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Date : 20050715

Dossier : T-214-05

Référence : 2005 CF 989

Ottawa (Ontario), le 15 juillet 2005

EN PRÉSENCE DE MONSIEUR LE JUGE RUSSELL

ENTRE :

ABBOTT LABORATORIES LIMITED

TAP PHARMACEUTICALS INC.

demanderesses

et

LE MINISTRE DE LA SANTÉ, NOVOPHARM LIMITED

et TAKEDA PHARMACEUTICAL COMPANY LIMITED

défendeurs

MOTIFS DE L'ORDONNANCE ET ORDONNANCE

1.        LES APPELS

[1]      Novopharm Limited (Novopharm) et Abbott Laboratories Limited (Abbott) interjettent appel des ordonnances prononcées par la protonotaire Milczynski le 6 mai 2005 (la première ordonnance) et le 31 mai 2005 (la seconde ordonnance) (les ordonnances). La première ordonnance prévoyait le prononcé de la seconde ordonnance et renfermait les motifs exposés par la protonotaire Milczynski à l'appui des deux ordonnances. La seconde ordonnance est une ordonnance de non-divulgation limitée, fondée sur l'article 151 des Règles de la Cour fédérale (1998).

[2]      La thèse de Novopharm est que les ordonnances ont une portée trop restreinte étant donné qu'elles ne protègent pas tous les documents que Novopharm a reçu l'ordre de produire conformément au paragraphe 6(7) du Règlement sur les médicaments brevetés (avis de conformité) (le Règlement).

[3]      Novopharm soutient que les motifs invoqués pour justifier les ordonnances sont manifestement erronés. Elle réclame un appel de novo et demande à la Cour de rendre une ordonnance de non-divulgation de portée plus large, conformément à ce que propose Novopharm.

[4]      Abbott interjette appel des ordonnances parce que la protonotaire Milczynski ne disposait d'aucun élément de preuve qui appuyait les assertions de confidentialité de Novopharm et la forme limitée de protection prévue par les ordonnances.

2.              GENÈSE DE L'INSTANCE

La demande et la requête en ordonnance de non-divulgation

[5]      Le 21 décembre 2004, Novopharm a signifié à Abbott un avis d'allégation conformément à l'article 5 du Règlement.

[6]      L'avis d'allégation concernait la présentation abrégée de drogue nouvelle de Novopharm (PADN) relative à ses capsules proposées de lansoprazole à libération différée de 15 mg et de 30 mg. L'avis d'allégation renfermait des allégations d'absence de contrefaçon en ce qui concerne les brevets canadiens nos 1,312,548 et 2,009,741.

[7]      En réponse à l'avis d'allégation envoyé par Novopharm et conformément au paragraphe 6 du Règlement, Abbott a introduit la présente demande le 7 février 2005.

[8]      Par un avis de requête daté du 22 mars 2005, Novopharm a déposé une requête (la requête en ordonnance de non-divulgation) en vue d'obtenir une ordonnance de non-divulgation, un échéancier et une ordonnance portant que l'instance devait être gérée à titre d'instance à gestion spéciale. La requête en ordonnance de non-divulgation devait à l'origine être présentée le 4 avril 2005, mais son examen a été reporté au 11 avril 2005, date à laquelle elle a été instruite en partie par le protonotaire Lafrenière. Le 11 avril 2005, le protonotaire Lafrenière a ordonné que l'instance soit gérée à titre d'instance à gestion spéciale et que l'examen du reste de la requête en ordonnance de non-divulgation soit reporté à un autre jour.

L'ordonnance de divulgation

[9]      Par un avis de requête daté du 18 avril 2005 (la requête en divulgation), Abbott a sollicité une ordonnance enjoignant à Novopharm de lui divulguer tous les extraits pertinents de sa présentation de drogue. La requête en divulgation a été accueillie le 25 avril 2005 par le protonotaire Lafrenière et l'ordonnance en découlant (l'ordonnance de divulgation) a été prononcée le 6 mai 2005.

[10]    L'ordonnance de divulgation a été prononcée en vertu des pouvoirs que le paragraphe 6(7) du Règlement confère à la Cour. L'ordonnance de divulgation oblige Novopharm à communiquer à Abbott tous les passages pertinents de sa présentation, y compris :

a)                   Des extraits des lettres d'accompagnement dans lesquelles il est question d'utilisations ou d'indications;

b)                   Toute correspondance relative aux utilisations ou indications;

c)                   Toute formule 3011 ou document équivalent;

d)                   Toute version provisoire de toute monographie projetée;

e)                   Toute version provisoire de toute étiquette projetée;

f)                     Tout formulaire V ou document équivalent;

g)                   Des extraits des comptes rendus d'études cliniques ou d'autres documents :

i)            qui renferment des conclusions au sujet de l'analyse de bioéquivalence, mais pas l'essentiel de cette analyse ou de ces données;

ii)          qui renferment des conclusions au sujet de l'analyse de biodisponibilité, mais pas l'essentiel de cette analyse ou de ces données;

iii)         qui renferment des conclusions au sujet de l'analyse pharmacodynamique, mais pas l'essentiel de cette analyse ou de ces données;

h)          Tous les ouvrages cités par Novopharm dans sa présentation.

Les ordonnances frappées d'appel

[11]    Le 2 mai 2005, la protonotaire Milczynski a examiné le volet de la requête en ordonnance de non-divulgation qui portait sur l'ordonnance de non-divulgation. À la suite de cette audience, la protonotaire Milczynski a prononcé la première ordonnance le 6 mai 2005.

[12]    On trouve les passages importants suivants aux pages 6 et 9 des motifs de la première ordonnance :

       [Traduction] En l'espèce, j'estime qu'à quelques exceptions près, Novopharm ne s'est pas acquittée du fardeau qui lui incombait. Ainsi que je l'explique plus loin, la requête n'est accueillie qu'en partie. Une ordonnance déclarant certains renseignements confidentiels sera prononcée en ce qui concerne la bioéquivalence comparative des capsules de 15 mg et de 30 mg de lansoprazole à libération différée de Novopharm et la formulation spécifique des ingrédients non médicamenteux des capsules.

       Novopharm ne m'a pas convaincue que tous les documents contenus dans la PADN devraient être considérés comme confidentiels, les seules exceptions étant les renseignements portant sur la bioéquivalence comparative des capsules à libération différée de 15 mg et de 30 mg de lansoprazole de Novopharm ainsi que la formulation spécifique des ingrédients non médicamenteux des capsules, exceptions qu'Abbott a vraisemblablement reconnues (si non concédées).

[13]    Voici le texte du premier paragraphe du dispositif de la première ordonnance, que l'on trouve à la suite des motifs précités :

[Traduction]

LA COUR ORDONNE :

1. La requête est accueillie en partie :

(i)             une ordonnance de non-divulgation conforme aux présents motifs sera prononcée et les parties en arrêteront les modalités au cours d'une autre conférence téléphonique organisée dans le cadre d'une audience de la Cour.

[14]    Une autre conférence téléphonique visant à arrêter les modalités de l'ordonnance de non-divulgation découlant de la première ordonnance a eu lieu le 27 mai 2005. La seconde ordonnance a ensuite été prononcée le 31 mai 2005.

[15]    Le paragraphe crucial de la seconde ordonnance est le paragraphe 5. Il limite les renseignements susceptibles d'être protégés en raison de leur caractère confidentiel :

    [Traduction]

     5. Les renseignements suivants peuvent être considérés comme des renseignements confidentiels :

a)          Les renseignements concernant la formulation spécifique des capsules à libération différée de 15 mg et de 30 mg de lansoprazole de Novopharm, l'identité des ingrédients non médicamenteux, ainsi que leur forme et/ou les quantités utilisées (par ex. « standard » , « concentration » ou « unités » );

b)          Les renseignements ou les données concernant la bioéquivalence comparative des capsules à libération différée de 15 mg et de 30 mg de lansoprazole de Novopharm, mais non les conclusions tirées au sujet des renseignements en question.            

3.        LA PREUVE

M. David Windross

[16]    C'est M. David Windross, un employé de Novopharm (vice-président aux Affaires gouvernementales, professionnelles et réglementaires), qui a témoigné pour le compte de Novopharm lors de l'audition de la requête dont a été saisie la protonotaire Milczynski. Il a fourni les renseignements importants suivants :

a)             Le contenu de la PADN de Novopharm est strictement confidentiel;

b)             Novopharm ne souhaite pas que ces renseignements soient divulgués;

c)             Novopharm considère toujours ces renseignements comme confidentiels;

d)             M. Windross croit comprendre que Santé Canada ne divulgue le contenu des PADN qu'une fois que le produit est lancé sur le marché;

e)             Tant que le produit n'a pas été lancé sur le marché, Santé Canada protège la confidentialité de tout le contenu de la PADN;

f)               L'obtention par un tiers des renseignements contenus dans la PADN porterait gravement atteinte aux intérêts commerciaux de Novopharm;

g)             Il est essentiel de protéger la confidentialité de tous les renseignements contenus dans la PADN pour empêcher d'autres sociétés pharmaceutiques de se servir de ces renseignements à leurs propres fins en utilisant, par exemple, la formulation de Novopharm pour produire leur propre version du médicament;

h)             Bien que certains éléments de la PADN de Novopharm puissent faire partie du domaine public, la façon dont ces renseignements ont été communiqués, le contenu exact de chaque communication et le moment où elles ont eu lieu présentent un grand intérêt pour les concurrents de Novopharm, qui pourraient ainsi mieux comprendre comment Novopharm s'y est prise pour obtenir l'homologation. Ils pourraient ainsi mieux se préparer pour demander l'approbation de leur propre présentation;

i)               Bien que les documents tels que la monographie et l'étiquette du produit ressemblent aux équivalents PREVACID [qui sont du domaine public], les différences ne sont pas publiques et un concurrent pourrait s'en servir pour élaborer son propre médicament équivalent;

j)               Bien que les publications citées dans une PADN ne soient pas confidentielles, une liste des ouvrages cités risquerait de révéler la stratégie utilisée par Novopharm pour obtenir l'homologation de son produit et ce renseignement pourrait être précieux pour les concurrents de Novopharm.

[17]    En réponse au fait établi qu'une partie du contenu de la PADN est publique, M. Windross a développé une série d'arguments connexes, que l'on trouve à l'alinéa h) précité, dans lesquels il fait valoir que, même si la teneur d'un document est publique, certains éléments demeurent confidentiels tels que [Traduction] « la façon dont ils ont été communiqués à Santé Canada, le moment où ils ont été communiqués, ainsi que les explications, observations ou arguments soumis à Santé Canada » (les renseignements sur le contexte).

M. Albert Liston

[18]    M. Albert J. Liston est un scientifique titulaire d'un doctorat qui a travaillé à Santé Canada pendant 30 ans. Il était le haut fonctionnaire à la tête de la direction de Santé Canada chargée de l'homologation des médicaments délivrés sur ordonnance au Canada. De 1982 à 1984, il a été sous-ministre adjoint par intérim au sein de ce service et de 1984 à 1992, il a été sous-ministre adjoint de la Santé chargé de la Direction générale de la protection de la santé.

[19]    Pendant qu'il était à Santé Canada, M. Liston a été nommé directeur en vertu de la Loi sur les aliments et drogues et de son règlement d'application, une charge créée par la loi dont le titulaire a pour mandat de gérer et d'homologuer les présentations de drogues pour tous les médicaments au Canada. M. Liston était, au sein de la Direction de la protection de la santé du ministère de la Santé, la personne qui exerçait les pouvoirs délégués du ministre de la Santé et qui était chargée de veiller à ce que la Direction respecte la législation fédérale sur l'accès à l'information. Au cours des 30 années qu'il a passées à Santé Canada, M. Liston a vu une quantité impressionnante de présentations de drogues.

[20]    M. Liston a donné des conférences aux étudiants à la maîtrise de l'Université Queen's sur les questions de confidentialité au ministère de la Santé.

[21]    M. Liston a expliqué que la Direction de la protection de la santé considère comme confidentiel tout le contenu des PADN tant que celles-ci ne sont pas rendues publiques, ce qui se produit, par exemple, après la délivrance d'un avis de conformité. M. Liston a également expliqué qu'après qu'une présentation est rendue publique, le Ministère répond aux demandes d'accès à l'information qui lui sont soumises en déterminant ce qui, dans la PADN, est confidentiel et ce qui ne l'est pas.

[22]    La protonotaire Milczynski disposait elle aussi de la transcription du contre-interrogatoire de M. Liston et, sur la foi de ce document, elle a préféré son témoignage à celui de M. Windross.

[23] M. Liston a donné à la Cour trois réponses essentielles aux arguments formulés par M. Windross au sujet des renseignements sur le contexte :

     a)        Habituellement, les renseignements sur le contexte contenus dans les documents en cause en l'espèce n'ont rien de confidentiel;

     b)       Bien qu'à l'occasion, il puisse se présenter un cas dans lequel les renseignements sur le contexte provenant de documents en cause en l'espèce pourraient être confidentiels, rien ne permet de penser qu'il s'agisse en l'espèce d'un tel cas extraordinaire;

     c)        Même si, en l'espèce, les documents en cause renfermaient des renseignements sur le contexte discernables, il ne s'agit pas du genre de renseignements qui donneraient aux concurrents une « avance » ou un avantage sur Novopharm ou qui causeraient un préjudice s'ils étaient divulgués.

          Allégations de préjudice

[24]    Ainsi que M. Windross l'a expliqué, Novopharm estime qu'une des raisons principales qui justifie le traitement confidentiel des pièces, renseignements et documents se trouvant dans la présentation de Novopharm est que l'obtention de ces renseignements par un tiers, en particulier par une société pharmaceutique tierce, porterait gravement atteinte aux intérêts commerciaux de Novopharm. Novopharm affirme qu'en attendant qu'elle puisse lancer sur le marché ses capsules de lansoprazole à libération différée, il est indispensable que les renseignements relatifs à ces capsules soient gardés strictement confidentiels pour empêcher d'autres sociétés pharmaceutiques de se servir de sa formulation et d'autres renseignements pour élaborer et commercialiser leurs propres capsules génériques de lansoprazole à libération différée.

[25]    Novopharm craint que, si aucune ordonnance de non-divulgation n'est prononcée lorsqu'elle produira les renseignements qu'elle a reçu l'ordre de produire, Abbott pourrait divulguer ces renseignements au public dans le cadre de la preuve soumise à la Cour. N'importe lequel des concurrents de Novopharm pourrait alors obtenir ces renseignements confidentiels et s'en servir à ses propres fins, supprimant ainsi de façon complète et permanente le caractère confidentiel que ces renseignements ont pu avoir et conférant ainsi aux concurrents de Novopharm un avantage indu.

[26]    M. Windross a également déclaré dans son témoignage qu'il estimait que la protection du caractère confidentiel des présentations constituait la pierre angulaire de la procédure d'homologation des médicaments et que permettre à des tiers de porter atteinte à cette protection serait préjudiciable à l'industrie pharmaceutique dans son ensemble.

          4.             POINTS EN LITIGE

[27] Les appels soulèvent les questions suivantes :

          a)     Les ordonnances sont-elles entachées d'erreurs flagrantes, en ce sens que la protonotaire Milczynski a exercé son pouvoir discrétionnaire en vertu d'un mauvais principe ou d'une mauvaise appréciation des faits?

          b)     Dans l'affirmative, en supposant que la Cour reprenne l'affaire depuis le début, Novopharm a-t-elle droit à l'ordonnance de non-divulgation en la forme qu'elle réclame? Cette question se subdivise en deux questions accessoires :

(i)     une ordonnance de non-divulgation devrait-elle être prononcée en raison de l'effet conjugué de l'ordonnance de divulgation, des paragraphes 6(7) et (8) du Règlement et des articles 151 et 152 des Règles de la Cour fédérale,

(ii)    à titre subsidiaire (ou en tout état de cause), une ordonnance de non-divulgation devrait-elle être prononcée pour le motif que Novopharm a satisfait au critère habituel régissant le prononcé de ce genre d'ordonnances?

c)     Du point de vue d'Abbott, la protonotaire Milczynski a-t-elle commis une erreur en ne se limitant pas au dossier de la preuve et en ordonnant que certains renseignements fassent partie de l'ordonnance de non-divulgation?

5.    PRÉTENTIONS ET MOYENS DES PARTIES

Les ordonnances frappées d'appel sont-elles entachées d'erreurs flagrantes?

Novopharm

[28]    Dans l'arrêt Merck & Co. c. Apotex Inc. (2003), 30 C.P.R. (4th) 40 (C.A.F.), la Cour d'appel fédérale a récemment confirmé et clarifié le critère applicable dans le cas de l'appel d'une ordonnance d'un protonotaire :

Le juge saisi de l'appel contre l'ordonnance discrétionnaire d'un protonotaire ne doit pas intervenir sauf dans les deux cas suivants :

a)         l'ordonnance porte sur des questions ayant une influence déterminante sur l'issue du principal,

b)         l'ordonnance est entachée d'erreur flagrante, en ce sens que le protonotaire a exercé son pouvoir discrétionnaire en vertu d'un mauvais principe ou d'une mauvaise appréciation des faits.

[29]    Les parties conviennent que l'appel ne porte pas sur des questions ayant une influence déterminante sur l'issue du principal. Novopharm affirme cependant que les ordonnances sont entachées d'erreurs flagrantes, étant donné que la protonotaire Milczynski a exercé son pouvoir discrétionnaire :

          a)        en vertu d'un mauvais principe étant donné qu'elle a agi contrairement au paragraphe 6(8) du Règlement, qui prévoit que tout document produit aux termes du paragraphe 6(7) du Règlement est considéré comme confidentiel;

          b)       en vertu d'un mauvais principe et d'une mauvaise appréciation des faits, étant donné qu'elle s'est fondée sur l'opinion d'un témoin - M. Liston - dont la compétence à titre d'expert n'avait pas été reconnue et dont le témoignage d'opinion n'était par conséquent pas admissible, préférant le témoignage de M. Liston à celui de M. Windross;

          c)        en vertu d'une mauvaise appréciation des faits, étant donné qu'elle a estimé que Novopharm ne s'était pas acquittée du fardeau qui lui incombait de démontrer que les documents en litige sont confidentiels et que leur divulgation publique pourrait lui causer un préjudice, malgré le témoignage de M. Windross et le fait que le témoignage de M. Liston n'était pas admissible.

[30]    Se fondant sur ces diverses erreurs, Novopharm affirme que les ordonnances sont entachées d'erreurs flagrantes et que la Cour devrait reprendre l'affaire depuis le début en examinant la question de savoir s'il y a lieu de prononcer une ordonnance de non-divulgation en la forme réclamée par Novopharm.

Abbott

[31] Outre l'exception particulière dont elle fait mention dans son propre appel, Abbott affirme que la protonotaire Milczynski a exercé son pouvoir discrétionnaire d'une manière qui est entièrement compatible avec le critère énoncé par la Cour suprême du Canada dans l'arrêt Sierra Club du Canada c. Canada (Ministre des Finances), [2002] 2 R.C.S. 522, relativement aux cas où il y a lieu de prononcer une ordonnance de non-divulgation et à la façon d'évaluer les renseignements sous-jacents. Les conclusions de fait qu'elle a tirées reposaient nettement sur la preuve. Il n'y a pas eu une mauvaise appréciation des faits exposés dans les pièces que Novopharm a déposées dans le présent appel; Abbott est tout simplement en désaccord avec les conclusions que la protonotaire Milczynski a tirées. Abbott fait par conséquent valoir que la requête en appel de Novopharm devrait être rejetée.

[32]    Abbott explique cependant qu'ayant appliqué le bon critère en ce qui concerne l'opportunité de rendre une ordonnance de non-divulgation et ayant tiré des conclusions que la preuve lui permettait nettement de tirer, la protonotaire Milczynski a toutefois commis une erreur en ne se limitant pas au dossier de la preuve et, se fondant sur une concession faite par l'avocat lors des débats, en ordonnant que certains renseignements soient finalement inclus dans l'ordonnance de non-divulgation. Selon Abbott, il s'agissait là à la fois d'un écart important par rapport aux conclusions de fait que la protonotaire avait tirées et aux règles de droit applicables et d'une tentative inacceptable de corriger les lacunes de la preuve de Novopharm - qui était vide de toute substance en fait - et de protéger des renseignements qui, selon ce qu'elle percevait, auraient pu s'avérer confidentiels si Novopharm n'avait pas tenu mordicus à sa théorie du caractère général de l'ordonnance de non-divulgation.

[33] Se fondant sur la conclusion claire de la protonotaire Milczynski suivant laquelle [Traduction] « Novopharm s'est contentée d'affirmer que tous les documents et les renseignements qu'ils renferment sont confidentiels [...] Ces affirmations ne reposaient sur aucun élément de preuve mais seulement sur des hypothèses » , Abbott affirme que rien ne permettait à la protonotaire Milczynski d'ordonner l'inclusion d'un document ou d'un renseignement quelconque dans l'ordonnance de non-divulgation.

          Novopharm a-t-elle droit à l'ordonnance de non-divulgation en la forme qu'elle réclame?

          (i) Une ordonnance de non-divulgation devrait-elle être prononcée en raison de l'effet conjugué de l'ordonnance de divulgation, des paragraphes 6(7) et (8) du Règlement et des articles 151 et 152 des Règles de la Cour fédérale?

Novopharm

[34]    Novopharm rappelle que le paragraphe 6(8) du Règlement exige que tout document produit aux termes du paragraphe 6(7) soit considéré comme confidentiel. C'est en vertu du paragraphe 6(7) qu'il a été ordonné que tous les passages de la présentation de Novopharm qui seront divulgués dans le cadre de la présente instance soient produits.

[35] Novopharm signale l'interaction qui existe entre les paragraphes 6(7) et 6(8) du Règlement, et rappelle que c'est à dessein que le législateur a ajouté l'obligation que tout document produit en vertu du paragraphe 6(7) soit considéré comme confidentiel. Ces paragraphes ont été insérés dans le Règlement dans le cadre de modifications apportées en 1998. Le Résumé de l'étude d'impact de la réglementation explique que le paragraphe 6(7) a été ajouté pour améliorer le Règlement en prévoyant expressément la divulgation d'extraits de la présentation d'un fabricant de médicaments génériques. Le prix à payer pour cette divulgation extraordinaire de renseignements par un fabricant de médicaments génériques à son fabricant de médicaments d'origine concurrent est la confidentialité des renseignements ainsi communiqués.

[36]    Novopharm fait valoir que la loi exige que les documents qui doivent être produits dans le cadre d'une instance introduite devant la Cour fédérale soient considérés comme confidentiels (comme dans le cas des documents dont la communication a été ordonnée en vertu du paragraphe 6(7) du Règlement) et que les dispositions de l'article 152 des Règles de la Cour fédérale s'appliquent, sauf ordonnance contraire de la Cour. À l'instar du paragraphe 6(8) du Règlement, le libellé de l'article 152 des Règles est impératif, sauf si la Cour ordonne explicitement le contraire. Novopharm souligne que la protonotaire Milczynski ne mentionne nulle part l'effet de l'article 152 des Règles dans ses ordonnances et qu'elle ne l'analyse pas.

[37] Novopharm soutient que le paragraphe152(2) des Règles prévoit, en ce qui concerne la protection du caractère confidentiel des renseignements, un régime strict qui s'apparente par son caractère restrictif à une ordonnance de non-divulgation de type « consultation restreinte aux avocats » .

[38] Parallèlement au régime strict prévu à l'article 152, l'article 151 des Règles de la Cour fédérale confère expressément à la Cour le pouvoir de rendre des ordonnances de non-divulgation pour s'assurer que des documents et éléments matériels confidentiels soient considérés comme confidentiels tant avant qu'après leur dépôt, tout en permettant qu'ils soient communiqués à d'autres personnes que les avocats inscrits au dossier lorsque cette mesure se justifie. Toutefois, avant de rendre une ordonnance de non-divulgation en vertu du paragraphe 151(2) des Règles, la Cour « doit être convaincue de la nécessité de considérer les documents ou éléments matériels comme confidentiels » .

[39] Dans la première ordonnance, la protonotaire Milczynsk a conclu : [Traduction] « Une ordonnance déclarant certains renseignements confidentiels sera prononcée en ce qui concerne la bioéquivalence comparative des capsules de 15 mg et de 30 mg de lansoprazole à libération différée de Novopharm et la formulation spécifique des ingrédients non médicamenteux des capsules » . Cette conclusion a eu pour effet de délimiter la portée du paragraphe 5 de la seconde ordonnance. Pour justifier cette conclusion, la protonotaire a expliqué que [Traduction] « Novopharm ne m'a pas convaincue que tous les renseignements contenus dans la PADN devraient être considérés comme confidentiels » . Selon Novopharm, la protonotaire Milczynski a commis une erreur flagrante en rendant une ordonnance de non-divulgation, soit la seconde ordonnance, qui n'englobait pas à tout le moins les renseignements dont la production avait été ordonnée aux termes de l'ordonnance de divulgation. Il résulte du rapprochement des paragraphes 6(7) et 6(8) du Règlement et, en particulier, du texte impératif du paragraphe 6(8) que ces renseignements doivent être considérés comme confidentiels. Novopharm affirme que le paragraphe 6(8) aurait dû, à lui seul, suffire à convaincre la protonotaire Milczynski que ces renseignements devaient être considérés comme confidentiels et être protégés par une ordonnance de non-divulgation.

[40] Novopharm soutient en outre que la protonotaire Milczynski a fondé sa décision sur un mauvais principe parce que l'article 151 des Règles ne contient qu'une seule exigence incontournable en ce qui concerne le prononcé d'une ordonnance de non-divulgation : la Cour doit être convaincue « de la nécessité de considérer les documents ou éléments matériels comme confidentiels » . À l'article 152 des Règles, le législateur énumère des exceptions précises aux documents et éléments matériels qui doivent « en vertu d'une règle de droit, être considéré[s] comme confidentiels[s] » . Novopharm affirme que ces conditions sont remplies par le texte impératif du paragraphe 6(8) du Règlement, qui exige que les documents et éléments matériels produits en vertu du paragraphe 6(7) soit considérés comme confidentiels.

[41]    Novopharm soutient qu'au lieu d'appliquer ces impératifs législatifs à la façon de considérer les documents dont la communication avait été ordonnée, la protonotaire Milczynski s'est méprise en se concentrant sur les éléments de preuve portant sur le caractère confidentiel des renseignements sous-jacents contenus dans les documents. Il s'agissait d'une erreur parce que ce sont les documents eux-mêmes, et non seulement les renseignements qu'ils contiennent, dont la production avait été ordonnée. Cette façon de voir contredit par ailleurs carrément les prescriptions du Règlement et des Règles de la Cour fédérale (1998).

[42] Novopharm demande que les ordonnances soient modifiées et que soit rendue une ordonnance de non-divulgation qui protège à tout le moins la confidentialité des documents de sa présentation qu'elle a reçu l'ordre de produire aux termes de l'ordonnance de divulgation.

Abbott

[43]    Abbott explique que, sachant que la requête en ordonnance de non-divulgation était en instance, le protonotaire Lafrenière a expressément assorti son ordonnance de divulgation de la mention suivante : [Traduction] « sous réserve de toute question faisant l'objet d'une requête en ordonnance de non-divulgation ou de toute décision sur une telle question » .

[44] Novopharm prétend que le protonotaire Lafrenière a par inadvertance tranché la requête en ordonnance de non-divulgation en ordonnant la divulgation de renseignements en vertu du paragraphe 6(7) du Règlement. Elle affirme qu'une telle ordonnance de divulgation justifie automatiquement le prononcé d'une ordonnance de non-divulgation. Abbott soutient qu'une telle façon de procéder irait tout à fait à l'encontre de l'arrêt Sierra Club, qui exige que toute dérogation au principe de la publicité des débats judiciaires ainsi que toute atteinte correspondante au droit à la liberté d'expression consacré par l'alinéa 2b) de la Charte soient explicitement justifiées par un examen minutieux des renseignements qu'une partie cherche à extraire du dossier public.

[45]    Abbott affirme que le paragraphe 6(8) traite de l'obligation de la partie qui reçoit des renseignements en vertu du paragraphe 6(7) de les considérer comme confidentiels. Ce paragraphe ne précise pas si le public pourra consulter les documents une fois qu'ils auront été versés au dossier de la Cour. Abbott prétend que cette disposition crée simplement une obligation de confidentialité semblable à un engagement tacite qui empêche la personne qui reçoit les renseignements obtenus par la contrainte de les divulguer. Elle ne crée pas de principe général d'ordre public déclarant confidentiel tout écrit se trouvant dans une présentation.

[46] Abbott estime par ailleurs que l'existence du paragraphe 6(8) permet de penser que la common law ne protège pas le caractère confidentiel de chaque document contenu dans chacune des présentations soumises au ministre de la Santé. Cette disposition réparatrice ne déclare pas que les documents sont réputés confidentiels; elle exige que celui qui les reçoit les considère comme confidentiels. Abbott affirme que cette façon de voir s'accorde davantage avec la conclusion qu'il n'existe pas de principe général ou universel de confidentialité qui vaudrait pour l'ensemble des écrits. Cette disposition n'appuie pas l'argument de Novopharm suivant lequel le contenu de chaque présentation satisfait nécessairement aux exigences de la « confidentialité » articulées par la Cour suprême du Canada dans l'arrêt Sierra Club.

[47] Dans le même ordre d'idées, Novopharm soutient que l'article 152 des Règles conduit automatiquement au prononcé d'une ordonnance de non-divulgation. Suivant Abbott, Novopharm a clairement tort sur ce point. À l'instar du paragraphe 6(8) du Règlement, l'article 152 des Règles prévoit simplement un mécanisme en ce qui concerne la façon de traiter les documents qui sont confidentiels. Il ne dispense nullement la Cour de son obligation d'examiner la nécessité de la mesure, ainsi que les autres volets du critère formulé dans l'arrêt Sierra Club avant d'ordonner expressément l'exclusion des renseignements et des documents du dossier public en vertu d'une ordonnance de non-divulgation.

          (ii)      Une ordonnance de non-divulgation devrait-elle être prononcée pour le motif que Novopharm a satisfait au critère habituel régissant le prononcé de ce genre d'ordonnances?

          Novopharm

[48] En plus d'invoquer l'effet conjugué de l'ordonnance de divulgation, des paragraphes 6(7) et 6(8) du Règlement et des articles 151 et 152 des Règles de la Cour fédérale, Novopharm soutient que la Cour devrait rendre une ordonnance de non-divulgation générale pour le motif que Novopharm a satisfait au critère normal régissant le prononcé de ce type d'ordonnances en conformité avec l'arrêt Sierra Club de la Cour suprême du Canada.

[49]    Selon Novopharm, la protonotaire Milczynski a commis une erreur flagrante en préférant le témoignage de M. Liston - dont la compétence à titre d'expert n'avait pas été reconnue et dont le témoignage d'opinion n'était donc pas admissible - au témoignage factuel direct de M. Windross.

[50] En particulier, Novopharm affirme que la protonotaire Milczynski a commis une erreur flagrante en acceptant le témoignage de M. Liston au sujet de l'effet d'un avis d'allégation sur le caractère confidentiel des documents se trouvant en la possession de Santé Canada. M. Liston était d'avis que la remise d'un avis d'allégation [Traduction] « [...] contrevient ou porte atteinte au principe de la confidentialité » . M. Liston ne parle pas au nom de Santé Canada (ce qu'il a admis) et il a cessé de travaillé à Santé Canada avant l'entrée en vigueur du Règlement (et, partant, avant la signification du premier avis d'allégation). Son témoignage contredit directement celui de M. Windross, qui a catégoriquement affirmé que Santé Canada protège la confidentialité du contenu des PADN jusqu'à ce le produit visé soit lancé sur le marché, c'est-à-dire bien après la remise d'un avis d'allégation et la délivrance d'un avis de conformité.

[51] Novopharm affirme également que la protonotaire Milczynski a commis une erreur flagrante en concluant que le témoignage de M. Windross était vague, général et relevait de la conjecture par rapport à celui de M. Liston. De fait, Novopharm allègue que c'est M. Liston qui a émis des hypothèses sur ce que la PADN de Novopharm pouvait contenir ou non. En revanche, M. Windross a témoigné de façon détaillée et précise au sujet du caractère confidentiel des documents en question et du préjudice que subirait Novopharm s'ils étaient rendus publics.

[52]    De plus, Novopharm répète que le témoignage de M. Liston et l'analyse de la protonotaire Milczynski sont axés à tort sur les renseignements contenus dans les documents plutôt que sur les documents eux-mêmes. Ainsi que M. Windross l'a expliqué dans son témoignage que, selon Novopharm, la protonotaire Milczynski a mal interprété, l'analyse aurait plutôt dû être axée sur les documents eux-mêmes et sur le contexte dans lequel se situent les renseignements contenus dans ces documents. Selon Novopharm, c'est l'élément sur lequel doit porter l'analyse, car ce sont les documents qu'il faut produire et non simplement les renseignements qu'ils contiennent. Novopharm affirme qu'en écartant le témoignage de M. Windross et en préférant l'approche de M. Liston, la protonotaire Milczynski a fondé sa décision sur un mauvais principe, a mal interprété la preuve et a commis une erreur flagrante.

[53]    Novopharm soutient que, si la protonotaire Milczynski n'avait pas fondé sa décision sur un mauvais principe et mal interprété les témoignages de MM. Windross et Liston, elle en serait venue à la conclusion que le critère régissant les ordonnances de non-divulgation avait été respecté en l'espèce.

[54]    Novopharm affirme notamment que la protonotaire Milczynski n'aurait pas dû faire abstraction de l'incidence du principe général de la confidentialité en ce qui concerne les présentations de drogue. Selon ce principe et conformément au mandat législatif énoncé au paragraphe 6(8) du Règlement, des ordonnances de non-divulgation sont fréquemment demandées et généralement accordées dans les instances introduites en vertu du Règlement. Ainsi que la Cour d'appel fédérale l'a dit dans l'arrêt AB Hassle c. Canada (Ministre de la Santé nationale et du Bien-être social), [2000] 3 C.F. 360, (2000), 5 C.P.R. (4th) 149 (C.A.F.) (AB Hassle) :

       La confidentialité perçue de l'information communiquée par un fabricant de médicaments au ministère de la Santé nationale et du Bien-être social est la pierre angulaire du régime applicable au traitement des présentations de nouvelles drogues et à la délivrance d'avis de conformité. Pour que le régime soit efficace, le caractère confidentiel des rapports doit être respecté et maintenu dans toute la mesure du possible.

[55]    Novopharm fait par ailleurs observer à la Cour que, tout comme la présente espèce et toutes les autres instances introduites sous le régime du Règlement, l'arrêt AB Hassle faisait suite au dépôt d'un avis d'allégation. Contrairement à la conclusion tirée par la protonotaire Milczynski au sujet des incidences d'un avis d'allégation, la Cour d'appel fédérale a estimé que le caractère confidentiel des rapports qui existent entre les fabricants de médicaments génériques et Santé Canada était suffisant pour justifier le prononcé d'une ordonnance de non-divulgation, malgré la production d'un avis d'allégation.

[56]    Ainsi que la Cour d'appel fédérale l'a signalé dans l'arrêt AB Hassle, les ordonnances de non-divulgation rendues dans les affaires mettant en cause le Règlement n'empêchent pas les parties à la requête d'avoir accès aux documents en litige. Seul le public n'y a pas accès. Suivant la Cour d'appel fédérale :

       Y L'intérêt public de connaître précisément le procédé de fabrication de médicaments est minime, s'il existe, et personne ne peut sérieusement affirmer que la délivrance d'ordonnances de non-divulgation comme celles qui sont en litige dans une instance relative à un avis de conformité met en danger le principe de la transparence de la justice. (Non souligné dans l'original.)

     AB Hassle, à la page 154

[57]    En l'espèce, Novopharm affirme qu'Abbott n'a présenté aucun élément de preuve tendant à démontrer qu'il est de quelque manière que ce soit dans l'intérêt du public de contraindre Novopharm à produire ses documents sans la protection d'une ordonnance de non-divulgation.

[58]    En fait, Novopharm signale que le critère régissant les ordonnances de non-divulgation dans les affaires mettant en cause le Règlement est axé sur la conviction du requérant en ce qui concerne le caractère confidentiel des renseignements et sur la probabilité que leur divulgation sans la protection de leur caractère confidentiel nuise à ses intérêts. L'analyse ne porte pas principalement sur la question de savoir s'il est dans l'intérêt du public que les renseignements soient divulgués. La Cour d'appel fédérale, dans l'arrêt AB Hassle, et la Cour suprême du Canada, dans l'arrêt Sierra Club, ont déjà signalé le « peu d'intérêt du public » dans les affaires mettant en cause le Règlement.

[59]    En l'espèce, Novopharm affirme que le critère régissant le prononcé des ordonnances de non-divulgation a été respecté. Il ressort de la preuve que Novopharm croit de façon subjective que les renseignements sont confidentiels et que leur divulgation porterait atteinte à ses intérêts. Il ressort par ailleurs de la preuve que les renseignements ont été considérés comme confidentiels et que la conviction de Novopharm que leur divulgation serait susceptible de nuire à ses intérêts est raisonnable. Novopharm affirme qu'en choisissant de ne pas contester le témoignage de M. Windross au moyen d'un contre-interrogatoire et en ne faisant témoigner qu'une seule personne - M. Liston - qui ne peut parler au nom de Santé Canada, qui n'a jamais travaillé dans l'industrie des médicaments génériques et qui n'est pas un expert en matière de confidentialité des documents, Abbott n'a produit aucun élément de preuve solide pour contredire le témoignage clair et convaincant de M. Windross.

[60]    Novopharm est également d'avis que la thèse d'Abbott et le témoignage de M. Liston contredisent carrément l'analyse à laquelle s'est livrée la Cour dans une décision récente portant sur le caractère confidentiel des présentations de drogue sous le régime de la Loi sur l'accès à l'information. Dans Merck Frosst Canada & Co. c. Canada (Ministre de la Santé) (2004), 33 C.P.R. (4th) 211 (C.F.) (Merck Frosst), la Cour a dit :

En me fondant sur l'arrêt AB Hassle, précité, je n'hésite pas à conclure que les renseignements étaient confidentiels au moment de leur présentation, ont toujours été traités comme tels par Merck Frosst et que Merck Frosst pouvait légitimement s'attendre à ce que les renseignements soient tenus confidentiels par Santé Canada.

Certains de ces renseignements semblent être actuellement dans le domaine public. Toutefois [...] la question n'est pas vraiment de savoir s'il y a ou non des renseignements dans le domaine public au sujet du SINGULAIR®, mais bien si les renseignements tels qu'ils sont présentés par Merck Frosst sont dans le domaine public. Si ces renseignements dans la forme présentée « comme telle » [en français, dans l'original] ne sont pas dans le domaine public, la confidentialité n'a pas, à mon avis, été perdue [...]

Ce qui importe ici, c'est le contexte dans lequel les renseignements sont situés parmi les documents conservés par l'administration.

Merck Frosst, aux pages 227 et 228.

[61]    À la page 8 de la première ordonnance, la protonotaire Milczynski établit une distinction entre la présente espèce et l'affaire Merck Frosst, en affirmant que celle-ci avait été jugée sous un régime législatif différent [Traduction] « qui tenait effectivement compte des attentes des parties et qui prévoyait que les renseignements devaient être considérés dans leur ensemble et être situés dans leur contexte » . Mais, suivant Novopharm, cette décision fait ressortir le mauvais principe sur lequel repose la décision de la protonotaire, car les attentes des parties et le contexte dans lequel les renseignements sont présentés sont des facteurs directement pertinents lorsqu'il s'agit d'appliquer le critère régissant les ordonnances de non-divulgation dans les affaires mettant en cause le Règlement.

[62]    Par ailleurs, la protonotaire Milczynski écarte la décision Merck Frosst parce que cette affaire avait été jugée sous le régime de la Loi sur l'accès à l'information. Elle le fait cependant juste après avoir accepté le témoignage de M. Liston, qui reconnaît volontiers que sa seule expérience en matière de confidentialité de documents concerne le régime de la Loi sur l'accès à l'information. Novopharm affirme que, si la décision Merck Frosst n'est pas pertinente, le témoignage de M. Liston ne l'est pas non plus.

[63]    Suivant Novopharm, loin d'être [Traduction] « de peu d'utilité » , le raisonnement suivi dans la décision Merck Frosst est précieux et il s'applique au cas qui nous occupe. Abbott est déjà au courant de tout ce qui est public au sujet du PREVACID; c'est un produit d'Abbott. Ce qu'Abbott veut consulter, ce sont les documents précis soumis par Novopharm à Santé Canada et le contexte dans lequel les renseignements contenus dans ces documents ont été fournis. Ce sont les renseignements précis qui sont pertinents en l'espèce, qui sont les plus confidentiels et qui nuiraient le plus à Novopharm s'ils étaient rendus publics.

[64]    M. Windross a déclaré à la barre que les intérêts commerciaux de Novopharm pourraient subir une grave atteinte si des extraits de la présentation de Novopharm étaient rendus publics, devenant ainsi accessibles à d'autres sociétés pharmaceutiques fabriquant des produits génériques. Suivant Novopharm, la Cour dispose d'abondantes preuves, provenant tant de M. Windross que de M. Mason, suivant lesquelles ces documents intéresseraient les concurrents de Novopharm et leur seraient utiles pour l'élaboration de leurs propres produits en vue de livrer concurrence à Novopharm ou de nuire à l'homologation du produit de Novopharm. Novopharm fait par conséquent valoir qu'il est tout à fait raisonnable de croire que, dans l'industrie hautement concurrentielle de la fabrication des médicaments génériques, ce qui serait utile à ses concurrents lui serait nuisible.

[65]    Novopharm affirme donc qu'elle satisfait en l'espèce au critère régissant le prononcé d'une ordonnance de non-divulgation et que cette ordonnance protégerait le caractère confidentiel de tous les documents dont la divulgation a été ordonnée aux termes de l'ordonnance de divulgation. Novopharm demande à la Cour de modifier les ordonnances et de rendre une ordonnance de non-divulgation en la forme annexée à son avis de requête.

          Abbott

[66] Abbott affirme que les conditions énumérées dans l'arrêt Sierra Club ne sont pas remplies en l'espèce. Suivant l'arrêt Sierra Club, une ordonnance de non-divulgation ne devrait être accordée que lorsque les deux conditions suivantes sont réunies :     

a) « elle est nécessaire pour écarter un risque sérieux pour un intérêt important, y compris un intérêt commercial, dans le contexte d'un litige [...] » ;

b) ses effets bénéfiques, y compris ses effets sur le droit des justiciables civils à un procès équitable, l'emportent sur ses effets préjudiciables, y compris ses effets sur la liberté d'expression qui, dans ce contexte, comprend l'intérêt du public dans la publicité des débats judiciaires.

[67] Dans l'arrêt Sierra Club, le juge Iacobucci a expliqué, aux paragraphes 53 à 56, les conditions à remplir pour satisfaire au volet du critère relatif à l' « intérêt commercial » :

... Pour être qualifié d' « intérêt commercial important » , l'intérêt en question ne doit pas se rapporter uniquement et spécifiquement à la partie qui demande l'ordonnance de confidentialité; il doit s'agir d'un intérêt qui peut se définir en termes d'intérêt public à la confidentialité. Par exemple, une entreprise privée ne pourrait simplement prétendre que l'existence d'un contrat donné ne devrait pas être divulguée parce que cela lui ferait perdre des occasions d'affaires, et que cela nuirait à ses intérêts commerciaux [...] si aucun principe général n'entre en jeu, il ne peut y avoir d' « intérêt commercial important » pour les besoins de l'analyse. Ou, pour citer le juge Binnie dans F.N. (Re), [2000] 1 R.C.S. 880, 2000 CSC 35, par. 10, la règle de la publicité des débats judiciaires ne cède le pas que « dans les cas où le droit du public à la confidentialité l'emporte sur le droit du public à l'accessibilité » (mots soulignés par le juge Iacobucci).

Outre l'exigence susmentionnée, les tribunaux doivent déterminer avec prudence ce qui constitue un « intérêt commercial important » . Il faut rappeler qu'une ordonnance de confidentialité implique une atteinte à la liberté d'expression. Même si la pondération de l'intérêt commercial et de la liberté d'expression intervient à la deuxième étape de l'analyse, les tribunaux doivent avoir pleinement conscience de l'importance fondamentale de la règle de la publicité des débats judiciaires. Voir généralement Eli Lilly and Co. c. Novopharm Ltd. (1994), 56 C.P.R. (3d) 437 (C.F. 1re inst.), p. 439, le juge Muldoon.

[68]    Le juge Russell a fait observer, dans la décision A.C. c. Canada, [2003] A.C.F. no 1861 (C.F. 1re inst.), aux paragraphes 18 et 19, que le fardeau qui pèse sur celui qui réclame une ordonnance de confidentialité est « très lourd » . Le préjudice doit être « clairement établi » et ne saurait être simplement « conjectural » . Le demandeur doit démontrer que le risque est « réel et important » et « bien étayé par la preuve » et il ne suffit pas pour les témoins de s'en remettre à de « simples affirmations » comme Novopharm l'a fait devant la protonotaire Milczynski.

[69]    Abbott souligne qu'en l'espèce, la protonotaire Milczynski a explicitement appliqué le critère de l'arrêt Sierra Club et a conclu que Novopharm ne s'était pas déchargée du lourd fardeau qui lui incombait parce qu'elle n'avait :

a)       ni précisé les renseignements dont elle réclamait la protection;

b)      ni fait la preuve qu'elle possédait un intérêt juridiquement pertinent qui lui était propre à l'égard de la confidentialité des renseignements en question;

c)       ni fait la preuve de l'existence d'un intérêt public lié au présumé intérêt propre à Novopharm qui justifierait le prononcé de l'ordonnance générale de non-divulgation qu'elle réclame;

d)      ni fait la preuve d'une atteinte à un intérêt juridiquement pertinent si les renseignements n'étaient pas retranchés du dossier public de l'instance introduite devant la Cour.

[70] Abbott conclut que Novopharm n'a pas précisé en quoi la protonotaire Milczynski aurait mal énoncé le critère approprié ou l'aurait mal appliqué. Elle a correctement suivi l'arrêt Sierra Club et, suivant cette analyse, Novopharm ne s'est pas déchargée du fardeau qui lui incombait. Là encore, cela n'est guère étonnant compte tenu de l'analyse minutieuse à laquelle la Cour doit se livrer et du fait que M. Windross n'a même pas confirmé avoir lu la PADN de Novopharm mais s'est contenté d'affirmer, de façon générale, que le contenu des PADN est toujours confidentiel.

             Laprotonotaire Milczynski a-t-elle commis une erreur en ne se limitant pas au dossier de la preuve et en ordonnant que certains renseignements fassent partie de l'ordonnance de non-divulgation?

Abbott

[71]    Suivant Abbott, la protonotaire Milczynski a correctement suivi l'arrêt Sierra Club et ses conclusions découlent naturellement de la preuve jusqu'au tout dernier paragraphe :

       [Traduction] Novopharm ne m'a pas convaincue que tous les documents contenus dans la PADN devraient être considérés comme confidentiels, les seules exceptions étant les renseignements portant sur la bioéquivalence comparative des capsules à libération différée de 15 mg et de 30 mg de lansoprazole de Novopharm ainsi que la formulation spécifique des ingrédients non médicamenteux des capsules, exceptions que les demanderesses ont vraisemblablement reconnues (si non concédées).

[72]    Abbott affirme que, dans ce dernier paragraphe, la protonotaire Milczynski a fait l'erreur d'inclure dans l'ordonnance de non-divulgation des renseignements alors qu'elle ne disposait d'aucun élément de preuve justifiant leur inclusion. Elle avait déjà conclu que [Traduction] « Novopharm s'est contentée d'affirmer que tous les documents et les renseignements qu'ils renferment sont confidentiels [...] Ces affirmations ne reposaient sur aucun élément de preuve mais seulement sur des hypothèses » .

[73]    Abbott fait par conséquent valoir qu'il n'était pas loisible à la protonotaire Milczynski de chercher à transformer l'aveu fait par l'avocat lors des débats en une raison justifiant d'inclure une petite partie des renseignements dans l'ordonnance de non-divulgation.

[74]    L'arrêt Sierra Club exige que Novopharm démontre que le risque de préjudice est bien étayé par la preuve.

[75]    Abbott affirme qu'étant donné qu'il n'y avait aucun élément de preuve justifiant les affirmations de Novopharm suivant lesquelles tous les documents et les renseignements qu'ils renferment étaient confidentiels, rien ne permettait de penser que la divulgation de ces documents comportait des risques et rien ne permettait donc d'ordonner que l'un ou l'autre de ces documents soit inclus dans une ordonnance de non-divulgation.

Novopharm

[76]    Vu qu'Abbott a choisi de ne pas interjeter appel de l'ordonnance du 6 mai, Novopharm affirme que la portée de l'appel d'Abbott est très limitée, c'est-à-dire que son appel ne peut porter que sur la question de savoir si l'ordonnance de non-divulgation est conforme à l'ordonnance du 6 mai. La question plus large de savoir si une ordonnance de non-divulgation aurait dû être prononcée ne peut faire l'objet de l'appel d'Abbott.

[77]    Novopharm fait également valoir que l'ordonnance de non-divulgation est parfaitement conforme à l'ordonnance du 6 mai et aux motifs de la décision de la protonotaire Milczynski et que, pour cette raison, l'appel d'Abbot doit être rejeté.

[78]    Abbott fait reposer sa thèse sur ce qu'elle appelle une « erreur particulière » . Elle affirme que la protonotaire Milczynski a d'abord conclu qu'il n'y avait « aucun élément de preuve » justifiant les affirmations de Novopharm suivant lesquelles tous les documents et renseignements pertinents étaient confidentiels pour ensuite protéger certains documents et certains renseignements malgré ce présumé manque de preuve.

[79]    Toutefois, contrairement à ce qu'affirme Abbott, Novopharm souligne que la protonotaire Milczynski a expressément conclu qu'il y avait des éléments de preuve qui appuyaient l'inclusion de certains documents et renseignements dans l'ordonnance de non-divulgation. À la page 9 de son ordonnance du 6 mai, la protonotaire Milczynski dit :

      [Traduction] Novopharm ne m'a pas convaincue que tous les documents contenus dans la PADN devraient être considérés comme confidentiels, les seules exceptions étant les renseignements portant sur la bioéquivalence comparative des capsules à libération différée de 15 mg et de 30 mg de lansoprazole de Novopharm ainsi que la formulation spécifique des ingrédients non médicamenteux des capsules, exceptions que les demanderesses ont vraisemblablement reconnues (sinon concédées).

                                                                                                        (Non souligné dans l'original.)

[80]    Ailleurs dans son ordonnance du 6 mai, la protonotaire Milczynski conclut explicitement que Novopharm s'est déchargée du fardeau de preuve qui lui incombait en ce qui concerne certains renseignements. Voici ce qu'elle écrit à cet égard, à la page 6 de son ordonnance du 6 mai:

       [Traduction] En l'espèce, j'estime qu'à quelques exceptions près, Novopharm ne s'est pas acquittée du fardeau qui lui incombait. Ainsi que je l'explique plus loin, la requête n'est accueillie qu'en partie. Une ordonnance déclarant certains renseignements confidentiels sera prononcée en ce qui concerne la bioéquivalence comparative des capsules de 15 mg et de 30 mg de lansoprazole à libération différée de Novopharm et la formulation spécifique des ingrédients non médicamenteux des capsules. (Non souligné dans l'original.)

[81]    Novopharm prétend que le dossier de la preuve justifie non seulement l'ordonnance de non-divulgation qui a été prononcée, mais également l'ordonnance de non-divulgation de portée plus vaste que Novopharm réclamait dans sa première requête.

[82]    M. Windross a déclaré lors de son témoignage que la formule 3011, l'un des documents qui se trouvaient dans la PADN de Novopharm et que cette dernière a reçu l'ordre de produire en l'espèce, , renferme des renseignements strictement confidentiels au sujet des ingrédients non médicamenteux utilisés dans la formulation de Novopharm. Au paragraphe 13 de l'affidavit qu'il a souscrit le 14 avril 2005, M. Windross a déclaré ce qui suit :

       [Traduction] [...] certaines parties de la formule 3011 comme les sections concernant les présentations connexes, la durée de conservation proposée, les ingrédients non médicamenteux et l'indication/emploi proposé renferment tous des renseignements qui sont strictement confidentiels pour Novopharm, qui n'ont jamais été rendus publics et que Novopharm ne communiquerait qu'à Santé Canada si leur caractère confidentiel n'est pas protégé. (Non souligné dans l'original.)

[83]    Novopharm soutient par ailleurs que le témoin d'Abbott, M. Liston, a reconnu dans son témoignage que les renseignements pouvaient être confidentiels. Après avoir évoqué les caractéristiques générales de la formule 3011, M. Liston déclare en effet :

[Traduction] 26. Hormis les ingrédients non médicamenteux, ce document n'a rien de confidentiel et il ne renferme aucun renseignement confidentiel. Les ingrédients non médicamenteux sont examinés plus loin.

[...]

45. Il peut se présenter des cas dans lesquels la liste des ingrédients inertes du comprimé ou de la capsule pourrait être assimilée à une liste de renseignements confidentiels ou de renseignements exclusifs. Il se peut que la liste d'ingrédients soit composée d'une série d'éléments complexes et sophistiqués qu'on ne peut reproduire aisément et qui n'ont de valeur que pour la personne qui élabore la « formulation » . (Non souligné dans l'original.)

[84]    Pour ce qui est de la monographie de Novopharm et de sa description des ingrédients non médicamenteux de la formulation de Novopharm, voici ce qu'a déclare M. Windross :

   [Traduction] 15. Il est vrai que la monographie proposée de Novopharm en ce qui concerne ses capsules à libération différée de lansoprazole ressemble à bien des égards à la monographie du PREVACID. Ce sont toutefois les différences qui existent entre la monographie proposée de Novopharm et celle de PREVACID qui nous intéressent en l'espèce. Ces différences ne sont pas publiques. Novopharm les a gardées rigoureusement secrètes et elles le demeureront jusqu'à ce que le produit de Novopharm soit lancé sur le marché. Cette situation tient en partie au fait que les différences en question pourrait aider un concurrent à comprendre et à copier la stratégie élaborée par Novopharm pour faire homologuer son lansoprazole avant l'expiration des brevets en litige en l'espèce.

16. Si la monographie proposée de Novopharm était rendue publique, les concurrents de Novopharm auraient accès non seulement à tous les détails relatifs au produit de Novopharm, y compris sa formulation et les renseignements relatifs à la bioéquivalence, mais ils seraient aussi en mesure de s'inspirer de la monographie de Novopharm pour élaborer leur propre monographie. Bien que cette situation devienne une réalité une fois que le fabricant de médicaments d'origine et les fabricants de médicaments génériques ont lancé leur produit sur le marché, étant donné que c'est à ce moment-là que la monographie est publiée, Novopharm subirait un grave préjudice si la monographie était rendue publique avant cette date.

[85]    En opinant que la monographie de Novopharm ne pouvait contenir rien de différent par rapport à la monographie de produit correspondante de PREVACID, M. Liston a pris soin d'exclure les renseignements concernant la bioéquivalence et les ingrédients non médicamenteux. Au paragraphe 28 de son affidavit, il a déclaré ce qui suit :

       [Traduction] Exception faite de la bioéquivalence comparative, peu importe la façon dont elle est présentée, et la liste des ingrédients non médicamenteux, la monographie de Novopharm ne peut renfermer de renseignements substantiels qui diffèrent des renseignements correspondants de la monographie de PREVACID7 [...] (Non souligné dans l'original.)

[86]    Suivant Novopharm, la protonotaire Milczynski disposait de suffisamment d'éléments de preuve pour conclure que la formulation et les renseignements sur la bioéquivalence de Novopharm étaient confidentiels et devaient être protégés par l'ordonnance de non-divulgation. De toute évidence, elle n'a pas commis d'erreur flagrante ou mal interprété les faits.

6.        ANALYSE

Le critère

[87]    Ainsi que les deux parties le soulignent, selon la norme de contrôle applicable dans le cas d'une ordonnance discrétionnaire d'un protonotaire, le juge saisi de l'appel de cette ordonnance n'intervient que dans les deux cas suivants :

a)        l'ordonnance porte sur des questions ayant une influence déterminante sur l'issue du principal;

b)       l'ordonnance est entachée d'une erreur flagrante, en ce sens que le protonotaire a exercé son pouvoir discrétionnaire en vertu d'un mauvais principe ou d'une mauvaise appréciation des faits.

[88]    C'est le principe que la Cour d'appel fédérale a clairement établi dans l'arrêt Canada c. Aqua-Gem Investment Ltd., [1993] 2 C.F. 425 (C.A.F.), et qu'elle a récemment confirmé dans l'arrêt Merck & Co. c. Apotex Inc. (2004) 30 C.P.R. (4th) 40, au paragraphe 19 (C.A.F.).

[89]    En l'espèce, comme la requête en ordonnance de non-divulgation ne porte pas sur des questions ayant une influence déterminante sur l'issue du principal, la Cour est invitée à intervenir et à modifier la décision de la protonotaire Milczynski parce qu'elle est entachée d'une erreur flagrante, en ce sens que la protonotaire a exercé son pouvoir discrétionnaire en vertu d'un mauvais principe ou d'une mauvaise appréciation des faits.

Le paragraphe 6(8) du Règlement

[90]    Novopharm soutient tout d'abord que la décision est entachée d'une erreur flagrante parce qu'elle ne tient pas compte de l'effet conjugué des paragraphes 6(7) et 6(8) du Règlement et des articles 151 et 152 des Règles de la Cour fédérale (1998).

[91]    Novopharm soutient essentiellement que le libellé impératif du paragraphe 6(8) du Règlement ( « Tout document produit aux termes du paragraphe (7) est considéré comme confidentiel » ) exige que les documents dont le protonotaire Lafrenière a ordonné la production en vertu du paragraphe 6(7) soient considérés comme confidentiels. La protonotaire Milczynski aurait dû se fonder uniquement sur le paragraphe 6(8) pour prononcer une ordonnance de non-divulgation qui aurait visé tous les documents produits conformément au paragraphe 6(7) et comme elle ne l'a pas fait, sa décision était entachée d'une erreur flagrante.

[92]    Le problème que comporte cet argument est que l'article 151 des Règles en vertu duquel l'ordonnance de non-divulgation était réclamée précise bien que ces ordonnances sont discrétionnaires, puisque « la Cour peut [...] ordonner que des documents ou éléments matériels qui seront déposés soient considérés comme confidentiels » , et que la jurisprudence relative à l'article 151 des Règles énumère une série de facteurs dont la Cour doit tenir compte pour décider d'exercer ou non ce pouvoir discrétionnaire. De fait, la protonotaire Milczynski mentionne et applique la jurisprudence pertinente dans sa décision.

[93]    La protonotaire Milczynski était manifestement consciente de la portée du paragraphe 6(8) du Règlement parce qu'elle le cite et l'analyse avant d'appliquer le critère de l'arrêt Sierra Club en ce qui concerne l'article 151 des Règles :

       [Traduction] Le paragraphe 6(8) du Règlement prévoit en outre que tout document produit aux termes du paragraphe 6(7) « est considéré comme confidentiel » , ce qui signifie que les parties ne doivent pas divulguer ou faire divulguer les documents et les renseignements contenus dans la PADN dont la production a été ordonnée aux fins de l'instance.

[94]    En d'autres termes, la protonotaire Milczynski concilie le libellé impératif du paragraphe 6(8) du Règlement avec le caractère discrétionnaire de l'article 151 des Règles en précisant que le paragraphe 6(8) impose la confidentialité « entre les parties » sans toutefois aller jusqu'à considérer que les documents produits conformément au paragraphe 6(7) sont confidentiels dans le cas d'une requête présentée en vertu de l'article 151.

[95]    Je ne saurais affirmer que ce raisonnement est entaché d'une erreur flagrante. Le paragraphe 6(8) s'applique uniquement à « tout document produit aux termes du paragraphe (7) » et le paragraphe 6(7) confère à la Cour, lorsqu'elle est saisie d'une requête présentée par une « première personne » (en l'espèce, les demanderesses), le pouvoir discrétionnaire d'ordonner à la « seconde personne » (en l'occurrence Novopharm) de produire les extraits pertinents de la demande d'avis de conformité qu'elle a déposée. En pareil cas, celui qui reçoit un document produit conformément à cette procédure doit le considérer comme confidentiel, ce qui ne veut pas dire que le document est considéré comme confidentiel à d'autres fins ou à d'autres étapes de l'instance. En s'adressant à la Cour en vue d'obtenir une ordonnance en vertu de l'article 151 des Règles, Novopharm a agi en conformité avec l'interprétation que la protonotaire Milczynski a donnée de l'effet du paragraphe 6(8). Si le paragraphe 6(7) déclarait qu'un document doit être considéré comme confidentiel à toutes fins, l'article 152 des Règles s'appliquerait alors automatiquement et la décision discrétionnaire prévue à l'article 151 ne serait pas nécessaire.

[96]    Ce qui semble de prime abord être un conflit entre le libellé impératif du paragraphe 6(8) et le libellé discrétionnaire de l'article 151 est résolu lorsqu'on procède à un examen plus approfondi des dispositions en cause. Le paragraphe 6(7) prévoit la façon de procéder à la divulgation alors que le paragraphe 6(8) précise que tout document ainsi produit doit être considéré comme confidentiel jusqu'à ce que le caractère confidentiel du document soit établi, conformément à l'article 151 des Règles, par autorisation législative ou aux termes d'une ordonnance judiciaire. Dans le contexte de la présente affaire, Novopharm ne pouvait établir que la confidentialité était accordée aux termes d'une disposition législative et elle a donc dû invoquer l'article 151 des Règles pour solliciter une ordonnance de la Cour en conformité avec la jurisprudence applicable.

[97]    J'estime donc que la protonotaire Milczynski a eu raison d'aller au-delà du texte du paragraphe 6(8) du Règlement et d'examiner la requête en ordonnance de non-divulgation en conformité avec l'article 151 des Règles et la jurisprudence pertinente.

Le critère habituel

[98]    Le second argument de Novopharm est que les documents qui ont été divulgués conformément à l'ordonnance de divulgation et au paragraphe 6(7) du Règlement devraient être considérés comme confidentiels en vertu d'une ordonnance de non-divulgation parce que Novopharm a réussi à établir l'existence de motifs justifiant le prononcé d'une telle ordonnance en vertu de l'article 151 des Règles et que la protonotaire Milczynski a commis une erreur flagrante en concluant le contraire.

[99]    À mon avis, c'est à bon droit que la protonotaire Milczynski cite le critère de l'arrêt Sierra Club dans sa décision et qu'elle énumère les facteurs qui doivent être respectées avant qu'une ordonnance de non-divulgation puisse être prononcée. Elle a conclu qu' « à quelques exceptions près » , Novopharm ne s'était pas acquittée du fardeau qui lui incombait selon la jurisprudence.

          [100]                   Cette conclusion était justifiée selon l'interprétation que la protonotaire Milczynski a faite de la preuve :

       [Traduction] En l'espèce, j'accepte l'argument de Novopharm suivant lequel il est dans l'intérêt du public de protéger les renseignements exclusifs et les renseignements délicats sur le plan commercial des fabricants de médicaments génériques ainsi que les renseignements qu'ils peuvent divulguer dans les instances introduites en vertu du Règlement. Cet intérêt ne saurait toutefois justifier le prononcé d'une ordonnance générale de confidentialité. Exception faite de la liste de renseignements tirés de sa PADN qu'elle avait reçu l'ordre de divulguer en vertu du paragraphe 6(7) du Règlement, Novopharm n'a soumis à la Cour aucun élément de preuve se rapportant à l'endroit où se trouvent les renseignements et les documents ou encore à la raison pour laquelle dans chaque cas ils doivent être considérés comme confidentiels et qu'il faut interdire au public d'y avoir accès. La preuve était vague et générale et, de fait, certains des renseignements qu'on voulait assujettir à l'ordonnance de confidentialité semblaient être aisément accessibles et faire partie du domaine public. Novopharm s'est contentée d'affirmer que tous les documents et les renseignements qu'ils renferment sont confidentiels parce qu'elle les considère comme confidentiels et parce que le contexte dans lequel ils ont été soumis et que la présente instance a été introduite exigeait qu'ils soient gardés intégralement secrets de manière à ne pas accorder un avantage indu à ses concurrents. Ces affirmations ne reposaient sur aucun élément de preuve mais seulement sur des hypothèses. À cet égard, je préfère la preuve soumise par les demanderesses, à savoir les affidavits de M. Bert Liston, un ancien sous-ministre fédéral adjoint de la Santé chargé de la Direction de la protection de la santé, et en particulier, ses observations suivantes. Lorsqu'une PADN a été déposée, son dépôt est en soi confidentiel, de sorte qu'il est normal que ce caractère confidentiel vaille pour tout le contenu de la présentation jusqu'au dépôt d'un avis d'allégation. La « publication » de l'avis d'allégation a alors pour effet de mettre fin au caractère confidentiel général et, par la suite, le refus de divulguer des documents ou des éléments de la PADN ne devrait se faire que lorsque l'intérêt public le commande et que les documents ou éléments en question sont véritablement confidentiels.

        La décision de la Cour fédérale dans l'affaire Merck Frosst Canada & Co. c. Canada (Ministre de la Santé) (2004), 33 C.P.R. (4th) 211 (C.F.) est de peu d'utilité. Dans cette affaire, la Cour examinait un régime législatif différent qui tenait effectivement compte des attentes des parties et qui prévoyait que les renseignements devaient être considérés dans leur ensemble et être situés dans leur contexte.

[101] Novopharm affirme que les conclusions ainsi tirées au vu de la preuve sont manifestement erronées pour plusieurs raisons :

a)        M. Liston n'a jamais examiné de PADN dans le contexte du Règlement pendant la période qui s'est terminée en 1992 au cours de laquelle il a travaillé à Santé Canada. Il connaît peut-être la forme générale de la présentation mais ignore le contenu réel de la présentation de Novopharm;

b)       M. Liston a reconnu en contre-interrogatoire qu'il ne se considérait pas comme un expert dans le domaine de la confidentialité des documents;

c)        La plus grande partie du témoignage de M. Liston est un prétendu témoignage d'opinion d'expert concernant les renseignements qui pourraient se trouver dans la présentation de Novopharm et leur caractère confidentiel. La compétence de M. Liston à titre de témoin expert n'a pas été reconnue en conformité avec les principes énoncés dans l'arrêt R. c. Mohan, [1994] 2 R.C.S. 9, à la page 20, de sorte les parties de son témoignage qui constituent une opinion d'expert ne sont tout simplement pas admissibles;

d)       La Cour ne dispose d'aucun élément de preuve provenant de Santé Canada pour corriger les lacunes du témoignage de M. Liston ou pour contester le témoignage de M. Windross;

e)        La protonotaire Milczynski a commis une erreur flagrante en préférant le témoignage de M. Liston - dont la compétence à titre d'expert n'avait pas été reconnue et dont le témoignage d'opinion n'était par conséquent pas admissible - au témoignage factuel direct de M. Windross;

f)        La protonotaire Milczynski a commis une erreur flagrante en estimant que le témoignage de M. Windross était vague, général et relevait de la conjecture par rapport à celui de M. Liston;

g)        Le témoignage de M. Liston et l'analyse de la protonotaire Milczynski sont axés à tort sur les renseignements contenus dans les documents plutôt que sur les documents eux-mêmes.

[102]     Ce qui semble avoir troublé la protonotaire Milczynski en ce qui concerne la conception que Novopharm avait de l'ordonnance de non-divulgation est le fait que Novopharm n'a pas précisé le type de renseignements dont elle réclamait la protection, se contentant plutôt d'affirmer de façon générale que tout le contenu d'une PADN est nécessairement confidentiel. Il semblerait en fait que M. Windross n'a pas attesté avoir examiné la PADN de Novopharm. Il semble qu'il ait affirmé que, étant donné que les PADN sont toujours confidentielles, tout le contenu de la PADN de Novopharm est confidentiel.

[103]     Cela signifie que Novopharm ne s'est pas déchargée à plusieurs égards du fardeau imposé par le critère de l'arrêt Sierra Club :

a)              Hormis les exceptions précisées par la protonotaire Milczynski, Novopharm n'a pas précisé les renseignements ou les documents qui exigeaient une protection. Novopharm s'est contentée d'affirmer de façon générale que tous ses documents étaient confidentiels. Cette affirmation était de toute évidence injustifiable, car certains de ces documents renfermaient des renseignements qui étaient déjà dans le domaine public.

b)              En raison de son manque de précision, Novopharm n'a pas été en mesure de démontrer qu'elle avait un intérêt juridiquement pertinent en ce qui concerne la confidentialité des documents et, par conséquent, elle n'a pas pu invoquer un intérêt public correspondant qui justifierait le prononcé de l'ordonnance générale qu'elle sollicite.

c)              En raison de ce manque de précision, Novopharm n'a par ailleurs pas été en mesure de démontrer de façon convaincante le préjudice en découlant et elle a plutôt choisi d'affirmer de façon générale et hypothétique que la divulgation de l'un quelconque des documents conférerait un avantage indu à ses concurrents.

[104]     Novopharm cherche maintenant à surmonter ces difficultés en faisant valoir que la protonotaire Milczynski s'est concentrée sur des « renseignements » alors qu'elle aurait dû s'attacher à des « documents » . Encore une fois, Novopharm tient à réaffirmer la primauté du paragraphe 6(8) du Règlement. Mais ce n'est pas l'approche retenue dans l'arrêt Sierra Club. La protonotaire Milczynski a bel et bien appliqué le critère de l'arrêt Sierra Club. Je ne saurais donc dire qu'elle a commis une erreur flagrante en agissant de la sorte.

[105]     En ce qui concerne les questions de preuve soulevées par Novopharm, il faut dire que le dossier de la preuve est loin d'être satisfaisant et ce, dans le cas des deux parties. Cette situation tient surtout au fait que Santé Canada n'a pas pris part à la requête et qu'elle n'a pas présenté d'éléments de preuve directs sur ce qui arrive aux documents et renseignements qui accompagnent une PADN.

[106]     Cela étant dit, la protonotaire Milczynski a bien précisé dans sa décision que la raison pour laquelle elle était d'avis que [Traduction] « à quelques exceptions près, Novopharm ne s'est pas acquittée du fardeau qui lui incombait » , était que Novopharm n'avait pas soumis suffisamment d'éléments de preuve pour satisfaire au critère énoncé dans l'arrêt Sierra Club et dans d'autres décisions connexes. Il ne suffit pas de faire des affirmations générales. Pour citer la protonotaire : [Traduction] « Ces affirmations ne reposaient sur aucun élément de preuve mais seulement sur des hypothèses » .

          [107]                   Les lacunes constatées dans le témoignage de M. Liston n'aident donc pas nécessairement Novopharm à surmonter ce problème fondamental voulant que des affirmations ne suffisent pas.

          [108]                   Il est vrai que la protonotaire Milczynski poursuit en précisant qu'elle préfère la preuve présentée par Abbott, mais elle n'insiste que sur un point à cet égard : lorsqu'une PADN a été déposée, [Traduction] « son dépôt est en soi confidentiel, de sorte qu'il est normal que ce caractère confidentiel vaille pour tout le contenu de la présentation jusqu'au dépôt d'un avis d'allégation » .

[109]     Ces propos visent simplement à souligner que les documents contenus dans la PADN ne sauraient être tous considérés indéfiniment comme confidentiels. Et, comme M. Liston l'a expliqué, peu importe que l'avis d'allégation ait pour effet de mettre fin à cette confidentialité générale ou que cette disparition se produise à un moment ou à un autre ou d'une autre façon, un jour viendra où l'intérêt public commandera que seuls les renseignements qui sont véritablement confidentiels soient considérés comme tels conformément au critère habituel.

[110]     En fait, Novopharm ne peut invoquer la confidentialité générale prévue au paragraphe 6(8) dans un contexte où le véritable caractère confidentiel de la divulgation prévue au paragraphe 6(7) est mis à l'épreuve. Si elle veut se prévaloir de la protection que l'article 151 des Règles confère à ses documents et à ses renseignements, elle ne peut se contenter d'affirmations générales de confidentialité et d'hypothèses et elle doit indiquer à la Cour quels documents sont véritablement confidentiels selon la jurisprudence applicable.

[111]     J'estime donc que le fait d'attaquer le témoignage de M. Liston dans le cadre de la présente requête ne permet pas à Novopharm de surmonter la difficulté à laquelle elle doit faire face, en l'occurrence démontrer que la protonotaire Milczynski a commis une erreur flagrante dans son appréciation du témoignage de M. Windross et en concluant que les propos de ce dernier ne permettaient pas à Novopharm de s'acquitter du fardeau de la preuve que lui imposait l'arrêt Sierra Club.

          [112]                   M. Liston a fait valoir qu'il pouvait se présenter des cas dans lesquels les « renseignements sur le contexte » contenus dans des documents déterminés pourraient être confidentiels, mais que rien ne permettait de penser que tel était le cas en l'espèce. Suivant l'interprétation que je fais du témoignage de M. Windross, exception faite de ses affirmations générales au sujet du caractère confidentiel de l'ensemble des documents divulgués, M. Windross n'a pas identifié de « renseignements sur le contexte » déterminés qui étaient effectivement confidentiels et il ne les a pas liés à un préjudice précis causé par cette divulgation.

          [113]                   Dans leur analyse de la question, Novopharm et M. Windross sont partis du principe que le paragraphe 6(8) du Règlement prévoit un mandat législatif de protection générale des documents et des renseignements divulgués conformément au paragraphe 6(7). Le témoignage de M. Windross et ses affirmations générales sont fondés sur cette analyse. Mais dès lors que l'on conclut que le paragraphe 6(8) ne prévoit pas une protection obligatoire aussi générale et qu'il faut par ailleurs satisfaire au critère usuel de l'arrêt Sierra Club, les lacunes de cette analyse sautent alors aux yeux.

          [114]                   Ce sont ces lacunes que la protonotaire Milczynski a décelées dans le témoignage de M. Windross. La Cour ne saurait affirmer qu'elle a commis une erreur flagrante en décelant ces lacunes et en concluant que Novopharm ne s'était pas acquittée de son fardeau de preuve.

          [115]                   Pour satisfaire au critère de l'arrêt Sierra Club, Novopharm devait préciser quels documents et quels renseignements il fallait protéger. Or, au lieu de fournir ces éclaircissements, Novopharm a choisi d'affirmer que tout le contenu d'un PADN est nécessairement confidentiel. Saisie d'une requête présentée en vertu de l'article 151 des Règles, la protonotaire Milczynski a, à bon droit selon moi, rejeté cette façon de voir.

          [116]                   L'importance que revêtait le témoignage de M. Liston en ce qui concerne la décision de la protonotaire Milczynski était que celui-ci avait pu parler du contenu de la PADN et des politiques générales du Ministère. Le seul point sur lequel la protonotaire Milczynski a insisté est celui voulant que la confidentialité générale prenne fin un jour. Indépendamment des lacunes de la preuve (et les deux parties ont eu de la difficulté à présenter des éléments de preuve directs pertinents sur ce point), je ne crois pas qu'elles ébranlent la conclusion fondamentale de la protonotaire Milczynski, soit qu'il incombait à Novopharm de satisfaire au critère de l'arrêt Sierra Club et que la preuve que Novopharm a présentée, par l'intermédiaire du témoignage de M. Windross, n'était pas suffisante pour satisfaire à ce critère.

Jurisprudence citée par Novopharm

          [117]                   Je ne crois pas que la jurisprudence citée par Novopharm lui permette de surmonter les obstacles que comporte intrinsèquement sa conception de la façon de satisfaire au critère de l'arrêt Sierra Club.

          [118]                   J'estime que c'est avec raison que la protonotaire Milczynski a souligné qu'un régime législatif différent était en cause dans l'affaire Merck Frosst Canada et que ce régime faisait appel à d'autres considérations.

          [119]                   Dans le même ordre d'idées, le libellé général sur lequel on s'est fondé dans AB Hassle doit être interprété à la lumière des faits particuliers de cette affaire, qui portait sur « certains affidavits » et non sur la question de savoir jusqu'à quel point le contenu d'une PADN devrait être visé par une ordonnance de non-divulgation, ce qui est la question en cause dans les présents appels.

          [120]                   La protonotaire Milczynski a eu raison, à mon avis, de se concentrer sur le critère formulé dans l'arrêt Sierra Club et sur son application particulière aux faits de l'espèce.

L'appel d'Abbott

          [121]                   Je crois qu'Abbott a tout simplement tort d'affirmer que la protonotaire Milczynski [Traduction] « a fait l'erreur d'inclure dans l'ordonnance de non-divulgation des renseignements alors qu'elle ne disposait d'aucun élément de preuve justifiant leur inclusion » .

          [122]                   La protonotaire Milczynski précise bien dans sa décision que, contrairement à ce que prétend Abbott, elle ne cherche pas [Traduction] « à transformer l'aveu fait par l'avocat lors des débats en une raison justifiant d'inclure une petite partie des renseignements dans l'ordonnance de non-divulgation » .

[123]     La protonotaire Milczynski conclut expressément, au vu de la preuve, qu'il y a « quelques exceptions » où Novopharm s'est acquittée du fardeau qui lui incombait. Elle ne s'est pas fondée sur son allusion à l'admission de l'avocat au dernier paragraphe de son ordonnance pour conclure que [Traduction] « Novopharm ne m'a pas convaincue que tous les documents contenus dans la PADN devraient être considérés comme confidentiels, les seules exceptions étant les renseignements portant sur la bioéquivalence comparative des capsules à libération différée de 15 mg et de 30 mg de lansoprazole de Novopharm ainsi que la formulation spécifique des ingrédients non médicamenteux des capsules » .

          [124]                   Il ressort de mon examen du témoignage de M. Windross que celui-ci a fourni suffisamment de précisions pour justifier ces conclusions, ce que M. Liston n'a d'ailleurs pas véritablement remis en question.

          [125]                   La protonotaire Milczynski n'a donc pas commis d'erreur flagrante à cet égard.

ORDONNANCE

LA COUR ORDONNE :

1.          Les deux appels sont rejetés.

2.          Aucuns dépens ne sont adjugés.

« James Russell »

Juge

Traduction certifiée conforme

Suzanne Bolduc, LL.B.


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

DOSSIER :                                                           T-214-05

INTITULÉ :                                                          ABBOTT LABORATORIES LIMITED TAP

                                                                              PHARMACEUTICALS INC.et

                                                                              LE MINISTRE DE LA SANTÉ,

                                                                              NOVOPHARM LIMITED ET TAKEDA

                                                                              PHARMACEUTICAL COMPANY LIMITED

         

LIEU DE L'AUDIENCE :                                    TORONTO (ONTARIO)

DATE DE L'AUDIENCE :                                  LE 7 JUILLET 2005

MOTIFS DE L'ORDONNANCE

ET ORDONNANCE :                                          LE JUGE RUSSELL

DATE DES MOTIFS :                                         LE 15 JUILLET 2005

COMPARUTIONS:

Mark Polley                                                            POUR LA DEMANDERESSE

Elizabeth Dipchand                                                                   

Ian Godfrey                                                             POUR LA DÉFENDERESSE

Andrew Skodyn                                                     (NOVOPHARM LIMITED)

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER:

McCarthy Tétrault srl                          

Toronto (Ont.)                                                         POUR LA DEMANDERESSE

Heenan Blaikie srl

Toronto (Ont.)                                                         POUR LA DÉFENDERESSE

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