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Date : 20050803

Dossier : IMM-5744-04

Référence : 2005 CF 1061

Toronto (Ontario), le 3 août 2005

EN PRÉSENCE DE MONSIEUR LE JUGE JOHN A. O=KEEFE

ENTRE :

JEAN PIERRE BOUCHER CERNA

demandeur

et

LE SOLLICITEUR GÉNÉRAL DU CANADA

défendeur

MOTIFS DE L'ORDONNANCE ET ORDONNANCE

[1]                Le demandeur sollicite, en application du paragraphe 72(1) de la Loi sur l'immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27 (la LIPR), le contrôle judiciaire de la décision rendue le 15 juin 2004 par une agente d'évaluation des risques avant renvoi (l'agente d'évaluation), décision selon laquelle le demandeur ne serait pas exposé à un risque de persécution ou de torture, à une menace pour sa vie ou à un risque de traitements ou peines cruels et inusités s'il était renvoyé dans le pays dont il a la nationalité.

[2]                Le demandeur voudrait que soit rendue :

a)          une ordonnance enjoignant au tribunal d'accomplir toute chose qu'il a illégalement négligé ou refusé d'accomplir ou qu'il a déraisonnablement différé d'accomplir; ou

b)          une ordonnance renvoyant l'affaire au tribunal pour nouvelle décision.

Les faits

[3]                Le demandeur, Jean Pierre Boucher Cerna, est de nationalité péruvienne. En 1997, son frère aîné a quitté le Pérou pour se rendre au Canada. Sa mère a suivi en 1999. Tous deux ont par la suite obtenu le statut de réfugié au Canada.

[4]                Le demandeur est arrivé au Canada le 8 septembre 2002 et y a présenté une demande d'asile le 25 septembre 2002. Sa demande a été entendue et rejetée oralement le 18 mars 2003. La demande d'asile a été rejetée entre autres parce que le demandeur était à même d'obtenir une protection de l'État et qu'il disposait d'une possibilité de refuge intérieur (PRI).

[5]                Le 30 avril 2003, le demandeur a déposé une demande fondée sur des considérations humanitaires en vue d'être dispensé de l'obligation de demander le droit d'établissement depuis l'extérieur du Canada.

[6]                Le 28 avril 2004, le demandeur déposait sa demande d'évaluation des risques avant renvoi (demande d'ERAR).

[7]                Le 15 juin 2004, l'agente d'évaluation rejetait la demande fondée sur des considérations humanitaires et la demande d'ERAR.

[8]                Le demandeur a sollicité l'autorisation de demander le contrôle judiciaire de la décision portant sur la demande fondée sur des considérations humanitaires, mais l'autorisation lui a été refusée le 10 août 2004 parce que sa demande n'avait pas été mise en état.

[9]                Le demandeur a déposé une requête en sursis d'exécution de la mesure de renvoi, requête qui a été rejetée le 12 juillet 2004 par ordonnance de la Cour. Le demandeur a alors été renvoyé au Pérou.

[10]            La présente instance concerne le contrôle judiciaire de la décision défavorable de l'agente d'évaluation.

La décision de l'agente d'évaluation

[11]            L'agente d'évaluation a écrit notamment ce qui suit dans sa décision :

[TRADUCTION]

La Loi d'application générale n'est pas applicable ici étant donné que les peines fixées par l'État ne font pas partie des risques allégués par le demandeur.

Par définition, le risque est de nature prévisionnelle en ce qui concerne les possibilités de persécution, de torture, de menaces à la vie et de traitements ou peines cruels et inusités. Gardant cela à l'esprit, j'ai examiné attentivement, afin de pouvoir me prononcer sur le risque, la preuve documentaire publique la plus récente se rapportant aux conditions qui ont cours dans le pays et au bilan des droits de la personne au Pérou, ainsi que tous les documents présentés par le demandeur.

Le demandeur dit que le 22 août 2002, quatre membres du Sentier Lumineux l'ont intercepté dans un véhicule et lui ont demandé où se trouvaient son frère et sa mère. (Le frère et la mère du demandeur ont quitté le Pérou pour le Canada en 1997 et 1999 respectivement.) Le demandeur dit que le 23 et le 24 août, il a reçu des menaces de mort par téléphone et a de nouveau été sommé de dire où se trouvaient les membres de sa famille. Le demandeur dit que le 25 août 2002 trois des mêmes quatre membres du Sentier Lumineux l'ont jeté dans un véhicule aux vitres teintées, puis ils ont roulé dans la ville en le frappant avec une carabine, en lui donnant des coups et en le menaçant. Le demandeur dit : « Ce fut presque une heure de torture physiologique [sic], de mauvais traitements et d'épreuves morales » . Selon le demandeur, le Sentier Lumineux veut se venger parce que son frère et sa mère ont quitté le Pérou.

Le demandeur n'a pas tenté d'obtenir l'aide de la police ou du DINCOTE (Direction nationale antiterroriste [...], aujourd'hui appelée DIRCOTE, [...]). Le demandeur dit qu'il n'a pas cherché à obtenir une protection de l'État, parce que son frère et sa mère avaient eux-mêmes tenté de l'obtenir, sans résultat. Le demandeur en est venu à la conclusion que, eu égard à l'expérience de sa famille, il n'obtiendrait pas lui non plus l'aide de la police ou du DINCOTE. Le demandeur affirme que son cas est similaire à celui de sa mère et de son frère.

[12]            L'agente d'évaluation a alors cité de nombreux extraits du document de la Direction générale de la recherche (PER2332.E, janvier 2004), du rapport de 2004 d'Amnistie Internationale et de rapports du Département d'État des États-Unis sur les pratiques en matière de droits de l'homme au Pérou - 2003 (25 février 2004), extraits qui indiquent les régions où le Sentier Lumineux semble actif et les interventions accrues de l'État ayant conduit à une réduction significative des rangs du Sentier Lumineux.

                [TRADUCTION]

                Analyse :

Dans ses observations sur l'évaluation des risques avant renvoi, le demandeur fait une analyse de la décision de la SPR relative à sa demande d'asile. L'évaluation des risques avant renvoi n'est pas un mécanisme d'appel pour la SPR. Néanmoins, j'ai minutieusement examiné les explications du demandeur sur ses doutes au regard de la décision de la SPR, ainsi que ses allégations de risque dans le contexte de l'évaluation des risques avant renvoi. En exposant ses observations, le demandeur entendait réfuter la conclusion de la SPR selon laquelle son témoignage n'avait pas été crédible ni digne de foi.

Le demandeur a produit une lettre de M. Alejandro LAU tendant à confirmer les ennuis qu'il connaissait au Pérou. M. LAU écrit : « Il m'a parlé des mauvais traitements qu'il a subis et des menaces par téléphone que lui ont faites des membres du Sentier Lumineux. C'est là une chose habituelle en raison de l'infiltration de terroristes dans les universités, qui se font passer pour des étudiants ou des professeurs et qui répandent des idées terroristes et communistes » . J'accorde peu de poids à cette lettre parce que les renseignements dont parle M. LAU sont fondés sur ce que le demandeur lui a dit et parce qu'ils ont peu de fondement objectif.

La recherche montre que le Sentier Lumineux demeure actif au Pérou, mais l'État continue d'exercer un contrôle sur ses forces de sécurité. La recherche montre aussi que la taille de la force de combat du Sentier Lumineux et sa portée géographique restent limitées. Par ailleurs, le gouvernement péruvien continue de lutter contre le Sentier Lumineux.

Je relève que, dans ses observations sur l'évaluation des risques avant renvoi, le demandeur a produit des copies des formulaires de renseignements personnels de sa mère et de son frère ainsi que des copies des dénonciations de sa mère et de son frère à la police. Ces documents sont antérieurs à la décision de la SPR concernant le demandeur [...] J'ai pris ces observations en considération, mais je suis d'avis que le risque allégué reste le même que celui qui a été indiqué à la SPR.

Après examen attentif des observations du demandeur relativement à l'évaluation des risques avant renvoi, j'admets que le demandeur a été poursuivi par les membres du Sentier Lumineux. Cependant, je suis aussi d'avis que le demandeur peut se prévaloir d'une protection de l'État.

Le demandeur a produit de nombreux articles concernant le Sentier Lumineux au Pérou et il dit dans ses observations que le Sentier Lumineux est encore actif. L'information qui figure dans ces documents n'est pas propre au demandeur et elle ne dément pas non plus le fait qu'une protection de l'État lui est accessible.

Lorsque le demandeur affirme que sa vie est menacée au Pérou, il lui appartient de présenter une preuve claire et convaincante que l'État n'était pas en mesure de le protéger. Des menaces ont été proférées contre le demandeur; cependant, il n'a pas pris de mesures pour se prévaloir de la protection de l'État. Le demandeur a l'obligation de s'adresser à l'État. Je suis d'avis que le demandeur ne s'est pas acquitté de la charge de la preuve et qu'il n'a pas prouvé d'une manière convaincante qu'il a tenté d'obtenir la protection des autorités péruviennes ou que cette protection lui a été refusée.

Je suis aussi d'avis qu'il existe pour le demandeur une possibilité de refuge intérieur qui est raisonnable et viable, étant donné que le Sentier Lumineux n'est pas actif dans chacune des régions du Pérou. Avant de quitter le Pérou, le demandeur a résidé dans la capitale, Lima. La recherche montre que le Sentier Lumineux sévit surtout dans les régions de Huallaga, Ene et Apurimac, Junin, Ayacucho, Apurimac et une partie de Cusco. La recherche montre aussi que le Sentier Lumineux est de plus en plus présent dans les universités, à des fins de recrutement; cependant, je relève que le demandeur, qui a terminé ses études d'économie, n'a pas dit souhaiter continuer ses études en cas de retour au Pérou.

Évaluation des risques

Puisque, à mon avis, le demandeur peut se prévaloir d'une protection de l'État dans son pays et qu'il dispose d'une possibilité de refuge intérieur qui est raisonnable et viable, je ne crois pas qu'il existe plus qu'une simple possibilité que le demandeur connaîtrait la persécution s'il devait retourner au Pérou. Je ne crois pas non plus que, selon toute vraisemblance, le demandeur serait exposé à un risque de torture, à une menace pour sa vie ou à un risque de traitements ou peines cruels et inusités.

Les questions en litige

[13]            1.          L'agente d'évaluation a-t-elle commis une erreur de droit dans son analyse relative à la protection de l'État?

2.          L'agente d'évaluation a-t-elle fait une analyse déraisonnable quant à la PRI?

Les observations du demandeur

[14]            La norme de contrôle

Selon le demandeur, la norme de contrôle qu'il convient d'appliquer à la première question est celle de la décision correcte, étant donné qu'elle concerne une erreur de droit, et la norme de contrôle qu'il convient d'appliquer à la deuxième question est celle de la décision raisonnable simpliciter, car elle concerne une question mixte de droit et de fait (voir la décision Adviento c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), 2003 CF 1430).

[15]            Première question (Analyse relative à la protection de l'État)

Le demandeur dit que, dans les observations qu'il a présentées à l'agente d'évaluation, il a produit des éléments de preuve se rapportant aux deux volets du critère de la protection de l'État, un critère exposé dans l'arrêt Canada (Procureur général) c. Ward, [1993] 2 R.C.S. 689, et suivi par la Cour fédérale dans la décision Irhuegbae c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [2003] A.C.F. no 671, où l'on peut lire ce qui suit : « à titre d'exemple d'une confirmation claire et convaincante de l'incapacité d'un État d'assurer la protection, "un demandeur pourrait présenter le témoignage de personnes qui sont dans une situation semblable à la sienne et que les dispositions prises par l'État pour les protéger n'ont pas aidées, ou son propre témoignage au sujet d'incidents personnels antérieurs au cours desquels la protection de l'État ne s'est pas concrétisée" » .

[16]            Le demandeur dit qu'il a prouvé que sa mère et son frère avaient demandé la protection de la police et qu'ils n'avaient pas pu l'obtenir. La preuve produite comprenait des lettres de sa mère et de son frère, un rapport de police et deux rapports du Département national antiterroriste (le DINCOTE). Cette preuve était assimilable aux témoignages de personnes se trouvant dans une situation semblable à la sienne. L'agente d'évaluation a commis une erreur lorsqu'elle a dit que le demandeur n'avait rien fait pour obtenir une protection de l'État. Le demandeur n'était pas tenu de demander à l'État sa protection s'il est clair, comme c'est le cas ici, que l'État ne pouvait pas le protéger. Il n'est pas tenu de risquer sa vie à tenter d'obtenir une protection de l'État inefficace, simplement pour prouver qu'elle est inefficace (voir la décision D=Mello c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [1998] A.C.F. no 72 (C.F. 1re inst.) (Q.L.)).

[17]            Le demandeur dit aussi que les conséquences de l'inaction de la police peuvent dans certains cas justifier l'hésitation d'un demandeur d'asile à rechercher une protection de l'État, surtout lorsqu'aucune mesure corrective ou punitive n'est prise par les autorités et que cela encourage la répétition d'incidents semblables (voir la décision Kraitman et al. c. Canada (Secrétaire d'État) (1994), 81 F.T.R. 64).

[18]            Le demandeur dit que l'agente d'évaluation a conclu à l'existence d'une protection de l'État en se fondant uniquement sur la preuve documentaire, sans appliquer le bon critère juridique pour savoir si le demandeur avait apporté la preuve requise. Le demandeur lui-même ne s'était pas adressé aux autorités, mais sa famille s'était efforcée d'obtenir une protection de l'État qui manifestement ne pouvait pas leur être accordée. Comme il se trouve dans une situation semblable à celle de sa mère et de son frère, il n'était pas tenu de s'adresser à l'État et l'agente d'évaluation a donc commis une erreur de droit dans son analyse.

[19]            Deuxième question (Possibilité de refuge intérieur)

Le demandeur dit que le critère juridique à appliquer pour savoir si un demandeur d'asile dispose d'une PRI a été clairement établi. Le critère est énoncé comme suit : [traduction] « En concluant à l'existence d'une possibilité de refuge intérieur, la Commission se devait d'être convaincue, selon la prépondérance des probabilités, que, compte tenu de toutes les circonstances, y compris les circonstances propres au demandeur, il ne serait pas déraisonnable pour lui de chercher et d'obtenir la protection contre la persécution dans une autre partie de son pays » (voir l'arrêt Thirunavukkarasu c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration), [1994] 1 C.F. 589 (C.A.F.)). L'agente d'évaluation a commis une erreur parce qu'elle ne s'est pas demandé si la PRI proposée pour ce demandeur était ou non raisonnable.

[20]            Lorsqu'elle a conclu à l'existence d'une PRI, l'agente d'évaluation n'a pas tenu compte du fait que la mère et le frère du demandeur avaient déménagé à plusieurs reprises et que cela n'avait rien changé pour eux. En outre, si une personne doit constamment se cacher pour échapper aux difficultés, on ne saurait voir là une PRI. On ne peut présumer que les grandes agglomérations constituent des PRI du seul fait de la taille de leur population. L'agente d'évaluation n'a pas convenablement analysé les véritables chances de succès d'une PRI pour le demandeur et sa décision est donc déraisonnable.

Les observations du défendeur

[21]            La norme de contrôle

Le défendeur dit que la décision de l'agente d'évaluation relative à l'existence d'une protection de l'État et sa décision quant à l'existence d'une PRI pour le demandeur portent sur des questions de fait et que la norme de contrôle qu'il convient d'appliquer est donc celle de la décision manifestement déraisonnable (voir la décision Ahmed c. Canada (Solliciteur général), 2004 CF 686).

[22]            Le défendeur dit que, avant de faire droit à la demande de contrôle judiciaire, la Cour doit conclure que l'agente d'évaluation a commis une erreur dans ses deux conclusions, celle relative à la protection de l'État et celle relative à l'existence d'une PRI (voir la décision Judge c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), 2004 CF 1089).

[23]            Selon le défendeur, les nouveaux éléments de preuve que le décideur n'avait pas devant lui ne sont pas pertinents et ne devraient pas être pris en compte dans une procédure de contrôle judiciaire (voir la décision Moktari c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration) (2001), 200 F.T.R. 25). C'est la décision de l'agente d'évaluation qui est l'objet d'un contrôle judiciaire et, par conséquent, seules les éléments de preuve qu'elle avait devant elle peuvent être validement acceptés. Les renseignements ou documents que l'agente d'évaluation n'avait pas devant elle ne doivent pas être pris en compte par la Cour.

[24]            Première question (Protection de l'État)

Selon le défendeur, c'est au demandeur qu'il revient d'apporter une preuve claire et convaincante de l'incapacité présumée de l'État péruvien à le protéger. Dans la décision Bustamante c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), 2002 CFPI 499, le juge Martineau a admis, se fondant sur la preuve documentaire produite dans cette affaire, que, depuis la fin des années 90, « l'organisation du Sentier Lumineux avait été pratiquement éliminée par les autorités péruviennes » et, selon lui, le demandeur d'asile dans cette affaire n'avait pas présenté au décideur une preuve convaincante montrant que l'État péruvien ne pouvait pas le protéger, en dépit des présumées menaces qu'il avait reçues du Sentier Lumineux. La même conclusion devrait être tirée ici (voir aussi la décision Mejia c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), 2004 CF 925).

[25]            Selon le défendeur, l'agente d'évaluation a appliqué le bon critère, celui selon lequel c'est au demandeur qu'il revient d'établir, par une preuve claire et convaincante, que l'État n'était pas en mesure de le protéger. D'après lui, les motifs exposés par l'agente d'évaluation montrent que, contrairement aux affirmations du demandeur, elle était au courant et avait tenu compte de l'impossibilité pour la mère et le frère du demandeur d'obtenir l'aide de la police malgré l'établissement de rapports de police.

[26]            Le simple fait que la mère et le frère du demandeur s'étaient plaints à la police plus de trois ans auparavant ne dispensait pas pour autant le demandeur de l'obligation d'obtenir une protection de l'État ou de prouver que la recherche d'une telle protection serait déraisonnable, d'autant que les autorités péruviennes ont notablement réduit la force de frappe du Sentier Lumineux (décision Bustamante, précitée).

[27]            Selon le défendeur, la preuve documentaire que l'agente d'évaluation avait devant elle montrait que la situation au Pérou, en ce qui a trait à l'organisation terroriste du Sentier Lumineux, était très différente en 2002de la situation qui avait cours durant les années 90, lorsque la mère et le frère du demandeur avaient quitté le pays.

[28]            Selon le défendeur, il était donc raisonnable pour l'agente d'évaluation de ne pas tout bonnement admettre qu'une protection de l'État n'aurait pu être obtenue par le demandeur du seul fait que sa mère et son frère n'avaient pu l'obtenir. Après examen de l'ensemble de la preuve, l'agente d'évaluation a estimé que la situation du demandeur n'était pas assimilable à celle de sa mère et de son frère lorsqu'ils avaient quitté le Pérou plusieurs années auparavant. Le demandeur voudrait que la Cour apprécie à nouveau la preuve que l'agente d'évaluation avait devant elle. Ce n'est pas là le rôle de la Cour dans une procédure de contrôle judiciaire.

[29]            Deuxième question (Possibilité de refuge intérieur)

Selon le défendeur, il revenait au demandeur de prouver qu'une PRI n'était pas raisonnable. Il ne l'a pas prouvé.

[30]            Selon le défendeur, l'agente d'évaluation n'a pas commis d'erreur lorsqu'elle a dit qu'une PRI s'offrait raisonnablement au demandeur. Elle a trouvé que la taille et la zone géographique du Sentier Lumineux avaient été considérablement réduites. La preuve montrait que le Sentier Lumineux opère surtout dans les régions rurales du Pérou productrices de cacao, outre une présence dans les universités. L'agente d'évaluation a relevé que le demandeur avait vécu à Lima avant de venir au Canada et qu'il pouvait s'y réinstaller, puisque, selon la preuve documentaire, cette ville ne se trouve pas dans la zone géographique restreinte dominée actuellement par le Sentier Lumineux.

[31]            Selon le défendeur, l'agente d'évaluation a correctement appliqué le critère exposé dans l'arrêt Thirunavukkarasu, précité, évaluant comme elle l'a fait la situation à Lima tant sous l'angle de la présence du Sentier Lumineux que sous l'angle de la capacité du demandeur à se réinstaller là-bas. Il n'était pas déraisonnable pour l'agente d'évaluation de dire que le demandeur n'avait pas réussi à prouver qu'il y avait plus qu'une simple possibilité qu'il soit persécuté partout au Pérou, vu l'option envisageable pour lui de se réinstaller à Lima.

[32]            Selon le défendeur, la demande de contrôle judiciaire devrait donc être rejetée.

Analyse et décision

[33]            La norme de contrôle

La norme de contrôle applicable au constat d'existence d'une PRI est celle de la décision manifestement déraisonnable (voir la décision Chorny c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [2003] A.C.F. no 1263).

[34]            Je me propose d'examiner d'abord la question de la PRI.

L'agente d'évaluation a-t-elle fait une analyse déraisonnable quant à la PRI?

Dans l'arrêt Rasaratnam c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration), [1991] A.C.F. 1256, la Cour d'appel fédérale devait se prononcer sur une PRI. J'ai examiné la décision de l'agente d'évaluation et j'observe que l'agente a considéré les règles exposées par la Cour d'appel dans ce précédent. Elle s'est demandé si, eu égard à l'ensemble des circonstances, y compris les circonstances propres au demandeur, les conditions ayant cours dans la partie du pays offrant une PRI étaient telles qu'il ne serait pas déraisonnable pour le demandeur d'y chercher refuge. L'agente a aussi admis que le demandeur avait déjà été victime d'attaques de la part du Sentier Lumineux.

[35]            L'agente d'évaluation a relevé à juste titre, en se fondant sur la preuve documentaire récente, que le Sentier Lumineux ne sévissait pas dans toutes les régions du pays, que ses rangs s'étaient considérablement réduits et que le gouvernement avait entrepris de lutter contre ce mouvement. L'agente d'évaluation a estimé que le demandeur disposait d'une PRI.

[36]            C'est au demandeur qu'il revient de prouver qu'une crainte fondée de persécution existe partout au Pérou. À mon avis, le demandeur n'a pas apporté cette preuve.

[37]            Je suis également d'avis que l'agente d'évaluation n'a pas commis d'erreur susceptible de révision en ce qui concerne la PRI.

[38]            Puisque, pour obtenir gain de cause, le demandeur devait prouver l'absence d'une PRI, il ne m'est pas nécessaire d'examiner l'autre question.

[39]            Je n'ai pas tenu compte des nouveaux éléments de preuve exposés dans l'affidavit complémentaire, puisque l'agente d'évaluation ne disposait pas de ces éléments.

[40]            La demande de contrôle judiciaire est donc rejetée.

[41]            Aucune des parties n'a souhaité soumettre à mon examen une question grave de portée générale pour qu'elle soit certifiée.

ORDONNANCE

[42]            LA COUR ORDONNE que la demande de contrôle judiciaire soit rejetée.

« John A. O=Keefe »

Juge

Traduction certifiée conforme

Christian Laroche, LL.B.


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

DOSSIER :                                                     IMM-5744-04

INTITULÉ :                                                    JEAN PIERRE BOUCHER CERNA

                                                                        - et -

                                                                        LE SOLLICITEUR GÉNÉRAL DU CANADA

LIEU DE L'AUDIENCE :                              VANCOUVER (COLOMBIE-BRITANNIQUE)

DATE DE L'AUDIENCE :                            LE 17 MARS 2005

MOTIFS DE L'ORDONNANCE

ET ORDONNANCE :                                    LE JUGE O=KEEFE

DATE DES MOTIFS :                                   LE 3 AOÛT 2005

COMPARUTIONS :

Nicole Hainer                                                                      POUR LE DEMANDEUR

Benton Mischuk                                                                  POUR LE DÉFENDEUR

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Elgin Cannon et Associés                                                     POUR LE DEMANDEUR

Vancouver (Colombie-Britannique)

John H. Sims, c.r.                                                                POUR LE DÉFENDEUR

Sous-procureur général du Canada

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