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Date : 20060116

Dossier : T-983-05

Référence : 2006 CF 32

Toronto (Ontario), le 16 janvier 2006

EN PRÉSENCE DE MONSIEUR LE JUGE von FINCKENSTEIN

ENTRE :

MOHAMED SAID MAHIOUT et

SADIA GUETTOUCHE

                                                                                                                                        demandeurs

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

                                                                                               

                                                                                                                                          défendeurs

MOTIFS DE L'ORDONNANCE ET ORDONNANCE

[1]                Il s'agit d'un appel interjeté en vertu du paragraphe 14(5) de la Loi sur la citoyenneté, L.R.C. (1985), ch. C-29 (la Loi), d'une décision en date du 11 avril 2005 de la juge de la citoyenneté Gleason (la juge) refusant la citoyenneté canadienne à Mohamed Said Mahiout et à sa femme, Sadia Guettouche (les demandeurs), au motif que l'exigence de résidence prévue à l'alinéa 5(1)c) de la Loi n'avait pas été respectée.

[2]                L'alinéa 5(1)c) de la Loi énonce qu'une personne demandant la citoyenneté doit, dans les quatre ans qui ont précédé la date de sa demande, avoir résidé au Canada pendant au moins trois ans, soit pendant 1095 jours. Chaque jour de résidence au Canada avant l'admission du demandeur à titre de résident permanent compte pour un demi-jour (donc deux jours comptent pour un jour dans le total des 1095 jours requis).

MOHAMED SAID MAHIOUT

[3]                Monsieur Mahiout est né en Algérie. Il est venu au Canada le 14 novembre 1998 afin d'obtenir sa maîtrise en sciences de la Terre à l'Université du Québec à Chicoutimi (Québec). Après l'obtention de son diplôme, il a été embauché chez Schlumberger. Le 19 août 2000 (quatre mois après l'obtention de son diplôme), sa femme et lui sont devenus résidents permanents du Canada.

[4]                Le 3 février 2001, M. Mahiout a été transféré au Brésil, puis à Oman le 11 juin 2001 et enfin en Iran le 10 janvier 2003. Monsieur Mahiout a été rappelé au Canada et transféré en Alberta. Il est arrivé le 4 août 2005.

[5]                Il déclare que son désir de s'installer au Canada est prouvé par le fait que ses comptes bancaires sont au Canada. De plus, à l'exception d'une visite de 15 jours rendue à sa mère en Algérie, il n'a été absent du Canada que pour son emploi, et il est revenu au Canada pendant ses vacances alors qu'il travaillait à l'étranger.

           

[6]                Le défendeur reconnaît que la juge a mal énoncé le nombre de jours pendant lesquels le demandeur a été absent du Canada. Une vérification du dossier révèle qu'il avait accumulé 430 jours des 1095 jours requis.           

SADIA GUETTOUCHE

[7]                Madame Guettouche est née, elle aussi, en Algérie et a obtenu un diplôme de l'Université d'Alger. Monsieur Mahiout et elle se sont mariés en Algérie, et elle est restée dans son pays pendant que son mari étudiait au Québec. Elle est arrivée au Canada le 29 août 2000 comme résidente permanente. Peu après son arrivée, elle a accompagné son mari au Brésil et à Oman. Elle est revenue à Calgary pour quelque temps afin de donner naissance à sa fille en avril 2003. Elle a aussi habité avec son mari pendant qu'il travaillait en Iran jusqu'à ce qu'elle soit de nouveau enceinte et qu'elle revienne à Calgary, en juillet 2004.

[8]                La juge, lorsqu'elle a noté qu'il manquait 826 jours à M. Mahiout et à Mme Guettouche pour atteindre le minimum de 1095 jours établi à l'article 5 de la Loi, a mis en pratique les six critères énoncés dans la décision Koo (Re), [1993] 1 C.F. 286. En examinant les six critères, elle a conclu qu'aucun des deux demandeurs n'avait centralisé son mode d'existence au Canada, et que, par conséquent, ils n'étaient pas admissibles à la citoyenneté canadienne.

LA NORME DE CONTRÔLE

[9]                Il ressort clairement de la jurisprudence que la norme de contrôle qui s'applique à l'exigence de résidence dans les affaires de citoyenneté est la décision raisonnable simpliciter. (Voir Zeng c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), 2004 CF 1752; Rasaei c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), 2004 CF 1688; et Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration) c. Fu, 2004 CF 60.)

LA QUESTION EN LITIGE

[10]            Était-il raisonnable de la part de la juge de refuser la citoyenneté aux demandeurs parce qu'ils n'avaient pas respecté l'exigence de résidence établie à l'alinéa 5(1)c) de la Loi?

ANALYSE

[11]            Comme ni l'un ni l'autre des demandeurs ne respecte de manière stricte l'exigence de résidence quant au nombre de jours qu'ils ont résidé au Canada, la question doit être réglée en fonction du critère de centralisation du mode d'existence qui a été énoncé dans de nombreuses décisions de la Cour, en particulier dans la décision Koo, précitée.

[12]            Le paragraphe 10 de l'arrêt Koo, précité, se lit comme suit :

La conclusion que je tire de la jurisprudence est la suivante : le critère est celui de savoir si l'on peut dire que le Canada est le lieu où le requérant « vit régulièrement, normalement ou habituellement » . Le critère peut être tourné autrement : le Canada est-il le pays où le requérant a centralisé son mode d'existence? Il y a plusieurs questions que l'on peut poser pour rendre une telle décision :

(1)        la personne était-elle physiquement présente au Canada durant une période prolongée avant de s'absenter juste avant la date de sa demande de citoyenneté?

(2)        où résident la famille proche et les personnes à charge (ainsi que la famille étendue) du requérant?

(3)        la forme de présence physique de la personne au Canada dénote-t-elle que cette dernière revient dans son pays ou, alors, qu'elle n'est qu'en visite?

(4)        quelle est l'étendue des absences physiques (lorsqu'il ne manque à un requérant que quelques jours pour atteindre le nombre total de 1095 jours, il est plus facile de conclure à une résidence réputée que lorsque les absences en question sont considérables)?

(5)        l'absence physique est-elle imputable à une situation manifestement temporaire (par exemple, avoir quitter le Canada pour travailler comme missionnaire, suivre des études, exécuter un emploi temporaire ou accompagner son conjoint, qui a accepté un emploi temporaire à l'étranger)?

(6)        quelle est la qualité des attaches du requérant avec le Canada : sont-elle plus importantes que celles qui existent avec un autre pays?

[13]            Les demandeurs allèguent que la décision de la juge était déraisonnable pour les raisons suivantes :

a)         elle a mal calculé les jours accumulés par M. Mahiout;

b)         elle a commis une erreur en décrivant les parents des demandeurs, car ce sont les parents de Mme Guettouche qui habitent à Montréal, et non ceux de M. Mahiout;

            c)         elle n'a pas accordé suffisamment d'importance au fait que l'employeur officiel de M. Mahiout est situé à Calgary, et que le salaire entier de M. Mahiout était déposé dans une banque à Calgary (Alberta);

            d)         elle n'a pas accordé suffisamment d'importance au fait que M. Mahiout n'a passé que 15 jours et que Mme Guettouche n'a passé que 60 jours dans leur pays natal depuis leur arrivée au Canada;

            e)         elle n'a pas tenu compte du fait que les demandeurs possédaient des permis de retour pour résident permanent lorsqu'elle a examiné la question 5 du critère Koo;

f)           elle n'a pas précisé, à la question 6 du critère Koo, avec quel pays les demandeurs avaient les liens les plus importants.

[14]            Les six points décrits dans la décision Koo, précitée, ne sont pas un cadre immuable qui doit être suivi mais sont plutôt, comme la juge Reed le donne à entendre, des questions qui peuvent aider à déterminer où le demandeur a centralisé son mode de vie. En l'espèce, la juge a conclu que les demandeurs n'avaient pas centralisé leur mode de vie au Canada.

[15]            Les points a) et b) énoncés par les demandeurs sont sans importance et ne les aident en rien. Les points c) et d) demandent une réévaluation des éléments de la preuve. Il n'appartient pas à la Cour d'effectuer une telle réévaluation dans le cas d'appels sur dossier (voir Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration) c. Mindich (1999), 170 F.T.R. 148, au paragraphe 7). Le Bureau de la citoyenneté, en tant que tribunal spécialisé, devrait se voir accorder une certaine déférence compte tenu de ses connaissances spécialisées. Je ne vois aucune raison pouvant me convaincre d'intervenir sur ces deux points.

[16]            En ce qui a trait aux points e) et f), les demandeurs se fondent sur la décision du juge Rouleau dans Collier c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), 2005 CF 1511, en particulier aux paragraphes 11 et 18, qui se lisent comme suit :

Pour les fins de la résidence, les jours passés à l'étranger par le titulaire d'un permis de retour pour résident permanent ne sont pas considérés comme des journées passées à l'étranger pour ce qui est de la condition de résidence de l'article 28 de la Loi sur l'immigration et la protection des réfugiés. Il est vrai que les permis de retour pour résident permanent ne sont pas juridiquement applicables aux demandes de citoyenneté, mais je ne vois aucune raison pour ne pas considérer qu'un permis de retour pour résident permanent ne peut être pris en compte comme facteur factuel concernant la nature des absences [...]

                               

                                [...]

En l'espèce, la juge de la citoyenneté a conclu que la demanderesse avait un lien plus important avec sa carrière de joueuse professionnelle de volleyball qu'avec le Canada. La carrière de la demanderesse est un élément pertinent aux termes du cinquième facteur de l'arrêt Koo pour ce qui est de la nature de ses absences, mais sa carrière n'est pas un facteur pertinent pour évaluer l'existence d'un lien important. Comme madame la juge Reed l'a noté dans Koo, la demanderesse doit démontrer qu'elle possède avec le Canada des liens qui sont plus importants que ceux qu'elle a avec n'importe quel autre lieu ou pays. En l'espèce, la juge de la citoyenneté a commis une erreur dominante lorsqu'elle a évalué le lien qu'entretenait la demanderesse avec sa carrière par rapport à celui qu'elle avait avec le Canada; la juge de la citoyenneté n'a pas identifié de pays de référence.

[17]            Concernant la question du permis de retour pour résident permanent, le juge Rouleau souligne qu'il peut entrer en ligne de compte, mais je ne relève aucune mention que le permis doit être pris en considération. En l'espèce, la juge a noté, de façon tout à fait raisonnable, qu'au moment où l'audience à eu lieu, le retour de M. Mahiout à Calgary n'était que possible et qu'il continuait de travailler à l'étranger pour Schlumberger. Le fait qu'il possédait un permis de retour pour résident permanent ne change rien à cette conclusion.

[18]            En ce qui a trait au défaut de préciser un pays de référence, cette observation doit être examinée dans le contexte de Collier, précitée. Dans cette décision, la juge de la citoyenneté avait déterminé que la demanderesse avait un lien plus important avec sa carrière sportive qu'avec le Canada. Le juge Rouleau avait conclu qu'il s'agissait d'une erreur justifiant l'infirmation de la décision, et je suis d'accord avec lui qu'un lien à un sport n'est pas pertinent lorsqu'il s'agit de déterminer si le mode d'existence du demandeur est centralisé au Canada. Cependant, en l'espèce, la juge n'a fait aucune comparaison de ce genre, elle a seulement noté qu'aucune des preuves déposées par les demandeurs ne répondait à la question au sujet de la centralisation de leur mode d'existence au Canada.

[19]            Par conséquent, je conclus qu'aucun élément de la décision de la juge de la citoyenneté n'est déraisonnable et la demande ne peut donc pas être accueillie. Cela dit, je ne peux pas m'empêcher de remarquer que la situation des demandeurs a changé depuis que leur demande a été entendue par la juge de la citoyenneté. M. Mahiout est depuis de retour à Calgary, Mme Guettouche a donné naissance à des jumeaux, au Canada, et ils habitent tous à Calgary depuis août 2005. Il est donc très probable qu'une nouvelle demande de citoyenneté serait accueillie.

ORDONNANCE

LA COUR ORDONNE que le présent appel soit rejeté.

                                                                                                            « K. von Finckenstein »

JUGE

Traduction certifiée conforme

Evelyne Swenne, traductrice


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

DOSSIER :                                        T-983-05

           

INTITULÉ :                                       MOHAMED SAID MAHIOUT et

                                                            SADIA GUETTOUCHE

                                                            et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

                                                                                               

                                                                                                                                                           

LIEU DE L'AUDIENCE :                 CALGARY (ALBERTA)

DATE DE L'AUDIENCE :               LE 11 JANVIER 2006

MOTIFS DE L'ORDONNANCE

ET ORDONNANCE :                       LE JUGE von FINCKENSTEIN

DATE DE L'ORDONNANCE :       LE 16 JANVIER 2006

COMPARUTIONS:

Gary Hansen                                         POUR LES DEMANDEURS

W. Brad Hardstaff                                 POUR LE DÉFENDEUR

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Hansen & Company                              POUR LES DEMANDEURS

Calgary (Alb.)

John H. Sims c.r.                                   POUR LE DÉFENDEUR

Sous-procureur général du Canada

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