Décisions de la Cour fédérale

Informations sur la décision

Contenu de la décision






Date : 20000818


Dossier : T-954-99



ENTRE :

     HERMES NUMISMATIQUE ET ARTS ANCIENS, INC.

     demanderesse

     et

     LE MINISTRE DU REVENU NATIONAL

         défendeur


     MOTIFS DE L'ORDONNANCE

LE JUGE LEMIEUX


INTRODUCTION


[1]      Cet appel, interjeté par Hermes numismatique et arts anciens Inc. (la demanderesse) sur la base de prétentions écrites en vertu de l'article 369 des Règles de la Cour fédérale de 1998 (les Règles), porte sur une ordonnance du protonotaire Morneau, datée du 27 octobre 1999. Cette ordonnance faisait droit à la requête du défendeur en radiation de la déclaration d'action de la demanderesse en vertu de l'alinéa 221(1)a) des Règles de Cour fédérale de 1998.

CONTEXTE

[2]      La déclaration de la demanderesse, déposée à la Cour le 31 mai 1999, contient les allégations principales suivantes :
     1)      avant le mois d'août 1990, la demanderesse a acheté à un commerçant libanais de Beyrouth au Liban 53 mosaïques fabriquées au Liban;
     2)      ces mosaïques ont été détenues en 1990 par le ministère du Revenu national (Douanes et accise) (MRN) à leur arrivée au port de Montréal, dans le but d'enquêter sur leur importation;
     3)      après que le MRN ait retenu les services d'un expert pour examiner les mosaïques, il les a libérées aux fins de leur entrée au Canada le 23 janvier 1991, le Liban étant considéré leur pays d'origine. Leur importation est devenue finale et sans appel en vertu des articles 57 à 61 de la Loi sur les douanes;
     4)      la demanderesse a entreposé ces mosaïques dans un entrepôt de St-Laurent (Québec) de 1991 à 1997, période au cours de laquelle le MRN ne s'est pas manifesté;
     5)      le 10 juillet 1998, le défendeur a procédé à la saisie-confiscation des mosaïques ainsi que des livres et dossiers de la demanderesse;
     6)      le 11 juillet 1998, ou vers cette date, le défendeur a envoyé par courrier un avis de la saisie à la demanderesse, faisant état d'une fausse déclaration quant à l'origine des 53 mosaïques importées en 1990;
     7)      l'avocat de la demanderesse n'a pas réagi à l'avis, puisqu'il croyait par erreur que l'avis de saisie au civil n'était qu'un double de la saisie au criminel.
[3]      Dans sa déclaration, la demanderesse soutient ensuite que peu de temps après que le MRN lui eut envoyé l'avis de saisie-confiscation, ce dernier aurait « soi-disant » avisé le gouvernement de la Syrie (Syrie) de la saisie-confiscation des mosaïques. La Syrie a alors présenté une revendication de tiers à la Cour supérieure du Québec en août 1998, plaidant qu'elle en était le propriétaire. La question s'est réglée hors cour entre la Syrie et le MRN le 23 février 1999.
[4]      Le gouvernement du Canada a « renvoyé » 39 des mosaïques au gouvernement de la Syrie sans obtenir l'autorisation de la Cour supérieure du Québec. Certaines mosaïques sont toujours à Montréal en attente d'être exportées vers la Syrie et, suite à certaines procédures judiciaires entreprises par la demanderesse, le défendeur a convenu de garder les mosaïques au Canada jusqu'au règlement de l'affaire.
[5]      La demanderesse soutient que la saisie-confiscation du demandeur est illégale puisque le défendeur n'avait pas, pour plusieurs raisons, le droit de procéder ainsi.
[6]      Dans sa déclaration, la demanderesse cherche à obtenir les mesures suivantes :
a)      Un jugement déclaratoire de la Cour portant que le défendeur a enfreint l'article 113 de la Loi sur les douanes;
b)      Un jugement déclaratoire de la Cour portant que la saisie-confiscation du défendeur des biens de la demanderesse est illégale, puisqu'elle a eu lieu après l'expiration de la période de prescription prévue à l'article 113 de la Loi sur les douanes;
c)      Une ordonnance de remise des biens en cause à la demanderesse;
d)      Des dommages-intérêts généraux d'un million de dollars (1 000 000 $), suite à la saisie-confiscation des biens de la demanderesse et à la diffamation de la demanderesse par le défendeur;
e)      Des dommages-intérêts punitifs de cent mille dollars (100 000 $);
f)      Des dommages-intérêts spéciaux d'une somme à être déterminée à une date raisonnable avant l'audience.

La décision du protonotaire

[7]      Dans sa décision, le protonotaire a accepté le point de vue du MRN que la Cour n'a pas compétence pour entendre l'action de la demanderesse en raison du fait que les jugements déclaratoires demandés, qui sont essentiels à l'octroi des dommages-intérêts, ne respectent pas l'économie du régime établi aux articles 123 à 135 de la Loi sur les douanes. Ces dispositions autorisent toute personne dont les biens ont été saisis à présenter une demande en vue de faire rendre au ministre la décision prévue à l'article 131. Cette demande doit être présentée par écrit. L'article 135 prévoit un appel à notre Cour de la décision du ministre. En conséquence, le protonotaire a radié la déclaration d'action, sans toutefois intervenir dans l'action en diffamation de la demanderesse.
[8]      Le protonotaire Morneau a rejeté sans ambages l'argument de la demanderesse que le régime de contrôle administratif prévu dans la Loi sur les douanes était uniquement en place pour permettre à une personne de contester une saisie trouvant sa source dans l'illégalité de ses propres gestes au vu de la Loi ou du Règlement. La demanderesse soutient que le régime de contrôle administratif ne s'applique pas à sa situation, savoir celle d'une personne attaquant la saisie par suite d'un manquement légal, en l'instance le non-respect de la prescription. De plus, les articles 57 à 61 de la Loi sur les douanes faisaient qu'on ne pouvait remettre en question l'origine des mosaïques.
[9]      Le protonotaire Morneau a conclu qu'il était clair et évident que la Loi sur les douanes envisage un seul mode de contestation d'une saisie-confiscation, soit l'avis au ministre dans les 30 jours de l'infraction, et ce qu'une personne cherche à obtenir une déclaration de non-contravention à la Loi sur les douanes ou qu'elle soutienne que la saisie-confiscation était illégale.
[10]      Le protonotaire Morneau s'est appuyé sur la clause privative de l'article 123 de la Loi et il a examiné la jurisprudence. Il n'a pas traité de la portée et de la signification de l'article 106 de la Loi, une disposition sur laquelle la demanderesse s'appuyait pour démontrer que les articles 123 à 135 ne représentent pas un code complet.

ANALYSE

     a)      Le critère en appel
[11]      En conformité avec l'arrêt de la Cour d'appel fédérale dans Canada c. Aqua-Gem Investment Ltd., [1993] 2 C.F. 425, je dois contrôler la décision du protonotaire Morneau en exerçant mon pouvoir discrétionnaire de reprendre l'affaire depuis le début, puisque sa décision a une influence déterminante sur l'issue de la cause.
     b)      Le critère à appliquer par le protonotaire
[12]      Comme la Cour suprême du Canada l'a établi dans l'arrêt Hunt c. Carey Canada Inc., [1990] 2 R.C.S. 959, le critère à utiliser dans l'application de l'alinéa 221(1)a) des Règles, à supposer que la preuve des faits énoncés dans la déclaration puisse être faite, est de savoir s'il est « évident et manifeste » que la déclaration de la demanderesse ne révèle aucune demande raisonnable.
[13]      Au nom de la Cour, Mme le juge Wilson déclare ceci, à la page 980 :
Comme en Angleterre, s'il y a une chance que le demandeur ait gain de cause, alors il ne devrait pas être « privé d'un jugement » . La longueur et la complexité des questions, la nouveauté de la cause d'action ou la possibilité que les défendeurs présentent une défense solide ne devraient pas empêcher le demandeur d'intenter son action. Ce n'est que si l'action est vouée à l'échec parce qu'elle contient un vice fondamental qui se range parmi les autres énumérés à la règle 19(24) des Rules of Court de la Colombie-Britannique que les parties pertinentes de la déclaration du demandeur devraient être radiées en application de la règle 19(24)a).
     c)      Discussion et dispositif
[14]      Le rôle du protonotaire était de décider si l'affaire ne faisait aucun doute (Procureur général du Canada c. Inuit Tapirisat of Canada et autres, [1980] 2 R.C.S. 735, à la page 758). Le rôle du protonotaire n'était pas de trancher la réclamation de la demanderesse au fond et, selon moi et avec égards, il a commis une erreur en traversant cette frontière et en citant longuement la jurisprudence comme il l'a fait.
[15]      Il se peut qu'en définitive le point de vue adopté par le protonotaire soit jugé avoir été le bon, mais on ne peut certainement pas affirmer qu'il n'y a aucun doute que les articles 123 à 135 de la Loi sur les douanes excluent la possibilité que le demandeur puisse réclamer des jugements déclaratoires et des dommages-intérêts et ce, pour plusieurs motifs.
[16]      Premièrement, la demanderesse soulève un point qui mérite discussion en déclarant que le régime de la Loi sur les douanes ne s'applique qu'au contrôle des saisies-confiscations fondées sur une infraction à la Loi ou au Règlement. La demanderesse ne conteste pas la saisie-confiscation pour ce motif, mais bien plutôt parce qu'elle n'aurait aucun fondement législatif.
[17]      Deuxièmement, la demanderesse soutient qu'on a disposé illégalement des mosaïques, puisque l'autorisation de la Cour supérieure du Québec prévue à l'article 139 de la Loi sur les douanes n'a pas été obtenue.
[18]      Troisièmement, le lien entre le régime de contrôle des saisies prévu à la loi et l'article 106 de la Loi sur les douanes, ainsi que l'impact de l'article 17 de la Loi sur la Cour fédérale et celui de la Loi sur la responsabilité civile et de l'État et le contentieux administratif est complexe, tout comme le recoupement entre les réparations en droit administratif et celles prévues par la loi dans ce contexte (voir, par exemple, Dome Petroleum Ltd. c. Canada, 26 F.T.R. 318 et Comeau's Sea Foods Ltd. c. Canada, [1995] 2 C.F. 467 (C.A.F.).
[19]      Quatrièmement, la possibilité d'obtenir des dommages-intérêts en même temps que des jugements déclaratoires soulève des questions juridiques complexes qui se situent dans le cadre de faits précis. Pour une discussion récente à ce sujet, voir Creed c. Le Solliciteur général du Canada, T-237-96, le 16 février 1998.
[20]      Pour tous ces motifs, l'appel est accueilli et la décision du protonotaire radiant la déclaration de la demanderesse est annulée, avec dépens.

     François Lemieux

    

     J U G E

OTTAWA (ONTARIO)

LE 18 AOÛT 2000

Traduction certifiée conforme


Suzanne M. Gauthier, LL.L., Trad. a.



Date : 20000818


Dossier : T-954-99

OTTAWA (ONTARIO), LE VENDREDI 18 AOÛT 2000

EN PRÉSENCE DE :      M. LE JUGE LEMIEUX


ENTRE :

     HERMES NUMISMATIQUE ET ARTS ANCIENS, INC.

     demanderesse

     et

     LE MINISTRE DU REVENU NATIONAL

         défendeur



     ORDONNANCE

     Pour les motifs énoncés, l'appel est accueilli et la décision du protonotaire radiant la déclaration de la demanderesse est annulée, avec dépens.



     François Lemieux

    

     J U G E

Traduction certifiée conforme


Suzanne M. Gauthier, LL.L., Trad. a.

COUR FÉDÉRALE DU CANADA

SECTION DE PREMIÈRE INSTANCE


AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER



No DU GREFFE :              T-954-99
INTITULÉ DE LA CAUSE :          Hermes numismatique et arts anciens, Inc. c. MRN (Douanes et accise)
LIEU DE L'AUDIENCE :          Ottawa (Ontario)

DATE DE L'AUDIENCE :          Le 18 août 1999

MOTIFS DE L'ORDONNANCE DE : M. le juge Lemieux

EN DATE DU :              18 août 2000



ONT COMPARU

M. Jesse I. Goldman

                             POUR LA DEMANDERESSE

M. Jacques Mimar

                             POUR LE DÉFENDEUR




AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

Gottlieb et Pearson

Montréal (Québec)

                             POUR LA DEMANDERESSE

M. Morris Rosenberg

Sous-procureur général du Canada              POUR LE DÉFENDEUR

 Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.