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Date : 20000228


Dossier : T-866-95

OTTAWA (Ontario), le 28 février 2000

EN PRÉSENCE DE M. LE JUGE MacKAY

     AFFAIRE INTÉRESSANT une révocation de citoyenneté en vertu des articles 10 et 18 de la Loi sur la citoyenneté, L.R.C. (1985), ch. C-29, telle que modifiée, et de l"article 19 de la Loi sur la citoyenneté canadienne, S.R.C. 1952, ch. 33, telle que modifiée;
     ET une demande de renvoi à la Cour fédérale en vertu de l"article 18 de la Loi sur la citoyenneté, L.R.C. (1985), ch. C-29, telle que modifiée;
     ET un renvoi à la Cour en vertu de la règle 920 des Règles de la Cour fédérale.

ENTRE :

     LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L"IMMIGRATION

     demandeur

     et

     HELMUT OBERLANDER

     défendeur

     D É C I S I O N

     Le défendeur a acquis sa citoyenneté canadienne par fausse déclaration ou dissimulation intentionnelle de faits essentiels, au sens de l"alinéa 18(1)b ) de la Loi sur la citoyenneté.


W. Andrew MacKay

JUGE

Traduction certifiée conforme


Pierre St-Laurent, LL.M.






Date : 20000228


Dossier : T-866-95


AFFAIRE INTÉRESSANT une révocation de citoyenneté en vertu des articles 10 et 18 de la Loi sur la citoyenneté, L.R.C. (1985), ch. C-29, telle que modifiée, et de l"article 19 de la Loi sur la citoyenneté canadienne, S.R.C. 1952, ch. 33, telle que modifiée;

ET une demande de renvoi à la Cour fédérale en vertu de l"article 18 de la Loi sur la citoyenneté, L.R.C. (1985), ch. C-29, telle que modifiée;

ET un renvoi à la Cour en vertu de la règle 920 des Règles de la Cour fédérale.


ENTRE :

     LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L"IMMIGRATION

     demandeur


     et


     HELMUT OBERLANDER

     défendeur


     MOTIFS DE LA DÉCISION

LE JUGE MacKAY

[1]      Dans ce renvoi du ministre de la Citoyenneté et de l"Immigration, présenté en vertu de l"article 18 de la Loi sur l"immigration1 (la Loi), j"ai conclu pour les motifs qui suivent que le défendeur, Helmut Oberlander, a été admis au Canada comme résident permanent et a acquis la citoyenneté canadienne par fausse déclaration ou dissimulation intentionnelle de faits essentiels.

[2]      Ces motifs sont présentés sous les chapitres suivants, qui commencent aux paragraphes indiqués.

     par.

     3              Introduction
     8              La question soumise à la Cour
     17              Les antécédents : l"implication de M. Oberlander dans la Deuxième Guerre mondiale
     43              La nature de son service durant la guerre
     55              La situation de M. Oberlander après la Deuxième Guerre mondiale
     67              Les enquêtes antérieures sur les activités de M. Oberlander durant la guerre
     85              La politique d"immigration du Canada après 1945
     90              Le contrôle de sécurité des candidats à l"immigration, 1945-1954
     120              Les formulaires de demande pour les candidats à l"immigration au début des années 50
     127              Le traitement de la demande d"immigration au Canada des      Oberlander à Karlsruhe
     150              Le témoignage de M. Oberlander
     175              Le droit applicable
     189              Exposé sommaire des conclusions de fait
     211              Dispositif

Introduction

[3]      Ce renvoi a été déposé le 28 avril 1995, à la demande de M. Oberlander, suite à un Avis d"intention de révoquer sa citoyenneté daté du 27 janvier 1995. Cet avis avait pour objet de l"informer que le ministre avait l"intention de faire un rapport au gouverneur en conseil conformément aux articles 10 et 18 de la Loi et à l"article 19 de la Loi sur la citoyenneté canadienne2, aux motifs

[traduction]

que vous avez été admis comme résident permanent au Canada et avez acquis la citoyenneté canadienne par fraude, par fausse représentation ou dissimulation intentionnelle de faits essentiels, en ce que vous n"avez pas divulgué aux fonctionnaires canadiens de l"Immigration et de la Citoyenneté votre appartenance à la Sicherheitspolizei und SD et au Einsatzkommando 10A allemands durant la Deuxième Guerre mondiale et votre participation aux exécutions de civils durant cette période3.


[4]      Cet avis portait aussi que si le gouverneur en conseil était convaincu, à la suite du rapport du ministre, que M. Oberlander avait acquis la citoyenneté canadienne par fraude, ou au moyen d"une fausse déclaration ou de dissimulation intentionnelle de faits essentiels, ce dernier cesserait d"être citoyen canadien à la date fixée par décret du gouverneur en conseil. En outre, l"avis portait que le défendeur pouvait demander au ministre de renvoyer l"affaire en cette Cour et que le ministre ne transmettrait pas son rapport au gouverneur en conseil à moins que la Cour ne décide que le défendeur a acquis la citoyenneté canadienne par fraude, ou au moyen d"une fausse déclaration ou de la dissimulation intentionnelle de faits essentiels. Cet avis est conforme aux prescriptions de l"article 18 de la Loi.

[5]      Lorsque ce renvoi a été introduit par un avis de renvoi déposé en cette Cour au nom du ministre demandeur, les procédures de base pour la préparation et l"audition de ce litige étaient prévues à l"article 920 des Règles de la Cour4. En vertu de cet article, le ministre a signifié et déposé, le 11 mai 1995, un résumé des faits et de la preuve sur lesquels il avait l"intention de s"appuyer à l"audition de l"affaire, une liste des noms et adresses des témoins qu"il avait l"intention d"assigner, et une liste des documents qu"il avait l"intention de présenter en preuve - à laquelle il a ajouté une liste supplémentaire par la suite.

[6]      Après le dépôt de l"avis de renvoi en mai 1995, certaines questions préliminaires ont été soulevées dans cette affaire et dans certaines autres qui étaient examinées en même temps aux fins de la gestion de l"instance en préparation des audiences. Le processus s"est arrêté lorsque le présent renvoi en l"instance et les autres renvois ont été suspendus par la Cour5. Cette suspension a par la suite été levée par la Cour d"appel6, décision qui a été confirmée par la Cour suprême du Canada7.

[7]      Suite à la reprise des procédures, et en conformité avec une ordonnance rendue par M. le juge Noël le 23 décembre 1997, le défendeur a déposé sa réponse au mémoire des faits et de la preuve du ministre le 13 janvier 1998, ainsi qu"un affidavit de documents. Par la suite, M. Oberlander et un représentant du ministre ont fait l"objet d"un interrogatoire préalable à l"audition de cette demande, qui a commencé fin août 1998.

La question soumise à la Cour

[8]      Au début de l"audience, l"avocat du défendeur a demandé à la Cour d"ordonner au ministre demandeur de répondre à certaines questions, qui avaient été posées plus tôt et qui n"avaient pas reçu de réponse lors de l"interrogatoire préalable, questions qui portaient sur les allégations auxquelles le défendeur doit répondre. Je n"ai pas rendu une telle ordonnance, mais j"ai interprété cette demande comme une demande de directives définissant la question soumise à la Cour dans ce renvoi.

[9]      Des questions auraient pu être soulevées par la voie d"une demande de précisions, ou par une requête visant à obtenir certaines réponses lors de l"interrogatoire préalable, le tout avant l"audition, étant donné que les motifs du 23 décembre 1997 du juge Noël, prescrivant la procédure à suivre aux termes de l"article 920 des Règles dans la préparation de l"audition de ce renvoi, insistent sur la nature civile (opposée à pénale) des procédures8. Toutefois, bien qu"aucune mesure additionnelle n"ait été prise avant l"audition pour clarifier certaines ambiguïtés dans les faits allégués par le ministre, le défendeur a droit de savoir à quelles allégations il doit répondre. J"ai répondu à ce besoin en utilisant les documents qui constituent les " actes de procédure " du ministre, sous réserve de toute prétention sur la question que les avocats des parties pourraient vouloir soulever. Aucune prétention n"a été soulevée sur la question.

[10]      L"objet de la présente instance est de déterminer si, tel qu"indiqué dans l"Avis de renvoi, [traduction ] " le défendeur a été admis au Canada à titre de résident permanent et a acquis la citoyenneté canadienne par fraude ou au moyen d"une fausse déclaration ou de la dissimulation intentionnelle de faits essentiels ". Il s"agit d"une conclusion de fait9, au vu de la preuve présentée dans ce renvoi, et elle n"est pas susceptible d"appel10.

[11]      Dans l"Avis de révocation, le demandeur allègue que ses préoccupations portent sur le fait que des faits essentiels auraient été dissimulés par l"omission du défendeur de [traduction ] " divulguer aux fonctionnaires canadiens de l"Immigration et de la Citoyenneté son appartenance à la Sicherheitspolizei und SD et au Einsatzkommando 10A allemands durant la Deuxième Guerre mondiale ainsi que sa participation aux exécutions de civils durant cette période". La partie de cette allégation qui porte sur la " participation [du défendeur] aux exécutions de civils " n"est pas reprise dans les faits allégués par le ministre dans son résumé des faits et de la preuve.

[12]      Ce résumé, qui doit comprendre tous les faits que le demandeur veut prouver en l"instance, ne fait pas mention que le défendeur aurait commis des atrocités ou des crimes de guerre, non plus qu"il aurait été impliqué personnellement dans des " exécutions de civils " ou autre activité criminelle. Il ne fait pas non plus mention que ce dernier aurait aidé ou encouragé d"autres personnes dans ces activités criminelles, d"une façon qui se comparerait au sens donné aux termes " aider et encourager " par l"article 21 du Code criminel du Canada , L.R.C. (1985), ch. C-46. Je suis donc d"avis que le ministre ne cherche pas à prouver que M. Oberlander était impliqué personnellement dans la perpétration d"atrocités, de crimes de guerre ou d"activités criminelles, ou qu"il ait aidé ou encouragé, au sens du droit criminel, d"autres personnes qui s"y sont livrées. Je confirme pour le dossier qu"aucune preuve n"a été présentée à la Cour au sujet d"une implication personnelle du défendeur dans des activités criminelles ou dans des crimes de guerre.

[13]      Le résumé des faits et de la preuve présenté par le ministre renvoie toutefois aux allégations suivantes : que le défendeur a rejoint la Sicherheitspolizei und SD et l"Einsatzkommando 10A (Ek 10a)11 en octobre 1941 ou vers cette date, qu"il a servi au sein de ces unités dans les territoires de l"Est occupés par les Allemands de 1941 à 1943 ou 1944, et que, lors de cette période, l"unité où il servait a participé à l"assassinat de civils. C"est sur cette base que le ministre soulève la question de la fraude ou de la fausse déclaration, ainsi que celle de la dissimulation de faits essentiels, savoir que M. Oberlander a été associé à une unité de la police allemande qui a participé à l"assassinat de civils au cours de la Deuxième Guerre mondiale. Dans l"Avis de révocation, ainsi que dans le résumé des faits et de la preuve du ministre, cette association est décrite comme celle de " membre " d"une organisation de SS et de l"unité Ek 10a. Il est de notoriété publique que cette organisation se livrait à des exécutions criminelles.

[14]      En définitive, il faudra démontrer que M. Oberlander était associé à cette unité, et aussi qu"il a fait de fausses représentations à ce sujet ou qu"il a intentionnellement dissimulé cette réalité lorsqu"il a été admis au Canada comme immigrant reçu. Si ces faits sont démontrés, le ministre soutient qu"en vertu du paragraphe 10(2) de la Loi , M. Oberlander serait présumé avoir acquis la citoyenneté par fraude ou au moyen d"une fausse déclaration ou de la dissimulation intentionnelle de faits essentiels.

[15]      Dans les prétentions écrites présentées au nom du ministre après les témoignages, on précise qu"en définitive la question est de savoir si M. Oberlander a acquis la citoyenneté par fraude ou au moyen d"une fausse déclaration ou de la dissimulation intentionnelle de faits essentiels. C"est tout à fait ce que la Cour a indiqué au cours de l"audience.

[16]      La réponse à la question posée à la Cour est complexe, du fait qu"il faut examiner les circonstances qui entouraient l"arrivée de M. Oberlander au Canada en l"absence de la plupart de la preuve documentaire liée à sa demande de résidence permanente et à son admission au Canada. Ceci est dû à la politique de destruction des dossiers d"immigration appliquée par le gouvernement du Canada ou en son nom. Les dossiers relatifs à l"immigration de M. Oberlander ont été détruits dans ce cadre. Cette destruction était conduite en vertu de la politique générale du gouvernement de détruire, après une période déterminée, les dossiers qu"on considérait ne plus être nécessaires12. En l"instance, la seule preuve directe des circonstances entourant l"immigration au Canada de M. Oberlander et de son épouse à partir de l"Allemagne au printemps de 1954 est celle qui est fournie par les Oberlander, à l"exception d"une carte de l"immigration canadienne (fiche de débarquement) Imm. 1000 (révisée 1.4.53)13. Cette carte était conservée par le ministère de l"Immigration comme attestation de l"arrivée des Oberlander au Canada en tant que résidents permanents le 13 mai 1954 à Québec, comme on peut le constater par le tampon d"Immigration Canada qui se trouve sur la carte.

Les antécédents : l"implication de M. Oberlander dans la Deuxième Guerre mondiale

[17]      M. Oberlander est né en 1924 à Halbstadt, dans le sud-est de l"Ukraine, où il a été élevé. C"était le nom que la communauté locale des Volksdeutsche, savoir les personnes de descendance allemande, donnait à cette ville avant la Deuxième Guerre mondiale. Ses ancêtres étaient venus plus de 250 ans auparavant pour y créer une communauté de mennonites allemands. Cette ville est au nord de Melitopol dans l"Est de l"Ukraine et on la connaissait alors, tout comme maintenant, sous le nom de Molochansk ou Molo...ansk14, le nom qui a toujours été utilisé par la majorité de la population qui était de langue russe ou ukrainienne. Il semble aussi qu"on l"appelle Halberstadt, un nom qui a été utilisé après l"occupation allemande en 1941 et qui apparaît sur certains des documents déposés en preuve. Cette ville est dans la partie de l"Ukraine qui était intégrée à l"URSS entre les deux guerres mondiales, ainsi qu"à nouveau après l"occupation allemande de 1941 à 1944 et jusqu"à l"indépendance de l"Ukraine en 1991. Durant les années 30, la soviétisation forcée de l"Ukraine a créé de grandes difficultés pour beaucoup de gens, y compris, dit-on, les familles de M. et de Mme Oberlander. Beaucoup de gens ont souffert à nouveau durant la période de l"occupation allemande, ainsi que lors du retour de l"armée soviétique.

[18]      Le père de M. Oberlander était médecin et il est mort alors que celui-ci était fort jeune. Par la suite, il a vécu avec sa mère, une infirmière, ainsi qu"avec sa soeur et sa grand-mère, jusqu"à l"âge de 17 ans. À l"été de 1941, M. Oberlander avait complété dix années de scolarité, initialement en allemand et, après 1937, en russe, l"enseignement de cette langue dans les écoles ukrainiennes étant imposé par un décret soviétique. En conséquence, après ses dix années de scolarité M. Oberlander était raisonnablement versé dans les langues allemande et russe, en plus de l"ukrainien.

[19]      Après l"attaque allemande contre la Russie en juin 1941, les troupes allemandes sont arrivées à Halbstadt en octobre de la même année. M. Oberlander a témoigné qu"avant l"arrivée de l"armée allemande à Halbstadt, les hommes adultes d"origine allemande avaient été pris par les Russes. Il croyait qu"ils avaient été amenés en Sibérie. Peu de temps avant l"arrivée des troupes allemandes, les familles de la ville qui étaient d"ethnie allemande, ce qui comprend M. Oberlander et sa famille, ont été retenues par les Russes dans un enclos à la gare ferroviaire, en attente d"un convoi qui devait les amener vers l"est. Les troupes allemandes sont arrivées à Halbstadt avant ce convoi, et les familles allemandes ont été libérées de l"enclos où elles étaient enfermées et ont pu rentrer chez elles. Peu de temps après, les personnes d"ethnie allemande ont été convoquées à l"hôtel de ville pour être inscrites. Étant donné sa connaissance des langues, M. Oberlander a été conscrit pour participer à ce processus, ce qu"il a fait. Il déclare aussi avoir été impliqué pendant un certain temps, savoir à peu près jusqu"à la fin de l"année, dans la reconstruction et le nettoyage des environs de l"hôtel de ville.

[20]      La preuve portant sur les circonstances existant à l"époque où M. Oberlander a été conscrit par les autorités allemandes pour servir d"interprète dans l"armée allemande n"est pas cohérente. Les non-Allemands n"étaient pas conscrits pour servir dans l"armée15. On a suggéré que M. Oberlander s"était inscrit volontairement. Selon son témoignage, lorsqu"une personne en autorité, qu"il croit avoir été un policier, s"est présenté à son domicile vers le mois de février 1942 pour lui intimer de se présenter dans deux heures à l"hôtel de ville afin de servir d"interprète aux troupes allemandes, sa mère était bouleversée. On lui a déclaré que la guerre serait bientôt terminée, qu"on avait besoin de son fils, et qu"il avait une dette envers les Allemands puisqu"ils l"avaient libéré avec sa famille. M. Oberlander a cru qu"il n"avait pas le choix et qu"il serait soumis à de sévères punitions s"il n"obéissait pas à l"ordre donné. Il n"admet pas s"être présenté volontairement, au sens où sa décision aurait été prise sans contrainte. Il s"est rendu à l"hôtel de ville comme on le lui avait ordonné et, le même jour, il a été amené, avec deux ou trois autres membres de l"ethnie allemande plus âgés, en voiture jusqu"à Melitopol.

[21]      La preuve du ministre, qui se fonde en partie sur le témoignage de M. John Huebert, est que M. Oberlander a commencé son service d"interprète en octobre 1941. M. Huebert, qui a témoigné à l"audience, est aussi originaire de l"Ukraine. Il est né en 1917 dans le village de Ladekopp, à quelques kilomètres de Halbstadt. Ses ancêtres étaient des mennonites hollandais et il a été élevé en parlant mennonite et russe. Il a témoigné avoir été pris par les Allemands en tant que chauffeur en octobre 1941. Par la suite, il a conduit un camion pour l"unité Ek 10a, celle-là même où M. Oberlander était interprète. M. Huebert avait été chauffeur de camion pour l"armée russe, poste qu"il a quitté à l"approche de l"armée allemande lorsque son véhicule est tombé en panne. Il est alors retourné chez lui à Ladekopp et c"est quelques jours plus tard, probablement au début octobre 1942, qu"il a été conscrit par les Allemands comme chauffeur pour l"unité Ek 10a.

[22]      M. Huebert se souvient que le jour où les Allemands l"ont amené de son village à Halbstadt, M. Oberlander y était déjà avec les Allemands, et qu"ils ont voyagé ensemble de Halbstadt à Mariupol, qui se trouve à l"est de Melitopol. M. Huebert se souvient aussi qu"au début mai 1942, en motocyclette équipée d"un side-car, il a fait un trajet avec M. Oberlander d"à peu près 400 km à partir de Taganrog, où ils étaient en poste, jusqu"à leur domicile respectif. Ils avaient une permission de 14 jours. Par la suite, ils sont revenus de la même façon jusqu"à Mariupol et ensuite par camion jusqu"à Taganrog. M. Oberlander n"a aucun souvenir de ce voyage.

[23]      Le défendeur a témoigné qu"on lui avait ordonné de servir d"interprète et qu"il a quitté son domicile en 1942, date qu"il a pu reconstituer au moyen de souvenirs de famille. Les membres de sa famille se souviennent qu"il a quitté son domicile pour aller travailler comme interprète à peu près un mois avant que sa mère ne quitte Halbstadt en mars 1942. En l"instance, il déclare clairement se souvenir qu"il n"est jamais retourné à Halbstadt. Il est donc peu probable qu"il se soit rendu à Halbstadt avec M. Huebert, à tout le moins au moment indiqué par ce dernier, soit en mai 1942, puisqu"à ce moment-là la mère et la famille de M. Oberlander avaient quitté la ville.

[24]      À mon avis, ces divergences au sujet du début de son service en qualité d"interprète et des circonstances qui l"ont entouré n"ont pas d"impact important sur l"issue de la question. La preuve démontre clairement qu"il a servi comme interprète de la Sicherheitsdienst (SD) avec l"unité Ek 10a. Il en convient.

[25]      À l"audience, en sus de MM. Oberlander et Huebert, une troisième personne a témoigné. Cette personne avait été prise parmi la population locale pour servir au sein de l"unité Ek 10a. John Huebert, qui vient de la même région que le défendeur, comme nous l"avons vu, déclare avoir servi dans cette unité à partir d"octobre 1941. Nikolai Siderenko, un Ukrainien originaire de Taganrog qui vit maintenant à Donetz, a servi dans l"armée russe à Novorossiysk jusqu"à ce que cette ville tombe aux mains des Allemands à l"automne de 1942. Peu de temps après sa capture, alors qu"il était détenu comme prisonnier de guerre, il a reçu l"ordre des Allemands, avec d"autres prisonniers, de se mettre au service de l"unité Ek 10a comme agent auxiliaire de la police. À ce moment-là il ne parlait pas l"allemand, mais lui et les autres Ukrainiens servaient comme agents auxiliaires de la police et gardaient les locaux et les biens de l"unité, en plus de jouer le rôle de policiers locaux là où ils étaient envoyés pour assurer la protection de l"unité ou de l"une quelconque de ses parties. MM. Huebert et Siderenko se souviennent tous les deux que M. Oberlander était interprète avec l"unité Ek 10a, citant certaines choses ou certains incidents dont M. Oberlander ne se souvient pas. À l"audience, ce dernier ne se souvenait pas non plus que MM. Huebert et Siderenko aient été des auxiliaires avec l"unité Ek 10a. À mon avis, MM. Huebert et Siderenko sont des témoins crédibles, même si des problèmes linguistiques ont fait que le témoignage de M. Huebert n"était pas toujours fiable.

[26]      Lorsqu"ils ont rejoint l"unité, MM. Oberlander, Huebert et Siderenko ne savaient pas comment elle s"appelait et ils ne connaissaient pas son rôle dans l"extermination des personnes que les Allemands considéraient être des ennemis. M. Huebert a déclaré que c"est à Taganrog qu"il avait appris que son unité s"appelait le Sonderkommando 10a. M. Siderenko soutient ne pas avoir connu la désignation de son unité (Ek 10a), du moins jusqu"à ce qu"il soit capturé et interrogé par le KGB russe après la guerre. M. Oberlander soutient n"avoir appris la désignation de son unité que lorsqu"il a été interviewé par un agent consulaire allemand à Toronto en 1970. Cette entrevue était liée à un procès en cours à Munich contre le Dr Christmann, un des commandants de l"unité Ek 10a durant la guerre. Je conclus qu"il n"est pas plausible que M. Oberlander n"ait pas connu le nom de son unité alors qu"il était à son service depuis au moins un an et demi, et je m"en explique dans l"évaluation de son témoignage.

[27]      En tant que chauffeur de camion, M. Huebert a eu connaissance des meurtres perpétrés par son unité. En fait, il a été témoin d"un certain nombre d"exécutions à l"arme à feu, d"abord à Taganrog. Plus tard, à Krasnodar, il était présent lorsqu"on a forcé des gens à entrer dans un camion transformé en chambre à gaz par l"unité Ek 10a. Il a reconnu avoir conduit des officiers allemands pour qu"ils appréhendent des civils, qui étaient interrogés et ensuite, croyait-il, exécutés. Peu après le début de son service, M. Siderenko a constaté que des Juifs étaient convoqués et amenés à pied ou en camion, et il a appris de personnes qui les escortaient qu"on les avait exécutés. Il a aussi été témoin d"un massacre de civils par les troupes allemandes de son unité dans un village du Bélarus en 1943, dans le cadre d"une opération anti-partisans. MM. Huebert et Siderenko n"ont jamais vu M. Oberlander lorsqu"on cueillait les victimes ou lorsqu"on les exécutait16. Il soutient n"avoir assisté à aucune de ces exécutions et ne pas y avoir participé, mais il n"est pas possible qu"il n"ait pas été au courant du rôle de son unité. Il a en fait reconnu qu"à un moment donné, alors qu"il était au service de l"unité Ek 10a, il a pris conscience du fait qu"ils exécutaient des civils17.

[28]      Au sujet des activités de l"unité Ek 10a, la Cour a pu entendre le témoignage du Dr Manfred Messerschmidt, un historien militaire de réputation internationale, qui a reçu le statut d"expert au sujet de l"agression allemande contre l"Union soviétique et de la conduite des unités policières dans les territoires occupés. Avant son témoignage, j"ai écouté les arguments présentés quant à l"admissibilité de son témoignage, ainsi que des documents historiques du temps de guerre sur lesquels il se fonde. La Cour a conclu que les documents certifiés par les historiens ou les archivistes en vertu de la Loi sur la preuve au Canada18 comme étant des documents préparés dans le cours ordinaire des activités de l"armée allemande ou d"autres autorités allemandes durant la Deuxième Guerre mondiale étaient admissibles en preuve. De plus, le témoignage du Dr Messerschmidt quant à son avis fondé sur ces documents et ses propres recherches est admissible, puisqu"il a une formation d"historien et est reconnu comme tel. J"ai exclu de cette preuve les parties de son rapport écrit et de son témoignage qui sont fondées sur des archives faisant état d"enquêtes ou poursuites d"autres prévenus en URSS ou en Allemagne. Aucune preuve n"était présentée quant à la nature de ces poursuites ou enquêtes, ou des circonstances les entourant19. Il n"y a donc aucune base qui permet d"évaluer la fiabilité de ces rapports. À mon avis, le fait d"admettre cette preuve recueillie dans des circonstances inconnues du défendeur et sans qu"il puisse contre-interroger les témoins cités dans les rapports lui serait préjudiciable.

[29]      Le témoignage du Dr Messerschmidt portait en partie sur les antécédents, l"organisation et les fonctions de quatre Einsatzgruppen (EG), désignés comme A, B, C et D et placés sous les ordres de Reinhard Heydrich, qui se rapportait au Reichführer-SS Heinrich Himmler. Ces groupes contrôlaient les unités spéciales de police et étaient responsables de la guerre idéologique et des actions policières dans les territoires occupés de l"Est, derrière le front tenu par la Wehrmacht. Une des responsabilités principales de ces groupes était l"exécution des personnes identifiées comme des ennemis du Reich, notamment les chefs communistes, les Juifs, les Tsiganes et autres personnes habitant les territoires de l"Est sous occupation allemande.

[30]      Au vol. IV (octobre 1946 - avril 1949) du Rapport des procès des criminels de guerre par les tribunaux militaires de Nuremberg, tenus conformément à la Loi no 10 du Conseil de contrôle, on trouve les avis et jugements du tribunal au sujet de 22 des chefs survivants des Einsatzgruppen qui opéraient à l"Est, y compris le général SS Otto Ohlendorf, commandant l"EG D. Ces avis décrivent de façon crue l"énormité des crimes commis par les Einsatzgruppen A, B, C et D. On y note aussi que parmi les infractions dont le général Ohlendorf et d"autres étaient accusés, et dont ils ont été trouvés coupables, était leur statut de membre des SS, une organisation qui, avec la SD et d"autres, a été jugée en 1946 être une organisation criminelle par le tribunal international, ainsi qu"en vertu de l"article 2 de la Loi no 10 du Conseil de contrôle.

[31]      Les Einsatzgruppen, et leurs sous-groupes opérationnels connus sous le nom de Einsatzkommandos ou de Sonderkommandos, étaient à l"origine formés de membres de divers corps policiers allemands, savoir : la SD ou Sicherheitsdienst, qui était le service de sécurité interne des SS, la Sipo ou Sicherheitspolizei, qui était la police de sécurité des SS, les Waffen SS, le bras armé des SS, la Kriminalpolizei ou police criminelle, ainsi que certains membres de la Gestapo. Les effectifs policiers allemands ont été augmentés dans les territoires occupés par des Volksdeutsche ou autres, qui étaient conscrits ou se portaient volontaires pour le service en tant qu"auxiliaires, comme MM. Oberlander, Huebert et Siderenko, pour travailler avec les unités de Einsatzkommando20. Ek 10a était l"une des cinq unités opérationnelles de commando au sein de l"Einsatzgruppe D (EG D), qui était le plus petit des Einsatzgruppen avec un effectif d"un peu plus de 500 personnes en comptant les auxiliaires21.

[32]      Les rapports rédigés par EG D, qui opérait dans le sud, en Ukraine et ailleurs, démontrent qu"à la mi-décembre 1941, plus de 55 000 personnes avaient été exécutées22 et qu"en avril 1942, ce chiffre était passé à plus de 91 00023. Dans ses rapports au quartiers généraux de la police en Allemagne, l"unité Ek 10a, une de celles qui faisaient partie de EG D, indique avoir pratiqué un grand nombre d"exécutions à Melitopol, à Berdjansk, à Mariupol et à Taganrog, ainsi qu"à Rostov et Krasnodar à l"été et à l"automne de 1942, et dans la région de Novorossiysk24, parmi d"autres. Au moment où le premier commandant de l"unité Ek 10a, M. Seetzen, a été remplacé par le Dr Christmann, soit en août 1942, il avait été dit que la zone où l"unité opérait, qui allait à l"est jusqu"à Rostov, mais pas encore au sud jusqu"à Krasnodar ou Novorossiysk, avait été " épurée de ses Juifs "25. Ce n"est que plus tard que l"unité Ek 10a s"est déplacée vers le sud de Rostov jusqu"à Krasnodar, où les exécutions ont été menées sur une grande échelle, et ensuite jusqu"à Novorossiysk. Une enquête judiciaire entreprise par les Allemands après la guerre a fait état de l"exécution d"à peu près 7 000 civils au moment où l"unité était à Krasnodar26.

[33]      M. Oberlander a témoigné avoir servi avec diverses unités de taille différente, au fur et à mesure qu"il allait d"un endroit à l"autre. Ceci cadre assez bien avec la façon d"opérer de l"unité Ek 10a, qui se déplaçait apparemment en sous-groupes d"un endroit à l"autre au gré des opérations. De son domicile à Halbstadt, M. Oberlander a d"abord été amené à Melitopol et, après deux ou trois semaines, il s"est rendu à Mariupol et ensuite à Taganrog. C"est là que l"unité dont il faisait partie, Ek 10a, est restée de la fin octobre jusqu"au printemps de 1942. Il déclare qu"à son arrivée, Taganrog était à proximité du front et que la ville faisait constamment l"objet d"attaques aériennes, puisque c"était une zone principale de transit où les soldats allemands qui revenaient du front étaient relevés par ceux qui avaient eu quelques jours de repos.

[34]      Après que les Allemands eurent capturé Rostov sur le Don, à l"est de l"Ukraine et aux confins est de la mer d"Azov, M. Oberlander s"y est rendu avec une partie de l"unité Ek 10a. Il a témoigné y être resté de trois à quatre semaines, pendant lesquelles il a surtout été l"unique gardien d"un chaland amarré sur le fleuve et chargé de céréales et d"huile de tournesol. Afin de prévenir le pillage, on l"avait équipé d"une carabine. Par la suite, il a quitté Rostov pour se rendre à Krasnodar où son unité est restée pendant un ou deux mois. De là, il est parti en éclaireur avec un petit groupe, qui n"était pas le premier dit-il, jusqu"à Novorossiysk, où il est resté à peu près six mois. C"est là qu"il a participé à son premier combat important contre les partisans, pour lequel on l"avait armé d"une mitraillette. Son nom est inscrit dans un ordre de campagne de l"Einsatzkommando 10a, en tant qu"interprète désigné pour accompagner l"unité de l"armée qui pourchassait les partisans. Plus tard, il a reçu la croix du service militaire, deuxième classe, une distinction qui ne l"intéressait guère à ses dires. Il déclare toutefois qu"il l"a reçue pour avoir sauvé la vie de deux soldats allemands blessés après que les troupes russes, arrivées près de Novorossiysk, eurent attaqué les troupes allemandes.

[35]      Au début de 1943, la contre-offensive russe était lancée. Pour éviter l"avance des troupes russes, M. Oberlander et son groupe au sein de l"unité Ek 10a se sont déplacés jusqu"en Crimée. C"est là, à Kerch, qu"ils ont à nouveau été impliqués pendant trois mois dans des combats contre des partisans armés. De là, ils ont été transportés par camion et par train, avec d"autres, jusqu"à la région de Mozyr au Bélarus. On peut noter ici le témoignage de M. Siderenko, qui déclare que le groupe de l"unité Ek 10a auquel il était affecté en Crimée n"a pas participé activement aux combats contre les partisans ou à d"autres actions de police pendant les trois mois qui ont précédé leur départ pour le Bélarus.

[36]      L"Einsatzgruppe D n"est semble-t-il pas demeurée une unité distincte de police, mais certains de ses éléments, dont l"unité Ek 10a, ont été envoyés au Bélarus où ils ont participé à des opérations contre les partisans vers la fin de 1943, au sein d"un groupe connu sous le nom du groupe de combat Bierkamp. Le témoignage de M. Oberlander porte qu"avant l"arrivée de son unité à Mozyr, on l"a transporté par avion jusqu"au quartier général allemand pour la lutte contre les partisans, qui était situé dans un terrain marécageux. Il s"agit probablement de la région connue sous le nom du marécage Pripjet. Il a passé tout son temps pendant les trois ou quatre mois de ce séjour à écouter et à surveiller les signaux radio russes qui circulaient entre les divers groupes de partisans et à faire rapport sur ces questions à ses supérieurs à la base. Il déclare ne pas avoir autrement participé à des actions contre les partisans alors qu"il était au Bélarus. Les membres de l"unité Ek 10a alors présents avaient fait la jonction avec la 11e division de cavalerie SS, une unité des Waffen SS qui participait à ces opérations27, notamment après le démantèlement du groupe de combat Bierkamp en mai 1943.

[37]      Fin 1943 ou début 1944, M. Oberlander a quitté le Bélarus avec ce qui restait de l"unité Ek 10a, qui était maintenant intégrée à d"autres unités, soit à l"unité Ek 6, ou, comme M. Oberlander l"a soutenu à l"audience, à une unité de l"armée régulière. Ils se sont rendus dans la région de Lemberg, qui était alors en Pologne et qui est maintenant située près de Lviv dans l"ouest de l"Ukraine. Il déclare qu"en Pologne il était intégré à une unité de l"armée et non à une unité SS. Son rôle à ce moment-là était de participer à la protection des installations militaires face aux attaques des partisans, ainsi qu"à des campagnes menées contre ceux-ci. Il a alors été blessé et a passé quelques semaines à l"hôpital au début de 1944.

[38]      Au début d"avril 1944, il est allé en permission. Sa mère et sa soeur vivaient alors à Gnessen. Il les a rejointes à Litzmannstadt, où on a traité la demande de sa mère pour obtenir la naturalisation en tant qu"Allemande pour elle et sa famille. Comme ils satisfaisaient aux critères d"octroi de la citoyenneté, ils sont devenus des citoyens allemands. M. Oberlander explique que sa mère a pris cette mesure afin de se qualifier pour toute pension ou autre compensation allemande qui pourrait être disponible si M. Oberlander était tué après avoir été naturalisé citoyen. On facilitait alors les formalités pour les Volksdeutsche en provenance des territoires occupés qui voulaient se relocaliser, notamment ceux qui avaient été au service des Allemands, ainsi que pour les membres de leurs familles. Le nom de M. Oberlander était mentionné dans une lettre adressée aux SS et au chef de police du district de Lublin, avec les noms d"autres personnes qui avaient fait leurs preuves, à l"appui de leur demande de citoyenneté allemande et conformément au décret du Führer qui prévoyait l"octroi de la citoyenneté aux Volksdeutsche qui avaient servi au sein des troupes allemandes. Quoi qu"il en soit, le dossier de toute la famille a été traité le même jour à Litzmannstadt, soit le 6 avril 1944.

[39]      Les documents pertinents tirés des archives allemandes ont été déposés en preuve, et ils sont décrits dans le témoignage du Dr David Marwell, un expert sur le processus de naturalisation et de relocalisation des personnes d"ethnie allemande en provenance des territoires occupés de l"Est. C"est un historien, ancien chef des enquêtes et de la recherche au bureau des enquêtes spéciales du ministère de la justice américain, ancien directeur du Centre de documentation de Berlin, et maintenant directeur associé des programmes au Holocaust Memorial Museum aux États-Unis.

[40]      J"aborderai ces documents dans le cadre de mon examen de la preuve présentée à la Cour au sujet de l"appartenance ou de l"association de M. Oberlander à l"unité Ek 10a. Toutefois, je vais d"abord terminer mon résumé de la description qu"il a faite de son implication dans les événements durant la période d"avril 1944 jusqu"à la fin de la guerre.

[41]      Il a rejoint son unité en Pologne après avoir reçu la citoyenneté allemande. Cette unité n"était plus l"Ek 10a. De là, ou même plus tôt, M. Oberlander raconte que son service était celui d"un membre régulier d"une unité militaire. Avec l"avance des troupes russes, son unité a quitté la Pologne pour se rendre en Yougoslavie où elle était chargée de la protection de biens stratégiques visés par les attaques des partisans. À l"occasion, elle conduisait des opérations de recherche et d"élimination des partisans sous le contrôle de Tito. De Yougoslavie, il a battu en retraite avec d"autres jusqu"en Allemagne, en passant par Vienne. À l"audience, il ne pouvait se souvenir de la route suivie ou des moyens de transport utilisés pour se rendre en Allemagne, sauf qu"il croit qu"ils sont passés par Vienne.

[42]      Il s"est retrouvé à Torgau, au sud de Berlin, avec un groupe mixte qu"il connaissait seulement sous le nom de bataillon Holz, désigné semble-t-il du nom de son commandant. Depuis lors, il possède un document que le bataillon Holz lui a délivré juste avant sa reddition en 1945. Ce document est un certificat dactylographié sur un papier de la taille d"une carte, où on trouve son nom, sa date de naissance, son lieu de naissance (Giesen), son rang de sous-officier et son statut de membre du groupe de combat Holz. On y trouve aussi le fait qu"il était au service de ce groupe depuis le 23 avril 1945. Il déclare avoir reçu la responsabilité d"un certain nombre de blessés et de quelques hommes âgés juste avant la reddition allemande, et ils ont marché vers l"ouest pour se rendre aux troupes américaines. Peu de temps après leur reddition, ils ont été informés que la région où ils étaient serait sous occupation soviétique. Un groupe important de prisonniers, dont M. Oberlander, a alors marché plus à l"ouest jusqu"à proximité de Hanovre, dans la zone qui devait être occupée par les troupes britanniques. Ils ont alors été internés dans un grand camp de prisonniers de guerre. C"est ainsi que se sont terminées les activités de M. Oberlander durant la guerre.

La nature de son service durant la guerre

[43]      Il est nécessaire d"examiner plus à fond deux aspects de ce service, soit son travail au sein de l"unité Ek 10a et d"autres troupes allemandes, ainsi que son statut au sein de ces troupes.

[44]      M. Oberlander donne diverses descriptions de ses tâches, qui ne comprennent aucune participation aux activités criminelles de l"unité Ek 10a. Lorsqu"il a été amené de son domicile jusqu"à Melitopol, on lui a demandé de nettoyer les bottes des Allemands et d"assurer le nettoyage et la réparation de leurs uniformes, ainsi que de nettoyer les locaux. Il a continué de se décharger de ces tâches à l"occasion. Il a travaillé avec le personnel de cuisine, constitué habituellement d"auxiliaires non-Allemands, et il est allé à la recherche de nourriture, d"autres nécessités et de carburant dans les fermes et les communautés environnantes. Ses recherches avaient pour but de subvenir aux besoins de son unité. Il a travaillé avec les auxiliaires de police russophones qui étaient au service de l"unité. À l"occasion, il inscrivait les personnes d"ethnie allemande dans les registres. Il traitait avec les chauffeurs auxiliaires affectés aux véhicules de l"unité, s"occupant des approvisionnements, des pièces détachées et de l"essence. Il servait d"interprète aux officiers allemands dans leurs contacts avec les autorités locales. Alors qu"il était à Taganrog, il a cherché et noté le lieu des sépultures des soldats allemands pour qu"on puisse les transférer dans des cimetières militaires. Au même endroit, il a aussi organisé des divertissements pour les troupes allemandes en permission en provenance du front, et il a travaillé à la surveillance de certains projets de construction de logements pour les membres de son unité. Son activité de surveillance radio au Bélarus semble être liée à une expérience antérieure qu"il avait eu avec son unité, d"abord à Taganrog et ensuite après qu"elle se soit engagée de façon importante dans la lutte contre les partisans. Alors qu"il était à Novorossiysk, il a travaillé avec des équipes médicales allemandes pour promouvoir des mesures d"hygiène publique.

[45]      Au départ, il n"était pas armé, exception faite de l"occasion où on lui avait donné une carabine pour garder les marchandises entreposées sur le chaland à Rostov. Plus tard, il avait un pistolet, ainsi qu"une mitraillette lorsqu"il participait à des actions contre les partisans. Ces activités sont devenues plus fréquentes alors qu"il était à Novorossiysk, à Kerch en Crimée, et lorsqu"il est revenu en Pologne après avoir été au Bélarus. Il admet qu"après cela il avait une carabine et déclare que ses tâches étaient celles d"un soldat de l"armée régulière. La plupart du temps, il montait la garde pour prévenir les attaques des partisans ou il participait à des actions contre eux.

[46]      Il admet avoir participé en tant qu"interprète à certaines séances d"interrogation, pendant lesquelles des officiers allemands questionnaient des prisonniers soupçonnés d"activités ou de sentiments anti-allemands28. M. Huebert, qui a été témoin d"exécutions à l"arme à feu et de l"envoi de certaines victimes au camion-chambre à gaz utilisé par l"unité Ek 10a, ne se souvient pas que M. Oberlander ou quelqu"autre interprète auxiliaire ait participé directement à ces activités. M. Siderenko, qui a été témoin du ramassage des Juifs à Novorossiysk et de leur départ à pied ou en camion, ostensiblement pour être " relocalisés " mais en fait pour être exécutés, comme il l"a appris plus tard, n"a jamais vu d"interprète auxiliaire à ces occasions, non plus que lors du massacre dont il a été témoin plus tard dans un village du Bélarus. On peut expliquer l"absence des interprètes auxiliaires à ces occasions par la présence de policiers allemands parlant russe, qui étaient venus d"Allemagne et étaient intégrés à ces unités en tant qu"interprètes.

[47]      M. Siderenko a témoigné qu"il avait vu M. Oberlander faire fonction d"interprète à deux occasions. Une fois, lui-même et un collègue ont été autorisés à intervenir dans l"interrogation d"une femme pour démontrer qu"elle n"était pas Juive. Leurs arguments ont été présentés par l"entremise de M. Oberlander, qui agissait comme interprète, et ils ont obtenu la libération de la femme. L"autre fois, M. Siderenko était interrogé au sujet d"une tentative d"évasion d"un général russe prisonnier. Son explication, qu"il dit avoir été transmise par M. Oberlander, a été acceptée et il n"a pas été puni. M. Oberlander a témoigné ne pas se souvenir de ces incidents, et nous avons déjà indiqué qu"il ne se souvenait pas de M. Siderenko en tant qu"auxiliaire de l"unité Ek 10a.

[48]      J"accepte la description que M. Oberlander fait de son travail avec l"unité Ek 10a, sans décider, puisque ce n"est pas nécessaire, s"il s"agit d"une description complète et honnête de ses activités pour la période allant du moment où il a été amené comme interprète à Halbstadt jusqu"à ce qu"il quitte le Bélarus pour se rendre en Pologne fin 1943 ou début 1944.

[49]      À mon avis, son statut dans l"unité Ek 10a est clair. Il n"était pas un membre régulier de la Sicherheitspolizei ou de la SD. Ces deux organisations faisaient partie des SS, c.-à-d. la Shutzstaffel, l"organisation spéciale mise sur pied par le parti national socialiste, ou parti nazi, pour promouvoir ses objectifs politiques et sociaux. On se souviendra que la Sicherheitspolizei se chargeait des activités normales de police menées par les SS, alors que la SD était un service de sécurité spécialement chargé, au début, de la sécurité interne des SS. Dans le cadre de la dure guerre idéologique menée par les Allemands dans les territoires de l"Est, ces deux organisations ont assumé des rôles plus importants. Les SS et la SD ont été déclarés être des organisations criminelles au sens de la Loi no 10 (Art. II, para. I(d)) du Conseil de contrôle, ainsi que par le Tribunal militaire international29.

[50]      Lors de son séjour dans la SD, M. Oberlander portait un uniforme, ou des parties d"uniforme, de la SD, avec des insignes SD. On le mentionne dans la liste 17 des médaillés de l"état-major de l"armée avec le titre " SS-Mann "29, un terme qui est à nouveau utilisé à son sujet dans l"un des documents de naturalisation traité à Litzmannstadt en avril 194430. Ces documents31 portent aussi que parmi les documents qu"il a soumis pour sa naturalisation on trouve le " carnet d"affectation no 012418, délivré le 25.3.44 par la Sipo et la SD, FP no 35979 ". Au sujet de M. Oberlander, on y trouve la note suivante : [traduction ] " Relocalisé. Poste no 35979 le 3.10.41 de Molotschansk ", et le fait que de 1941 à la date de rédaction du document il travaillait comme [traduction ] " Sicherheitspolizei und SD, SS-mann et interprète ".

[51]      Ces descriptions pourraient, de l"avis du Dr Marwell, nous amener à conclure que M. Oberlander était un membre de la Sicherheitspolizei und SD, si ce n"était du témoignage très clair du témoin expert du ministre sur les opérations de la police auxiliaire dans les territoires occupés de l"Est, le Dr Messerschmidt.

[52]      Le témoignage du Dr Messerschmidt porte que M. Oberlander ne pouvait être membre ni des SS, ni de la Sicherheitspolizei, ni de la SD. Seuls les citoyens allemands pouvaient être membres des SS ou de ses organismes internes32. Ceci exclut les Volksdeutsche, statut qu"avait M. Oberlander jusqu"en 1944. Nonobstant le fait qu"ils portaient l"uniforme de la SD, qu"on les qualifiait de SS-men, et qu"ils étaient soumis à la compétence et au contrôle de la police SS, les interprètes tirés des communautés ethniques allemandes en Ukraine n"avaient pas le statut de membre de la Sicherheitspolizei und SD. Le terme SS-Mann était apparemment une description généralement utilisée pour qualifier un membre régulier des SS, ou quelqu"un qui n"était pas membre mais un auxiliaire qui servait dans une unité SS avec un rang équivalent à celui de soldat première classe33.

[53]      Bien qu"il n"ait pas été un membre des SS, ou de ses unités spéciales de sécurité comme la Sicherheitspolizei und SD, M. Oberlander était un interprète, un auxiliaire de la SD ou d"autres unités de police, notamment l"unité Ek 10a, qui étaient sous le contrôle des SS. Il déclare n"avoir reçu aucun salaire, mais on lui a fourni un uniforme dès l"été de 1942. Il vivait, mangeait et voyageait avec l"unité et était au service de ses membres, même s"il s"agissait de tâches de routine ou d"un travail d"interprète. Il n"est pas nécessaire de décider s"il a travaillé par la suite pour d"autres unités de Einsatzkommando, comme on pourrait l"extrapoler du fait que son numéro de poste est noté dans la documentation relative à sa naturalisation à Litzmannstadt en 1944. La preuve, ainsi que la description de son rôle comme interprète, ne fait état d"aucune participation directe aux atrocités commises par l"unité Ek 10a. Dans son témoignage, M. Oberlander déclare n"avoir jamais été membre des SS, ou participé à l"exécution de civils ou de qui que ce soit, ni été présent ou avoir accordé son aide lors des exécutions ou des envois en déportation. Toutefois, M. Oberlander admet dans son témoignage qu"il a servi d"interprète à la SD34, que l"unité de police était connue sous le nom de SD, et qu"après un certain temps à son service il était au courant du fait qu"elle se livrait à l"exécution de civils et d"autres personnes. Il était au courant des pratiques de " relocalisation " de Juifs, même s"il déclare n"avoir compris que plus tard, à Krasnodar, qu"il s"agissait d"exécutions35. Dans les circonstances, il n"est pas plausible qu"il soit demeuré ignorant des exécutions de Juifs et d"autres personnes, une des activités les plus importantes de l"unité dans laquelle il servait, avant d"arriver à Krasnodar.

[54]      À mon avis, dans les circonstances on peut uniquement conclure que M. Oberlander était un " membre " de l"unité Ek 10a, au sens qu"on peut raisonnablement donner à ce terme. Bien qu"il y ait eu des exigences formelles pour être membre des SS, de la Sicherheitspolizei et de la SD, il n"existe aucune preuve que de telles exigences aient été imposées pour obtenir le statut de membre dans l"unité Ek 10a, en tant que policier ou auxiliaire, la sélection n"étant subordonnée qu"à l"atteinte des objectifs. M. Oberlander a été choisi, il a servi comme auxiliaire dans l"unité, et il a vécu et voyagé avec les membres de l"unité. Il a servi l"atteinte de ses objectifs, même si ce service n"était pas donné volontairement. L"unité Ek 10a, une unité de police, était un groupe qui prenait ses directives des SS à Berlin. Durant tout son témoignage, il a parlé de ce groupe en utilisant le terme " l"unité ". Je conclus qu"il a servi l"unité Ek 10a en tant que membre. C"est là une des allégations du ministre dans l"Avis de révocation et dans le résumé des faits et de la preuve présenté en mai 1995, où l"on trouve les éléments sur lesquels l"avis était fondé.

La situation de M. Oberlander après la Deuxième Guerre mondiale

[55]      À partir de mai 1945, M. Oberlander vivait dans un grand camp pour prisonniers de guerre allemands tenu par les Britanniques au sud de Hanovre. Il y est resté à peu près deux mois. Il y avait peu de nourriture et lorsque l"occasion s"est présentée de pouvoir être libéré du camp pour travailler sur une ferme, il s"est porté volontaire. Comme tous les candidats, il a été examiné par un médecin qui a déclaré qu"il était apte au travail agricole et qui, selon son témoignage, l"a examiné pour s"assurer qu"il ne portait pas la " marque de sang " qui identifiait les membres des SS. Comme il n"était pas tatoué et qu"il était en bonne santé, il a été examiné par les officiers allemands qui travaillaient de concert avec les officiers britanniques. On a alors préparé un formulaire de libération du camp et de l" " HEER " (l"armée allemande). Lorsqu"on l"a amené avec d"autres à un village près de Hanovre, ce formulaire a été remis au maire. Ils ont été logés dans l"école et travaillaient dans des fermes de la région, jusqu"à ce qu"on ait besoin de l"école à l"automne et qu"on n"ait plus besoin d"ouvriers agricoles. On l"a alors autorisé à partir, en lui remettant le certificat de démobilisation du 26 juillet 1945.

[56]      Ce certificat36 indique l"identité de la personne en cause, M. Oberlander, en mentionnant ses nom, date de naissance et lieu de naissance. Le lieu de naissance est donné comme Halbstadt, sans mention du pays. Il a témoigné qu"il a signé ce certificat. On y trouve aussi la mention " LANDARBEITER ", c"est-à-dire ouvrier agricole, comme " profession ". On y trouve aussi son adresse à domicile, savoir " Haufstrasse, Burgdorf, Celle, Lüneburg ". Cette adresse correspond à la ville de Burgdorf, qui est située près de Hanovre. Ce certificat contient la mention que la personne qu"il identifie a été libérée par la HEER, c.-à-d. l"armée, le 26 juillet 1945. Cette mention est inscrite dans la case où les instructions en anglais portent que l"on doit indiquer soit " Armée ", " Marine ", " Aviation ", " Volksstrum " ou " Organisation paramilitaire ". Ces renseignements ont pu être fournis par M. Oberlander, même s"ils sont dactylographiés et s"ils témoignent que le formulaire a été rempli par un commis et non par lui. Néanmoins, il a reconnu en contre-interrogatoire37 que lorsqu"on a demandé des ouvriers agricoles et qu"il a su qu"il pouvait être libéré du camp, où il y avait peu de nourriture, il a fourni les renseignements qui faciliteraient sa libération, y compris l"utilisation de l"adresse d"un ami du camp en tant qu"adresse de son domicile. Cet ami lui avait indiqué qu"il pourrait travailler à la ferme de sa famille dans la région. Il indique aussi qu"à ce moment-là, il n"avait pas de domicile et qu"il ne savait pas où se trouvaient sa mère et sa famille.

[57]      Au procès, on a déposé deux autres documents rédigés en 1947 et tirés des archives allemandes, qui portent sur M. Oberlander. L"un de ces documents est une carte imprimée des deux côtés, que l"on a décrite comme une des cartes produites en vertu du programme allemand de dénazification prévu à la Loi du 5 mars 1946 portant sur la libération du national-socialisme et du militarisme, Loi qui avait été adoptée par le Conseil de contrôle interallié pour l"Allemagne. Ce document, de la taille d"une carte postale, a été délivré par le procureur de l"État à Leonberg le 11/11/1947 à M. Oberlander, étudiant, à son adresse d"alors à Korntal. Il porte la mention suivante : [traduction ] " Sur la foi de l"information fournie dans votre formulaire d"enregistrement, la Loi du 5 mars 1946 ... ne vous touche pas ".

[58]      Le deuxième document est un " Meldebogen ". Il s"agit du formulaire d"enregistrement prévu en vertu de la Loi du 5 mars 1946 susmentionnée. Ce document est daté du 19 septembre 1947 à Korntal et on y trouve la signature de M. Oberlander. Y sont inscrites sa date de naissance, sans indication de l"endroit, ainsi que ses résidences depuis 1933 : Halberstadt, de 1933 à 1941, la Wehrmacht (les forces armées), de 1942 à 1945, et Hanovre, de 1945 à 1947. En réponse à la question suivante : [traduction ] " Avez-vous été un conscrit, candidat, membre ou soutien a) du parti nazi, b) des SS ordinaires, c) des Waffen SS, d) de la Gestapo, e) de la SD (Sicherheitsdienst) ", ainsi que d"un certain nombre d"autres organisations, on trouve la réponse " non " après chaque organisation. Ceci, nonobstant le fait qu"un astérisque après " SD (Sicherheitsdienst) " renvoie à une note de bas de page qui se lit comme suit : [traduction ] " Indiquez ici tout travail connexe, comme celui d"agent ". Il y a peut-être lieu, aux dires de l"avocat de M. Oberlander, de traduire le mot rendu comme agent par celui de " délateur ". En réponse à la question portant sur le statut de membre de la Wehrmacht (les forces armées), des services de police, du service de travail du Reich " et à celle portant sur [traduction ] " le titre exact ou la formation ", on trouve la mention suivante dans le formulaire : [traduction ] " Régiment d"infanterie 159 ". On y trouve aussi que son rang le plus élevé était celui de " O.Gefr. ", que le traducteur indique correspondre au rang de caporal suppléant. Finalement, en réponse à une question demandant des [traduction ] " renseignements au sujet de votre occupation principale, de vos revenus et biens depuis 1932 ", le formulaire indique qu"en 1932, 1934 et 1938 M. Oberlander était un " étudiant ", qu"en 1943 il était " membre de la Wehrmacht " et qu"en 1945 il était un " employé ".

[59]      À la fin de la saison agricole à l"automne de 1945, M. Oberlander avait reçu son certificat de démobilisation et il est parti pour Hanovre. Là, il a travaillé dans une fabrique de conserves, ainsi qu"à la réparation des toitures, jusqu"à ce qu"il apprenne en 1947 que sa mère, sa soeur et sa grand-mère, étaient installées à Korntal, près de Stuttgart. Il a pu les rejoindre et, par la suite, la famille a aménagé dans une sorte d"appartement d"une pièce. Il a sollicité l"admission à une école de métiers de la construction et a été admis après avoir réussi l"examen d"entrée. Il a terminé ses études et obtenu le diplôme d"ingénieur en construction agréé en 1952. À Korntal il a rencontré celle qui allait devenir son épouse et ils se sont mariés en 1950. Ils se sont installés avec la famille dans une pièce de rangement qu"il avait aménagée. Ils étaient donc cinq personnes vivant dans deux pièces munies d"une cuisine de fortune. Les toilettes étaient deux étages plus bas.

[60]      En 1952, alors qu"il terminait ses études, des parents de sa femme installés au Canada depuis 1948 avaient l"air d"être bien établis. M. et Mme Oberlander étaient en rapport avec eux et l"un d"entre eux, qui vivait à Kitchener, lui assurait un emploi s"il venait au Canada. Les Oberlander ont témoigné qu"ils se sont rendus à une présentation sur le Canada à un bureau du gouvernement canadien à Stuttgart en 1952. Après avoir étudié la question, ils ont présenté une demande pour immigrer au Canada en avril de la même année. L"avocat du ministre fait valoir qu"un affidavit du cousin de Mme Oberlander, assermenté le 1er mai 1953 à Waterloo (Ontario), indiquant qu"il avait trouvé un emploi à M. Oberlander et qu"il s"engageait à les aider lors de leur arrivée au Canada, pourrait indiquer que la demande de M. Oberlander a été déposée en 1953. Je ne suis pas convaincu que ce soit le cas. M. Oberlander déclare que cet affidavit lui a été envoyé une année après la présentation de sa demande et qu"il l"a apporté à l"entrevue à laquelle il avait été convoqué le 14 août 1953 à Karlsruhe.

[61]      Ils n"ont eu aucune nouvelle des fonctionnaires canadiens pendant plus d"un an après le dépôt de leur demande. Entre temps, le travail de M. Oberlander comme ingénieur en construction et son travail avec des architectes commençait à porter fruit. Il avait fait l"achat d"une voiture, mais ne pouvait toujours pas trouver de logement convenable. Le couple continuait à vivre avec sa famille dans l"appartement de deux pièces. C"est alors que M. Oberlander a reçu une lettre-formulaire, dont la traduction déposée à la Cour ne porte pas de date, mais qu"il déclare lui être parvenue vers le mois de juin 1953. Cette lettre l"informait que sa demande d"immigration au Canada était acceptée et que, sous réserve qu"il satisfasse aux critères civils et médicaux, [traduction ] " Vous et les membres de votre famille recevrez un visa ". On lui demandait d"apporter certains documents, notamment un passeport ou autre document de voyage valide, des radiographies thoraciques conformes aux instructions, un certificat de police et des documents de démobilisation (s"il avait servi dans l"armée allemande ou toute autre armée). Il était convoqué au Bureau d"immigration du Canada à Karlsruhe le 14 août 1953 dans l"après-midi, de 14 h à 16 h. Il s"est rendu à cette entrevue avec Mme Oberlander.

[62]      Après avoir présenté leurs documents à la réceptionniste au bureau de Karlsruhe, les Oberlander ont attendu un certain temps, puis ils déclarent avoir été examinés séparément par des médecins. Ils ont ensuite eu une entrevue conjointe administrée par un fonctionnaire canadien qui leur a demandé pourquoi ils voulaient venir au Canada et qui leur a fait remarquer que l"approbation médicale du médecin qui les avait examinés, qui était portée à leur passeport, n"était valide que jusqu"au 14 décembre 1953. Comme ce délai n"était pas suffisant pour qu"il puisse respecter ses engagements dans la construction et régler leurs affaires en Allemagne, et comme il croyait savoir qu"il y avait peu de construction en hiver au Canada, M. Oberlander a décidé avec son épouse de remettre le départ au printemps suivant. On les a informés qu"ils devraient présenter de nouvelles radiographies à ce moment-là pour obtenir l"approbation médicale, puisque celle-ci était fondée en partie sur les radiographies et qu"elle n"était valable que pendant quatre mois après le 14 août.

[63]      Je reviendrai plus tard en détail sur leur témoignage au sujet du traitement de leur demande d"immigration au Canada. Je veux d"abord terminer le récit de leur venue et de leur installation au Canada.

[64]      Le 23 février 1954, les Oberlander sont retournés au bureau du Canada à Karlsruhe et ont présenté de nouvelles radiographies à la réceptionniste. Ils déclarent qu"après un moment d"attente, leur passeport familial leur a été rendu avec un visa, indiquant qu"ils devaient arriver au Canada au plus tard le 23 juin 1954. Ils déclarent qu"ils n"ont pas eu d"entrevue à ce moment-là, mais qu"on leur a dit qu"ils recevraient une lettre d"instruction pour se préparer et obtenir le transport requis jusqu"au Canada. Ils ont suivi les instructions données. Ils se sont rendus à Bremerhaven, où ils sont montés à bord d"un bateau allant au Canada. Ils sont arrivés à Québec le 13 mai 1954. À l"arrivée, ils ont présenté un formulaire qu"on leur avait remis plus tôt au sujet de leur admission, à savoir la fiche de débarquement susmentionnée38 et leurs passeports, et ils ont été admis au Canada sans autres formalités. Il est étrange de constater que la fiche de débarquement de M. Oberlander indique qu"il est né à " Halberstadt, Allemagne ", une erreur qui, selon le représentant du ministre à l"interrogatoire préalable, a dû être commise par le membre du personnel de l"immigration qui a rempli la fiche de débarquement, puisque le passeport de M. Oberlander indique qu"il est né à " Halberstadt, Ukraine ".

[65]      Les Oberlander se sont rendus de Québec à Kitchener (Ontario), où les parents de Mme Oberlander avaient obtenu un emploi pour M. Oberlander dans la construction. Ils y vivent depuis 1954 avec leur famille. En 1960, ils ont demandé et obtenu la citoyenneté canadienne. Depuis leur arrivée, il semble que par son travail dans les divers projets commerciaux, résidentiels, et de logements multiples, M. Oberlander aurait fait une contribution importante au développement de la région de Kitchener-Waterloo.

[66]      Bien qu"il ait été peu question de la demande de citoyenneté canadienne de M. Oberlander dans les témoignages ou les arguments présentés, non plus que du fait qu"il l"ait obtenue, je veux noter ici qu"on trouve parmi les documents mis en preuve une copie de sa demande de citoyenneté39 en date du 12 janvier 1960, ainsi qu"une copie de l"acte descriptif et du certificat de citoyenneté40 qui lui ont été délivrés en date du 19 avril 1960. La demande ne contient aucune question où le demandeur devait faire état de sa bonne moralité. Il n"est question de cette exigence pour l"obtention de la citoyenneté que dans la décision du juge de comté qui, après avoir rencontré le demandeur, a noté sur le formulaire de décision qu"il avait constaté que ce dernier était de bonne moralité. Il a aussi noté qu"il constatait que M. Oberlander avait été régulièrement admis au Canada à titre de résident permanent.

Les enquêtes antérieures sur les activités de M. Oberlander durant la guerre

[67]      Suite à leur arrivée au Canada, deux autres enquêtes portant sur les activités de M. Oberlander durant la guerre ont eu lieu avant l"introduction de la présente instance. La première était le fait des autorités allemandes, alors que la seconde a servi de préliminaire à cette procédure en révocation.

[68]      En 1970, un avocat allemand, agissant par l"entremise du consulat allemand à Toronto, a demandé à M. Oberlander de se rendre à Toronto pour être interrogé relativement à des accusations portées à Munich, en Allemagne, contre le Dr Christmann, un ancien commandant de l"unité Ek 10a durant la période de 1942-1943. M. Oberlander y est allé à contrecoeur, mais il a donné son accord pour rencontrer une personne qui semble avoir été un agent consulaire allemand. Une déclaration a été préparée suite à cette entrevue, et M. Oberlander en a confirmé le contenu en la signant41. Il a témoigné à l"audience qu"à ce moment-là, il ne se souvenait pas des noms des commandants de l"unité et qu"il ne savait pas non plus jusqu"alors que l"unité à laquelle il était rattaché était connue sous le nom d"unité Ek 10a. Il déclare que c"est alors qu"il a été mis au courant des accusations portées par les autorités allemandes au sujet des activités durant la guerre de l"un des commandants de l"unité, le Dr Christmann. À ce moment-là, il ne se souvenait pas de ce nom ou d"autres noms. Une liste des personnes faisant l"objet de l"enquête mentionnait son propre nom, comme il apparaît au début de la description du document constatant sa déclaration et auquel il a apposé sa signature. Il croit comprendre que les autorités allemandes ont fermé son dossier après enquête.

[69]      La traduction anglaise de la déclaration signée par M. Oberlander au consulat de Toronto porte la date du 24 juin 1970 et elle est identifiée au début comme suit :

     [traduction]

     Dans l"enquête préliminaire contre [X]...et 15 autres anciens membres de l"Einsatzkommando [groupe opérationnel] 10a, qui sont soupçonnés de meurtre ou de complicité de meurtre (NSG) [...crimes de violence du national-socialisme]
     devant la Cour régionale [Landgericht] de Munich I -- le procureur public principal [Oberstaatsanwalt] -

     .....Dossier no : 22 Js 202/61

     l"accusé Helmut O b e r l a n d e r a comparu aujourd"hui.
     L"identité de l"accusé a été confirmée par la présentation du passeport canadien no 050282, délivré le 8 mai 1969 par le ministère des Affaires extérieures à Ottawa, province de l"Ontario, Canada.
     Après que l"accusé ait été mis au courant, en vertu de l"article 136 du Code de procédure criminelle (StPO), de l"infraction dont on l"accusait et qu"on l"eut informé de ses droits, il a déclaré :
     ...

[70]      La déclaration décline alors l"identité de M. Oberlander et présente les renseignements biographiques à son sujet ainsi qu"une brève description de ses activités durant les années de guerre, après que l"armée allemande eut libéré sa famille à Halbstadt à l"automne de 1941. La déclaration est signée par M. Oberlander, ainsi que par l"agent consulaire qui l"a reçu en entrevue. Je note que, dans les documents présentés en preuve en l"instance par le ministre, on trouve la copie d"une décision, rédigée en allemand et accompagnée de quelques pages traduites en anglais, rendue par la Cour régionale de Munich en mars 1981, par laquelle le Dr Christmann était trouvé coupable de meurtre et condamné à la prison, pour avoir aidé et encouragé la perpétration de deux exécutions de masse dans la région de Krasnodar vers la fin de 1942 ou au début de 1943.

[71]      Dans son contre-interrogatoire de M. Oberlander en l"instance, l"avocat du ministre a soulevé plusieurs questions au sujet de cette déclaration. Il cherchait principalement à savoir pourquoi certaines des déclarations ou admissions que le défendeur a faites en interrogatoire préalable ou à l"audience de ce renvoi n"étaient pas mentionnées dans la déclaration. M. Oberlander a répété plusieurs fois qu"il avait fait volontairement une déclaration au sujet de ses expériences durant la guerre, selon son souvenir de l"époque, et que cette déclaration avait semblé répondre aux attentes de l"agent consulaire qui l"interrogeait. Il n"y a aucune autre preuve au sujet de cette enquête ou des circonstances qui ont entouré l"entrevue, non plus que des questions qui ont été posées, des directives données ou des objectifs visés, sauf le témoignage de M. Oberlander et sa déclaration signée. Le contenu de cette déclaration peut être admis en preuve, puisque M. Oberlander admet qu"elle a été faite volontairement et qu"il l"a signée.

[72]      La déclaration est une description assez banale de l"expérience de M. Oberlander durant la guerre. Dans cette déclaration, il nie avoir connu le nom de son unité et nie aussi deux fois reconnaître les noms Sonderkommando 10a ou Einsatzkommando 10a. Il ne connaissait pas non plus le nom Einsatzgruppe D. Il nie aussi avoir reçu une décoration, sauf un insigne de blessé de guerre. De plus, il nie avoir fait l"objet d"un processus de dénazification. Au sujet de la question sur laquelle portait l"enquête, il déclare :

[traduction]
L"unité à laquelle j"ai été assigné en 1942 (souligné à la main) était un groupe disparate (souligné à la main). Je ne me souviens plus à quelles organisations les membres de cette unité étaient rattachés. Je ne crois pas qu"ils aient été des SS. Je ne sais pas pendant combien de temps elle a existé. J"étais constamment prêté à d"autres unités lorsque celles-ci demandaient un interprète. L"unité toute entière était constamment réaffectée à des groupes de combat différents. De plus, les membres de l"unité étaient souvent transférés ailleurs. Il y avait donc des changements constants. Je veux réitérer ici que les noms EinsatzKommando 10a ou Sonderkommando 10a sont des noms que j"ignore complètement (souligné à la main). En autant que je sache, mon unité ne portait pas ce nom.

[73]      Après avoir décrit certains des services qu"il rendait à titre d"interprète, ainsi que les deux occasions où il a été hospitalisé, la déclaration porte qu"il a reçu plusieurs permissions, y compris une lui permettant de visiter sa famille à Halbstadt à une date dont il ne se souvient pas. Il déclare ne pas savoir qui était le chef de son unité. Cette déclaration porte qu"il ne peut se souvenir des endroits précis où il est allé, excepté pour Taganrog. Plus tard, il est question de Rostov et du fait qu"il avait surveillé un chaland, mais il ne pouvait se souvenir de Krasnodar ainsi que de certains autres endroits puisque les localités russes n"étaient pas identifiées par des affiches et qu"il n"avait pas de carte. Dans sa déclaration, il nie avoir été au courant de l"exécution des Juifs ou des personnes souffrant d"une incapacité physique ou mentale et il affirme n"avoir jamais vu rien de tel et que personne ne lui en a rien dit à l"époque. Il nie savoir quoique ce soit de l"exécution de Juifs à Rostov ou à Taganrog, ou de l"extermination de citoyens soviétiques à Krasnodar.

[74]      La déclaration de 1970 et la preuve présentée en l"instance datent de plusieurs années après les événements. Il n"est peut-être pas surprenant que le témoignage de M. Oberlander diffère de sa déclaration de 1970 sur certains points de détail importants, puisqu"il s"est préparé à cette audience après communication des documents du ministre. Les deux sont toutefois semblables sur une question, savoir le fait que M. Oberlander a déclaré en 1970 que lors de son service durant la guerre dans l"unité Ek 10a, il ne savait rien des activités commises par les membres de l"unité dans laquelle il servait. Dans la déclaration de 1970, il a affirmé ne rien savoir de l"exécution de Juifs ou de personnes souffrant d"une incapacité physique ou mentale par les membres de son unité. Il a reconnu en contre-interrogatoire qu"il avait été mis au courant de l"exécution de civils par son unité, probablement alors qu"il était à Krasnodar. Bien qu"il n"y ait pas participé, il a reconnu qu"il savait que les membres de son unité avaient exécuté des civils après interrogatoire, qu"il était au courant des activités de " relocalisation " des Juifs, et qu"il savait quel travail avait été fait par un groupe avancé de l"unité Ek 10a qui était [traduction ] " arrivé en premier dans la ville [Novorossiysk] pour s"occuper de la relocalisation des Juifs avant l"arrivée du reste de l"unité "42. On trouve un autre point intéressant dans sa déclaration de 1970. En réponse à des questions, il déclare (dans la version anglaise) :

         [traduction]

         Je ne suis pas au courant d"un ordre qui aurait porté que ... chaque membre de l"équipe [Kommando] devait participer au moins à une exécution. Je n"avais pas de carabine (souligné à la main) et n"avais jamais participé à quelque exécution que ce soit (souligné à la main)42.


Je constate que la déclaration ne porte que sur la première partie de sa vie et de son service avec l"unité Ek 10a, car c"est la question qui semblait être pertinente dans le cadre de l"enquête allemande et du procès du Dr Christmann.

[75]      La deuxième enquête s"est produite le 25 janvier 1995. Ce jour-là, des agents de la GRC, accompagnés d"un interprète, se sont présentés sans préavis au domicile des Oberlander à Waterloo (Ontario), et ont demandé à lui parler. Ils ont précisé qu"ils faisaient partie de l"unité des crimes de guerre de la GRC et qu"ils voulaient lui parler de certains documents qu"ils allaient lui montrer. Son témoignage porte qu"après avoir obtenu l"assurance qu"il ne serait pas accusé de crimes de guerre, il a donné son accord pour leur parler en l"absence d"un avocat mais pas pour qu"on enregistre l"entrevue. Selon les notes prises par les agents durant l"entrevue, M. Oberlander a fait savoir au moins quatre fois qu"il croyait devoir consulter un avocat, mais les agents ont continué à l"interroger. Ce n"est qu"après l"entrevue qu"ils lui ont dit qu"il pourrait être sage de sa part de prendre un avocat. Un des agents a pris des notes. Ces notes ont été déposées, et les agents qui ont procédé à l"interrogation et qui ont témoigné à l"audition s"en sont inspirés. Je constate ici qu"on n"avait pas mis M. Oberlander en garde à ce moment-là que ce qu"il disait, ainsi que les notes qui étaient prises, pourrait être utilisé par la suite en preuve dans un procès.

[76]      M. Oberlander déclare qu"il a été bouleversé par le commentaire des agents portant sur la possibilité qu"il soit expulsé du Canada, commentaire fait alors que l"entrevue était déjà avancée et confirmé à nouveau à la fin. À son souvenir, le tout a duré deux heures. Bien que les notes portent que les agents ont déclaré à la fin de l"entrevue qu"une décision dans son affaire serait prise par le ministre demandeur, et qu"ils ne connaissaient pas la nature de cette décision, je constate que l"Avis de révocation en l"instance, présenté au nom du ministre, a été préparé deux jours seulement après l"entrevue.

[77]      Cette façon de faire semble assez peu équitable. Ceci est particulièrement vrai lorsque le témoignage des enquêteurs porte sur une entrevue au cours de laquelle une personne, qui n"avait reçu aucun préavis, se voit poser des questions au sujet d"événements et de documents qui datent de 45 ou 50 ans auparavant, qu"aucun avertissement ne lui est donné que ses propos peuvent être utilisés en preuve contre lui, et que ses commentaires au sujet du recours à un avocat n"ont reçu aucun écho avant la fin de l"entrevue.

[78]      À l"audition de cette affaire, aucune objection sérieuse n"a été soulevée quant à la preuve présentée par les enquêteurs et j"ai admis leur témoignage. Il est certainement pertinent, la seule question étant le poids qui doit être donné à toute preuve contraire introduite de cette façon.

[79]      Je constate qu"au cours des préparatifs pour cette audition, qui est de nature civile plutôt que criminelle, M. Oberlander a été soumis à un interrogatoire préalable suite aux directives de la Cour. Toute preuve tirée de cet interrogatoire qui constitue des admissions ou qui est en contradiction avec le témoignage de M. Oberlander à l"audience a été consignée au dossier et la Cour en est saisie, comme il est normal dans une affaire civile. Bien qu"à mon avis le ministre doive prouver ses allégations principalement à partir des témoignages et documents présentés à l"audience et lors de l"interrogatoire préalable, on ne peut écarter le témoignage des enquêteurs de la GRC.

[80]      Le témoignage des enquêteurs soulève deux questions intéressantes. Se fondant sur les notes manuscrites qu"il a prises lors de l"entrevue, l"inspecteur Watson a témoigné notamment ceci42 :

         [traduction]

             Le sergent Goguen dit : Ce qui est avancé ici, c"est que vous n"auriez pas été complètement candide au sujet de votre passé quand vous êtes venu au pays. Le sergent Goguen : À qui avez-vous parlé à l"Immigration? M. Oberlander discute avec sa femme et dit : Tu étais là avec moi et nous avons eu un examen médical. On m"a demandé mon grade. On m"a demandé de lever le bras pour voir si j"avais un tatouage. Il a levé son bras. Il n"avait pas de tatouage. M. Oberlander : C"est tout. En cinq minutes, il m"a dit que c"était terminé.

         ...

             ...Le sergent Goguen : Vous avez eu une entrevue avant de venir?
             M. Oberlander : Cinq minutes. Le sergent Goguen : Ils vous ont demandé si vous aviez un grade. M. Oberlander répond oui. J"ai compris qu"il répondait oui, ils m"ont demandé si j"avais un grade.

L"inspecteur Watson a témoigné que l"entrevue s"est continuée comme suit :

         [traduction]

             J"ai demandé : Vous avez vu une annonce et vous avez fait une demande? Il ajoute : Nous avions des parents ici n"est-ce pas? C"est-à-dire au Canada. Nous étions des réfugiés. Ma mère, ma grand-mère, ma femme et moi vivions dans deux pièces, sans bain ni toilette. Nous avions fui les Russes. C"était à Korntal, près de Stuttgart. Il y avait une pénurie de logement. Nous avons cru que le Canada serait un bon endroit. Nous avions des parents ici qui nous disaient qu"en travaillant dur, on pourrait réussir. Cela ne nous dérangeait pas; alors nous avons déposé une demande.
             J"ai demandé -- Mme Oberlander : Je ne me souviens pas quand nous avons rempli ceci. Nous n"avons pas eu de nouvelles alors nous avons continué comme avant. Puis nous avons su quelque chose, reçu une invitation d"aller à Bremerhaven pour qu"on traite notre demande. J"ai noté ici que M. Oberlander semblait confus. J"ai ajouté, le processus? La question au sujet du processus?
             Il ajoute : Il y avait un camp pour les immigrants à Bremerhaven. Nous nous y sommes rendus. Il fallait amener des radiographies prises par un médecin. Mme Oberlander déclare ne pas se souvenir. M. Oberlander ajoute : On nous a ensuite dit que comme ma demande précisait que j"étais un briqueteur et un ingénieur en construction, on avait besoin de moi. C"est alors que les formalités ont commencé. J"ai peut-être signé une douzaine de formulaires. J"ai apporté un certificat de bonne conduite de la police, il n"y avait pas d"empêchement légal. Ensuite je suis venu dans une autre pièce où quelqu"un était assis, et m"a demandé -- un agent d"immigration m"a demandé quel était mon grade? Avais-je été dans l"armée, dans l"armée allemande? J"ai répondu que oui. Il a demandé quel était mon grade? J"ai répondu interprète. Quel genre d"interprète? Du russe et de l"allemand, parce que je suis né en Russie. Il m"a alors demandé de lui montrer mon bras, ce que j"ai fait.
             Bob Goguen a demandé : Vous a-t-il dit pourquoi il voulait voir sous votre bras? Non. M. Oberlander : Je lui ai montré mon bras. Il a écrit quelque chose sur un papier que je n"ai pas vu et nous sommes allés dans la pièce suivante. A-t-il demandé -- Le sergent Goguen demande : Vous a-t-il demandé directement si vous étiez dans les SS? Non, répond M. Oberlander.
             A-t-il demandé -- Bob Goguen : Vous a-t-il posé une question au sujet de votre unité? Il dit : Je ne m"en souviens pas. Je ne sais pas si ça les intéressait. J"étais jeune et on avait besoin de moi au Canada. Le sergent Goguen : Savait-il que vous étiez un Ostlander? M. Oberlander : Oui. En Russie nous étions des Allemands, maintenant en Allemagne nous étions des Russes. Les parents de ma femme ont tous deux été tués sous le régime de Staline. M. Oberlander dit : L"entrevue avec l"agent d"immigration n"a pas duré plus de cinq minutes. C"est la seule entrevue que j"ai eue avec un agent d"immigration.

         ...

[81]      Le renvoi dans ces notes qui indique que M. Oberlander a déclaré qu"on lui a posé des questions au sujet de son service militaire lors de son entrevue avec les agents d"immigration canadiens en Allemagne a suscité l"explication suivante de sa part lorsqu"il a été contre-interrogé à ce sujet à l"audience.

         [traduction]

             Q. Je vais donc vous relire tout ceci pour vous replacer dans le contexte. Que dites-vous au sujet de ce que j"ai lu à la fin de la page précédente, qu"ils vous ont demandé quel était votre grade, qu"ils vous ont demandé quel sorte d"interprète vous étiez, et qu"ils vous ont demandé de montrer votre bras?

         ...

             R. C"est un problème. J"aurais dû demander qu"on enregistre toute la conversation, mais c"est de ma faute puisque j"ai refusé l"enregistrement. C"est ce qui arrive lorsqu"on parle pendant deux heures et qu"on devient confus.
             Q. M. Oberlander, je vous demande si vous dites que ce qui est au bas de la page 9, bon, à l"endroit où j"ai commencé à lire, et qui continue en haut de la page 10, que vous n"avez pas dit cela? Est-ce bien ce que vous dites?
             R. Ils étaient -- ils ont été dits dans un contexte différent.

             Q. Bien. Si vous vous souvenez -- excusez-moi, allez-y.

             R. M. Watson me l"a demandé. J"ai déclaré qu"on ne m"avait pas posé de question au sujet de mon service militaire.

             Q. Oui?

             R. Alors M. Watson m"a demandé ce que je répondrais à cette question si on me la posait.
             Q. Je vois.
             R. Alors j"ai expliqué que j"étais un interprète et je lui ai expliqué.
             Q. Donc, ce que vous dites, c"est que ce que l"on vous attribue dans ces notes, vous l"avez dit après que Watson vous a demandé ce que vous auriez dit si on vous avait posé la question?
             R. Oui. Il voulait savoir quelle était ma position à ce sujet.42

[82]      Le deuxième point intéressant dans le témoignage de l"inspecteur Watson porte sur un point mentionné dans la déclaration de M. Oberlander au consulat allemand en 1970 :

         [traduction]

         ... Le sergent Goguen. On nous a dit que tous les membres de l"Einsatzgruppe devaient participer au minimum à une opération de purification. M. Oberlander dit non. À cause de mon âge. Bob Goguen : Était-il vrai qu"ils devaient participer? M. Oberlander dit : Les soldats allemands devaient participer ou ils étaient exécutés.
             Le sergent Goguen lui demande d"être plus précis. Il a alors déclaré être au courant d"au moins un cas où un soldat allemand avait été exécuté par des membres de son groupe ....
             M. Oberlander nie qu"il ait été impliqué personnellement dans ce genre de chose. Le sergent Goguen demande : Quel âge deviez-vous avoir pour participer? M. Oberlander a répondu qu"il s"agissait d"hommes plus âgés, dans la trentaine et la quarantaine, des militaires de carrière. On ne m"a jamais demandé de participer43.

[83]      Lors du contre-interrogatoire sur cette question, l"avocat a cité la déclaration attribuée à M. Oberlander que des [traduction ] " hommes plus âgés, dans la trentaine et la quarantaine, des militaires de carrière " avaient participé à l"opération, recherchant probablement ainsi une confirmation de la part de M. Oberlander que la situation décrite par l"agent de la GRC s"était produite. M. Oberlander a fait le commentaire suivant :

         [traduction]

         R. Ceci devrait se lire ne l"a jamais dit. Des gens -- On ne me l"a pas demandé, ai-je dit.
         Q. (L"avocat) Bien. C"est bien.
         R. Je peux répondre à ceci, à toutes ces choses. Je ne sais pas quel était mon état d"esprit au moment de cette conversation, parce que ma femme parlait en même temps et qu"il y avait beaucoup de confusion. Il y a eu des déclarations à l"emporte pièce43.

Je constate que dans sa déclaration de 1970 aux autorités allemandes, M. Oberlander a déclaré : [traduction] " je ne suis pas au courant d"un ordre ... que chaque membre de l"équipe [Kommando] devait participer au moins à une exécution ".

[84]      Je vais maintenant tourner la page des activités de M. Oberlander au cours de la Deuxième Guerre mondiale, ainsi que dans les années suivantes en Allemagne et au Canada, pour examiner la politique canadienne d"immigration après la guerre, ainsi que les pratiques de contrôle de sécurité en place pour les immigrants lorsqu"il est venu au Canada en 1954.

La politique d"immigration du Canada après 1945

[85]      La Cour a pu tirer profit du témoignage et de l"affidavit43 de M. Nicholas D"Ombrain au sujet de l"évolution de la politique canadienne d"immigration et des contrôles de sécurité aux fins de l"immigration. M. D"Ombrain est reconnu par la Cour comme un expert en ce qui concerne les rouages du Cabinet au sein du gouvernement canadien ainsi que les dispositions prises par le gouvernement fédéral en matière de sécurité.

[86]      En 1945, à la fin de la guerre, la politique canadienne d"immigration tombait sous le coup d"un règlement adopté en 193143 en vertu de la Loi sur l"immigration de 192744. À cause de la situation économique au Canada dans la décennie avant la guerre, l"immigration était limitée pour l"essentiel à des personnes qui venaient du Royaume-Uni, de l"Irlande, des Dominions de l"empire britannique de l"époque, et des États-Unis. À l"exception des parents proches de personnes qui avaient reçu le droit d"établissement et qui résidaient au Canada, peu d"immigrants ont été admis au Canada. Dans les années 30, le nombre d"immigrants était en moyenne de 7 000 par an. Ceci représente une diminution très significative par rapport aux 165 000 immigrants admis au Canada en 1929.

[87]      À compter de 1945, le Canada a connu un regain d"intérêt pour l"immigration, d"abord pour combler les besoins de main-d"oeuvre ressentis en agriculture et dans les industries de ressources, ainsi que dans certains autres métiers et industries, et ensuite pour aider à la réinstallation des centaines de milliers de personnes déplacées par suite de la guerre en Europe. Avec l"appui du public, la politique du gouvernement a évolué vers le rétablissement et l"expansion d"un service d"immigration pour traiter l"augmentation significative des demandes d"admission au Canada. Le nombre de catégories de personnes admissibles au statut de résident permanent a été augmenté, d"abord en accordant ce droit à ceux qui étaient venus au Canada comme réfugiés durant la guerre, ensuite en enlevant les barrières placées au parrainage de parents de résidents du Canada et en élargissant cette catégorie, et finalement en ajoutant des catégories de personnes admissibles à l"immigration, y compris celles qui devaient répondre à des besoins spécifiques du marché du travail. La première autorisation visant les personnes déplacées, donnée en juin 1947, prévoyait en admettre 5 000. Ce nombre a été augmenté par étapes jusqu"à atteindre 40 000 à l"automne de 1948, au fur et à mesure que les navires devenaient disponibles pour amener les immigrants au Canada.

[88]      La politique du gouvernement a été annoncée par le Premier ministre Mackenzie King dans une déclaration à la Chambre des communes le 1er mai 194745. Dans cette déclaration, il a posé les bases d"une politique d"encouragement à l"immigration et il a insisté sur la participation du Canada dans la résolution du problème international important que constituait l"établissement des personnes déplacées.

[89]      Dès 1950, le ministre des Mines et des Ressources, qui était alors responsable de l"immigration, s"est vu accorder le large pouvoir discrétionnaire d"autoriser l"admission de personnes convenables au Canada46. En septembre 1950, l"interdiction visant les ressortissants de l"Allemagne a été levée47, ceux-ci étant jusqu"alors inadmissibles parce qu"identifiés comme des étrangers de nationalité ennemie. Cette mesure a été suivie de près par l"abolition d"une interdiction analogue portant sur d"autres étrangers de nationalité ennemie. Ceci permettait l"immigration au Canada des Allemands, Italiens et autres citoyens des pays d"Europe de l"Est, qui jusqu"alors ne pouvaient être admis en leur qualité d"étrangers de nationalité ennemie. Ces changements, ainsi que d"autres, ont mené à une augmentation significative de l"immigration au Canada dans les années de l"après-guerre.

Le contrôle de sécurité des candidats à l"immigration, 1945-1954

[90]      Au fur et à mesure que s"accroissait le désir d"admettre plus d"immigrants et que le personnel, les locaux et les programmes étaient prévus en conséquence, on a voulu aussi procéder au contrôle de sécurité des candidats à l"immigration afin d"assurer, autant que possible, que les personnes admises en tant que résidents permanents feraient vraisemblablement une contribution positive au développement de la société canadienne, et qu"ils ne constitueraient pas une menace à la sécurité interne du Canada ou à la sécurité internationale.

[91]      Dans les années de l"après-guerre, le contrôle de sécurité des candidats à l"immigration au Canada était exigé pour la plupart des membres des nouvelles catégories de personnes admissibles. En 1947, Le Cabinet a décidé que le contrôle de sécurité des étrangers demandant l"admission au Canada serait exigé à la discrétion des autorités de l"immigration et conformément aux directives de la Direction générale de l"immigration portant qu"on devait contrôler tous les demandeurs, à l"exception des sujets britanniques, des citoyens de l"Irlande, de la France, de l"Afrique du Sud, des États-Unis et de certains pays de l"Amérique latine48. Le contrôle de sécurité était notamment requis pour les personnes déplacées en Europe et, plus tard, pour les personnes de nationalité allemande ou italienne qui demandaient leur admission au Canada comme immigrants indépendants après être devenues admissibles en 1950.

[92]      La politique de contrôle de sécurité a été conçue par le Comité de la sécurité. Ce comité interministériel de fonctionnaires supérieurs, formé en 1946, était présidé par le secrétaire du Cabinet et il se rapportait directement au Premier ministre. La mise en oeuvre de la politique approuvée par le Cabinet était confiée aux ministères ou organismes, dont l"action était coordonnée par le Comité de la sécurité. Durant les premières années qui ont suivi la Deuxième Guerre mondiale, au début de la guerre froide, il était nécessaire de sélectionner les immigrants de façon à empêcher qu"on admette au Canada des personnes qui avaient appuyé la cause nazie ou qui étaient communistes. Cette inquiétude portait surtout sur les personnes déplacées en provenance des pays d"Europe de l"Est qui se sont retrouvés sous influence soviétique après la guerre. En fait, il était clair qu"on obtiendrait peu de renseignements fiables des gouvernements ou autres sources dans ces pays au sujet de leurs anciens ressortissants.

[93]      À partir de 1946, la GRC, jusqu"alors responsable de la sécurité intérieure, s"est vu confier des responsabilités analogues face aux candidats à l"immigration qui demandaient le droit d"établissement, c"est-à-dire le statut de résident permanent, au Canada. Au début, on a procédé ainsi pour les personnes réfugiées durant la guerre, qui ont été autorisées à demander la résidence permanente sur place, et plus tard pour ceux qui étaient parrainés par des parents proches au Canada. Une mission de la GRC a été mise sur pied à Londres pour assurer le contrôle de sécurité de toutes les personnes en Europe qui voulaient venir au Canada. Cette mission s"est ensuite étendue à toute l"Europe continentale. Dès 1948, il y avait 11 agents de sécurité en Allemagne, connus sous le nom d"agents de contrôle des visas (ACV). Ils étaient en poste ou attachés à la mission centrale d"immigration à Karlsruhe, dans l"Allemagne de l"Ouest d"alors, et des équipes étaient placées dans divers camps pour les personnes déplacées ou elles s"y rendaient. À ce moment-là ou assez tôt après, on a aussi placé des agents à Bruxelles, à Salzbourg, à La Haye, à Copenhague, à Stockholm et à Rome. Tous ces agents recevaient leurs directives de Londres, d"où on coordonnait leurs activités. Plusieurs de ces agents étaient membres de la GRC. D"autres, recrutés par la GRC à cette fin, avaient servi en Angleterre avec Scotland Yard ou en Europe dans les agences de renseignements militaires.

[94]      Au début, le contrôle de sécurité était fait selon les instructions verbales reçues du siège social de la GRC à Ottawa. Ceci s"est produit après que le Cabinet eut décidé, en août 1946, que la question du contrôle de sécurité des candidats à l"immigration serait traitée par des mesures administratives ministérielles plutôt que par la voie législative49. Des critères ont été énoncés avec le temps, fondés sur la politique et la pratique. Par la suite, les critères du début ont été modifiés avec l"approbation du Comité de la sécurité et du Cabinet. L"énoncé le plus ancien des critères qui est déposé en preuve devant la Cour est une note de service tirée des dossiers de la GRC. Cette note, qui porte la mention Ottawa, le 20 novembre 1948, est intitulée [traduction ] " Sélection des personnes sollicitant l"admission au Canada "50. On y trouve ce qui suit :

     [traduction]
         Un ou plusieurs faits suivants révélés au cours de l"interrogatoire ou de l"enquête rendront le candidat inadmissible :
         a)      Communiste connu ou personne fortement soupçonnée de l"être.
             Agitateur communiste ou personne soupçonnée d"être un agent communiste.
         b)      Membres des SS ou de la Wehrmacht allemande.
             Personne dont on découvre qu"elle porte des marques du groupe sanguin des SS (NON allemande).
         c)      Membre du parti nazi.
         d)      Criminel (connu ou soupçonné de l"être).
         e)      Joueur professionnel.
         f)      Prostitué(e).
         g)      Trafiquant de marché noir.
         h)      Personne évasive ou qui ne dit pas la vérité lors de son interrogatoire.
         i)      Défaut de produire des documents reconnaissables et acceptables au sujet de la date de son arrivée et de la durée de son séjour en Allemagne.
         j)      Déclaration inexacte; usage d"un nom faux ou fictif.
         k)      Collaborateurs résidant actuellement dans un territoire antérieurement occupé.
         l)      Membre du parti fasciste italien ou de la mafia.
         m)      Trotskyste ou membre d"un autre mouvement révolutionnaire.

[95]      Les critères énoncés dans la note de service de 1948 de la GRC étaient utilisés par les agents de sécurité pour prendre des décisions au sujet des candidats à l"immigration. Après 1952, les agents d"immigration se sont intéressés surtout aux critères d à g de la liste. Cet énoncé de critères a reçu l"aval du Comité de la sécurité. On a fait quelques légères modifications en 1950, afin d"éliminer l"interdiction totale d"admettre les anciens membres de la Wehrmacht. Plus tard, en 1952, d"autres changements ont introduit un pouvoir discrétionnaire limité dans l"évaluation des anciens membres du parti nazi51 et autres, afin de n"exclure que les grands criminels, ainsi que le pouvoir discrétionnaire d"admettre certains anciens membres des Waffen-SS et les petits collaborateurs. La politique intégrant ces modifications a été approuvée par le Comité de la sécurité en mai 1952, dans les termes suivants51 :

         [traduction]

         ... les personnes suivantes devraient se voir refuser l"entrée au Canada comme immigrants :
         a)      Les anciens membres des SS, de la Sicherheitsdienst, de l"Abwehr, de la Gestapo, et les anciens membres du parti nazi qui, en vertu de la directive no 38 du 12 octobre 1946 du Conseil de contrôle interallié, étaient considérés comme des grands criminels ou comme des criminels qui, selon la preuve dont disposait l"agent de sécurité, appartenaient, de l"avis de celui-ci, à l"une ou l"autre de ces catégories. Il faudrait veiller en particulier à exclure les responsables des actes de brutalité commis dans les camps de concentration ou dans les camps de travail.
         b)      Les anciens membres des Waffen S.S., sauf :
             i.      Les personnes de nationalité allemande qui se sont enrôlées avant l"âge de 18 ans, lorsqu"il y a des motifs raisonnables de croire qu"elles ont été mobilisées ou forcées de s"enrôler.
             ii.      Les Volksdeutsche qui résidaient à l"époque dans un territoire occupé par les Allemands, qu"ils aient plus tard été naturalisés Allemands ou non, lorsqu"il y a des motifs raisonnables de croire qu"ils ont été mobilisés ou forcés de s"enrôler.
             iii.      Les Volksdeutsche et autres nationalités qui ont été relocalisés et naturalisés Allemands avant de s"enrôler, lorsqu"il y a des motifs raisonnables de croire que ce n"était pas leur choix d"être naturalisés et des motifs raisonnables de croire qu"ils ont été mobilisés ou forcés de s"enrôler.
             iv.      Les personnes de nationalité allemande, les Volksdeutsche résidant à l"époque dans des territoires qui n"étaient pas occupés par la Wehrmacht, qu"ils se soient fait naturaliser Allemands plus tard ou non, ou les autres nationalités, lorsque ces personnes peuvent convaincre l"agent de sécurité qu"elles ont été mobilisées ou forcées de s"enrôler.
         c)      Les anciens collaborateurs, qui devraient être exclus pour des raisons de turpitude morale, sauf les petits collaborateurs qui ont agi sous la contrainte.

Cette décision a été transmise à la GRC51.

[96]      La question de savoir si les modifications apportées par le Comité de la sécurité ont été appliquées de façon correcte par les agents de sécurité à Karlsruhe, ou s"ils n"en ont pas fait de cas, ainsi que les incidences juridiques de cette situation, a été soulevée en l"instance au cours du contre-interrogatoire des anciens agents de sécurité. La question principale était liée à l"alinéa a) de la politique adoptée en mai 1952.

[97]      Lorsque M. Kelly, alors agent de liaison de la GRC à Londres, a été avisé de ces changements en août 1952, il a écrit à Ottawa pour demander qu"on clarifie l"effet prévu de la modification à la clause (a) sur les demandeurs qui étaient d"anciens membres des organisations mentionnées, autres que le parti nazi. Il y a eu un échange de lettres, qui s"est terminé par une lettre de M. Kelly à Ottawa en date du 21 janvier 195351, dans laquelle il énonçait ce qu"il avait retenu de cet échange et annexait sa propre liste des " motifs de rejet ", liste qu"il se proposait de distribuer aux agents sur le terrain sauf avis contraire. Cette liste ne comprend que les motifs de rejet pour raison de sécurité qui intéressaient la GRC à Londres, et elle devait être utilisée comme un guide par les agents sur le terrain. En contre-interrogatoire, M. Kelly a témoigné que les divergences mentionnées au début de sa correspondance avec Ottawa avaient été aplanies et que la liste qu"il avait préparée a été distribuée aux agents en Europe51. Il a admis que pour arriver à cette conclusion, il s"était fondé sur un examen des documents, réalisé à l"occasion de son témoignage il y a quelques années devant la Commission Deschênes51, puisqu"à ce moment-là, il ne se souvenait pas de ce qui avait été fait en définitive.

[98]      La liste des motifs préparée par M. Kelly est la suivante51 :

[traduction]
MOTIFS DE REJET
Les motifs de rejet sont les suivants :
A.      (I)      Communiste connu ou personne soupçonnée de l"être.
     (II)      Agent communiste connu ou personne soupçonnée de l"être.
     (III)      Agitateur communiste.
     (lV)      Sympathisant communiste.
B.      Les anciens membres de :
     (I)      Les Allgemeine SS      Tous les anciens membres.
     (II)      Le SA      Tous les officiers à partir de Unteroffizier et toutes les personnes qui sont devenues membres avant le 1er avril 1933, quel que soit leur grade.
     (III)      La SD      Tous les anciens membres.
     (lV)      La Abwehr      Tous les anciens membres.
     (V)      La Gestapo      Tous les anciens membres.
     (Vl)      Les Waffen SS      Tous les anciens membres à partir du grade de Unteroffizier, même s"ils ont été mobilisés ou forcés de s"enrôler.
             Tous les anciens membres de rang inférieur à Unteroffizier, sauf s"il y a des motifs raisonnables de croire qu"ils ont été mobilisés ou forcés de s"enrôler.
             En pratique, on compte qu"il n"y a eu ni mobilisation, ni enrôlement de force avant le 31 décembre 1943.
             Tous les anciens membres du TOTENKOPFVERBANDE et du personnel des camps de concentration.
C.      Le N.S.D.A.P. et ses organismes affiliés.
             Les anciens membres qui avaient un grade important ou qui étaient très actifs.
H.      Personne évasive ou qui ne dit pas la vérité lors de son interrogatoire.
I.      Défaut de produire des documents reconnaissables et acceptables.
J.      Déclaration inexacte; usage d"un nom faux ou fictif.
K.      Les collaborateurs, si l"enquêteur considère que la nature de la collaboration est assez sérieuse pour justifier le rejet.
L.      Politique vis-à-vis le parti fasciste à venir.
M.      Trotskyste ou membre de la MAFIA ou d"un mouvement révolutionnaire.

[99]      M. Cliffe, un ancien agent de sécurité, a témoigné qu"alors qu"il était en Allemagne en 1953-1954, ce document (Motifs de rejet) était utilisé par les agents sur le terrain. MM. Kelly et Cliffe ont tous deux témoigné que les agents sur le terrain ont continué à rejeter automatiquement les anciens membres des SS, de la Sicherheitsdienst, de l"Abwehr et de la Gestapo. Ni M. Cliffe ni M. Poole, un autre agent de sécurité, étaient au courant du texte de la décision du Comité de la sécurité de mai 1952 alors qu"ils étaient en poste comme ACV.

[100]      On soutient au nom de M. Oberlander que la liste des critères de rejet distribuée par M. Kelly à ses agents sur le terrain n"était pas une liste autorisée et que les critères de rejet légitimes existant en mai 1952 étaient ceux qui avaient été rédigés par le Comité de la sécurité52. La déclaration du Comité de la sécurité se trouve dans une note de service du 19 juin 1953, adressée à ou en provenance de l"agent responsable à Karlsruhe, et elle se réfère aux " anciens membres de la Waffen S.S. "52. Ce document énonce les clauses (a) et (b) de la déclaration du Comité de la sécurité, mais il ne fait aucune mention de la clause (c) qui porte sur les collaborateurs. Ceci indique que les clauses répétées dans ce document étaient connues de l"agent responsable à Karlsruhe. Néanmoins, il n"y a aucune preuve que les autorités à Ottawa aient réagi négativement à l"énoncé des Motifs de rejet préparé par M. Kelly, alors que ce dernier avait demandé leurs commentaires avant de distribuer le document à ses agents en Europe à titre de guide. De plus, son objectif était d"énoncer de façon complète les critères de rejet, y compris ceux qui avaient été approuvés par le Comité de la sécurité en mai 1952 et avant, dans des termes qui pouvaient être immédiatement utiles sur le terrain. Ainsi, les agents n"avaient pas à interpréter la directive no 38 du 12 octobre 1946 du Conseil de contrôle interallié, dont il est question dans la déclaration du Comité de la sécurité53. Selon son interprétation de la directive interalliée, les membres des SS, de la Sicherheitsdienst, de l"Abwehr et de la Gestapo étaient des criminels au sens de la directive et devaient donc être automatiquement exclus en vertu de la décision du Comité de la sécurité. L"avocat de M. Oberlander a soutenu que l"interprétation donnée par M. Kelly à la directive interalliée était erronée, déraisonnable, ou illégale. Je ne suis pas convaincu que ce soit le cas. Cette déclaration devait servir de guide aux agents sur le terrain. Si elle n"avait pas été acceptable à cette fin, on peut supposer que les autorités à Ottawa s"y seraient opposées, comme elles l"avaient fait dans la correspondance antérieure avec M. Kelly au sujet de la décision du Comité de la sécurité. Il n"y a aucune trace d"objection. Il avait demandé le point de vue des autorités d"Ottawa avant d"envoyer la liste modifiée des Motifs de rejet aux agents sur le terrain.

[101]      MM. Cliffe et Poole, d"anciens agents de sécurité, ont tous deux indiqué qu"ils avaient utilisé les Motifs de rejet préparés par M. Kelly en traitant les dossiers des candidats à l"immigration en Allemagne. M. Cliffe l"a fait en 1953-1954, et M. Poole lorsqu"il a passé deux semaines à Karlsruhe en 1954 et par la suite à Munich et à Stockholm.

[102]      Trois anciens agents des visas du ministère de l"Immigration ont témoigné en l"instance. M. Donald Archie Dubé a été en poste comme agent des visas chargé du traitement des demandes d"immigration à Karlsruhe et à Berlin en 1953 et 1954. M. Roger St. Vincent était rattaché à Karlsruhe de 1948 à 1952, mais il faisait partie d"une des " équipes volantes " qui était composée d"un agent de sécurité, d"un médecin et d"un agent d"immigration. Ces équipes étaient totalement consacrées au traitement des réfugiés et des personnes déplacées dans les camps à travers l"Allemagne. Le troisième agent des visas, M. Joseph Aldard Walter Gunn, a été en poste à Bruxelles de 1954 à 1957. Aucun d"entre eux n"a procédé à des contrôles de sécurité, mais ils ont tous été l"agent d"immigration qui faisait partie d"une équipe chargée de sélectionner les candidats à l"immigration, qui comprenait aussi un agent de sécurité ou ACV et un médecin. Leur témoignage, ainsi que celui des trois anciens agents de la GRC qui étaient impliqués dans le contrôle de sécurité, consiste en une description du processus utilisé dans l"examen des demandes d"immigration. À leur avis, c"est le processus qui était utilisé généralement en Europe, notamment en Allemagne et donc à Karlsruhe.

[103]      Parmi les anciens agents de la GRC, on trouve M. William Kelly, ancien sous-commissaire de la Force, qui était en poste à Londres de juin 1951 à août 1954 en tant qu"agent de liaison de la GRC. À ce titre, il supervisait toutes les opérations de contrôle de sécurité entreprises par des agents de sécurité en Europe. De plus, M. Donald Douglas Cliffe, ancien surintendant en chef du district 2 en Colombie-Britannique, poste qu"il occupait à sa retraite, a été agent de sécurité à Rome et à Naples de 1951 à 1953, et ensuite à Munich, poste qui était rattaché à Karlsruhe, de 1953 à 1954. Il était à Stockholm et à Berne de 1954 à 1958 et a témoigné quant à la nature de son travail comme ACV. M. William James Henry Poole, qui a reçu sa formation d"agent de sécurité à Karlsruhe lors d"une période de deux semaines en 1954, a été en poste à Munich pendant trois ans, pour ensuite aller à Stockholm et à Stuttgart. Il a aussi témoigné quant à la nature du travail de l"ACV sur le terrain.

[104]      On a posé certaines questions quant à la pertinence de la preuve établie par ces anciens agents de sécurité, puisque leurs périodes et lieux de service ne comprenaient pas la période de 1952 à 1954 à Karlsruhe, alors que la demande de M. Oberlander a été étudiée et qu"on lui a délivré un visa pour venir au Canada. J"ai admis cette preuve. Il est clair que même si ces personnes n"étaient pas à Karlsruhe à l"époque en cause ici, elles avaient une expérience directe du processus utilisé pour examiner les demandes d"immigration au début des années 50. Par suite des ses responsabilités de direction de tous les ACV en Europe, M. Kelly visitait régulièrement les divers bureaux en Europe où les agents de la GRC étaient responsables du contrôle de sécurité, y compris celui de Karlsruhe. Il surveillait leur travail et examinait leurs dossiers. De plus, son bureau avait la responsabilité de la mise en commun des renseignements à l"usage des ACV. M. Cliffe a été en poste en Europe, brièvement à Karlsruhe, et alors qu"il était rattaché à Karlsruhe, il a travaillé à Munich de l"été 1954 à l"automne 1954. M. Poole a été en poste en Allemagne à partir de quelques semaines après l"arrivée de M. Oberlander au Canada, dont deux semaines de formation au début à Karlsruhe. Rien dans la preuve n"indique qu"il y ait eu des changements dans les procédures qui feraient que son témoignage ne serait pas pertinent quant à la procédure d"application générale alors en vigueur.

[105]      Lorsqu"il s"agissait des candidats à l"immigration au Canada à titre indépendant, qui n"étaient pas parrainés par des parents au Canada ou acceptés comme des personnes déplacées dans le cadre des quotas établis pour le marché du travail, la procédure ordinaire prévoyait que le candidat à l"immigration devait compléter un formulaire de demande. Ce formulaire, ainsi que les questions qu"il contenait, a eu diverses formes. La détermination du formulaire utilisé lorsque M. Oberlander a fait sa demande pour venir au Canada a une certaine importance, et j"y reviendrai après avoir décrit la procédure générale.

[106]      Lorsque le Bureau d"immigration du Canada recevait un formulaire complété, on l"examinait rapidement dans le cadre d"un processus de " sélection administrative ", qui permettait d"éliminer tout demandeur qui n"avait aucune chance d"être accepté. Si la demande passait cette étape, on créait un dossier qui était envoyé à l"agent des visas représentant le ministère de l"Immigration dans l"équipe de traitement des demandes. Ce dernier le transmettait à l"agent de contrôle des visas. L"ACV utilisait ces dossiers pour préparer une liste des demandeurs et, ensuite, une " formule verte " pour chaque demandeur. On y trouvait un bref énoncé de l"identité du demandeur et des renseignements à son sujet, avec l"adresse de ses résidences et son dossier d"emploi pour les dernières années, lorsque ces renseignements étaient inscrits au formulaire. La liste, ou la formule verte, était envoyée par l"ACV aux services de police et de renseignements. En Allemagne, on envoyait ces demandes, par l"entremise des autorités américaines, au Centre de documentation de Berlin, où une bonne partie des dossiers du Troisième Reich était conservée, afin d"essayer d"obtenir des renseignements additionnels au sujet d"un demandeur. Lorsque les formules vertes étaient retournées par les sources externes de renseignements, généralement dans les six semaines après leur envoi par l"ACV, on prenait des dispositions pour convoquer le demandeur à une entrevue. Pour les demandeurs indépendants en Allemagne, ce qui ne comprend pas les personnes déplacées résidant dans les camps, les entrevues avaient lieu à Karlsruhe. Tous les demandeurs étaient convoqués à Karlsruhe, où ils devaient se présenter avec les documents requis. Le jour prévu, lorsque le demandeur se présentait avec ses documents, il était reçu en entrevue, d"abord par l"agent de sécurité, ensuite par le médecin, et finalement par l"agent des visas. L"agent des visas ne procédait à l"entrevue et à l"examen du dossier d"un candidat qu"après l"évaluation de l"agent de sécurité et du médecin. Les familles étaient généralement regroupées. Quant aux maris et femmes, ils étaient normalement reçus ensemble, du moins pour l"entrevue finale avec l"agent des visas et quelquefois pour l"entrevue avec l"agent de sécurité.

[107]      Le rôle de l"agent de sécurité était d"évaluer le candidat à l"immigration eu égard aux critères de sécurité. MM. Kelly, Cliffe et Poole ont fait une description cohérente de la procédure. On s"intéressait à ce que le demandeur avait fait depuis 1938 ou 1939, ainsi qu"à son lieu de résidence durant cette période. Si le demandeur provenait d"un autre pays, on lui demandait à quelle date et dans quelles circonstances il était arrivé en Allemagne, ou dans le pays où il faisait sa demande. On posait des questions sur les activités durant les années de guerre, ainsi que sur le lieu de résidence et l"expérience militaire du demandeur au fil des ans, y compris durant les années de guerre. Si un demandeur de sexe masculin avait l"âge d"avoir servi dans les forces armées ou autres services durant la guerre, on lui posait des questions très détaillées.

[108]      En réponse à une question au sujet des critères et de la façon dont il les appliquait, M. Cliffe a répondu ceci :54

             [traduction]
             Q. Je vais vous montrer un autre document, Monsieur. Pourrais-je avoir le classeur du défendeur. M. Cliffe, je vous montre maintenant un document, savoir la dernière page de la pièce 11 du défendeur. Pourriez-vous y jeter un coup d"oeil. Il semble qu"il s"agisse d"une note de service intitulée Motifs de rejet.
             [Note : le document en question est la déclaration préparée par M. Kelly en janvier 1952.]

             ...

                 Q. Ces critères étaient-ils en vigueur lorsque vous serviez en Allemagne?
                 R. Je vous demande pardon?
                 Q. Ces critères étaient-ils en vigueur lorsque vous serviez en Allemagne?
                 R. Oui, en 1953.
                 Q. Sont-ils restés en vigueur durant --
                 R. Durant tout le temps où j"y étais.
                 Q. Bien. Comment les interprétiez-vous, par exemple si vous aviez une preuve qu"un candidat avait été membre de l"Allgemeine-SS ou des SA, ou quelque chose du genre, est-ce que vous alliez plus loin ou était-ce -- appliquiez vous ces critères de façon stricte?
                 R. Eh bien, si cet homme avait servi durant la Deuxième Guerre mondiale, qu"il ait été Allemand ou non-Allemand, nous commencions comme ceci : Où avez-vous servi durant la guerre? S"il était honnête et déclarait " Eh bien, je faisais partie de l"Allgemeine-SS. " Je vois. Nous prenions constamment des notes. Où êtes-vous né et à quelle date? Qui êtes-vous? Que faisiez-vous, et ainsi de suite.
                 Nous arrivons maintenant à la période de guerre. Qu"avez-vous fait? J"étais dans les Allgemeine-SS. Dans quelle branche de Allgemeine-SS étiez-vous? Eh bien, j"étais dans la Sicherheitsdienst. J"étais dans la police secrète. Je vois. Combien de temps avez-vous été avec eux? Quel était votre grade? Qui était votre patron? Qui vous donnait vos instructions? Que faisiez-vous? Où se trouvait votre unité? Combien de temps y êtes-vous resté? Où êtes-vous allé alors et quel était votre travail pendant tout ce temps? Quand avez-vous quitté la Sicherheitsdienst? Étiez-vous en uniforme? Étiez-vous armé? Étiez-vous en civil? Quelle était la nature de votre travail? Nous nous intéressions à toutes ces choses. Mais il était rejeté du moment qu"il était dans la SD. Toutefois, j"obtenais le plus de renseignements possible au sujet de ce qu"il avait fait.

M. Cliffe a expliqué pourquoi il posait toutes ces questions de détail. Tout d"abord, il désirait avoir un dossier aussi complet que possible au sujet des antécédents du demandeur, même si celui-ci devait être rejeté. Deuxièmement, le détail du service du demandeur était intégré aux données générales de sécurité disponibles au sujet des services des unités militaires et de police allemande durant la guerre, et de leur lieu d"opération. Ces renseignements étaient utiles dans le cadre plus général de l"examen des demandes.

[109]      En autant que possible, les agents de sécurité voulaient s"assurer, à partir des renseignements contenus dans le formulaire et dans les rapports de leurs propres sources de renseignements, ainsi que ceux obtenus à l"entrevue, qu"ils pouvaient identifier et rejeter toutes les personnes impliquées dans les activités communistes ou nazies, s"il y avait le moindre doute qu"elles étaient visées par les catégories de rejet. En cas de doute, on donnait le bénéfice du doute au Canada en rejetant le demandeur. L"ACV inscrivait sa décision au dossier à la fin de l"entrevue sous la forme suivante : " passe l"étape B " ou " ne passe pas l"étape B ". On n"informait pas le demandeur du but de cette entrevue. MM. Cliffe et Poole ont reconnu qu"un demandeur astucieux aurait certainement su, au vu de la nature des questions, que l"objectif de l"entrevue visait la sécurité ou des motifs politiques.

[110]      Cette décision était finale. La preuve démontre clairement que cette conclusion était acceptée par l"agent des visas, à moins qu"il ait eu un motif précis de renvoyer la question pour un examen plus approfondi. De plus, l"agent d"immigration ne recevait pas un candidat en entrevue avant que l"agent de sécurité n"ait fait son évaluation. Cette exigence est confirmée par le témoignage des anciens agents de sécurité et d"immigration.

[111]      Même ceux qui recevaient la mention " n"a pas passé l"étape B " étaient reçus par le médecin et l"agent des visas. Ceci permettait de dissimuler le fait que la décision pouvait être fondée uniquement sur des motifs de sécurité. Cette pratique était conforme à la politique du gouvernement55 qu"on ne devait pas faire savoir à un candidat qu"il était rejeté pour des motifs de sécurité. Afin d"être admissible et d"obtenir un visa, un candidat devait passer les trois étapes, savoir l"étape B ou le contrôle de sécurité, l"examen médical, ce qui comprenait l"approbation des radiographies demandées, ainsi que la démonstration à un agent des visas qu"il satisfaisait à toutes les autres exigences de la Loi sur l"immigration.

[112]      Les familles désireuses de venir au Canada étaient traitées au même moment, souvent ensemble pour l"examen médical et l"entrevue avec l"agent des visas, et peut-être même pour l"autorisation de sécurité. Ceux qui obtenaient l"approbation de l"ACV et du médecin, et qui satisfaisaient aux exigences de la Loi , ainsi qu"à toute exigence liée à l"emploi, étaient admissibles. Du moment qu"ils pouvaient démontrer à l"agent des visas qu"ils avaient un passeport ou autre document de voyage valide et qu"il était raisonnable qu"ils obtiennent un transport jusqu"au Canada leur permettant d"arriver dans le délai prévu par le certificat médical, qui était en fait la période de validité des radiographies, soit de quatre à six mois, on leur octroyait un visa par l"apposition d"un tampon dans leur passeport.

[113]      C"est cette procédure qui était utilisée à Karlsruhe, du moins celle que M. Kelly prescrivait et qu"il croit avoir été utilisée. C"est aussi cette procédure que MM. Cliffe et Poole, Gunn, St. Vincent et Dubé croient avoir été utilisée à Karlsruhe. Aucune de ces personnes n"a eu connaissance en Allemagne, dans la période allant de 1952 à 1954, du cas d"un immigrant indépendant qui se serait vu délivrer un visa sans l"accord d"un agent de contrôle des visas suite à une entrevue. Il a été admis par M. Gunn qu"à Bruxelles, et par M. Poole qu"à Stockholm, on pouvait approuver une demande et délivrer un visa sans tenir d"entrevue de sécurité, lorsque le demandeur était natif de la Belgique ou de la Suède, respectivement, et que les services de police et de sécurité de ces pays n"avaient aucun dossier sur la personne en question. On a présenté en preuve en l"instance le fait que M. Kelly a visité la Belgique pour faire enquête au sujet d"une situation où on avait accordé une approbation à l"étape B sans entrevue, pratique qu"il a approuvée par la suite lorsque le candidat à l"immigration au Canada était né en Belgique et y avait vécu toute sa vie, et que les autorités belges n"avaient aucun dossier négatif à son sujet. Ce n"était aucunement la pratique en Allemagne, où tous les demandeurs devaient être reçus en entrevue par un ACV.

[114]      Le témoignage de MM. Kelly, Cliffe et Poole porte qu"un agent de sécurité procédait toujours à une entrevue, en plus de vérifier les dossiers de police et d"autres sources, sauf dans certaines situations précises en Belgique et en Suède, comme nous l"avons fait remarquer. On a soutenu, au nom du demandeur, que ces exceptions à la procédure générale indiquent que l"ACV avait le pouvoir discrétionnaire de décider s"il fallait tenir une entrevue ou non. Rien dans la preuve n"indique une telle chose, et je ne suis pas convaincu que ce pouvoir discrétionnaire existait à Karlsruhe. MM. Kelly, Cliffe et Poole n"ont pas eu connaissance d"un cas traité à Karlsruhe où l"autorisation de sécurité aurait été donnée sans entrevue. MM. Cliffe et Poole ont tous deux déclaré qu"en examinant les candidatures reçues en Allemagne, ils procédaient toujours par une entrevue avec le candidat après avoir obtenu tous les renseignements possibles suite aux demandes envoyées aux services de police et de renseignements. Lorsqu"on lui a demandé pourquoi on procédait à une entrevue lorsqu"il n"y avait aucun élément négatif dans les dossiers de police, M. Poole a déclaré que l"entrevue était obligatoire. MM. Cliffe et Poole ont tous deux témoigné qu"un candidat à l"immigration qui avait servi comme interprète de la SD dans une unité d"un Einsatzgruppe aurait été automatiquement rejeté.

[115]      Je conclus que la procédure de traitement des demandes décrite par les anciens agents des visas et ACV étaient celle qui était utilisée à Karlsruhe durant la période s"étendant de 1952 à 1954. La question de savoir si cette procédure a été suivie lors de la demande d"immigration au Canada présentée par M. et Mme Oberlander est une question fondamentale en l"instance.

[116]      On a soulevé deux questions au sujet de l"application des critères de rejet. La première question, qui porte sur l"existence ou l"absence d"un pouvoir discrétionnaire lorsque l"agent de sécurité évaluait les personnes membres des organisations mentionnées à la clause (a) de la décision de mai 1952 du Comité de la sécurité a été traitée lors de l"examen du statut des motifs de rejet distribués par M. Kelly au début de 1953. La deuxième question, dont on n"a pas traité longuement dans la preuve, porte sur l"application de la clause des critères de rejet portant sur les " collaborateurs ". Ce terme a une définition un peu différente selon qu"on se rapporte à la décision du Comité de la sécurité, ou à la déclaration de M. Kelly portant sur les motifs de rejet. On a donc posé des questions à l"audience sur la façon dont MM. Kelly, Cliffe et Poole interprétaient ce terme.

[117]      En contre-interrogatoire, M. Kelly a défini un collaborateur de la façon suivante : [traduction] " un non-Allemand qui a aidé l"ennemi de son propre gré, ou même contre son gré, selon les circonstances "56. Il n"était pas d"accord avec la suggestion qu"il y aurait eu une certaine confusion au sujet du sens de ce terme parmi les agents de la GRC. Il n"a pas non plus accepté comme valable la définition présentée par un ancien agent de la sécurité dans une autre affaire, qui restreindrait le sens de ce terme aux personnes ayant aidé les Allemands à gouverner un pays occupé.

[118]      M. Cliffe n"a parlé que brièvement des collaborateurs, et ses commentaires indiquent qu"il interprète ce terme de la même façon que M. Kelly. En parlant généralement des Volksdeutsche, il a déclaré que lorsque les Allemands avaient envahi leur pays et que ceux-ci avaient travaillé avec les Allemands, [traduction ] " c"était des collaborateurs "57. Lorsqu"on a demandé à M. Poole, lors de son contre-interrogatoire, comment il interprétait ce terme, il a dit que " collaborer " consistait à aider quelqu"un ou une organisation à atteindre les buts qu"il ou qu"elle visait, savoir [traduction ] " les aider à procéder ". Il a aussi déclaré que cela pouvait vouloir dire que la personne qui aidait partageait les croyances de la personne ou de l"organisation en cause58.

[119]      Bien qu"il ait pu y avoir quelques divergences entre les agents de sécurité au sujet de l"application du critère " collaborateur " dans un cas donné, je ne suis pas convaincu qu"en 1953, peu de temps après la fin de la Deuxième Guerre mondiale, il y avait des divergences sérieuses entre eux au sujet de ce terme lorsqu"ils traitaient avec des personnes qui avaient participé activement aux activités de l"ennemi contre les intérêts de leur propre pays.

Les formulaires de demande pour les candidats à l"immigration au début des années 50

[120]      On m"a présenté en preuve au moins trois versions du formulaire de demande utilisé par le service d"immigration du Canada au début des années 50. Il s"agit du formulaire qu"on a par la suite appelé le formulaire O.S.8, qui était utilisé pour les personnes demandant à être admises au Canada comme immigrants indépendants.

[121]      Une version antérieure du formulaire O.S.8, qui porte la mention " Rev. 15-12-50 " et qui est dactylographié, fournit de la place pour noter, entre autres, les renseignements suivants :

         - Les adresses antérieures dans d"autres pays de résidence
         - La citoyenneté
         - Les date, lieu et pays de naissance
         - Les langues parlées ou écrites
         - Les noms et adresses de l"employeur actuel, ou du dernier employeur, le poste
         occupé et les dates d"emploi
         - Des renseignements analogues au sujet de l"emploi occupé le plus longtemps au
         cours des 10 dernières années et du nombre d"emplois occupés au cours de cette
         période.

[122]      D"autres versions du formulaire O.S.8 ont été produites en 1953, ou plus tard, pour utilisation en Allemagne. On y trouve des questions plus spécifiques au sujet des anciennes adresses, ainsi que des emplois ou de l"expérience militaire ou de prisonnier de guerre pendant une période de dix ans ou plus, ce qui comprenait les années de la Deuxième Guerre mondiale. On y trouve aussi une question qui porte sur la date et les circonstances de l"arrivée en Allemagne lorsque le candidat était originaire d"un autre pays. Tous ces renseignements étaient fort intéressants et significatifs du point de vue de l"ACV, comme en ont témoigné MM. Kelly, Cliffe et Poole. C"est notamment ce type de renseignements qui était utilisé par l"ACV dans la préparation du " formulaire vert " qui était envoyé aux divers services de police et de sécurité afin d"obtenir des renseignements additionnels.

[123]      Rien dans la preuve qui m"a été présentée démontre que le formulaire utilisé en Allemagne au printemps de 1952, date à laquelle je conclus que M. Oberlander a présenté sa demande, contenait autre chose que les questions générales que l"on trouve dans le formulaire daté " Rev. 15-12-50 ", que j"ai résumées en partie. Il n"y a pas de questions spécifiques au sujet des adresses et des emplois pour une période de dix ans et plus, ou demandant des renseignements sur le service durant la guerre. Le témoignage de M. Oberlander portant que le formulaire qu"il a rempli ne comportait aucune question au sujet de ses activités durant la guerre tend à démontrer que c"est ce formulaire qu"on lui a donné, et non celui qui a été produit plus tard. Néanmoins, je suis d"avis que les questions posées dans le formulaire " Rev. 15-12-50 ", y compris celles que j"ai résumées et d"autres questions portant sur des données biographiques, suffisaient à établir l"identité du demandeur aux fins d"obtenir l"information recherchée auprès des sources de l"agent de sécurité, fournissant ainsi une base à l"entrevue du candidat.

[124]      L"avocat du ministre aurait voulu que j"arrive à la conclusion que les Oberlander ont présenté leur demande d"admission au Canada au printemps de 1953 plutôt qu"en 1952. Ceci pourrait expliquer pourquoi il s"est passé plus d"un an entre leur demande d"avril 1952 et leur convocation à l"entrevue. On a aussi dit que ceci pourrait expliquer l"affidavit de mai 1953 présenté par une personne parrainant M. Oberlander, affidavit qu"il déclare avoir apporté avec lui à Karlsruhe. De plus, M. Oberlander a admis qu"il pouvait avoir pris connaissance des dates indiquées sur les diverses versions du formulaire O.S.8 présentées à la Cour, suite à un examen par son ancien avocat des documents produits par le ministre en préparation du dossier visant l"Avis de révocation du ministre.

[125]      Je ne suis pas convaincu que la demande des Oberlander ait été présentée à Karlsruhe en 1953. Je conclus plutôt que, comme en ont témoigné M. et Mme Oberlander, elle a été soumise en avril 1952. Ils ont identifié cette date parce qu"ils se souvenaient que l"épouse de la première personne à parrainer M. Oberlander pour un emploi était enceinte à l"époque. On a déclaré qu"elle avait donné naissance en 1952, à peu près un mois après qu"ils eurent présenté leur demande. De plus, le temps nécessaire au traitement de leur demande, y compris le temps requis pour qu"ils se procurent les radiographies et les documents nécessaires, aurait difficilement permis qu"on leur donne un avis raisonnable de se présenter à une entrevue le 14 août si leur demande n"avait été soumise qu"en avril 1953.

[126]      En résumé, au sujet du formulaire de demande utilisé en Allemagne au début des années 50, bien qu"il n"y ait aucune preuve directe sur cette question autre que le témoignage de M. Oberlander, je conclus que selon la prépondérance des probabilités, sa demande d"admission au Canada a été présentée à la date dont il se souvient, soit en avril 1952. Je conclus donc qu"il doit avoir utilisé un formulaire O.S.8 daté " Rev. 15-12-50 ", où il n"y a pas de questions précises au sujet des activités ou des déplacements durant la guerre. On demandait notamment dans ce formulaire les anciennes adresses dans d"autres pays de résidence, ainsi que des renseignements sur l"emploi occupé le plus longtemps au cours des dix dernières années et le nombre d"emplois occupés au cours de cette période. Je conclus que le formulaire O.S.8, rempli honnêtement, aurait fourni suffisamment de renseignements d"identité pour permettre à un agent de sécurité de préparer un formulaire vert afin d"obtenir d"autres sources des renseignements qui auraient servis de fondement à l"entrevue de M. Oberlander.

Le traitement de la demande d"immigration au Canada des Oberlander à Karlsruhe

[127]      Comme nous le verrons ci-après, le témoignage des Oberlander porte qu"ils ont été reçus en entrevue seulement par un médecin et par un agent, qui semblerait être un agent des visas d"après la description qu"ils font de l"entrevue. Les Oberlander ont témoigné qu"on ne leur a posé aucune question au sujet du service ou des activités de M. Oberlander durant la guerre.

[128]      Leur témoignage portant que personne à l"entrevue n"a posé de questions quant aux expériences de M. Oberlander durant la guerre n"est pas le seul témoignage de cette nature présenté en l"instance. Quelqu"un d"autre, soit M. Peter Bufe, s"est présenté au procès et a témoigné quant au traitement de sa propre demande d"admission au Canada à Karlsruhe. Il croit y avoir été reçu en entrevue en juin 1952. Il a reçu son visa en février 1953 et est arrivé au Canada en mai 1953. Ses souvenirs sont analogues à ceux des Oberlander, du moins en ce qui concerne le fait qu"il n"aurait pas été interrogé quant à ses activités durant la guerre.

[129]      Les Oberlander et les Bufe ont demandé l"admission au Canada au début de 1952. M. Bufe a témoigné qu"il a été reçu en entrevue à Karlsruhe en juin 1952 et qu"il est arrivé au Canada en mai 1953. Les Oberlander ont été reçus en entrevue à Karlsruhe en août 1953. Ils sont revenus à Karlsruhe en février 1954, où ils ont reçu leur visa. Ils sont entrés au Canada en mai 1954, une année après le couple Bufe.

[130]      M. Bufe et M. Oberlander ont tous deux reconnu qu"ils ont présenté leur demande en remplissant et en soumettant un formulaire qui leur avait été remis par les autorités d"immigration canadienne, et que, lorsqu"ils ont été convoqués séparément à une entrevue à Karlsruhe, ils ont apporté avec eux les documents requis. M. Bufe ne se souvient d"aucun détail au sujet du formulaire de demande. Mme Oberlander ne se souvenait pas du formulaire de demande, que son mari a rempli au nom de la famille. Quand on lui a demandé lors de son interrogatoire principal s"il pouvait se souvenir de quelque chose au sujet du formulaire de demande, [traduction ] " qui ne provenait pas de son examen d"autres documents, mais simplement de ses souvenirs personnels ", M. Oberlander a répondu [traduction ] " rien de particulier "59. Lors de son contre-interrogatoire, on lui a montré un certain nombre de formulaires O.S.8. M. Oberlander a témoigné que le formulaire qu"il avait rempli et remis au bureau de Karlsruhe ne contenait aucune question au sujet du service militaire59. En 1995, lorsque les enquêteurs de la GRC lui ont montré un formulaire de demande en lui demandant s"il en avait rempli un semblable, il a déclaré ne pas se souvenir. À l"audience, il n"avait aucun souvenir détaillé du formulaire, sauf qu"il était certain qu"on ne lui avait pas demandé de répondre à une question écrite portant sur ses activités et son service durant la guerre.

[131]      J"examinerai d"abord le témoignage de M. Oberlander. Il déclare très clairement qu"on ne lui a posé aucune question dans le formulaire au sujet de son service durant la guerre et qu"après avoir été examinés séparément par un médecin à Karlsruhe, sa femme et lui ont été reçus ensemble en entrevue par un agent d"immigration qui n"a posé aucune question au sujet de ses activités durant la guerre. Aucune question n"a été posée au sujet des renseignements contenus dans le certificat de démobilisation qu"on lui a remis lorsqu"il a été libéré du camp britannique de prisonniers de guerre près de Hanovre en 1945, document qu"il a présenté à son entrevue à Karlsruhe. On se souviendra que ce document indiquait " Landarbeiter " comme profession dans le civil, et que son domicile était donné comme Burgdorf, Celle, Lüneburg. Son lieu de naissance était correctement noté comme Halbstadt, sans que son pays d"origine, l"Ukraine, ne soit mentionné. On y indiquait aussi le fait qu"il était libéré de la HEER (l"armée).

[132]      M. Oberlander a témoigné qu"il se souvenait très clairement du fait que le seul agent d"immigration qu"ils ont rencontré à Karlsruhe n"avait posé aucune question au sujet des ses activités durant la guerre. En fait, il était très amical et leur avait demandé où ils désiraient se rendre au Canada. Lorsqu"ils lui ont dit qu"ils avaient l"intention d"aller à Kitchener, l"agent a souligné que c"était là un centre important pour les personnes d"origine allemande. Quand on leur a demandé à quel moment ils voulaient se rendre au Canada et qu"il est devenu apparent qu"ils n"avaient pas l"intention de partir avant le 14 décembre 1953, mais plutôt au printemps alors qu"il y avait plus de travail dans la construction, l"agent leur a dit qu"ils devraient revenir au mois de février suivant avec de nouvelles radiographies s"ils voulaient arriver au Canada pour le mois de mai.

[133]      On ne leur a pas délivré un visa en août 1953. Les passeports des Oberlander, ainsi que leur demande et les documents à l"appui, du moins ceux qui avaient été présentés jusque là, sont restés au bureau d"immigration à Karlsruhe. M. Oberlander ne se souvenait pas si on l"a contacté pour lui demander de nouvelles radiographies en février 1954, ou s"il avait simplement pris l"initiative de les fournir. Il les a effectivement fournies, les apportant à Karlsruhe le 23 février 1954. Après qu"il eut remis les radiographies à la réceptionniste, et attendu une courte période de temps, on lui a remis son passeport et celui de Mme Oberlander avec le cachet de Santé nationale et Bien-être Canada, ainsi qu"un visa daté du 23 février 1954, à présenter au port d"entrée au Canada au plus tard le 23 juin 1954.

[134]      Selon son témoignage, M. Oberlander et son épouse sont restés ensemble au bureau d"immigration canadien à Karlsruhe le 14 août 1953, tant dans la salle d"attente qu"au moment de l"entrevue par l"agent d"immigration. Ils n"ont été séparés que pour leurs examens médicaux qui ont eu lieu simultanément.

[135]      Le témoignage de M. Oberlander quant à ce qui s"est produit le 14 août 1953 à Karlsruhe est appuyé par le témoignage de Mme Oberlander. En contre-interrogatoire, elle a admis qu"après la visite surprise de la GRC en janvier 1995, elle s"est mise à la recherche avec son mari de tous les documents portant sur leurs années en Allemagne et sur leur venue au Canada. Par la suite, ils ont discuté pour essayer de se souvenir de ces événements maintenant anciens. Son témoignage quant au moment où ils ont présenté leur demande pour venir au Canada, quant à la procédure d"entrevue utilisée à Karlsruhe en août 1953 et par la suite, ainsi qu"au sujet des événements allant jusqu"à la demande de citoyenneté qu"ils ont présentée en 1960, est très semblable à celui de son mari et vient l"appuyer. Elle se souvenait d"un certain nombre de détails additionnels, notamment qu"en août 1953 à Karlsruhe, après avoir présenté leurs documents à l"arrivée et attendu une heure ou un peu plus, ils avaient été parmi les derniers, sinon les derniers, à être reçus ce jour-là. Après une dizaine de minutes passées ensemble dans la salle d"attente suite à leurs examens médicaux, un agent d"immigration sympathique les a reçus ensemble en fin d"après-midi et a pris note du fait que M. Oberlander avait deux offres d"emploi. Elle se souvenait aussi qu"au moment où ils sont retournés au bureau de Karlsruhe en février 1954, ils ont reçu non seulement leur passeport, mais aussi des directives quant à la façon de retenir leur passage jusqu"au Canada et de se préparer pour le voyage.

[136]      En toute déférence, je ne peux accorder beaucoup de poids au témoignage de Mme Oberlander en ce qui concerne la question fondamentale de savoir si on a posé des questions au sujet de l"expérience et du service militaire de M. Oberlander durant la guerre. Je ne mets pas en doute le fait qu"elle croit ce qu"elle a dit et, en ce sens, elle est un témoin crédible. Toutefois, je ne considère pas que son témoignage soit indépendant et fondé sur sa seule mémoire. En fait, elle a reconnu à l"audience qu"après la visite de la GRC en janvier 1995, elle a discuté avec son mari de ce qui s"était passé à Karlsruhe en 1953 pour essayer de se souvenir. C"est tout à fait normal, mais le résultat est que son témoignage n"est pas celui d"un témoin indépendant.

[137]      M. Peter Bufe est le dernier témoin à avoir comparu à l"audience en cette affaire. Lui et M. Oberlander ne se connaissaient pas, mais il s"est présenté après avoir été informé de l"affaire car il déclare aussi avoir été admis au Canada sans qu"on lui ait posé de questions au sujet de ses activités durant la guerre. Or, il a présenté sa demande dans ce qui était alors l"Allemagne de l"Ouest.

[138]      Après avoir travaillé comme domestique à son arrivée au Canada, M. Bufe a fait carrière dans la gestion et la comptabilité de gestion. Il a travaillé cinq ans aux États-Unis et il était à la retraite lors de l"audience en l"instance.

[139]      M. Bufe a déclaré être né en 1927 dans la partie de l"Allemagne qui est devenue l"Allemagne de l"Est. En septembre 1943, alors qu"il était à l"école secondaire, il a été conscrit avec toute sa classe dans la Luftwaffe (l"aviation) à titre d"assistant ou auxiliaire. Ils ont tous continué leurs études et reçu une certaine formation jusqu"en décembre 1944. Après, il a servi dans la Luftwaffe de janvier à mai 1945. À la fin de la guerre, il a essayé de rentrer chez lui mais il a été capturé par les troupes américaines et détenu dans un camp de prisonniers de guerre à Babenhausen, en Allemagne. Lorsqu"il a été libéré de ce camp, on lui a délivré un certificat de démobilisation de la Luftwaffe. Il croit se souvenir que ça s"est produit en août 1945. Il est resté jusqu"en mai 1946 avec sa mère et ses soeurs, qui avaient réussi à s"enfuir et à s"installer dans une ferme en Bavière.

[140]      Par la suite, jusqu"à ce qu"il vienne au Canada, il a travaillé comme employé civil pour les forces américaines à Landshut, en Bavière. D"abord employé à titre d"interprète, il est devenu gardien des biens confisqués par l"armée américaine et, par la suite, adjoint administratif aux services spéciaux de l"armée américaine à Landshut. Mme Bufe, qu"il a épousée après la guerre, était originaire de Berlin. Elle travaillait aussi pour l"armée américaine à Landshut, son dernier emploi ayant été celui de bibliothécaire. Comme ils ne croyaient pas avoir un avenir à l"emploi des forces américaines en Allemagne et qu"ils n"avaient aucun lien réel avec la Bavière, ils ont décidé de demander à immigrer au Canada en même temps que le frère jumeau de M. Bufe et certains de leurs amis.

[141]      M. Bufe se souvient qu"il a fait sa demande d"immigration au Canada, avec son épouse et les autres, vers la fin de 1951 ou au début de 1952. Il ne se souvient pas du formulaire de demande, mais il se souvient d"avoir obtenu des lettres de recommandation et des certificats de police qu"il a envoyés avec sa demande.

[142]      M. Bufe et son épouse ont été convoqués à Karlsruhe pour une entrevue. Il croit que celle-ci a eu lieu en juin 1952, se fondant sur certaines photographies prises à cette occasion. C"est la seule fois qu"ils sont allés à Karlsruhe. Il se souvient d"avoir apporté son passeport, où son épouse était inscrite, leurs radiographies thoraciques et des lettres du quartier général de l"armée où ils travaillaient tous deux. Il ne se souvient pas de grand chose quant à la façon dont leurs demandes ont été examinées. Il se souvient d"une courte entrevue, de 10 à 15 minutes, avec quelqu"un de très sympathique. Il ne s"en souvient qu"à cause de la façon dont elle s"est déroulée. L"agent qui conduisait leur entrevue, notant qu"ils travaillaient pour les forces armées américaines en Allemagne, leur a demandé s"ils avaient l"intention d"utiliser le Canada comme tremplin pour aller aux États-Unis. M. Bufe a déclaré que ce n"était pas là son intention. Au contraire, il a déclaré qu"il voulait immigrer au Canada et non aux États-Unis parce qu"ils travaillaient tous les deux depuis plusieurs années avec des Américains.

[143]      L"agent d"immigration leur a alors dit qu"il avait reçu un avis d"Ottawa portant que les conditions économiques au Canada étaient telles que l"immigration était suspendue, sauf pour les ouvriers agricoles et les domestiques. Il leur a alors dit que leur couple semblait être très domestique et leur a demandé s"ils étaient de cet avis, ce à quoi ils ont dit oui. Ils ont alors été admis au Canada en tant que domestiques, mention qui est portée au visa inscrit dans leurs passeports. Le souvenir de M. Bufe est qu"après cette entrevue, ils ont dû laisser leurs passeports qui leur ont été retournés après vérification avec un visa. Le passeport contient deux dates, qui correspond peut-être à une approbation : le 6 août 1952 et le 20 février 1953. M. Bufe n"a aucune explication à offrir à ce sujet. Il croit que ce délai, entre l"entrevue qu"il se souvient avoir eue en juin 1952 et leur départ et arrivée au Canada en mai 1953, peut être lié aux procédures d"immigration. Ce n"était pas de leur fait.

[144]      M. Bufe se souvient qu"ils ont été reçus en entrevue par un homme seul qui n"a posé aucune question au sujet de ses activités durant la guerre.

[145]      Même si M. Bufe prétendait ne pas se souvenir de tous les détails relatifs au traitement de sa demande à Karlsruhe, en ce sens qu"il se souvient d"un agent qui ne lui a posé aucune question quant à ses activités durant la guerre et qui les a manifestement aidés à atteindre leur objectif de venir au Canada, son témoignage recoupe au moins en partie celui des Oberlander lorsqu"ils racontent leur entrevue à peu près une année plus tard en août 1953. Bien sûr, les antécédents des deux hommes diffèrent sensiblement. Le service militaire de M. Bufe, qui n"a duré que quelques mois en 1945, était au sein de la Luftwaffe. Il est né en Allemagne, bien que son domicile se trouvait dans le secteur qui est devenu l"Allemagne de l"Est après la guerre. Il travaillait déjà depuis cinq ou six ans pour l"armée américaine à Landshut au moment où il a présenté sa demande. On pourrait comprendre que l"issue ait été différente si leurs dossiers avaient été examinés par un agent de sécurité au courant de leurs antécédents. Toutefois, ils déclarent tous deux qu"on ne les a pas questionnés au sujet de leurs activités durant la guerre.

[146]      Avec tout le respect que je dois à M. Bufe, je n"accorde aucun poids aux souvenirs qu"il a de la procédure d"examen de sa demande lors de son entrevue à Karlsruhe. Tout d"abord, ce n"est pas une preuve directe quant au processus suivi un an plus tard lorsque M. Oberlander a été reçu en entrevue. Deuxièmement, je conclus que les souvenirs de M. Bufe quant à la procédure sont incomplets. Il se souvient d"avoir remis ses radiographies à l"arrivée et d"être ensuite passé à une entrevue [traduction ] " avec un homme très sympathique " qui a duré de 10 à 15 minutes. Il a déclaré [traduction ] " ...que la seule raison pour laquelle je me souviens de l"entrevue, c"est à cause de la façon dont elle s"est déroulée ". Il s"est expliqué à ce sujet en racontant que la personne qui l"a interrogé lui a demandé s"il avait l"intention de rester au Canada et lui a fait savoir qu"on pourrait les accepter immédiatement s"ils étaient préparés à travailler comme domestiques. C"est ce qu"ils ont fait, et la demande des époux Bufe a été acceptée avec l"inscription sous le visa dans leur passeport [traduction ] " couple de domestiques "59.

[147]      M. Bufe ne se souvient pas d"avoir été examiné par un médecin. À cause de la date sur certaines photographies, il croit avoir été reçu en entrevue à Karlsruhe en juin 1952. Son passeport de l"époque a deux cachets de la Santé nationale, un en date du 6 août 1952 et l"autre en date du 20 février 1953. Il ne peut expliquer pourquoi il y a deux cachets. Après avoir réfléchi, il croit pouvoir dire qu"ils ont dû laisser leurs passeports à Karlsruhe après l"entrevue où l"on aurait, quelque temps après le mois de juin, [traduction ] " vérifié nos dossiers médicaux et nos radiographies thoraciques et nous ont accordé l"admission ". Il ne se souvient pas d"avoir obtenu un deuxième jeu de radiographies et il est sûr qu"ils ne sont allés à Karlsruhe qu"une seule fois, soit en juin 1952 selon les photos d"alors. Il ne peut expliquer pourquoi son visa n"a pas été délivré en juin 1952, bien qu"il dise qu"il ne s"attendait pas à l"obtenir au moment de l"entrevue. Il ne se souvient pas à quelle occasion on lui a remis son passeport avec le visa daté du 20 février 195359.

[148]      Le souvenir de M. Bufe ne correspond pas à ce que j"ai conclu avoir été la procédure établie à Karlsruhe pour le traitement des candidats à l"immigration au Canada. Il ne se souvient pas que lors d"une entrevue, on lui aurait posé des questions au sujet de ses activités durant la guerre et par conséquent, il ne se souvient pas d"une entrevue de contrôle de sécurité. De plus, il ne se souvient pas d"avoir eu un examen médical. En vertu de la procédure existante, un agent d"immigration ne l"aurait pas reçu en entrevue avant qu"un agent de sécurité indique s"il avait passé ou non l"étape B et qu"un médecin l"ait examiné avec ses radiographies. Rien dans la preuve, sauf l"assertion de M. Bufe, nous donne à penser que l"accord médical aurait pu être donné sans examen par un médecin.

[149]      Je conclus que le témoignage de M. Bufe quant à la procédure suivie lors de son entrevue à Karlsruhe ne peut être une description pleine et entière de la procédure suivie en l"instance. Son témoignage quant à la procédure utilisée à Karlsruhe au moment de son entrevue ne peut, à mon avis, être considéré comme fiable, s"il s"agit de la décrire dans son ensemble. On ne peut donc lui accorder aucun poids en déterminant la procédure qui a été suivie dans le cas de M. Oberlander.

Le témoignage de M. Oberlander

[150]      Le récit des activités de M. Oberlander jusqu"à la fin de la guerre, alors qu"il n"avait que 21 ans, vient de son témoignage. Ce dernier s"est fondé sur sa mémoire et sur une reconstitution après avoir examiné une grande quantité de documents produits par le demandeur. Il n"est peut-être pas surprenant qu"avec le passage du temps depuis les événements de la Deuxième Guerre mondiale, qui datent maintenant d"une soixantaine d"années, et compte tenu de son âge avancé, ses souvenirs des événements n"ont pas toujours été cohérents. Dans son témoignage, on constate qu"il a une mémoire sélective.

[151]      Après avoir examiné le dossier attentivement, je conclus que son témoignage n"est pas crédible, du moins en ce qui concerne la procédure d"administration des entrevues qu"on lui a accordées à Karlsruhe le 14 août 1953. En définitive, je ne crois tout simplement pas son témoignage sur cette question fondamentale.

[152]      J"arrive à cette conclusion parce qu"on trouve plusieurs déclarations incohérentes ou non plausibles, selon le moment où il a raconté son souvenir des événements et des circonstances passés, et aussi parce qu"à plusieurs occasions, il a évité de parler de son implication dans certains événements. Je vais reprendre ici un certain nombre d"incohérences majeures et de déclarations non plausibles, ainsi que les occasions qui soulèvent, à mon avis, de sérieux doutes quant à la fiabilité de son témoignage sur la question fondamentale en l"instance.

[153]      À l"audience, M. Oberlander a témoigné qu"il ne connaissait pas le nom Einsatzkommando 10a avant que les autorités allemandes ne l"interrogent à Toronto en 1970 et qu"il signe sa déclaration. Dans cette déclaration, il dit que l"unité dans laquelle il servait n"avait pas de nom, ou du moins qu"il ne le connaissait pas. Il ajoute dans la même déclaration que les noms Sonderkommando et Einsatazkommando 10a, ainsi que Einsatzgruppe D, lui étaient inconnus. Il a répété la même chose au sujet de Sk et Ek 10a dans la même déclaration, ajoutant qu"à sa connaissance, son unité ne portait pas ce nom. À l"audience, il a déclaré que son unité était connue sous le nom de " SD ". M. Huebert a déclaré savoir que l"unité s"appelait Sk 10a et qu"il avait appris à Taganrog quel rôle elle avait joué dans des exécutions. M. Siderenko, qui ne parlait pas l"allemand mais le russe, a appris le nom Ek 10a après la guerre, lors de son interrogation par le NKVD, mais il savait que son unité avait participé à l"exécution de Juifs peu de temps après s"y être joint à Novorossiysk. M. Oberlander était bien instruit pour l"époque et une de ses tâches était d"interpréter les ordres et directives aux gardiens russes. Alors qu"il était à Taganrog en 1942, les interprètes étaient logés dans une école de l"autre côté du corridor où se trouvaient les agents de police allemands. Leur commandant, le " chef ", était logé au bout du corridor.

[154]      Parmi les documents déposés par le ministre, on trouve copie d"un [traduction ] " Ordre du Kommando (équipe) "59 avec une traduction anglaise. Il semble que ce document porte le cachet suivant : " kommando 10a " et qu"il soit daté ainsi : " Quartiers locaux. 31.x.1942 ". On y trouve l"ordre donné à certaines personnes de participer à des opérations contre des bandes de partisans dans la région de Novorossiysk et, parmi les interprètes qui reçoivent l"ordre de se joindre à cette opération, il y a un certain " Oberländer ". Le tréma qu"on trouve sur le " a " dans ce nom peut avoir été la cause du commentaire que M. Oberlander a fait dans sa déclaration de 1970 aux autorités allemandes, portant qu"il avait déjà rencontré [traduction ] " un homme du nom de Oberländer dans son unité ". Bien que cette question ait été soulevée en contre-interrogatoire, je ne suis pas convaincu que cette personne ait vraiment existé. De toute façon, même si c"était le cas, ce ne serait pas important. L"ordre d"opération visant certaines personnes est un ordre type dans une unité militaire et M. Oberlander doit en avoir vu à de nombreuses occasions.

[155]      Même s"il n"y avait aucune identification de l"unité sur les véhicules ou sur l"équipement de celle-ci, il est très improbable qu"il n"ait pas su avant 1970 que le nom de son unité était Ek 10a ou Sk 10a.

[156]      Il n"est pas non plus plausible qu"il ne se soit pas souvenu du nom des commandants de l"unité dans laquelle il avait servi un an et demi selon lui ou deux ans selon le ministre avant qu"on lui demande ces noms lorsqu"il a été interrogé par les autorités allemandes en 1970. Il peut avoir oublié ces noms, comme il l"indique dans sa déclaration de 1970. M. Huebert n"avait pas oublié le nom des commandants, l"un d"entre eux, Seetzen, étant présent chaque matin lorsque les membres de l"unité se regroupaient pour obtenir leurs directives. M. Oberlander lui-même se souvient qu"à Taganrog, le commandant, qu"il appelait le " chef ", était logé au bout du corridor à côté duquel les interprètes avaient leurs quartiers.

[157]      À l"audience, M. Oberlander ne se souvenait ni de M. Huebert ni de M. Siderenko, ni d"aucun des incidents que ces derniers ont décrits et auxquels ils disent qu"il a participé. Je souligne que M. Siderenko a témoigné à Kitchener en présence de M. Oberlander, mais que ce dernier n"était pas présent lors du témoignage de M. Huebert à Vancouver. À mon avis, MM. Huebert et Siderenko étaient des témoins crédibles et leur témoignage a rendu service à la Cour. Tous les deux ont décrit leurs responsabilités dans l"unité Ek 10a d"une façon qui établit à mon avis leur service en tant qu"auxiliaires dans cette unité. M. Huebert croit que lui et Oberlander étaient les seuls Volksdeutsche en provenance de leur région d"Ukraine. M. Oberlander ne se souvient pas d"avoir rencontré M. Huebert, alors que ce dernier déclare qu"ils ont fait connaissance à Halbstadt le jour où le défendeur a été amené de son domicile pour servir d"interprète. M. Oberlander a aussi témoigné qu"il ne se souvenait pas de M. Huebert, même si sa déclaration de 1970 fait état de ses tâches lorsqu"il était chargé de trouver des pièces détachées et de l"essence pour l"unité de transport, ainsi que de communiquer avec les chauffeurs russes. Une des responsabilités de M. Oberlander était de transmettre aux gardiens russes les ordres quant aux tâches à accomplir. Pourtant, il n"a aucun souvenir de M. Siderenko ou des incidents que M. Siderenko a racontés même s"il présente le travail d"interprète de M. Oberlander sous un jour favorable.

[158]      Il ne croyait pas que l"histoire racontée par M. Huebert au sujet de leur permission, alors qu"ils s"étaient rendus ensemble en motocyclette jusqu"à Ladekopp et que M. Oberlander avait continué seul jusqu"à Halbstadt, était vraie. À l"audience, il a nié être jamais retourné à Halbstadt après avoir été conscrit comme interprète. Cette affirmation était apparemment fondée sur le fait qu"il croyait, suite à des discussions avec sa famille, avoir quitté son domicile à peu près un mois ou deux avant que sa mère ne quitte elle-même Halbstadt en mars 1942. Il n"avait alors aucune raison d"y retourner. Pourtant, dans sa déclaration de 1970 aux autorités allemandes, il dit être allé plusieurs fois en permission et avoir visité une fois sa famille à Halbstadt.

[159]      Dans sa déclaration de 1970, M. Oberlander déclare qu"il ne se souvient plus à quelles organisations les membres de son unité étaient affiliés, sauf qu"il ne croyait pas qu"ils aient été des SS. À l"audience, il a expliqué que le terme SS était utilisé sur le terrain pour parler des Waffen-SS. Il a reconnu que les Allemands de son unité étaient membres de la SD ou d"autres organisations de police, et qu"il savait qu"ils recevaient leurs ordres de Berlin.

[160]      Dans sa déclaration de 1970, il a nié avoir reçu une décoration sauf pour avoir été blessé au combat. À l"audience, il a déclaré ne pas se souvenir d"avoir reçu la Croix de service militaire au début de 1943, jusqu"à ce que M. Huebert en parle parce qu"il s"en souvenait. M. Oberlander explique le fait qu"il ne s"en soit pas souvenu en 1970 par le peu d"importance que cette décoration avait pour lui, bien qu"à l"audience il ait reconnu l"avoir reçue et qu"il se soit clairement souvenu qu"on la lui avait accordée pour avoir sauvé la vie de deux soldats allemands blessés au combat à l"occasion d"une attaque surprise des Russes à Novorossiysk.

[161]      Dans sa déclaration de 1970 aux autorités allemandes, il avait aussi dit qu"il ne savait rien de l"exécution par les membres de son unité de Juifs ou de personnes souffrant d"une incapacité, qu"il n"avait rien vu de tel et que personne ne lui en avait jamais parlé à l"époque. En contre-interrogatoire à l"audience, il a reconnu avoir été mis au courant de la " relocalisation " des Juifs, d"abord à Taganrog et ensuite à Krasnodar, déclarant qu"il ne connaissait pas alors le sens du terme relocalisation. Il reconnaissait avoir appris plus tard qu"il signifiait l"exécution. De plus, il a fait état à l"audience du travail accompli par un groupe d"éclaireurs de son unité à Novorossiysk, qui s"étaient occupés des Juifs avant qu"il y arrive lui-même.

[162]      Nous avons mentionné plus tôt la partie de sa déclaration de 1970 où il nie avoir connu l"existence de l"ordre portant que chacun des membres du Kommando devait participer à une exécution. Pourtant, lorsqu"il a été interrogé par les agents de la GRC en 1995, il a nié avoir participé à de telles activités mais a reconnu que les hommes plus âgés de son unité devaient participer aux exécutions perpétrées par l"unité Ek 10a.

[163]      Dans sa déclaration de 1970, il déclare n"avoir travaillé que comme interprète, n"ayant aucune autre fonction et ne participant pas aux interrogations. En contre-interrogatoire à l"audience en l"instance, il a reconnu sa participation aux combats contre les partisans à Novorossiysk alors qu"il était armé d"une mitraillette. À l"époque, le rôle d"un interprète était d"interroger les prisonniers, et ceux qui ne pouvaient expliquer valablement leur présence ou leurs activités étaient en difficulté.

[164]      Lors de l"interrogatoire préalable, M. Oberlander a déclaré que lorsque les opérations au Bélarus contre les partisans se terminaient en 1943 et qu"il a quitté ses tâches de surveillance radio, il a retrouvé son unité ou ce qui en restait et que, par la suite, ils se sont fondus dans d"autres unités. À l"audition, il a témoigné ne pas avoir rejoint son ancienne unité. Il a plutôt déclaré qu"il avait été incorporé dans une unité de l"armée, qu"il avait un uniforme militaire, et que sa nouvelle unité avait procédé vers le sud jusqu"en Pologne et, de là, en Yougoslavie. Le Dr Messerschmidt a indiqué que l"unité Ek 10a avait été fondue dans une unité de Waffen SS avant le départ pour la Pologne. Au nom du ministre, on a soutenu que les membres de l"unité Ek 10a avaient été regroupés au sein de l"unité Ek 6 vers la fin des opérations contre les partisans au Bélarus. Cette affirmation se fonde essentiellement sur une lettre des autorités de police qui recommandent M. Oberlander et certains autres aux fins de la naturalisation, ainsi que sur le changement du numéro de poste de son unité, tel qu"inscrit dans les documents relatifs à la naturalisation de la famille Oberlander en avril 1944 à Litzmannstadt. À mon avis, il n"est pas nécessaire qu"on concilie ces divergences au sujet de son service avec les Waffen-SS, l"armée ou l"unité Ek 6. M. Oberlander a admis avoir servi d"interprète à l"unité Ek 10a pendant plusieurs mois.

[165]      Nous avons déjà parlé du certificat de démobilisation de M. Oberlander, qu"on lui a délivré en juillet 1945 lorsqu"il a été libéré du camp de prisonniers de guerre britannique afin de travailler comme ouvrier agricole. Ce certificat contient son nom, sa date de naissance, sa ville de naissance (Halbstadt, sans qu"il soit question de l"Ukraine), son occupation en tant que " Landarbeiter ", et son domicile, soit Burgdorf, Celle, Lüneburg près de Hanovre, ce qui était en fait l"adresse d"un ami qu"il avait rencontré au camp. En réponse à des questions qui lui ont été posées lors de son contre-interrogatoire, les déclarations de M. Oberlander se lisent comme suit dans la transcription :59

         [TRADUCTION]
         Q.      ... On trouve ici la profession et il est inscrit Landarbeiter, ce qui veut dire ouvrier agricole.
         R.      C"est bien cela.
         Q.      Vous n"aviez jamais travaillé comme ouvrier agricole avant, n"est-ce pas?
         R.      Non, j"avais vécu sur une ferme et j"avais une certaine expérience.
         Q.      Vous aviez une certaine expérience?
         R.      Eh bien - Ils nous ont dit que si on se portait volontaire pour être ouvrier agricole, on pouvait partir. Alors je me suis porté volontaire. Je ne m"intéressais pas à ce qu"on écrivait, en autant que je pouvais partir. J"avais faim.
         Q.      Mais la question est : leur avez-vous dit que vous étiez un ouvrier agricole, ou parce qu"ils voulaient que vous travailliez sur la ferme, ils ont conclu que c"était votre profession dans le civil, n"est-ce pas? J"imagine que vous leur avez dit que vous étiez un ouvrier agricole pour pouvoir partir.
         R.      Eh bien, ils nous ont dit si vous voulez - Ce n"est pas moi qui a écrit cela.
         Q.      Je m"en rends compte.
         R.      Je ne savais même pas ce qu"il y avait là.

Pourtant, il a signé le certificat, vraisemblablement après que celui-ci ait été rempli par un commis suite aux questions posées par les officiers allemands qui travaillaient pour les officiers britanniques chargés de trouver des volontaires pour le travail agricole. Le certificat précise qu"il a été démobilisé de la " Heer ", c"est-à-dire de l"armée, le 26 juillet 1945. Il ne se souvient pas des questions qu"on lui a posées à ce moment-là. Il se souvient qu"il a alors montré le certificat Holz aux officiers allemands qui s"occupaient des demandes, document qui l"identifiait comme un membre du bataillon Holz. Ce document, qui a à peu près la taille d"une carte postale, ne porte pas de date et on y trouve tout simplement dactylographié le texte suivant60 :

[traduction de la traduction anglaise]
             Certificat
Le sous-officier Oberlander, Helmut, né le 15 février 1924 à Giesen, est un membre du groupe de combat " Holz ". Il est en poste depuis le 23 avril 1945.
             Le commandant du bataillon
             (signature)
             Premier lieutenant et commandant du bataillon

[166]      Il dit ne pas avoir présenté le certificat du bataillon Holz à Karlsruhe. C"est son certificat de démobilisation de l"armée du 26 juillet 1945 que M. Oberlander a présenté le 14 août 1953. Je constate que M. Oberlander a conservé ce document, ainsi que le certificat Holz, et qu"il l"a déposé dans le cadre de la procédure de révocation.

[167]      Deux autres questions méritent d"être mentionnées, toutes deux trouvant leur origine dans le témoignage de l"inspecteur Watson au sujet de l"interrogation de M. Oberlander à son domicile en janvier 1995. Alors qu"on lui montrait le formulaire de demande O.S.8 pour immigrer au Canada, M. Oberlander a déclaré qu"il ne se souvenait pas d"avoir rempli un tel document. En l"instance, après que le demandeur eut produit ses documents, M. Oberlander se souvient clairement avoir rempli un tel formulaire, en précisant qu"il ne posait pas de questions détaillées quant à ses résidences antérieures ou à ses activités depuis 1938 ou 1939 et durant la guerre, questions qui étaient spécifiquement posées dans les formulaires d"après octobre 1953.

[168]      La deuxième question porte sur les commentaires qu"il a faits au même moment au sujet du traitement de sa demande à Karlsruhe. Selon le témoignage de l"inspecteur Watson, M. Oberlander a dit ceci : [traduction ] " ...nous avons eu un examen médical. On m"a demandé mon grade. On m"a demandé de lever le bras pour voir si j"avais un tatouage. Il a levé son bras. Il n"avait pas de tatouage. C"est tout. En cinq minutes, il a dit que c"était terminé. " Plus tard, lorsqu"ils ont parlé à nouveau de la procédure à Karlsruhe, il a fait mention d"un agent d"immigration qui lui demandait s"il était dans l"armée allemande, s"il était des " autres grades ", et quel était son grade. L"inspecteur Watson a noté qu"il avait répondu qu"il était un interprète du russe à l"allemand, parce qu"il était né en Russie. À l"audience, il a nié qu"on lui ait posé quelque question que ce soit au sujet de son service militaire ou de ses activités durant les années de guerre.

[169]      La clarté de son souvenir actuel que le formulaire qu"il a rempli ne contenait aucune question détaillée au sujet de ses résidences et de son service militaire durant les années de guerre, la clarté avec laquelle il se souvient d"avoir remis le certificat du bataillon Holz aux officiers enquêteurs afin d"obtenir sa libération du camp de prisonniers de guerre à Hanovre ainsi que la clarté avec laquelle il se souvient maintenant qu"on ne lui a posé aucune question au sujet de son service militaire à Karlsruhe contrastent avec le peu de clarté de ses souvenirs au sujet d"autres événements ou situations.

[170]      Il y a un autre document d"origine allemande qui mérite un commentaire. Le " Meldebogen ", un formulaire d"inscription rempli par M. Oberlander à Korntal en 1947, indique qu"il a répondu " non " à la question suivante : [traduction ] " Avez-vous jamais été conscrit, candidat, membre ou membre de soutien des organisations mentionnées, y compris la SD ". On y trouve aussi qu"en réponse à une question portant sur le fait de savoir s"il avait été membre de la [traduction ] " Wehrmacht (forces armées) ou de formations de police ", la seule mention portée sur la formule qu"il a signée est celle du régiment d"infanterie no 159. Il n"y a rien sur le fait qu"il ait travaillé pour la SD. Cela se reflète dans le fait qu"il a indiqué comme occupation principale en 1943 de la façon suivante : " Wehrmacht ". Au mieux, il peut avoir servi dans la Wehrmacht pendant quelques mois à la fin de 1943, si on en croit ce qu"il a dit à l"audience. Lors de l"interrogatoire préalable, il a reconnu qu"après la fin de son travail d"écoute des transmissions radio au Bélarus, il est retourné à son unité Ek 10a. Il n"a donc pu être membre de la Wehrmacht avant 1944. Si les renseignements fournis par M. Oberlander répondaient en partie aux questions posées dans le formulaire d"inscription, elles n"ont pas fourni un tableau complet du service de M. Oberlander durant la guerre.

[171]      Le fait qu"il y ait des incohérences dans la façon dont il se souvient d"événements aussi anciens à des moments différents n"est pas surprenant. La Cour doit examiner la preuve telle qu"elle lui est présentée. Je conclus que son témoignage au sujet de la procédure suivie à Karlsruhe, et ses souvenirs d"avoir été reçu en entrevue simplement par un agent d"immigration qui ne lui a posé aucune question au sujet de son service durant la guerre, n"est pas crédible.

[172]      Les documents datant de trois occasions antérieures, savoir sa démobilisation et le certificat61 qu"on lui a délivré au camp de prisonniers de guerre britannique à Hanovre, le Meldebogen ou formulaire d"inscription62 qu"il a rempli à Korntal en 1947, et la déclaration63 décrivant son service durant la guerre qu"il a signée volontairement à Toronto en 1970 démontrent, à mon avis, une tendance à ne pas reconnaître pleinement son rôle durant la guerre, puisqu"on n"y trouve aucune mention de la SD alors qu"il admet maintenant en avoir fait partie, même si c"était seulement comme interprète.

[173]      En plus des incohérences et des aspects non plausibles mentionnés, le fait qu"il ait indiqué aux enquêteurs de la GRC en 1995 qu"on lui avait posé des questions au sujet de son service militaire lors de l"entrevue à Karlsruhe est contraire à son témoignage à l"audience portant qu"on ne lui aurait posé aucune question de cette nature à ce moment-là. Il est vrai qu"à l"audience, il a expliqué que l"inspecteur avait commis une erreur en décrivant le contexte. Mais le témoignage de l"inspecteur Watson, qui est un enquêteur d"expérience, mentionne plusieurs fois qu"on lui a demandé son grade. Les réponses qu"il a fournies aux enquêteurs en janvier 1995 ne concordent pas avec son témoignage à l"audience. Il en va de même de son témoignage à l"interrogatoire préalable, lorsqu"on lui a demandé s"il avait montré son certificat de démobilisation de 1945 à l"entrevue de Karlsruhe et si on lui avait alors posé des questions quant à son service durant la guerre. À l"interrogatoire préalable, il a répondu : [traduction ] " Je ne m"en souviens pas, je ne crois pas qu"ils m"aient demandé quoique ce soit ... Je ne sais pas pourquoi ils l"auraient demandé. C"est très clair ici. C"est dans les deux langues et on y trouve le fait que j"ai été libéré de l"armée et il n"y aurait pas eu d"autres questions à ce sujet "64.

[174]      Au vu de son témoignage dans son ensemble, je ne peux conclure que son témoignage à l"audience au sujet de l"entrevue de Karlsruhe est fiable. Bien qu"on nous dise qu"il faut accepter les souvenirs de M. et de Mme Oberlander au sujet de leur entrevue à Karlsruhe, puisqu"il s"agissait d"une occasion importante pour eux, il se peut qu"ils ne se souviennent tout simplement pas. De toute façon, je n"accorde pas foi au témoignage que M. Oberlander a rendu à l"audience lorsqu"il a dit qu"on ne lui avait posé aucune question au sujet des années de guerre.

Le droit applicable

[175]      Les avocats soulèvent trois aspects du droit applicable en l"instance. Ils portent sur le cadre législatif qui gouverne la citoyenneté et sa révocation, sur l"autorité réglementaire à la base des critères de rejet, et sur le fardeau et la norme de preuve en l"instance.

[176]      Cette instance est introduite en vertu de la Loi sur la citoyenneté65 (La Loi), notamment les articles 10 et 18 qui déterminent la procédure à suivre. Dans Canada (Secrétaire d"État) c. Luitjens65, le juge Collier a précisé que les droits substantifs liés à l"acquisition de la citoyenneté sont régis par la législation en vigueur au moment de l"octroi de la citoyenneté. En l"instance, il s"agit de la loi qui a précédé celle qui est en vigueur actuellement, savoir la Loi sur la citoyenneté canadienne65 de 1952 (qui est souvent citée ci-après comme " l"ancienne Loi "), qui s"appliquait lorsque M. Oberlander a reçu la citoyenneté canadienne en 1960.

[177]      L"article 18 de la Loi actuellement en vigueur traite de l"Avis de révocation du ministre et de la procédure qui permet de porter l"affaire devant la Cour. L"alinéa 18(1)b ) prévoit que le rôle de la Cour est de décider si, en l"instance, M. Oberlander " a acquis la citoyenneté par fraude, fausse déclaration ou dissimulation intentionnelle de faits essentiels ". En vertu de l"article 10 de la Loi , le gouverneur en conseil peut, lorsqu"il est convaincu, sur rapport du ministre, que l"acquisition de la citoyenneté est intervenue par fraude ou au moyen d"une fausse déclaration ou de la dissimulation intentionnelle de faits essentiels, prendre un décret aux termes duquel l"intéressé perd sa citoyenneté. Le paragraphe 10(2) établit la présomption statutaire suivante :

10(2) A person shall be deemed to have obtained citizenship by false representation or fraud or by knowingly concealing material circumstances if the person was lawfully admitted to Canada for permanent residence by false representation or fraud or by knowingly concealing material circumstances and, because of that admission, the person subsequently obtained citizenship.

10(2) Est réputée avoir acquis la citoyenneté par fraude, fausse déclaration ou dissimulation intentionnelle de faits essentiels la personne qui l"a acquise à raison d"une admission légale au Canada à titre de résident permanent obtenue par l"un de ces trois moyens.

[178]      Même s"il n"existait pas d"équivalent du paragraphe 10(2) dans l"ancienne Loi en 1960, à mon avis, le paragraphe 10(2) énonce une présomption de preuve, ce qui est une question de procédure. Elle s"applique ici en vertu de l"article 44 de la Loi sur l"interprétation65 qui prévoit que :

44. Where an enactment, in this section called the "former enactment", is repealed and another enactment, in this section called the "new enactment", is substituted therefor, ...

44. En cas d"abrogation et de remplacement, les règles suivantes s"appliquent: ...

(d) the procedure established by the new enactment shall be followed as far as it can be adapted thereto

     (i) in the recovery or enforcement of fines, penalties and forfeitures imposed under the former enactment,
     (ii) in the enforcement of rights, existing or accruing under the former enactment, and
     (iii) in a proceeding in relation to matters that have happened before the repeal;

d) la procédure établie par le nouveau texte doit être suivie, dans la mesure où l"adaptation en est possible_:

     (i) pour le recouvrement des amendes ou pénalités et l"exécution des confiscations imposées sous le régime du texte antérieur,
     (ii) pour l"exercice des droits acquis sous le régime du texte antérieur,
     (iii) dans toute affaire se rapportant à des faits survenus avant l"abrogation;

[179]      À mon avis, le paragraphe 10(2), qui traite de procédure, s"applique en vertu du sous-alinéa 44d )(iii) de la Loi sur l"interprétation. La présomption qui se trouve au paragraphe 10(2) s"applique donc en l"instance. Cette disposition, ainsi que le principe énoncé dans Luitjens sur les droits substantifs relatifs à l"acquisition de la citoyenneté, nous renvoie implicitement à l"ancienne Loi qui avait cours en 1960 dans le domaine de la citoyenneté, ainsi qu"à la législation qui gouvernait l"admission au Canada en 1954 lorsque M. Oberlander a reçu le statut de résident permanent au Canada.

[180]      Les dispositions de l"ancienne Loi , qui étaient en vigueur en 1960 et qui sont pertinentes ici, sont les suivantes :

2(bb) "Canadian domicile" means Canadian domicile as defined in the laws respecting immigration that are or were in force at the time the Canadian domicile of a person is relevant under this Act.

2(bb) " Domicile canadien " signifie le domicile canadien tel que défini dans les lois concernant l"immigration qui sont ou qui étaient en vigueur à l"époque où le domicile canadien d"une personne est pertinent aux termes de la présente loi.

10(1) The minister may, in his discretion, grant a certificate of citizenship to any person who is not a Canadian citizen and who makes application for that purpose, and satisfies the Court that ...

10(1) Le Ministre peut, à sa discrétion, accorder un certificat de citoyenneté à toute personne qui n"est pas un citoyen canadien, qui en fait la demande et démontre à la satisfaction du tribunal, ...

     (c) the applicant has
     c) que le demandeur or la demanderesse
         (i) acquired Canadian domicile ...
         (i) a acquis un domicile canadien; ...
     (d) he is of good character; ...
     d) qu"elle a une bonne moralité; ...

19.(1) The Governor in Council may, in his discretion, order that any person other than a natural-born Canadian citizen shall cease to be a Canadian citizen if, upon a report from the Minister, he is satisfied that the said person either ...

19. (1) Le gouverneur en conseil peut, à sa discrétion, ordonner qu"une personne, autre qu"un citoyen canadien de naissance, cesse d"être un citoyen canadien si, sur un rapport du Ministre, il est convaincu que ladite personne ...

     (b) has obtained a certificate of naturalization or of Canadian citizenship by false representation or fraud or by concealment of material circumstances;
     b) a obtenu un certificat de naturalisation ou de citoyenneté canadienne par fausse déclaration, fraude, ou dissimulation de faits importants;

Cette dernière disposition, qui est mentionnée dans l"intitulé de cette cause et qui est analogue à l"article 18 de la Loi actuelle, était en vigueur en 1960 lorsque M. Oberlander est devenu citoyen canadien.

[181]      Les dispositions pertinentes de la Loi sur l"immigration65 qui s"appliquaient lorsque M. Oberlander a demandé la citoyenneté canadienne en 1960, comme le prévoit l"alinéa 2bb) de l"ancienne Loi sur la citoyenneté, sont les suivantes :

2(c) "Canadian domicile" means Canadian domicile acquired and held in accordance with section four; ...

2 c) " domicile canadien " signifie un domicile canadien acquis et détenu conformément à l"article 4; ...

(n) "Landing" means the lawful admission of an immigrant to Canada for permanent residence; ...

n) " réception " signifie l"admission légale d"un immigrant au Canada aux fins de résidence permanente;

4(1) Canadian domicile is acquired for the purposes of this Act by a person having his place of domicile for at least five years in Canada after having been landed in Canada. ...

4(1) Pour l"application de la présente loi, une personne acquiert le domicile canadien en ayant son lieu de domicile au Canada pendant au moins cinq ans, après avoir été reçue dans ce pays. ...

[182]      De plus, en vertu de la Loi sur l"immigration, les personnes suivantes sont sujettes à enquête et à expulsion : celles qui sont venues au Canada par suite de renseignements faux ou trompeurs, par la force, clandestinement ou par des moyens frauduleux ou irréguliers, exercés ou fournis par elle ou par quelque autre personne65. Toute personne qui cherchait à entrer au Canada devait en premier lieu comparaître devant un fonctionnaire à l"immigration et donner des réponses véridiques à toutes les questions qui lui étaient posées65. Le fait qu"une personne fasse sciemment une déclaration fausse ou trompeuse à l"égard de l"admission au Canada ou de la demande d"admission de qui que ce soit65 constituait une infraction en vertu de la Loi. De plus, toute personne qui ne respectait pas quelque condition ou prescription de la Loi ou des règlements était classée parmi les personnes inadmissibles au Canada65.

[183]      Par conséquent, pour acquérir le " domicile canadien " en 1960 au sens de l"ancienne Loi , un immigrant devait être reçu en vertu de la Loi sur l"immigration. Pour ce faire, il fallait que son admission au Canada en vue de la résidence permanente ait été légale.

[184]      Au sujet du pouvoir légitime d"adopter des critères de rejet, le juge Noël, dans Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l"Immigration) c. Dueck66, après avoir examiné les dispositions législatives et réglementaires relatives au contrôle de sécurité applicables en 1948, a conclu qu"à l"époque, il n"y avait aucun fondement législatif ou réglementaire pour l"application de ces critères de rejet. La décision dans Dueck a été rendue au moment où les avocats se préparaient à présenter leur plaidoirie finale et ils ont par la suite déposé des prétentions écrites quant à l"effet de cette décision sur la présente affaire.

[185]      Il n"y a pas de litige entre les parties en l"instance quant au pouvoir légitime d"adopter les critères de rejet en 1953. Ceci reflète peut-être la décision du juge McKeown dans Bogutin66, où il a conclu qu"en vertu du régime juridique applicable en 1951, le décret C.P. 2856 du 9 juin 1950 fournissait un fondement légitime au ministre pour qu"il admette les personnes qui n"étaient pas exclues par la Loi sur l"immigration ou les règlements, selon la loi qui était en vigueur à ce moment-là. Dans les affaires Katriuk66 et Kisluk66, mes collègues les juges Nadon et Lutfy (maintenant juge en chef adjoint) sont arrivés à la conclusion que le fondement législatif de la procédure de contrôle de sécurité lors des années en question datait de 1951, dans Katriuk, et de 1948, dans Kisluk. En l"instance, le pouvoir qui sous-tend les critères de rejet approuvés par le Comité de la sécurité n"est pas mis en cause. On a soulevé la question de la validité des motifs de rejet prévus par M. Kelly à Londres, dans un document qu"il a transmis aux agents de sécurité en Europe pour mise en oeuvre dès le début de 1953. J"ai conclu que le document préparé par M. Kelly était un guide à l"usage de ses subalternes, une déclaration dont l"objectif était de fournir une interprétation raisonnable de la modification adoptée par le Comité de la sécurité en mai 1952. C"est à ce titre qu"elle a fait l"objet d"une acceptation tacite.

[186]      Le fardeau de la preuve incombe au demandeur. L"avocat du demandeur a déclaré que ce fardeau peut être déplacé, comme dans certains autres cas, mais ceci ne s"applique qu"au fardeau de la preuve en ce qu"il suppose que le défendeur ne serait pas sage de ne pas présenter sa propre preuve en réponse à celle du demandeur. En l"instance, l"ensemble du fardeau de la preuve incombe au ministre demandeur.

[187]      Quant à la norme de preuve exigée, le juge McKeown l"a énoncée dans Bogutin66 et elle fait maintenant autorité66. Il a dit ceci : " J"applique la norme civile de preuve de la prépondérance des probabilités, mais je dois examiner la preuve plus attentivement en raison des allégations graves qui doivent être établies par la preuve présentée ". Je suis d"accord avec cette norme et je l"ai appliquée en l"instance.

[188]      J"en viens maintenant à l"exposé sommaire de mes conclusions de fait au vu de la preuve présentée en l"instance.

Exposé sommaire des conclusions de fait

[189]      Le défendeur, Helmut Oberlander, est né à Halbstadt (aussi connu sous le nom de Molochansk), en Ukraine, le 15 février 1924. Sa famille faisait partie des Volksdeutsche dont les ancêtres s"étaient installés à Halbstadt il y a à peu près 250 ans.

[190]      En 1941, à l"âge de 17 ans, il avait terminé l"école secondaire et il parlait couramment l"allemand et le russe. En septembre, ou au début d"octobre, les troupes allemandes sont arrivées à Halbstadt et l"ont libéré, lui et sa famille, d"un camp où les Russes les retenaient. Par la suite, on lui a intimé l"ordre d"apporter son aide à l"enregistrement des Volksdeutsche de la région ainsi que de participer à la réparation des immeubles et des routes de la ville.

[191]      En octobre 1941, ou en février 1942 aux dires de M. Oberlander, les autorités locales lui ont ordonné de se rapporter aux forces allemandes d"occupation en qualité d"interprète. C"est ce qu"il a fait, mais il déclare que ce n"était pas volontairement ou par libre choix, mais bien par peur de représailles s"il refusait.

[192]      Il a été affecté à l"Einsatzkommando 10a (Ek 10a), connu aussi sous le nom de Sonderkommando 10a, une unité de police allemande faisant partie de la Sicherheitspolizei (Sipo) et de la Sicherheitsdienst (SD). Ces deux organisations jouaient le rôle de police de sécurité pour les Schutzstaffell (SS), qui contrôlaient leurs opérations à partir de Berlin. Cette unité de kommando comprenait des membres qui venaient d"autres services de police allemands, ainsi que du personnel auxiliaire, notamment les interprètes, chauffeurs et gardiens, qui étaient recrutés parmi les Volksdeutsche ou les prisonniers de guerre russes.

[193]      L"unité Ek 10a était l"une des équipes de l"Einsatzgruppe D (EG D), qui faisait partie d"un des quatre Einsatzgruppen, désignés comme A, B, C et D. C"étaient des groupes opérationnels spéciaux de police qui opéraient derrière la ligne de front de l"armée allemande dans les territoires occupés de l"Est entre 1941 et 1944. Leur rôle était d"assurer la réalisation des objectifs de l"Allemagne nazie. Parmi leurs fonctions, ils servaient d"unités mobiles d"exécution. On estime que les Einsatzgruppen et la police de sécurité sont responsables de l"exécution de plus de deux millions de personnes, en majorité des civils. Il s"agissait surtout de Juifs et de communistes, mais il y avait aussi des Tsiganes, des personnes souffrant d"une incapacité et d"autres personnes dont l"existence était estimée être contraire aux intérêts de l"Allemagne66. En 1946, en vertu d"une décision du Tribunal militaire international et de l"article II de la Loi no 10 du Conseil de contrôle, les SS et la SD ont été déclarés être des organisations criminelles. Ceci tenait surtout à leurs activités dans les territoires occupés de l"Est. Dans des procès subséquents tenus en 1949 devant le Tribunal militaire de Nuremberg, l"ancien commandant de l"EG D, Ohlendorf, a été trouvé coupable de crimes de guerre, de crimes contre l"humanité, et d"avoir été membre d"une organisation criminelle, les SS.

[194]      Le défendeur n"était pas membre de la SD ou Sipo, même s"il portait l"uniforme de la SD de l"été 1942 jusqu"à ce que l"unité Ek 10a soit fondue au sein d"une unité de l"armée vers la fin de 1943 ou en 1944. Certains documents de l"époque décrivent M. Oberlander comme un " SS-mann ", mais cette description et l"uniforme qu"il portait n"indiquent pas nécessairement qu"il était membre de plein droit de la SD ou des SS. On ne pouvait être membre de la SD ou des Sipo à moins d"être citoyen allemand.

[195]      Toutefois, il était membre de l"unité Ek 10a, comme le ministre demandeur l"allègue dans son Avis de révocation. Il admet avoir servi à titre d"auxiliaire comme interprète pour la SD, du moment où on lui a ordonné de se présenter jusqu"au moment où ce qui restait de son unité a été absorbé dans une unité de l"armée régulière vers la fin de 1943 ou en 1944. Il a alors continué son service comme soldat, et non comme interprète.

[196]      Au sein de l"unité Ek 10a, il s"est déplacé à travers l"est de l"Ukraine jusqu"à Melitopol, Mariupol et Taganrog, pour ensuite se rendre à Rostov et au sud jusqu"à Krasnodar et Novorossiysk. Le défendeur et son unité ont alors participé à des missions contre les partisans, ce qu"ils ont aussi fait plus tard en Crimée et au Bélarus, ainsi que beaucoup plus tard en Pologne et en Yougoslavie.

[197]      Rien dans la preuve ne démontre que le défendeur aurait participé personnellement aux atrocités infligées aux civils par l"unité Ek 10a. Son témoignage portant qu"il ne connaissait pas le nom de son unité avant 1970 n"est pas crédible, c"est-à-dire qu"il n"est pas digne de foi, non plus que son affirmation qu"il a été mis au courant des actes commis contre les Juifs par l"unité Ek 10a, savoir leur " relocalisation ", ce qu"il a appris vouloir dire exécution, seulement lorsqu"il était à Krasnodar et à Novorossiysk à l"automne de 1942.

[198]      Vers la fin de 1943 ou au début de 1944, le défendeur a quitté le Bélarus avec les forces allemandes pour aller vers le sud en Pologne, où il a été blessé. En avril 1944, il a obtenu la citoyenneté allemande par naturalisation, ainsi que sa mère et sa soeur, à Litzmannstadt. Plus tard cette année-là, le groupe armé dont il faisait partie a quitté la Pologne pour se rendre en Yougoslavie. Il a alors participé à des opérations contre les partisans. Avec l"avance des troupes russes, il a été envoyé à Torgau, une ville au sud de Berlin, pour participer à la défense de la capitale allemande. Vers la fin de la guerre, il est allé vers l"ouest avec d"autres personnes pour se rendre aux forces américaines. Il a ensuite continué sa marche vers l"ouest, jusqu"à Hanovre, où il a été interné dans un camp britannique pour prisonniers de guerre de mai à juillet 1945.

[199]      Il a été libéré de ce camp pour travailler comme ouvrier agricole. À sa libération, on lui a remis un certificat de démobilisation portant qu"il n"était plus membre de l"armée allemande. Par la suite, il a continué à résider en Allemagne de l"Ouest, d"abord à Hanovre et, plus tard, à Korntal, où il a retrouvé sa famille. C"est là qu"il a rencontré la future Mme Oberlander et qu"il l"a épousée en 1950.

[200]      M. Oberlander et son épouse ont présenté une demande pour immigrer au Canada en avril 1952. Cette demande, préparée par M. Oberlander, était consignée sur un formulaire O.S.8. À cette époque, ce formulaire ne comprenait pas de questions précises au sujet des activités du demandeur durant la Deuxième Guerre mondiale.

[201]      Lorsqu"ils ont fait leur demande d"immigrer, une procédure était prévue pour l"examen des dossiers de demande. Je conclus que cette procédure avait cours à Karlsruhe, le centre de l"immigration canadienne en Allemagne de l"Ouest, durant la période en cause ici. Cette procédure prévoyait que sur réception d"un formulaire de demande, on devait procéder à : un contrôle de sécurité par un agent de la GRC, un examen par un médecin, et un examen d"un agent des visas (immigration) qui devait s"assurer que l"on satisfaisait à toutes les exigences de la Loi sur l"immigration alors en vigueur. Ceci comprenait un contrôle de sécurité, des exigences en matière de santé et des exigences civiles, ainsi que l"appartenance à certaines catégories d"immigrants pour le marché du travail.

[202]      En 1952-1953, le contrôle de sécurité commençait lorsque l"agent de sécurité envoyait aux services de police et de renseignements les données tirées de la demande d"un candidat, afin d"obtenir tous les renseignements disponibles à son sujet. Sur réception des réponses, le candidat était convoqué à une entrevue à Karlsruhe, à laquelle il devait apporter certains documents, notamment des radiographies, un passeport, et le certificat de démobilisation.

[203]      La procédure établie prévoyait que les candidats qui se présentaient à l"entrevue étaient d"abord reçus par un agent de sécurité qui s"intéressait surtout aux antécédents et aux expériences du demandeur, à son origine, à ses diverses résidences, ainsi qu"à ses emplois et au service militaire ou assimilé pendant la décennie précédente, ce qui comprenait la période de la Deuxième Guerre mondiale. Si ces détails n"étaient pas portés au formulaire de demande, on essayait de les obtenir à l"entrevue puisque le rôle de l"agent de sécurité était d"évaluer si le candidat devait être rejeté en fonction des critères établis. Ces critères avaient d"abord été adoptés par la GRC, pour ensuite être modifiés par le Comité de la sécurité, un groupe de fonctionnaires supérieurs qui coordonnait les pratiques de sécurité et assurait le soutien requis à un comité du Cabinet à Ottawa.

[204]      À la fin de l"entrevue, l"agent de sécurité indiquait son évaluation sur le dossier en écrivant " a passé " ou " n"a pas passé " l"étape B. S"il y avait le moindre doute que le candidat se situait parmi ceux qui devaient être rejetés, l"agent de sécurité le rejetait dans l"intérêt du Canada. Cette décision était finale, et elle ne pouvait être révisée par l"agent des visas ou par qui que ce soit d"autre. Aucun motif n"était fourni. Le candidat n"était pas informé de la décision. Il passait ensuite son examen médical et son entrevue avec l"agent des visas, qui était le seul à pouvoir lui dire s"il satisfaisait ou non aux exigences aux fins de l"immigration. Sinon, aucune explication qui aurait pu laisser transparaître la décision de l"agent de sécurité n"était donnée.

[205]      Seul l"agent des visas était autorisé à délivrer aux candidats heureux un visa qu"ils devaient présenter à l"agent au port d"entrée au Canada, afin de recevoir le droit d"établissement. Ce n"est qu"après l"évaluation faite par l"agent de sécurité que les agents des visas traitaient un dossier et recevaient un candidat en entrevue.

[206]      Je conclus que le témoignage de M. Oberlander qu"on ne lui a posé aucune question quant à son expérience durant la guerre n"est pas crédible. Le témoignage de Mme Oberlander à l"appui de celui de son mari sur cette question fondamentale n"a aucun poids à mon avis, parce qu"il ne provient pas d"un témoin indépendant. Le témoignage de M. Bufe, qui porte qu"en 1952 à Karlsruhe, on ne lui aurait posé aucune question au sujet de son service durant la guerre ne peut avoir aucun poids puisqu"à mon avis, il n"est pas fiable.

[207]      Je conclus, selon la prépondérance des probabilités, que la procédure établie à Karlsruhe pour le traitement des candidats à l"immigration au Canada était utilisée le 14 août 1953, lorsque M. et Mme Oberlander sont venus à une entrevue au sujet de leur demande. Je conclus qu"il a été reçu par un agent de sécurité et que, selon la prépondérance des probabilités, on lui a posé des questions au sujet de ses antécédents, y compris des questions au sujet de son origine ukrainienne, qui était évidente au vu de son passeport, sur la façon dont il était venu en Allemagne, sur ses adresses antérieures, ainsi que sur son service militaire ou tout autre service durant les années de guerre. Les réponses à ces questions permettaient à l"agent de sécurité de prendre sa décision.

[208]      Il devait répondre honnêtement aux questions posées. Je conclus que si M. Oberlander avait répondu honnêtement à ces questions, notamment lorsqu"il s"agit de son expérience d"interprète avec l"unité Ek 10a ou la SD, une organisation qui a été jugée criminelle en 1946, sa demande aurait été rejetée, soit parce qu"on aurait considéré qu"il était un membre de la SD, même si ce n"était pas le cas, ou parce qu"on aurait considéré qu"il était un collaborateur. L"une ou l"autre de ces perceptions suffisait à motiver un rejet au titre de la sécurité. Si l"agent de sécurité avait eu le moindre doute au sujet de M. Oberlander, il l"aurait rejeté et celui-ci n"aurait pas passé l"étape B. Cette décision n"était pas susceptible de révision.

[209]      Ce n"est pas arrivé. Il n"a pas été rejeté, mais il a été reçu en entrevue par un agent des visas qui a approuvé sa demande. Plus tard, en février 1954, on lui a délivré un visa. C"est avec ce visa qu"il a obtenu l"admission au Canada à titre d"immigrant reçu en mai 1954.

[210]      Je conclus qu"on ne lui aurait pas délivré un visa sauf si l"agent de sécurité, suite à son entrevue avec M. Oberlander, avait indiqué que celui-ci avait " passé l"étape B ", c"est-à-dire qu"il avait passé le contrôle de sécurité. Selon la prépondérance des probabilités, je conclus que cette autorisation n"a pu être accordée à M. Oberlander que s"il n"a pas dit la vérité au sujet de son expérience durant la guerre au sein de l"unité Ek 10a, ou s"il n"en a pas parlé. Selon la prépondérance des probabilités, je conclus qu"il a fait une fausse déclaration quant à ses antécédents ou qu"il a dissimulé des faits essentiels lors de son entrevue avec l"agent de sécurité. Par conséquent, je conclus que, par la suite, il a été admis au Canada aux fins de la résidence permanente en raison du visa qu"on lui a délivré à Karlsruhe, et que cette admission a été obtenue par fausse déclaration ou par la dissimulation intentionnelle de faits essentiels.

Dispositif

[211]      Après avoir évalué la preuve avec soin, la Cour conclut selon la prépondérance des probabilités que le défendeur Helmut Oberlander a été admis à la résidence permanente au Canada en 1954 en raison d"un visa obtenu par fausse déclaration ou par la dissimulation intentionnelle de faits essentiels. Par la suite, il a acquis la citoyenneté en 1960.

[212]      Je conclus que M. Oberlander n"a pas été légalement admis à la résidence permanente au Canada et qu"il n"était donc pas un immigrant reçu. Il ne pouvait donc acquérir un domicile canadien au sens de la Loi sur l"immigration qui s"appliquait au moment où il est venu au Canada. Par la suite, il a acquis la citoyenneté en 1960 en déclarant qu"il avait acquis un domicile canadien, ce qui n"était pas le cas. Il a donc acquis la citoyenneté canadienne par suite d"une fausse déclaration.

[213]      Subsidiairement, si l"on jugeait qu"il a été admis au Canada légalement aux fins de la résidence permanente, je conclus que c"était suite à une fausse déclaration ou à la dissimulation intentionnelle de faits essentiels. Or, c"est suite à cette admission qu"il a obtenu la citoyenneté. En vertu du paragraphe 10(2) de la Loi sur la citoyenneté , il est réputé avoir acquis la citoyenneté par fausse déclaration ou dissimulation intentionnelle de faits essentiels.


[214]      En conséquence, je conclus que le défendeur, Helmut Oberlander, a acquis la citoyenneté canadienne par fausse déclaration ou dissimulation intentionnelle de faits essentiels, au sens du paragraphe 18(1) de la Loi sur la citoyenneté. Une décision est délivrée en ce sens.





W. Andrew MacKay


JUGE


OTTAWA (Ontario)

Le 28 février 2000




Traduction certifiée conforme



Pierre St-Laurent, LL.M.


     Annexe aux motifs      T-866-95

La Loi sur la citoyenneté, L.R.C. 1985, ch. C-29, porte en partie que :


10. (1) Subject to section 18 but notwithstanding any other section of this Act, where the Governor in Council, on a report from the Minister, is satisfied that any person has obtained, retained, renounced or resumed citizenship under this Act by false representation or fraud or by knowingly concealing material circumstances,

10. (1) Sous réserve du seul article 18, le gouverneur en conseil peut, lorsqu"il est convaincu, sur rapport du ministre, que l"acquisition, la conservation ou la répudiation de la citoyenneté, ou la réintégration dans celle-ci, est intervenue sous le régime de la présente loi par fraude ou au moyen d"une fausse déclaration ou de la dissimulation intentionnelle de faits essentiels, prendre un décret aux termes duquel l"intéressé, à compter de la date qui y est fixée_:

     (a) the person ceases to be a citizen, or
     a) soit perd sa citoyenneté; ...
     (b) the renunciation of citizenship by the person shall be deemed to have had no effect,
     b) soit est réputé ne pas avoir répudié sa citoyenneté.

as of such date as may be fixed by order of the Governor in Council with respect thereto.

(2) A person shall be deemed to have obtained citizenship by false representation or fraud or by knowingly concealing material circumstances if the person was lawfully admitted to Canada for permanent residence by false representation or fraud or by knowingly concealing material circumstances and, because of that admission, the person subsequently obtained citizenship.

(2) Est réputée avoir acquis la citoyenneté par fraude, fausse déclaration ou dissimulation intentionnelle de faits essentiels la personne qui l"a acquise à raison d"une admission légale au Canada à titre de résident permanent obtenue par l"un de ces trois moyens.

18. (1) The Minister shall not make a report under section 10 unless the Minister has given notice of his intention to do so to the person in respect of whom the report is to be made and

18. (1) Le ministre ne peut procéder à l"établissement du rapport mentionné à l"article 10 sans avoir auparavant avisé l"intéressé de son intention en ce sens et sans que l"une ou l"autre des conditions suivantes ne se soit réalisée_:

     (a) that person does not, within thirty days after the day on which the notice is sent, request that the Minister refer the case to the Court; or
     a) l"intéressé n"a pas, dans les trente jours suivant la date d"expédition de l"avis, demandé le renvoi de l"affaire devant la Cour;
     (b) that person does so request and the Court decides that the person has obtained, retained, renounced or resumed citizenship by false representation or fraud or by knowingly concealing material circumstances.
     b) la Cour, saisie de l"affaire, a décidé qu"il y avait eu fraude, fausse déclaration ou dissimulation intentionnelle de faits essentiels.

(2) The notice referred to in subsection (1) shall state that the person in respect of whom the report is to be made may, within thirty days after the day on which the notice is sent to him, request that the Minister refer the case to the Court, and such notice is sufficient if it is sent by registered mail to the person at his latest known address.

(2) L"avis prévu au paragraphe (1) doit spécifier la faculté qu"a l"intéressé, dans les trente jours suivant sa date d"expédition, de demander au ministre le renvoi de l"affaire devant la Cour. La communication de l"avis peut se faire par courrier recommandé envoyé à la dernière adresse connue de l"intéressé.

(3) A decision of the Court made under subsection (1) is final and, notwithstanding any other Act of Parliament, no appeal lies therefrom.

(3) La décision de la Cour visée au paragraphe (1) est définitive et, par dérogation à toute autre loi fédérale, non susceptible d"appel.

La Loi sur la citoyenneté, S.R.C. 1952, ch. 33, telle que modifiée en 1960, porte en partie que :

2(bb) "Canadian domicile" means Canadian domicile as defined in the laws respecting immigration that are or were in force at the time the Canadian domicile of a person is relevant under this Act.

2(bb) " Domicile canadien " signifie le domicile canadien tel que défini dans les lois concernant l"immigration qui sont ou qui étaient en vigueur à l"époque où le domicile canadien d"une personne est pertinent aux termes de la présente loi.

10(1) The minister may, in his discretion, grant a certificate of citizenship to any person who is not a Canadian citizen and who makes application for that purpose, and satisfies the Court that ...

10(1) Le Ministre peut, à sa discrétion, accorder un certificat de citoyenneté à toute personne qui n"est pas un citoyen canadien, qui en fait la demande et démontre à la satisfaction du tribunal, ...

     (c) the applicant has
     c) que le demandeur ou la demanderesse
         (i) acquired Canadian domicile ...
         (i) a acquis un domicile canadien; ...
     (d) he is of good character; ...
     d) qu"elle a une bonne moralité; ...

19.(1) The Governor in Council may, in his discretion, order that any person other than a natural-born Canadian citizen shall cease to be a Canadian citizen if, upon a report from the Minister, he is satisfied that the said person either ...

19. (1) Le gouverneur en conseil peut, à sa discrétion, ordonner qu"une personne, autre qu"un citoyen canadien de naissance, cesse d"être un citoyen canadien si, sur un rapport du Ministre, il est convaincu que ladite personne ...

     (b) has obtained a certificate of naturalization or of Canadian citizenship by false representation or fraud or by concealment of material circumstances;
     b) a obtenu un certificat de naturalisation ou de citoyenneté canadienne par fausse déclaration, fraude, ou dissimulation de faits importants;

La Loi sur l"immigration, S.R.C. 1952, ch. 325, telle que modifiée en 1954, porte en partie que :


2(c) "Canadian domicile" means Canadian domicile acquired and held in accordance with section four; ...

2 c) " domicile canadien " signifie un domicile canadien acquis et détenu conformément à l"article 4; ...

     (n) "Landing" means the lawful admission of an immigrant to Canada for permanent residence; ...
     n) " réception " signifie l"admission légale d"un immigrant au Canada aux fins de résidence permanente;

4(1) Canadian domicile is acquired for the purposes of this Act by a person having his place of domicile for at least five years in Canada after having been landed in Canada. ...

4(1) Pour l"application de la présente loi, une personne acquiert le domicile canadien en ayant son lieu de domicile au Canada pendant au moins cinq ans, après avoir été reçue dans ce pays. ...

COUR FÉDÉRALE DU CANADA

SECTION DE PREMIÈRE INSTANCE


AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

No DU GREFFE :          T-866-95

INTITULÉ DE LA CAUSE :      Le ministre de la Citoyenneté et de l"Immigration

                     c. Helmut Oberlander


LIEUX DE L"AUDIENCE :      Ottawa (Ontario)

                     Kitchener (Ontario)

                     Vancouver (Colombie-Britannique)

                     Toronto (Ontario)

DATES DE L"AUDIENCE :      les 24, 25, 26 et 31 août 1998

                     les 1er, 2, 3, 10, 14, 15, 17, 18 et 19 septembre 1998

                     les 21, 22 et 23 décembre 1998


MOTIFS DE DÉCISION DE M. LE JUGE MACKAY

EN DATE DU :              28 février 2000


ONT COMPARU

Peter Vita, c.r.                              pour le demandeur

Robert Goldstein

Neeta Logsetty


M. Eric Hafemann                          pour le défendeur


AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


M. Morris Rosenberg                          pour le demandeur

Sous-procureur général du Canada


Eric Hafemann                              pour le défendeur

Kitchener (Ontario)

__________________

1      L.R.C. (1985), ch. C-29, telle que modifiée.

2      S.R.C. 1952, ch. 33, telle que modifiée.      Dans la mesure où elles sont pertinentes en l"instance, les dispositions législatives sur lesquelles le ministre s"appuie sont reproduites à l"annexe de ces motifs.

3      Avis de révocation de la citoyenneté, daté du 27 janvier 1995, adressé par le greffier de la citoyenneté canadienne à Helmut Oberlander.

4      La procédure prévue à l"art. 920 des anciennes règles (CRC 1978, ch. 663) a été remplacée par les Règles de la Cour fédérale de 1998 (DORS/98-106), qui sont entrées en vigueur le 25 avril 1998. L"al. 169a ) des Règles prévoit maintenant qu"un renvoi en vertu de l"art. 18 de la Loi sur la citoyenneté sera instruit comme une action sous la partie 4 des Règles.

5      Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l"Immigration) c. Tobiass, [1996] 2 C.F. 729, 116 F.T.R. 69 (1re inst.).

6      Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l"Immigration) c. Tobiass, [1997] 1 C.F. 828, 142 D.L.R. (4th) 270, 208 N.R. 21 (C.A.F.).

7      Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l"Immigration) c. Tobiass et autres, [1997] 3 R.C.S. 391; 10 C.R. (5th) 163, 118 C.C.C. (3d) 443, 151 D.L.R. (4th) 119, 218 N.R. 81.

8      Le juge Noël s"est appuyé, pour déclarer que ces procédures étaient de nature civile, sur Canada c. Tobiass et autres, précité, note 7, ainsi que sur Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l"Immigration) c. Copeland, [1998] 2 C.F. 493, 140 F.T.R. 183 (1re inst.); Canada (Secrétaire d"État) c. Luitjens (1993), 142 N.R. 173 (C.A.F.); Canada (Secrétaire d"État) c. Delezos, [1989] 1 C.F. 297 (C.F. 1re inst.).

9      Canada (Secrétaire d"État) c. Luitjens, précité, note 8, confirmé par Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l"Immigration) c. Tobiass et autres., précité, note 7, [1997] 3 R.C.S. 391, à la p. 412.

10      La Loi , par. 18(3).

11      Einsatzkommando 10a (Ek 10a), qu"on appelle aussi Sonderkommando 10a (Sk 10a), était l"une des cinq unités ou groupes opérationnels au sein de l"Einsatzgruppe D. Ce dernier était l"une des quatre unités spéciales de police (A,B,C, et D), qui opéraient dans les territoires occupés par les Allemands à l"Est derrière le front tenu par la Wehrmacht.

12      Les dossiers où il n"y avait eu aucune activité pendant deux ans ou plus étaient détruits en vertu de la politique générale du gouvernement depuis au moins le début des années 50. Transcription, vol. III, p. 215 (témoignage de J.A.W. Gunn).

13      Pièce A-4-103.

14      Cette épellation se trouve sur la carte de l"Ukraine publiée par Map Link, Santa Barbara, CA (É.-U.), (1997). On écrit aussi Molotschansk.

15      Les autres groupes, savoir les unités de police, qui comptaient sur des auxiliaires locaux pour les appuyer, conscrivaient des Volksdeutsche, ou autres, pour servir dans leurs rangs.

16      Transcription, vol. VIII, pp. 986, 989 à 994, 1022 à 1026 (témoignage de M. Huebert); vol. VI, pp. 884, 886 à 893, 899 et 900 (témoignage de M. Siderenko).

17      Transcription, vol. IX, pp. 1288 et 1300 (de l"interrogatoire préalable) et vol. XI, p. 1577, vol. XII, pp. 1738, 1745 à 1748 (témoignage de M. Oberlander).

18      L.R.C. (1985), ch. C-5, art. 30.

19      Le témoignage de M. Siderenko relatif à sa détention par le NKVD russe en 1945 et en 1948, ainsi qu"aux sévices qu"il a subis lors de son interrogation au sujet de son service avec les troupes allemandes (transcription, vol. VI, pp. 911 à 914) illustre bien pourquoi les rapports d"interrogation ne peuvent être admis comme une preuve fiable lorsqu"on ne sait rien des circonstances dans lesquelles ils ont été produits.

20      Voir en général le rapport d"expert du Dr M. Messerschmidt, pièce A-7-18, pp. 2 à 4, et 24 à 26.

21      Idem, p. 5.

22      Idem, p. 6.

23      Idem, p. 21.

24      Idem, pp. 33 et 34.

25      Idem, p. 33.

26      Idem, p. 34. Voici le nombre estimatif des victimes, pour les autres centres contrôlés par Ek 10a, établi après la guerre par les autorités judiciaires allemandes : Melitopol, 2 000, Berdjansk, 1 000, Mariupol, 8 000, Taganrog, 1 500 et Rostov, 2 000.

27      Idem, p. 43.

28      Voir le par. 9 de la réponse du défendeur au résumé des faits et de la preuve du demandeur,      13 janvier 1998, où l"on trouve l"admission suivante : [traduction ] " À l"occasion, on lui demandait de servir d"interprète lors de l"interrogation de personnes au sujet de leurs activités et de leurs documents ".

     Voir à ce sujet le Procès des grands criminels de guerre devant le Tribunal militaire international de Nuremberg, en vertu de la Loi no 10 du Conseil de contrôle, vol. IV, octobre 1946 - avril 1949, à la p. 411.

29      Pièce A-3-53.

30      Pièce A-3-39.

31      Pièces A-3-34, A-3-38 et A-3-39.

32      Transcription, vol. IV, p. 664, vol. V, p. 679.

33      Transcription, vol. IV, p. 664.

34      Transcription, vol. XI, p. 1552.

35      Transcription, vol. XII, pp. 1714 à 1718, 1745 à 1748.

36      Pièce A-6-6.

37      Transcription, vol. XII, pp. 1849 à 1851.

38      Précité, note 13.

39      Pièce A-4-104.

40      Pièce A-4-105.

41      Pièce A-3-54.

     Transcription, vol. XII, pp. 1737 et 1738, 1744 et 1745.

     Pièce A-3-54, p. 7.

     Transcription, vol. IX, pp. 1226, 1228, 1232 et 1233.

42      Transcription, vol. XIII, pp. 1953 et 1954.

     Transcription, vol. IX, p. 1229.

     Transcription, vol. XIII, p. 1902.

     Pièce A-6-4. L"histoire de la politique de l"immigration et des contrôles de sécurité est racontée en détail par M. le juge Noël dans Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l"Immigration) c. Dueck, [1999] 3 C.F. 203, par M. le juge Nadon dans Ministre de la Citoyenneté et de l"Immigration c. Katriuk (1999), 156 F.T.R. 161 (1re inst.), et par M. le juge Lutfy (maintenant juge en chef adjoint) dans Ministre de la Citoyenneté et de l"Immigration c. Kisluk, [1999] A.C.F. no 824, 50 Imm.L.R. (2d) 1 (1re inst.).

43      C.P. 695, 25 mars 1931.

44      S.R.C. 1927, ch. 93.

45      Hansard, Débats de la Chambre des communes, 1er mai 1947, p. 2644. Tel que cité à la pièce A-6-4, affidavit de Nicholas D"Ombrain, par. 52.

46      C.P. 2856, 9 juin 1950.

47      C.P. 4364, 14 septembre 1950.

48      Pièce A-6-4, par. 82 à 84.

49      Pièce A-6-4, par. 69 et 74.

50      Pièce A-4-85.

     L"interdiction totale visant les anciens membres du parti nazi a d"abord été levée en 1950 et, de façon plus formelle, par la décision de mai 1952 du Comité de la sécurité. Pièce A-6-4, par. 101 et 106.

     Pièce A-6-4, par. 106.

     Idem., par. 107.

     Pièce R-11.

     Transcription, vol. II, pp. 285 à 288.

     Commission d"enquête sur les criminels de guerre (1985-1986).

51      Pièce R-11.

     Précité, note 59.

52      Pièce R-21.

53      Pièce R-11.

54      Transcription, vol. III, pp. 356 et 357.

55      Directive du Cabinet no 14 [traduction] " Rejet des immigrants pour des raisons de sécurité ", 28 octobre 1949.

56      Transcription, vol. II, pp. 304, 305 et 309.

57      Transcription, vol. III, p. 368.

58      Transcription, vol. VIII, p. 1144.

     Transcription, vol. XI, p. 1608.

     Transcription, vol. XIII, p. 1918.

     Transcription, vol. XIII, pp. 2008 à 2012.

     Transcription, vol. XIII, pp. 2014 et 2015 et pièce R-33g.

     Pièce A-4-61.

59      Transcription, vol. XII, pp. 1849 et 1950.

60      Pièce A-6-11.

61      Pièce A-6-6.

62      Pièce A-6-2.

63      Pièce A-3-54.

64      Transcription, vol. IX, pp. 1353 et1354.

     L.R.C. (1985), ch. 29, telle que modifiée.

     [1989] 2 C.F. 125, à la p. 133 (1re inst.).

     S.R.C. 1952, ch. 33, telle que modifiée.

     L.R.C. (1985), ch. I-21.

     S.R.C. 1952, ch. 325, telle que modifiée.

     Idem., sous-alinéa 19(1)e)(viii).

     Idem., art. 20.

     Idem., al 50f).

65      Idem, al. 5t).

     [1999] 3 C.F. 203 (1re inst.).

     Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l"Immigration) c. Bogutin (1998), 144 F.T.R. 1 (1re inst.).

     Précité, note 49.

     Précité, note 49.

     Précité, note 94, au par. 113.

     Voir Katriuk, précité, note 49, au par. 38; Kisluk, précité, note 49, au par. 5.

66      On trouve cet estimé dans la décision du 1er octobre 1946 du Tribunal militaire international. Il est consigné dans le document Procès des grands criminels de guerre devant le Tribunal militaire international de Nuremberg en vertu de la Loi no 10 du Conseil de contrôle, Nuremberg, octobre 1946 - avril 1949, vol. IV, p. 412.

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