soit tenue secrète, il faut qu'elle soit immédiatement rendue publique, afin de prendre le tribunal administratif « en flagrant délit » , si on peut dire, de préjugé et de faute. Ainsi donc, l'attitude qui consiste à attendre de voir si on a gain de cause devant l'arbitre, auquel cas on ne fera aucune allégation de préjugé, et à faire cette allégation afin de se soustraire à une perte confirmée, est abusive et doit être découragée.

[45]            Dans l'affaire Nartey c. M.E.I. (1994), 74 F.T.R. 74, le juge Denault a tenu les propos suivants :

De plus, pendant l'audience, ni le requérant ni son avocat n'ont soulevé la question de l'appréhension raisonnable de partialité. Dans l'arrêt Abdalrithah c. MEI (1988), 40 F.T.R. 306 (1re inst.), j'ai statué ceci :

D'ailleurs, même en prenant pour acquis que les faits auraient démontré une probabilité de partialité de la part de l'agent, ce qui n'est pas le cas, le défaut par son procureur de soulever cette question séance tenante, fait présumer qu'il a renoncé à invoquer cette appréhension raisonnable de préjugé.

Je crois que ce principe s'applique encore, malgré le jugement que mon collègue le juge Nadon a récemment rendu dans Khakh c. MEI (4 novembre 1993), 70 F.T.R. 26, dossier du greffe T-315-93. Dans sa décision, le juge Nadon a examiné les arrêts et ouvrages sur la question de savoir si l'omission de soulever la question du parti pris pendant l'audience porte un coup fatal au règlement ultérieur de la question. Il a conclu que pareille omission ne constitue pas une renonciation si le requérant ou son avocat n'étaient pas au courant du droit qu'ils avaient de formuler une opposition fondée sur une crainte raisonnable de partialité ou des faits donnant lieu à la perte de qualité (dans ce cas-là, le requérant n'était pas représenté) ...

[46]            En l'espèce, le demandeur n'a pas demandé aux membres de la Commission de se récuser à la première occasion, c'est-à-dire au moment où le demandeur a cru que les méthodes de la Commission soulevaient une crainte raisonnable de partialité. Toutefois, devant la Commission, l'avocat du demandeur a fait des commentaires sur le fait que la Commission a posé des questions à l'audience et il a demandé à la Commission de s'abstenir d'interrompre le demandeur pendant son témoignage.


[47]            Le demandeur allègue aussi que la conclusion tirée par la Commission concernant la possibilité d'étudier les auteurs africains dans le cadre des cours de littérature anglaise soulève une crainte raisonnable de partialité. Le demandeur ne pouvait soulever cette question qu'après le prononcé de la décision de la Commission. Comme une accumulation d'incidents peut aussi susciter une crainte raisonnable de partialité, je suis disposé à reconnaître que le demandeur a soulevé la question à la première occasion. Je tiens toutefois à ajouter que nous sommes en présence d'un cas limite et que, n'eut été la question concernant les cours de littérature anglaise, j'aurais conclu que le demandeur avait renoncé à son droit de se plaindre.

[48]            Par conséquent, j'évaluerai la crainte de partialité qu'invoque le demandeur.

[49]            Comme le précise la décision Khakh, précitée, un simple soupçon de parti pris éprouvé par une partie n'est pas suffisant pour fonder un recours en contrôle judiciaire pour cause de partialité.

[50]            Le demandeur affirme qu'il a été attaqué pendant toute l'audition et que son avocat et lui ont été interrompus constamment pendant son témoignage. De plus, le demandeur soutient que les questions de la Commission avaient une portée très étroite, étaient entachées de partialité et visaient constamment à contredire le demandeur même sur des points relativement auxquels la Commission n'avait aucun motif valable de ne pas le croire.

[51]            En ce qui concerne les questions posées par la Commission dans le cadre de l'audition d'une revendication du statut de réfugié, le juge Teitelbaum a dit ce qui suit, dans l'affaire Osuji c. Canada (M.C.I.) (1999), 169 F.T.R. 120 (1re inst.) :


La demanderesse cite plusieurs précédents, en particulier Kumar c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration), [1988] 2 C.F. 14 (C.A.F.), dans laquelle le juge Mahoney, prononçant le jugement de la Cour d'appel fédérale, a conclu que les interventions déplacées et intimidantes gênaient considérablement le demandeur dans ses conclusions. [...]

La demanderesse invoque aussi les jurisprudences Sivaguru c. Canada (M.E.I.), [1992] 2 C.F. 374 (C.A.F.), Mahendran c. Canada (M.E.I.) (1991), Imm. L.R. (2d) 30 (C.A.F.), et Iossifov c. Canada (M.E.I.) (1993), 71 F.T.R. 28 (C.F. 1re inst.).

Dans Iossifov, la Cour a examiné si le requérant s'est vu donner la pleine possibilité de se faire entendre. Jugeant que la décision attaquée ne pouvait tenir, le juge McKeown s'est prononcé en ces termes, pages 29 et 30 :

[La Commission] a, à plusieurs reprises, empêché le requérant de présenter de façon méthodique les preuves sur la persécution dont il avait fait l'objet avant 1990.

[¼]

Il ne suffit pas non plus de dire que la Commission a permis au requérant de produire toutes les preuves de persécution passée, puisqu'il ressort de la transcription que les membres du comité ne s'y intéressaient pas, qu'ils ont constamment interrompu l'avocate du requérant et l'ont empêchée de procéder de façon méthodique.

[...]

Dans Mahendran, précité, une autre cause invoquée par la demanderesse, la Cour d'appel fédérale était appelée à juger si le droit de l'appelant à une audience équitable avait été violé et si les circonstances suscitaient une crainte raisonnable de préjugé, comme il avait été agressivement contre-interrogé par les commissaires. Rejetant l'appel, la Cour s'est prononcée sur la question de la justice naturelle en ces termes, pages 32 et 33 :

Je n'hésite pas à exprimer ma préoccupation quant à la longueur des interventions du commissaire Groos. Je crois qu'il aurait dû laisser à l'agent d'audience la tâche d'interroger la partie appelante. Cela étant dit, je m'empresse toutefois d'ajouter que les membres de ce tribunal ont la capacité, aux termes du paragraphe 67(2) de la Loi sur l'immigration, de « faire prêter serment et interroger sous serment » et de « ¼ prendre toutes autres mesures nécessaires à une instruction approfondie de l'affaire » . Si, comme il ressort de la transcription, le commissaire Groos éprouvait des doutes sur le témoignage de la partie appelante suite à l'interrogatoire mené par l'avocat de cette dernière et par l'agent d'audience, il pouvait mener son propre interrogatoire dans l'exercice approprié de ses fonctions telles qu'il les perçoit. Compte tenu de cela, il est nécessaire d'apprécier la nature de l'interrogatoire pour décider si les objections soulevées par l'avocat de la partie appelante à cet égard et énoncées plus haut sont bien fondées. Après avoir examiné minutieusement la transcription, je ne peux, en toute déférence, être d'accord avec les critiques formulées par l'avocat sur l'interrogatoire mené par M. Groos. Je qualifierais cet interrogatoire d'intervention énergique visant à clarifier certaines contradictions dans la preuve. On y décèle également un certain sentiment de frustration face à l'impossibilité de bien comprendre l'objet général de la preuve présentée. De plus, je ne peux conclure, d'après ce dossier, que la conduite du commissaire Groos justifie une crainte raisonnable de partialité.


En l'espèce, force m'est de conclure, malgré les arguments de l'avocat de la demanderesse, que les circonstances de la cause ne trahissent pas un préjugé ni ne suscitent une appréhension raisonnable de préjugé. J'ai lu et relu la transcription de l'audience de la Commission, et note qu'elle jouait un rôle actif dans l'interrogatoire de la demanderesse. Je note aussi qu'elle a effectivement posé la même question à quelques reprises. Il ressort de cette transcription que les commissaires se sont fréquemment interposés pendant l'interrogatoire mené par l'avocat de la demanderesse. Je ne pense cependant pas que les actions de la Commission vaillent manquement à la justice naturelle en ce sens que la demanderesse se serait vu dénier la possibilité de se faire entendre pleinement ou que les questions posées par la Commission susciteraient une appréhension de préjugé.

Les précédents cités par la demanderesse ne portent pas sur les mêmes points de fait que l'affaire en instance. Par exemple, le président de l'audience n'intervenait pas agressivement et fréquemment comme l'a fait celui dans la cause Kumar, la manière dont il interrogeait la demanderesse en l'espèce ne visait pas à tendre un piège comme dans Sivaguru, et on ne saurait dire qu'il « ne s'intéressait pas [au témoignage de la demanderesse], qu'il a constamment interrompu son avocat et l'a empêché de procéder de façon méthodique » comme dans la cause Iossifov.

L'affaire en instance se rapproche plutôt de la cause Mahendran, dans laquelle la Cour d'appel fédérale a conclu que les questions posées par la Commission visaient à clarifier les contradictions dans le témoignage du demandeur, et qu'elles traduisaient son sentiment de frustration devant l'impossibilité de se faire une idée claire du sens général de ce témoignage. En l'espèce, il appert que la Commission a tout simplement cherché à clarifier ou à réconcilier des dépositions contradictoires. [...]

Les précédents susmentionnés font jurisprudence en matière d'appréhension de préjugé et d'audience équitable, mais les circonstances de l'affaire en instance doivent être jugées au regard du critère défini dans l'arrêt Office national de l'énergie, cité dans Sivaguru, précité. Après lecture de la transcription, je conclus qu'une personne bien informée, qui examinerait la question en profondeur, de façon réaliste et pratique, serait d'avis qu'il n'y a pas eu préjugé de la part de la Commission.

[52]            Par conséquent, il semble que les interrogatoires énergiques par un membre de la Commission et les interruptions fréquentes ne soulèvent pas nécessairement une crainte raisonnable de partialité, plus particulièrement lorsque cette intervention vise à clarifier le témoignage d'un demandeur du statut.


[53]            J'ai examiné attentivement la transcription. Je ne puis conclure que la Commission a interrompu constamment le demandeur et que la Commission n'a pas laissé le demandeur présenter sa preuve. La Commission a rarement interrompu le demandeur pendant son interrogatoire par l'avocat et, lorsque la Commission l'a interrompu, c'était pour clarifier une question et mieux comprendre le demandeur ou lui demander de parler plus fort. À une occasion, la Commission a même demandé à l'avocat la permission d'intervenir. La Commission a posé plus de questions au demandeur après que son avocat a fini de l'interroger, mais il s'agissait de questions visant à clarifier son témoignage.

[54]            On ne peut blâmer la Commission pour ces quelques interruptions et les allégations du demandeur selon lesquelles il a été constamment interrompu sont exagérées par rapport à ce qui s'est réellement passé à l'audience. En l'espèce, on ne peut même pas dire que la Commission a interrompu fréquemment le demandeur, comme ce fut le cas dans l'affaire Osuji, précitée.

[55]            Le demandeur soutient aussi que la nouvelle façon de procéder de la Commission qui consiste à demander à l'avocat du demandeur de permettre à l'agent d'audience de poser ses questions en premier soulève un doute raisonnable de partialité.

[56]            À la page 10 de la transcription, l'échange suivant a eu lieu entre la présidente et l'avocat du demandeur :

[Traduction]

La présidente :         Maître Istvanffy, si vous le voulez bien, à moins d'avoir vous-même des questions préliminaires particulières à poser, accepteriez-vous que madame Setton commence avec quelques questions à des fins de clarification?

L'avocat :                 Je préférerais poser mes questions en premier. Madame Setton m'a proposé de cibler l'interrogatoire sur la question de l'homosexualité en premier. Je ne sais pas si le tribunal est d'accord ou non.

---                             Nous n'y avons pas d'objection. Il s'agit certes d'un élément important de l'histoire du revendicateur. Il me semble aussi important que ses activités étudiantes à l'université; il s'agit donc certainement d'un élément dont nous devons traiter. Je suis d'accord pour dire qu'il doit ... qu'il peut être traité en premier.

La présidente :         Êtes-vous d'accord vous aussi? Ça vous convient?

L'avocat :                 Oui. Oui, ça me va.


La présidente :         C'est bien. Donc, Madame Setton, si vous vous êtes entendue avec Maître Istvanffy pour qu'il commence avec cette question, ou avez-vous ... ?

ACR :                       Il commencerait par cette question.

La présidente :         Oui?

ACR :                       Oui.

La présidente :         C'est bien. Donc ...

ACR :                       C'était une suggestion. Ce n'était pas ...

...                              Eh, bien, je pense que nous ...

ACR :                       ... une entente formelle.

[57]            Je ne sais pas avec certitude si la présidente voulait dire que l'ACR devait commencer son interrogatoire complet du demandeur ou si elle demandait si l'ACR pouvait poser quelques questions à titre préliminaire. Il me semble, à la lumière de la transcription, que la Commission demandait si l'ACR pouvait poser quelques questions à des fins de clarification à titre préliminaire.

[58]            Toutefois, le juge Teitelbaum a donné les explications suivantes, dans Cruz c. Canada (M.C.I.) [1999] A.C.F. no 1266 (1re inst.) :

Le Tribunal n'a commis aucune erreur révisable en permettant à l'agent d'audience de commencer son contre-interrogatoire en premier, ni en entendant plusieurs revendications durant la même demi-journée. Les paragraphes 68(2) et 68(3) de la Loi sur l'immigration indiquent clairement que le Tribunal est maître de sa propre procédure et qu'il n'est pas lié aux règles formelles de présentation de la preuve :



68 (2) Dans la mesure où les circonstances et l'équité le permettent, la section du statut fonctionne sans formalisme et avec célérité.

(3) La section du statut n'est pas liée par les règles légales ou techniques de présentation de la preuve. Elle peut recevoir les éléments qu'elle juge crédibles ou dignes de foi en l'occurrence et fonder sur eux sa décision.

68(2) The Refugee Division shall deal with all proceedings before it as informally and expeditiously as the circumstances and the considerations of fairness permit.

(3) The Refugee Division is not bound by any legal or technical rules of evidence and, in any proceedings before it, it may receive and base a decision on evidence adduced in the proceedings and considered credible or trustworthy in the circumstances of the case.


Dans Morante del Moral c. M.C.I. (4 juin 1998), IMM-2062-97 (C.F. 1re inst.), mon collègue, monsieur le juge Dubé a traité de la même question et a rejeté les arguments du demandeur :

Le procureur représentant le requérant à l'audience de ce recours judiciaire attaque la décision du Tribunal au motif de son manque d'impartialité vis à vis le requérant en particulier et tous les requérants du Mexique en général. Il rappelle au Tribunal que l'audience n'a duré que de 30 à 45 minutes, une courte période au cours de laquelle le Tribunal ne s'est pas intéressé aux explications que les requérants tentaient de lui fournir sur la situation dangereuse au Mexique.

Il prétend également que « la pratique courante » du Tribunal est de traiter le plus rapidement possible les causes de revendicateurs mexicains, « présumément des réfugiés économiques » . Le Tribunal aurait entendu trois ou quatre autres demandes de Mexicains au cours du même après-midi. De plus, il a critiqué le fait que le Tribunal a ordonné que l'agent d'audience commence son interrogatoire en premier lieu, selon lui une procédure injuste pour en arriver à une réponse négative rapide. Il allègue que le Tribunal s'est fondé sur deux contradictions de peu d'importance et a totalement négligé la situation au Mexique en général et la crainte justifiée du requérant en particulier.

Par ailleurs, le procureur du requérant ne s'est pas objecté à la procédure et n'a soulevé aucune crainte de partialité de la part des membres du Tribunal.

Il est clairement établi qu'un Tribunal est maître de ses procédures, et n'est pas lié aux règles formelles de la Cour. Le requérant avait toute l'opportunité voulue pour faire valoir les mérites de sa cause. D'ailleurs, les paragraphes 68(2) et 68(3) de la Loi sur l'immigration ( « la Loi » ) le stipulent très clairement :

68. (2) Dans la mesure où les circonstances et l'équité le permettent, la section du statut fonctionne sans formalisme et avec célérité.

(3) La section du statut n'est pas liée par les règles légales ou techniques de présentation de la preuve. Elle peut recevoir les éléments qu'elle juge crédibles ou dignes de foi en l'occurrence et fonder sur eux sa décision.

La lecture de la transcription des témoignages à l'audience révèle que le membre audiencier a ouvert l'audience, a résumé les faits et a commencé à questionner le requérant. L'agent d'audience et le procureur du requérant ont également participé. Vers la fin de l'audience, le membre audiencier a donné la parole à ce dernier qui a fait valoir ses arguments.

Il est clairement établi par la jurisprudence qu'une partie qui éprouve une crainte raisonnable de partialité de la part d'un tribunal doit alléguer la violation d'un principe de justice naturelle à la première occasion :


... Corrélativement, le droit de celui qui craint que le tribunal devant lequel il se présente ne soit partial a toujours été, encore une fois selon mon interprétation de la jurisprudence, le droit de s'opposer à être jugé par le tribunal, mais un droit qui ne subsiste que jusqu'à ce qu'il se soumette à lui de manière expresse ou implicite. C'est seulement parce que M. MacBain a soulevé ses objections au début de l'affaire que sa contestation à l'égard des procédures pouvait réussir.

               ...

Toutefois, même si l'on écarte cette renonciation expresse, toute la manière d'agir d'EACL devant le Tribunal constituait une renonciation implicite de toute affirmation d'une crainte raisonnable de partialité de la part du Tribunal. La seule manière d'agir raisonnable pour une partie qui éprouve une crainte raisonnable de partialité serait d'alléguer la violation d'un principe de justice naturelle à la première occasion.

De plus, la Cour suprême a établi clairement qu'une crainte de partialité doit être raisonnable. Dans l'affaire Comm. for Justice c. L'Office Nat. de l'Énergie, aux pages 394 et 395 le juge de Grandpré disait ce qui suit à la page 395 :

Évidemment, le principe fondamental est le même : la justice naturelle doit être respectée. En pratique cependant, il faut prendre en considération le caractère particulier du tribunal. Comme le remarque Reid, Administrative Law and Practice, 1971, à la p. 220 :

[Traduction] . . . 'tribunal' est un mot fourre-tout qui désigne des organismes multiples et divers. On se rend vite compte que des normes applicables à l'un ne conviennent pas à un autre. Ainsi, des faits qui pourraient être des motifs de partialité dans un cas peuvent ne pas l'être dans un autre. [Références omises].

Je suis du même avis, le Tribunal est maître de sa propre procédure. Dans le présent cas, le demandeur n'a pas démontré la partialité du Tribunal.

[59]            En l'espèce, je suis d'accord et avec le juge Teitelbaum et avec le juge Dubé pour dire que la Commission n'est pas liée par les règles formelles d'une cour de justice et qu'elle est maître de sa propre procédure. De plus, lorsque l'avocat du demandeur a refusé de laisser l'ACR commencer à poser ses questions en premier, la Commission a acquiescé à la demande de l'avocat et lui a permis de commencer le premier.


[60]            Je ne vois pas comment le demandeur peut prétendre ne pas avoir eu droit à une audition équitable, puisque son avocat a pu l'interroger en premier et qu'il a aussi pu exposer ses prétentions convenablement devant la Commission.

[61]            En ce qui concerne l'inscription du demandeur en littérature anglaise, le demandeur soutient que la conclusion de la Commission, selon laquelle il n'était pas crédible parce qu'il a nommé des auteurs africains plutôt que des auteurs anglais lorsqu'on lui a demandé de nommer des auteurs, témoigne de sa partialité. Le demandeur fait aussi valoir que cette conclusion est discriminatoire et qu'elle contrevient à l'article 15 de la Charte.

[62]            Je partage l'avis du demandeur que la Commission n'avait aucun motif de douter de sa parole parce qu'il a dit avoir étudié des auteurs africains dans le cadre des cours de littérature anglaise. Le défendeur soutient que cette conclusion de fait est parfaitement raisonnable, étant donné que les dictionnaires définissent unanimement le terme « littérature » comme s'entendant notamment de l'ensemble des oeuvres écrites produites dans un pays donné.

[63]            Je conviens que l'expression « littérature anglaise » peut renvoyer à la littérature de l'Angleterre, mais elle peut aussi désigner la littérature écrite en langue anglaise. En l'espèce, la littérature anglaise à l'Université de Nairobi peut très bien comprendre des auteurs africains qui écrivent en anglais - et cette hypothèse est d'ailleurs plus probable que l'hypothèse contraire.


[64]            Toutefois, bien que cette conclusion dénote de l'ignorance et un manque de sensibilité de la part de la Commission, je ne pense pas qu'elle dénote du racisme ou de la partialité de sa part comme le prétend le demandeur, ni qu'elle contrevienne à l'article 15 de la Charte.

[65]            En ce qui concerne la prétention du demandeur que la Commission a fait preuve de partialité en répondant : « C'est votre réponse, c'est tout » à la réponse du demandeur, la transcription démontre, à la page 112, que l'échange suivant a eu lieu :

ACR :                       Est-ce que cela veut dire anglaise des auteurs anglais?

Le demandeur :         Oui, ils sont anglais, mais africains.

ACR :                       Alors, pouvez-vous me nommer quelques anglais?

Le demandeur :         Des auteurs africains.

ACR :                       Et quels auteurs africains? Par exemple?

Le demandeur :         Comme j'ai dit (inaudible) Sebe, c'est un Nigérien. (inaudible), il est Kenyan. Vous avez ...

La présidente :         Et on les retrouverait dans une matière appelée littérature anglaise?

Le demandeur :         Oui.

La présidente :         On ne penserait pas que le terme anglais décrit la nationalité plutôt que simplement la langue?

Le demandeur :         Oui, mais à l'université, vous avez fait un choix, vous avez choisi par exemple un département de la faculté.

La présidente :         Non, non, je ne parle pas de la faculté. Je parle de la matière. Par littérature anglaise, on veut habituellement dire la littérature écrite en Angleterre.

Le demandeur :         Non, ce n'est pas ce qu'on veut dire chez nous.

La présidente :         Oui. Eh bien, c'est ce que vous répondez, monsieur.


[66]            Voici ce que dit la page 165 de la transcription :

La présidente :         C'est bien, je ne parle pas des saunas. Je parle des ...

Le demandeur :         Oui

La présidente :         ... lieux de divertissement. Des endroits où vous pouvez aller prendre un café ou une bière ou un cola et rencontrer des amis, peut-être rencontrer d'autres Noirs, parce qu'il y a une communauté noire, une importante communauté noire à Montréal, et il y a d'autres Africains. Vous n'en connaissez donc aucun en particulier qui serait un peu plus connu.

Le demandeur :         Non, parce qu'avant que je commence à travailler les fins de semaine, je travaillais la semaine, soixante heures par semaine. C'était alors difficile de sortir et de rencontrer des amis. J'ai donc décidé de travailler les fins de semaine pour pouvoir.

La présidente :         Mais, monsieur, vous allez voir Daniel qui est travailleur social au Projet 10. Vous semblez vouloir sortir de votre isolement, en un sens, mais vous ne ... Est-ce que vous me dites que vous ne fréquentez aucun ... vous allez à un sauna qui est parfois un peu risqué, c'est plus risqué d'aller dans un sauna que d'aller dans un bar pour prendre un cola. J'imagine que si vous vouliez rencontrer des amis vous iriez dans un endroit bien connu. Alors, est-ce bien votre réponse définitive, monsieur? Vous ne pouvez pas me donner un nom.

Le demandeur :         Pour rencontrer des amis, en ce moment, je vais au Projet 10. Il y a beaucoup de jeunes gays là qui veulent vraiment se faire des amis, plus que ceux qu'on rencontre dans les bars.

La présidente :         Et, à votre connaissance, vous n'avez entendu parler d'aucun autre endroit?

[67]            La page 168 de la transcription dit :

La présidente :         Maître Istvanffy, j'ai dit nommez un bar ou un restaurant.

L'avocat :                 Ce n'est pas tout le monde qui fréquente les bars.

La présidente :         Non, non, j'en conviens.

L'avocat :                 Je suis désolé.

La présidente :         Je n'ai pas dit qu'il devait les fréquenter. Je lui ai demandé s'il en connaissait un.

L'avocat :                 Et vous avez dit qu'il n'en connaissait aucun.


La présidente    :        Non, non, je n'ai obtenu aucun nom ...

L'avocat :                 Et il a nommé beaucoup de (inaudible).

La présidente :         ... de bar gay. J'ai obtenu un sauna et le village gay est immense. Le village gay ne se limite pas à la rue Sainte-Catherine. Il est grand. Il est immense et il est assez étendu. Toutefois, c'est votre réponse. C'est tout. Merci.

[68]            Dans l'ouvrage intitulé Judicial Review of Administrative Action in Canada(Toronto : Canvasback Publishing, 1998), Brown et Evans indiquent, aux pages 11-31 et 11-32 :

[TRADUCTION] Les interrogatoires approfondis et « énergiques » par les membres d'une formation ne susciteront pas, à eux seuls, une crainte raisonnable de partialité. De plus, il est probable qu'on accordera une latitude particulière aux formations qui prennent part à un processus non accusatoire, telles les auditions de revendication du statut de réfugié, dans lesquelles personne ne comparaît pour s'opposer à la revendication. Par ailleurs, une expression d'impatience ou une perte de sang-froid momentanée de la part d'un membre d'une formation ne le rendra pas incapable d'entendre l'affaire dans les cas où il s'agit d'une simple tentative visant à contrôler la façon dont l'instance se déroule. De la même façon, une remarque sarcastique qui suit le refus d'une partie de témoigner, ou une phrase mal choisie ou dénotant un manque de sensibilité, n'entraînera pas, à elle seule, l'incapacité. [Notes en bas de page omises.]

[69]            En l'espèce, le membre de la Commission a exprimé son scepticisme face à la réponse du demandeur. Dans Mohammad c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration) (2000), 4 Imm. L.R. (3d) 152, le juge Lemieux a dit, dans une affaire dans laquelle les membres de la Commission avaient fait différents commentaires :

Je suis d'avis que la présidente de l'audience et l'autre membre qui a pris part à l'interrogatoire ont posé leurs questions et fait leurs commentaires tout à fait dans le cadre d'une intervention adéquate et avec pour seul objectif d'aider le demandeur et de lui permettre de faire tout son récit, de surmonter sa nervosité et de clarifier les points de son témoignage qui semblaient incohérents ou contradictoires. Sur ce ruban, je n'ai rien entendu d'agressif, d'intimidant ou d'hostile quant au ton des questions de chacun des membres. J'ai plutôt trouvé que chacune des questions que les membres ont adressées au demandeur était posée calmement, précisément et poliment, ce qui ne soutient pas la prétention du demandeur que la façon dont les membres l'ont interrogé a gâté le climat de l'audience et tellement déconcentré le demandeur qu'il en a oublié le fondement de sa crainte de persécution. Il est vrai que les membres du tribunal ont posé plusieurs questions au demandeur et que certaines des questions étaient répétitives. À mon avis, ces questions et leur répétition avaient pour unique but d'aller au fond du récit du demandeur, dont les réponses étaient vagues et imprécises. On ne peut dire qu'en procédant de cette manière les membres sont devenus des poursuivants ou des adversaires du demandeur.


La transcription ne révèle pas de commentaire sarcastique ou inapproprié qui dénoterait l'existence de partialité ou d'iniquité. Le commentaire «    vous allez devoir faire mieux que cela parce que cette réponse ne me convainc pas » n ‘a pas été fait de façon hostile ou intimidante, mais honnêtement et directement afin de faire part au demandeur, de façon neutre, des problèmes qu'éprouvait le tribunal face à son témoignage et de lui donner l'occasion de régler ses réponses en conséquence. Je place le commentaire « [C]royez-vous que cela a du sens? » sur le même pied que la déclaration sur la crédibilité du demandeur.

[70]            Selon moi, les commentaires faits par le membre de la Commission soulignaient les problèmes qu'éprouvait la Commission relativement au témoignage du demandeur. Par exemple, lorsque la présidente a dit : « Alors, est-ce bien votre réponse définitive, monsieur? Vous ne pouvez pas me donner un nom » , elle donnait au demandeur l'occasion de poursuivre sa preuve et lui indiquait les problèmes qu'elle voyait dans son témoignage. Quant à la remarque suivante : « Toutefois, c'est votre réponse. C'est tout. Merci. » , il s'agissait, compte tenu de l'échange avec l'avocat du demandeur, d'une explication à l'intention de l'avocat du demandeur qui s'était opposé à la remarque de la présidente selon laquelle le demandeur n'avait pu nommer aucun bar ni lieu de divertissement gay. Je ne trouve pas ces remarques sarcastiques, hostiles ni intimidantes.

[71]            Quant à la remarque « Oui. Eh bien, c'est ce que vous répondez, monsieur » , bien qu'elle puisse être qualifiée de sarcastique, je crois que la présidente a exprimé, peut-être pas de la façon la plus appropriée, son scepticisme relativement à l'explication du demandeur. Je ne peux conclure que ces remarques dénotent de la partialité.


[72]            Par conséquent, je conclus qu'une personne bien renseignée, sensible à la réalité sociale sous-jacente d'une affaire donnée, par exemple à l'ampleur du racisme ou des préjugés fondés sur le sexe au Canada, qui étudierait la question en profondeur, de façon réaliste et pratique, conclurait que les quelques interruptions et remarques faites par la Commission ne suscitent pas une crainte raisonnable de partialité ni ne révèlent un esprit fermé.

[73]            De plus, je ne peux conclure que le demandeur n'a pas bénéficié d'une audition équitable ni que les règles de justice fondamentale mentionnées à l'article 7 de la Charte ont été bafouées.

3.        La Commission a-t-elle commis une erreur en évaluant la crédibilité du demandeur?

[74]            La Commission a conclu que le demandeur n'était pas crédible et que les documents personnels présentaient de nombreuses divergences défavorables à sa revendication.

[75]            Le demandeur soutient que la commission n'avait aucun motif valable de douter de sa version des faits.

[76]            Dans l'affaire Aguebor c. (M.E.I.) (1993), 160 N.R. 315 (C.A.F.), la Cour d'appel fédérale a expliqué quelles situations mettant en cause l'évaluation de la crédibilité par la Commission justifient l'intervention de la Cour :

Il ne fait pas de doute que le tribunal spécialisé qu'est la section du statut de réfugié a pleine compétence pour apprécier la plausibilité d'un témoignage. Qui, en effet, mieux que lui, est en mesure de jauger la crédibilité d'un récit et de tirer les inférences qui s'imposent? Dans la mesure où les inférences que le tribunal tire ne sont pas déraisonnables au point d'attirer notre intervention, ses conclusions sont à l'abri du contrôle judiciaire. Dans Giron, la Cour n'a fait que constater que dans le domaine de la plausibilité, le caractère déraisonnable d'une décision peut être davantage palpable, donc plus facilement identifiable, puisque le récit apparaît à la face même du dossier. Giron, à mon avis, ne diminue en rien le fardeau d'un appelant de démontrer que les inférences tirées par le tribunal ne pouvaient pas raisonnablement l'être.


[77]            Dans la décision Boye c. Canada (M.E.I.) (1994), 83 F.T.R. 1 (C.F. 1re inst.), le juge en chef adjoint Jerome a statué :

Tout d'abord, les questions de crédibilité et de poids de la preuve relèvent de la compétence de la Section du statut de réfugié en sa qualité de juge des faits en ce qui concerne les revendications du statut de réfugié au sens de la Convention. Lorsque la conclusion du tribunal qui est contestée porte sur la crédibilité d'un témoin, la Cour hésite à la modifier, étant donné la possibilité et la capacité qu'a le tribunal de juger le témoin, son comportement, sa franchise, la spontanéité avec laquelle il répond, et la cohérence et l'uniformité des témoignages oraux.

[78]            Le demandeur fait valoir que la Commission a commis une erreur en évaluant sa crédibilité. Ses allégations ont une portée étendue et générale. Le demandeur soutient qu'il n'existait aucun motif rationnel d'écarter son témoignage et qu'une preuve documentaire solide établissait les principaux faits de l'espèce. Selon le demandeur, la Commission fait preuve d'un énorme scepticisme qui n'est absolument pas étayé par la preuve qui lui a été soumise. Le demandeur affirme en outre qu'il n'est pas vrai que des éléments contradictoires ont été soumis à la Commission et que celle-ci n'a pas tenu compte de la preuve versée au dossier.

[79]            Je conclus que la Commission a fourni des motifs étoffés relativement aux raisons pour lesquelles elle a conclu que le demandeur n'était pas crédible. Ces motifs reposent sur la preuve orale et documentaire produite par le demandeur, ainsi que sur la preuve documentaire objective dont elle disposait. Je conclus que la Commission n'a pas fait fi de la preuve, mais qu'elle s'y est reportée à de nombreuses occasions et qu'elle a expliqué le poids accordé aux éléments de preuve. La Commission a donné des explications très détaillées à l'appui de ses conclusions comme on le constate dans les extraits suivants de sa décision.


[80]            Le demandeur a affirmé s'être inscrit au programme de littérature anglaise et de commerce. La Commission a relevé que la lettre signée par le doyen de la faculté de commerce mentionne seulement que le demandeur était inscrit au baccalauréat en commerce et ne mentionne pas le programme de littérature anglaise auquel le demandeur était inscrit. La Commission a conclu que le demandeur connaissait bien peu de chose du programme en commerce et que ses propos à cet égard sont demeurés vagues et hésitants. La Commission n'a pas cru que le demandeur étudiait le commerce à l'université.

[81]            La Commission a conclu que les deux lettres de l'université produites par le demandeur avaient été dactylographiées à l'origine sur une photocopie de la papeterie de l'université et que ces deux lettres comportaient des erreurs d'orthographe ainsi que beaucoup de corrections et de mots effacés. La Commission a souligné que la lettre du bureau de vice-chancelier adjoint (affaires étudiantes) était signée par J. Omollo en sa qualité de président de l'UNESO. La Commission a jugé suspect qu'une personne utilise la papeterie de l'université et signe en qualité de président d'une organisation bannie par la même université. La Commission ne pouvait accorder aucune valeur probante à ces lettres et a dit qu'il était surprenant que ces deux lettres présentent la même disposition et le même caractère bien qu'elle proviennent de départements différents et soient signées par des personnes différentes. La Commission a souligné que la lettre provenant du mouvement gay du demandeur, le Nairobi Independent People Movement, avait été écrite suivant la même disposition et avec le même caractère que les lettres de l'université et que ces similitudes suscitaient aussi des doutes quant à la valeur probante de cette lettre.


[82]            La Commission a conclu que le certificat de naissance du demandeur soulevait des doutes sur l'identité du demandeur ainsi que sur sa crédibilité du fait qu'il était flou à des endroits très précis alors que les renseignements dactylographiés à l'origine étaient parfaitement clairs. De plus, le nom du demandeur était mal orthographié.

[83]            Quant à la version des faits du demandeur, la Commission a conclu qu'elle se limitait en général à décrire les événements qui étaient invoqués avec sa revendication et que d'autres personnes avaient vécus. La Commission a jugé les réponses du demandeur vagues et conclu qu'elles n'ajoutaient pas beaucoup aux renseignements inclus dans la preuve documentaire produite par les avocats.

[84]            La Commission a jugé qu'il y avait contradiction entre, d'une part, le manque d'information du demandeur concernant les affrontements violents survenus entre les étudiants et les policiers en juillet 1997 et la fermeture de certains campus universitaires et, d'autre part, ses allégations selon lesquelles il avait participé activement aux affaires étudiantes.

[85]            Le demandeur a dit avoir organisé une manifestation le 23 mars 1998. Or, la preuve documentaire a révélé que cette manifestation avait été marquée par la violence, de la part tant des étudiants que des policiers, mais le demandeur n'a pas été en mesure de fournir quelque détail additionnel que ce soit concernant cette manifestation. La Commission a conclu que les propos vagues du demandeurs n'étayaient pas son allégation portant qu'il était un leader étudiant actif.


[86]            Lorsqu'on lui a demandé s'il connaissait d'autres groupes étudiants, le demandeur s'est contenté de mentionner la SONU et n'a pas pu dire ce que signifiait cet acronyme. Il ne connaissait ni la KUSO ni Janai Robert Orina, dont on parle dans la preuve documentaire. Orina était un leader étudiant célèbre qui a appuyé la grève des professeurs en 1994. La Commission a conclu qu'il était inconcevable qu'il ne connaisse pas ce leader étudiant célèbre, car ils fréquentaient l'université à la même époque et le demandeur a prétendu avoir appuyé la grève des professeurs en 1994.

[87]            La Commission a relevé des divergences dans les autres documents produits par le demandeur. La Commission n'a pas non plus jugé plausible que le demandeur ait été arrêté ou persécuté par les policiers et qu'il ait été persécuté du fait de son homosexualité.

[88]            En ce qui concerne l'inscription du demandeur en littérature anglaise, je suis d'accord avec le demandeur pour dire que la Commission n'avait aucun motif valable de douter de sa parole parce qu'il a dit avoir étudié des auteurs africains dans le cadre de ses cours de littérature anglaise et que la Commission aurait dû retenir l'explication fournie par le demandeur, mais je ne crois pas que cette question justifie l'intervention de la Cour.

[89]            Il ne s'agit là que d'une des conclusions de la Commission et celle-ci a fourni beaucoup d'autres motifs, étayés par la preuve, pour lesquels elle n'a pas cru le demandeur. Par conséquent, je ne puis conclure que la Commission ne pouvait pas, à partir de la preuve dont elle disposait, tirer les conclusions qu'elle a tirées concernant la crédibilité du demandeur.


4.        La Commission a-t-elle commis une erreur en ne tenant pas compte de la situation objective qui existe au Kenya?

[90]            Le demandeur soutient que la Commission n'a pas tenu compte de la preuve et de la situation objective qui existe au Kenya. De plus, il fait valoir que la Commission n'a pas expliqué pourquoi elle n'a pas tenu compte des documents.

[91]            La Commission n'est pas tenue de mentionner chacun des éléments de preuve qui lui sont soumis ni d'expliquer pourquoi elle n'a pas tenu compte de certains documents.

[92]            Dans l'arrêt Florea c. Canada (M.E.I.), [1993] A.C.F. no 598 (A-1307-91, 11 juin 1993) (C.A.F.), la Cour d'appel fédérale a tenu les propos suivants, au paragraphe 1 :

Le fait que la Section n'a pas mentionné tous et chacun des documents mis en preuve devant elle n'est pas un indice qu'elle n'en a pas tenu compte; au contraire un tribunal est présumé avoir pesé et considérétoute la preuve dont il est saisi jusqu'à preuve du contraire. Les conclusions du tribunal trouvant appui dans la preuve, l'appel sera rejeté.

[93]            La décision Cepeda-Gutierrez c. Canada (M.C.I.) (1998), 157 F.T.R. 35, dit ce qui suit, au paragraphe 16 :

Par ailleurs, les motifs donnés par les organismes administratifs ne doivent pas être examinés à la loupe par le tribunal (Medina c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration) (1990) 12 Imm. L.R. (2d) 33 (C.A.F.)), et il ne faut pas non plus les obliger à faire référence à chaque élément de preuve dont ils sont saisis et qui sont contraires à leurs conclusions de fait, et à expliquer comment ils ont traité ces éléments de preuve (voir, par exemple, Hassan c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration) (1992), 147 N.R. 317 (C.A.F.)). Imposer une telle obligation aux décideurs administratifs, qui sont peut-être déjà aux prises avec une charge de travail imposante et des ressources inadéquates, constituerait un fardeau beaucoup trop lourd.


[94]            En l'espèce, la Commission a toutefois mentionné certains éléments de preuve documentaire dans sa décision et expliqué en quoi la preuve documentaire contredisait la version des faits du demandeur.

[95]            Le demandeur a aussi soutenu que la Commission a commis une erreur en ne tenant pas compte de la situation objective qui existe au Kenya. Son argument porte que la Commission était tenue d'évaluer la preuve à la lumière de la situation existante dans ce pays et de ne pas rejeter une preuve solide sans motifs clairs.

[96]            Le défendeur fait valoir que cette argumentation ne saurait justifier l'intervention de la Cour, car elle ne touche pas la conclusion principale sur laquelle la décision contestée s'appuie, soit celle selon laquelle le demandeur manque totalement de crédibilité.

[97]            La Cour suprême du Canada a énoncé, dans l'affaire Canada (Procureur général) c. Ward, [1993] 2 R.C.S. 689, le critère applicable pour déterminer s'il existe une crainte d'être persécuté :

Comme j'y faisais allusion plus haut, le critère comporte deux volets : (1) le demandeur doit éprouver une crainte subjective d'être persécuté, et (2) cette crainte doit être objectivement justifiée. Ce critère a été formulé et appliqué par le juge Heald dans l'arrêt Rajudeen, précité, à la p. 134 :

L'élément subjectif se rapporte à l'existence de la crainte de persécution dans l'esprit du réfugié. L'élément objectif requiert l'appréciation objective de la crainte du réfugié pour déterminer si elle est fondée.

[98]            Dans Sheikh c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration), [1990] 3 C.F. 238 (C.A.F.), la Cour d'appel fédérale a dit :


J'ajouterais qu'à mon sens, même sans mettre en doute chacune des paroles du demandeur, le premier palier d'audience peut douter raisonnablement de sa crédibilité au point de conclure qu'il n'existe aucun élément de preuve crédible ayant trait à la revendication sur lequel le second palier d'audience pourrait se fonder pour y faire droit. En d'autres termes, la conclusion générale du manque de crédibilité du demandeur de statut peut fort bien s'étendre à tous les éléments de preuve pertinents de son témoignage. Naturellement, puisque le demandeur doit établir qu'il réunit tous les éléments de la définition de l'expression réfugié au sens de la Convention, la conclusion du premier palier d'audience que sa revendication ne possède pas un minimum de fondement est suffisante.

[99]            En l'espèce, la Commission a conclu que le demandeur manquait de crédibilité au point où sa revendication était sans fondement. La Commission a tiré cette conclusion après avoir examiné la preuve orale et la preuve documentaire produite à l'audition. Comme la Commission a jugé la revendication du demandeur non fondée, la situation objective existante au Kenya n'aurait été d'aucun secours pour le demandeur. La preuve documentaire révèle les abus commis par le gouvernement du Kenya. Toutefois, la preuve des abus commis au Kenya ne dégage pas le demandeur de prouver qu'il a une crainte subjective d'être persécuté.

[100]        Pour reprendre les propos du juge Noël, dans l'affaire Sinora c. M.E.I. (1993), 66 F.T.R. 113 :

Le requérant admet ne pas avoir établi qu'il faisait personnellement l'objet de persécution. Il ajoute cependant que puisque la preuve documentaire démontre clairement que les pauvres sont maltraités en Haïti, les membres de la Section se sont fourvoyés en statuant qu'aucune preuve de persécution n'a été présentée.

À mon avis la demande du requérant est tout à fait sans fondement. Il est bien établi qu'un requérant doit démontrer une crainte objective et subjective de persécution. En l'occurrence, il n'était pas suffisant de simplement déposer de la preuve documentaire. Il fallait tout au moins démontrer que le requérante lui-même avait une crainte réelle de persécution. En l'absence de cette preuve, les membres de la Section étaient en droit de conclure comme ils l'ont fait.

[101]        L'argument du demandeur doit donc être rejeté.


5.        L'expulsion du demandeur porterait-elle atteinte aux droits que lui garantissent les articles 7 et 12 de la Charte et l'article 3 de la Convention contre la torture?

[102]        Le demandeur soutient que son expulsion portera atteinte aux droits que lui garantissent les articles 7 et 12 de la Charte et l'article 3 de la Convention contre la torture.

[103]        La présente instance consiste en une demande de contrôle judiciaire d'une décision de la Commission portant que le demandeur n'est pas un réfugié au sens de la Convention. Elle ne touche pas l'expulsion du demandeur et j'attire l'attention du demandeur sur la décision rendue par le juge Teitelbaum dans l'affaire Cruz c. Canada (M.C.I.) [1999] A.C.F. no 1266 (1re inst.), dans laquelle il a statué :

En ce qui concerne les questions soulevées en vertu de la Charte, la jurisprudence de notre Cour indique clairement que le rejet d'une demande de revendication au statut de réfugié n'entraîne pas l'application des articles 7 et 12 de la Charte et ce, au motif qu'il ne s'agit pas d'un renvoi. [...] Donc, il est prématuré pour le demandeur de soulever des questions relatives à la Charte dans sa demande de contrôle judiciaire.

[104]        Je crois qu'une demande de contrôle judiciaire d'une décision de la Commission n'est pas le recours approprié pour soulever cette question car la Cour n'est saisie d'aucune mesure d'expulsion.

[105]        J'ajouterais que, même s'il convenait de trancher la question des articles 7 et 12 de la Charte et de l'article 3 de la Convention contre la torture dans le cadre de la présente instance, ces dispositions ne s'appliquent pas, car le demandeur n'a pas établi que sa vie, sa sécurité ou sa liberté seraient menacées s'il retournait au Kenya.


[106]        Le demandeur plaide que la Charte doit être interprétée comme englobant l'article 3 de la Convention contre la torture.

[107]        Voici le texte de l'article 3 de la Convention contre la torture :

Article 3

1. Aucun État partie n'expulsera, ne refoulera, ni n'extradera une personne vers un autre État où il y a des motifs sérieux de croire qu'elle risque d'être soumise à la torture.

2. Pour déterminer s'il y a de tels motifs, les autorités compétentes tiendront compte de toutes les considérations pertinentes, y compris, le cas échéant, de l'existence, dans l'État intéressé, d'un ensemble de violations systématiques des droits de l'homme, graves, flagrantes ou massives.

[108]        Je crois qu'il ne convient pas de trancher cette question dans l'instance car le demandeur n'a pas démontré devant la Commission qu'il serait soumis à la torture. Par conséquent, je devrais rendre une décision hors de tout contexte factuel, ce que je refuse de faire, car je crois qu'il serait irrégulier de trancher cette question de cette manière.

CONCLUSION

[109]        Je conclus que le demandeur n'a soulevé aucune question qui justifierait l'intervention de la Cour. Par conséquent, la demande de contrôle judiciaire doit être rejetée.

[110]        Le demandeur a suggéré trois questions graves :

[Traduction]


1. Un modèle d'audition a été mis en place à Montréal, selon lequel on dit au demandeur du statut de réfugié qu'il n'est pas nécessaire qu'il expose sa version des faits figurant dans le formulaire de renseignements personnels, on demande à l'agent d'audience de commencer l'interrogatoire, ce qui inverse l'ordre habituel de la présentation de la preuve, et on anéantit le droit à une audition complète en mettant l'accent uniquement sur le contre-interrogatoire du demandeur du statut de réfugié. Ce modèle d'audition entraîne des injustices systématiques. L'utilisation de la conclusion du nouveau modèle d'audition pour l'audition des revendications du statut de réfugié à Montréal porte-t-elle atteinte aux garanties juridiques prévues par les articles 7 et 12 de la Charte canadienne des droits et libertés et au droit à l'égalité prévu par l'article 15 de la Charte?

2. L'article 3 de la Convention contre la torture revêt-il un caractère impératif devant la Commission de l'immigration et du statut de réfugié et dans l'application de la Charte canadienne des droits et libertés? Doit-il impérativement être pris en compte dans le contexte de l'audition des revendications du statut de réfugié par la Commission de l'immigration et du statut de réfugié?

3.    La décision rendue en l'espèce comporte l'affirmation suivante :

La formation a ensuite posé des questions au demandeur concernant ses cours. Il a affirmé avoir suivi le programme de littérature anglaise et de commerce et avoir étudié des poèmes et des nouvelles. Lorsqu'on lui a demandé de nommer des auteurs, le demandeur a nommé des auteurs africains. Les réponses du demandeur ont surpris la formation, qui lui a demandé pourquoi il ne nommait pas d'auteurs anglais. Le demandeur a dit qu'il existait des auteurs africains qui écrivaient en anglais. La formation n'a pas jugé la réponse du demandeur acceptable. La littérature anglaise traite des auteurs anglais. La formation éprouve de sérieux doutes quant à l'inscription du demandeur au cours de littérature anglaise.

Cette manifestation de partialité fondée sur la race contrevient-elle aux garanties prévues par les articles 7 et 12 de la Charte ainsi qu'au droit à l'égalité garanti par l'article 15 de la Charte? Quel est le critère à appliquer pour évaluer une crainte raisonnable de partialité devant la Commission de l'immigration et du statut de réfugié?

[111]        Selon moi, ces questions ne soulèvent pas une question de portée générale. Aucune question ne sera donc certifiée.

« Pierre Blais »

J.C.F.C.

OTTAWA (Ontario)

3 avril 2001

Traduction certifiée conforme

Suzanne M. Gauthier, LL.L,, Trad. a.


COUR FÉDÉRALE DU CANADA

SECTION DE PREMIÈRE INSTANCE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

NUMÉRO DU GREFFE :                                                   IMM-2429-00

INTITULÉ DE LA CAUSE :                                              JOSEPH ITHIBU

c.

MCI

LIEU DE L'AUDIENCE :                                                   MONTRÉAL (QUÉBEC)

DATE DE L'AUDIENCE :                                                 LE 28 FÉVRIER 2001

MOTIFS DE L'ORDONNANCE PAR :                            MONSIEUR LE JUGE BLAIS

DATE DES MOTIFS :                                                        LE 3 AVRIL 2001

ONT COMPARU :

Me STEWART ISTVANFFY                                             POUR LE DEMANDEUR

Me GUY LAMB                                                                 POUR LE DÉFENDEUR

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Me STEWART ISTVANFFY                                             POUR LE DEMANDEUR

MONTRÉAL (QUÉBEC)

Me Morris Rosenberg                                                          POUR LE DÉFENDEUR

Sous-procureur général du Canada

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