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Date : 20060614

Dossier : IMM‑1813‑05

Référence : 2006 CF 755

Ottawa (Ontario), le 14 juin 2006

EN PRÉSENCE DE MONSIEUR LE JUGE RUSSELL

 

ENTRE :

CARLOS MANUEL MALICIA

demandeur

et

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

 

MOTIFS DU JUGEMENT

 

LA DEMANDE

 

[1]        Il s’agit d’une demande de contrôle judiciaire visant la décision d’une agente d’immigration (l’agente), qui a refusé, le 4 mars 2005, de demander l’autorisation de délivrer un permis de séjour temporaire (PST) à Carlos Manuel Malicia (le demandeur). Les parties conviennent que la présente demande devrait être accueillie et que l’affaire devrait être renvoyée pour faire l’objet d’une nouvelle décision. Elles ne s’entendent pas toutefois sur la question de savoir si la Cour devrait donner certaines instructions demandées par le demandeur.

LE CONTEXTE

 

[2]        Le demandeur, un citoyen portugais, est arrivé au Canada avec sa famille en 1975, à l’âge de 12 ans, et a obtenu le statut de résident permanent. Malheureusement, il a commis de nombreuses infractions criminelles au fil des ans. Le 7 juin 1994, une mesure d’expulsion du Canada a été prise contre lui. Le demandeur a demandé un nouveau visa de résident permanent et une dispense, pour des motifs d’ordre humanitaire, de l’obligation de demander et d’obtenir un visa d’immigrant de l’extérieur du Canada qui était prévue par la Loi sur l’immigration, L.R.C. 1985, ch. I‑2, maintenant abrogée.

 

[3]        La demande fondée sur des motifs d’ordre humanitaire a été rejetée en février 2002. La Cour a toutefois annulé cette décision en février 2003 dans le cadre d’un contrôle judiciaire et a renvoyé l’affaire pour qu’elle fasse l’objet d’une nouvelle décision. La demande fondée sur des motifs d’ordre humanitaire a été accueillie en partie le 23 octobre 2003 : le demandeur a été dispensé de l’obligation de demander un visa de l’extérieur du Canada – la « première étape du processus » – mais l’agente a refusé d’accorder une dispense concernant la « deuxième étape », c’est‑à‑dire l’examen des conditions d’obtention du statut de résident permanent. Le demandeur avait des antécédents criminels qui faisaient de lui une personne interdite de territoire. Par conséquent, le visa de résident permanent lui a été refusé le 13 novembre 2003, malgré la dispense concernant la « première étape » qui avait été accordée pour des motifs d’ordre humanitaire.

 

[4]        Dans sa lettre de novembre 2003 où elle faisait connaître sa décision, l’agente a écrit que, compte tenu de la [traduction] « situation particulière » du demandeur, elle [traduction] « pourrait être disposée à demander l’autorisation au ministre » de lui accorder un PST. Elle a demandé au demandeur de fournir plus de renseignements concernant ses antécédents criminels, notamment une [traduction] « demande de réadaptation ». Le demandeur a transmis ces renseignements le 18 avril 2004.

 

[5]        Le 3 mai 2004, l’agente a écrit au demandeur pour accuser réception des renseignements et pour lui faire savoir que la situation avait changé. Elle a rappelé que le demandeur avait été accusé de nouvelles infractions criminelles le 18 avril 2004, plus précisément :

·        d’agression armée;

·        de menaces de mort ou de lésions corporelles;

·        de voies de fait contre un agent de la paix (trois chefs);

·        de méfait de moins de 5 000 $.

 

L’agente a demandé au demandeur de fournir des renseignements et des observations additionnels concernant ces nouvelles accusations.

 

[6]        L’agente a fait savoir le 4 mars 2005 qu’elle refusait de délivrer le PST. C’est cette décision qui est contestée par le demandeur.

 

LA DÉCISION FAISANT L’OBJET DU PRÉSENT CONTRÔLE

 

[7]        La lettre de décision de l’agente datée du 4 mars 2005 traitait de la demande de résidence permanente du demandeur et de la question du PST. L’agente a rappelé qu’une dispense pour des motifs d’ordre humanitaire avait été accordée en octobre 2003, pour la « première étape » du processus, mais que le demandeur devait toujours satisfaire à la « deuxième étape » en remplissant les conditions d’admissibilité prévues par la loi. Elle a souligné que le demandeur ne pouvait pas obtenir le statut de résident permanent à cause de ses antécédents criminels. Elle a dit ensuite : [traduction] « Nous avons pris les facteurs en considération dans votre affaire et nous ne sommes pas disposés à demander au ministre l’autorisation de vous délivrer un permis de séjour temporaire. »

 

[8]        Le demandeur a d’abord fait valoir, dans le cadre du présent contrôle judiciaire, que la décision de l’agente devait être annulée parce qu’elle n’était pas motivée. Or, il s’est avéré qu’il s’agissait d’une erreur administrative; en fait, des notes écrites par l’agente expliquaient comment elle était arrivée à sa décision, mais Citoyenneté et Immigration Canada (CIC) les avait égarées.

 

[9]        Le défendeur a consenti à ce que la décision de l’agente soit annulée et que l’affaire soit renvoyée pour qu’une nouvelle décision soit rendue. Le demandeur demande cependant à la Cour de donner des instructions pour que l’agent d’immigration qui réexaminera l’affaire ne se penche pas de nouveau sur la question de savoir si la dispense accordée pour des motifs d’ordre humanitaire en ce qui concerne la première étape du processus devrait s’appliquer. Il dit que, comme la décision relative à la dispense n’est pas contestée, elle ne devrait pas être modifiée. Le défendeur n’est pas de cet avis.

 

LA QUESTION EN LITIGE

 

[10]      La présente demande soulève essentiellement la question suivante :

 

1.                  La Cour devrait‑elle, en accueillant la présente demande, donner des instructions selon lesquelles le demandeur devrait continuer d’être dispensé de l’obligation de présenter une demande de visa de résident ou de permis de séjour de l’extérieur du Canada?

 

LA POSITION DES PARTIES

 

[11]      Le demandeur soutient qu’une décision favorable fondée sur des motifs d’ordre humanitaire rendue pour la « première étape » permet de déterminer si un PST doit être délivré. Il dit que la loi ne prévoit aucune forme ni aucun processus formel concernant la présentation d’une demande de PST. En pratique, un demandeur n’est invité à demander un PST qu’après qu’une décision relative aux motifs d’ordre humanitaire a été favorable pour la « première étape » mais défavorable pour la « deuxième étape » (c’est‑à‑dire après qu’une personne a été dispensée de l’obligation de faire sa demande de l’extérieur du Canada et a été jugée non admissible à la résidence permanente).

 

[12]      Selon le demandeur, l’existence d’une décision favorable fondée sur des motifs d’ordre humanitaire pour la « première étape » est le point de départ du processus menant à la délivrance ou au refus d’un PST, et cette décision devrait continuer de s’appliquer si la décision relative au PST est renvoyée pour être réexaminée. Le demandeur reconnaît que des considérations différentes s’appliquent à l’octroi d’une dispense pour des motifs d’ordre humanitaire et à la délivrance d’un PST et qu’un agent peut considérer tous les faits pertinents qui sont apparus avant que la décision relative au PST soit prise.

 

[13]      Le défendeur fait valoir que la décision fondée sur des motifs d’ordre humanitaire et celle relative au PST sont des questions distinctes n’ayant essentiellement aucun lien entre elles, si ce n’est qu’une invitation à demander un PST fait suite à une décision défavorable relative aux motifs d’ordre humanitaire rendue pour la « deuxième étape ». Chaque décision est fondée sur des considérations différentes, quoique certaines se recouvrent en partie.

 

[14]      Le défendeur souligne qu’un agent d’immigration doit tenir compte de tous les faits et considérations pertinents lorsqu’il décide de délivrer ou de refuser un PST, notamment les considérations qui existaient au moment où la décision favorable fondée sur des motifs d’ordre humanitaire a été rendue pour la « première étape ». Il fait donc valoir que les instructions qui seraient données par la Cour relativement au traitement de cette décision n’ont aucune conséquence.

 

ANALYSE

 

[15]      La décision qui est renvoyée afin d’être réexaminée est contenue dans la lettre rédigée par l’agente le 4 mars 2005. Après avoir expliqué le processus à deux étapes utilisé pour le traitement d’une demande fondée sur des motifs d’ordre humanitaire, l’agente écrit :

[traduction] En conséquence, votre demande de résidence permanente est rejetée et la dispense qui vous a été accordée précédemment n’a plus aucun effet. Nous avons pris les facteurs en considération dans votre affaire et nous ne sommes pas disposés à demander au ministre l’autorisation de vous délivrer un permis de séjour temporaire.

 

[16]      Cet extrait donne à penser que l’agente s’est prononcée sur trois points :

1.                  elle a rejeté la demande de résidence permanente;

2.                  la dispense accordée précédemment pour la première étape de l’examen de la demande de résidence permanente n’avait plus aucun effet;

3.                  l’agente a refusé de demander un PST.

 

[17]      Les parties ont convenu que l’affaire devait être renvoyée pour faire l’objet d’un nouvel examen parce que l’agente n’a pas motivé sa décision.

 

[18]      Le demandeur dit en fait que, lorsque la décision sera renvoyée, la Cour devrait ordonner que la dispense concernant la première étape de la demande de résidence permanente continue de s’appliquer.

 

[19]      Il faudrait cependant, pour donner raison au demandeur, que la Cour statue que l’agente a eu tort de décider que [traduction] « la dispense qui vous a été accordée précédemment n’a plus aucun effet ».

 

[20]      La Cour est d’avis que, lorsque l’affaire sera renvoyée pour faire l’objet d’un nouvel examen, l’agent chargé de cet examen devra revoir tous les aspects de la décision, et qu’elle ne devrait pas intervenir dans ce processus en isolant un aspect et en l’excluant du réexamen. Elle ne devrait pas donner des instructions qui font en sorte qu’elle rend la décision qu’il incombe au décideur de rendre et, bien qu’elle puisse orienter le décideur, elle ne peut pas rendre la décision à sa place. Voir Bande de Neskonlith Band c. Canada (Procureur général), [1997] A.C.F. no 1218 (QL) (C.F. 1re inst.), au paragraphe 17.

 

[21]      Une instruction était justifiée dans Warach c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1999] A.C.F. no 488 (QL) (C.F. 1re inst.), parce que rien ne permettait de croire que la conclusion quant au fondement de la crainte de persécution qui avait été tirée précédemment ne continuerait pas de s’appliquer. De même, dans Castaneda Covarrubias c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2006 CF 299, la question de la violence n’était pas en litige et il ne servait à rien de la réexaminer.

 

[22]      En l’espèce, les deux parties contestent avec force le maintien de l’applicabilité des conditions qui ont donné lieu à la dispense accordée pour la première étape et la décision même rejette clairement cette dispense et affirme qu’elle n’a plus aucun effet.

 

[23]      Cette position des parties soulève des questions de fait et de droit concernant le maintien de l’applicabilité de la dispense accordée pour la première étape. La Cour ne peut, à ce moment‑ci, régler effectivement cette question en l’excluant du réexamen.

 

[24]      On peut penser que si, comme le demandeur le prétend, il n’y a aucun changement justifiant une décision différente de celle rendue précédemment pour la première étape, ce facteur devra être pris en compte par l’agent dans le cadre du réexamen. La décision relative au PST devra aussi tenir compte de tous les faits et circonstances de l’affaire, notamment la dispense accordée précédemment pour la première étape et tout facteur pertinent pouvant mener à une conclusion différente sur ce point.

 

[25]      À ce stade‑ci du processus, il n’y a pas de fondement factuel solide sur lequel la Cour pourrait s’appuyer pour suivre les décisions Warach, précitée, ou Castaneda, précitée, et exclure la décision favorable antérieure du réexamen. Les parties contestent vivement l’importance des nouvelles accusations qui ont été portées et la pertinence des changements dans les circonstances qui peuvent être survenus depuis que cette décision a été rendue. L’agent devra se pencher sur cette question dans le cadre du réexamen.

 

[26]      Pour ces motifs, la Cour est d’avis que la décision du 4 mars 2005 devrait être renvoyée pour faire l’objet d’un réexamen et que l’agent devrait prendre en considération, dans le cadre de ce réexamen, la décision favorable rendue précédemment pour la première étape, si elle est toujours pertinente, ainsi que tous les autres facteurs qui ont pris naissance depuis cette dernière décision ou la décision du 4 mars 2005.

 

[27]      J’ai demandé aux avocats de signifier et de déposer des observations au sujet de la certification d’une question de portée générale dans les sept jours suivant la réception des présents motifs. Chaque partie disposera ensuite de trois jours pour signifier et déposer sa réponse aux observations de l’autre partie. Une ordonnance sera ensuite rendue.

 

 

« James Russell »

Juge

 

 

 

Traduction certifiée conforme

Jacques Deschênes, LL.B.

 


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

DOSSIER :                                                                IMM‑1813‑05

 

 

INTITULÉ :                                                               CARLOS MANUEL MALICIA

                                                                                    c.        

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L’IMMIGRATION

 

 

CONTRÔLE JUDICIAIRE JUGÉ SUR DOSSIER SANS COMPARUTION DES PARTIES

 

MOTIFS DU JUGEMENT :                                    LE JUGE RUSSELL

 

DATE DES MOTIFS :                                              LE 14 JUIN 2006

 

 

OBSERVATIONS ÉCRITES :

 

Lorne Waldman                                                            POUR LE DEMANDEUR

 

Martin Anderson                                                          POUR LE DÉFENDEUR

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Lorne Waldman                                                            POUR LE DEMANDEUR

Waldman et associés

Avocats

Toronto (Ontario)

                       

John H. Sims, c.r.                                                         POUR LE DÉFENDEUR

Sous‑procureur général du Canada

 

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