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Date : 19980420


Dossier : IMM-3489-97

ENTRE :


SOKOL KABASHI,


demandeur,


- et -


LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L"IMMIGRATION,


défendeur.


MOTIFS DE L"ORDONNANCE

LE JUGE GIBSON

[1]      Les présents motifs procèdent d"une demande de contrôle judiciaire visant une décision par laquelle la Section du statut de réfugié (SSR) de la Commission de l"immigration et du statut de réfugié, a estimé que le demandeur n"est pas un réfugié au sens de la Convention tel que défini au paragraphe 2(1) de la Loi sur l"immigration1. La décision de la SSR date du 17 juillet 1997.

[2]      La SSR n"a nullement mis en doute que le demandeur était, comme il l"a prétendu, un Albanien de souche. Ce qui était en cause, c"était le fait qu"il serait, comme il l"affirmait, né en Yougoslavie, dans la province du Kosovo où il aurait toujours vécu jusqu"à ce qu"il s"enfuie au Canada, en passant par l"Albanie et la Hollande et arrivant ici le 25 octobre 1996 alors qu"il avait 27 ans.

[3]      Étant donné que le demandeur prétendait avoir vécu si longtemps au Kosovo, la SSR a voulu vérifier sa connaissance du serbo-croate [traduction] " ... en lui faisant passer un examen linguistique rudimentaire élaboré de concert avec son avocat [c"est-à-dire l"avocat du demandeur]. " La SSR a constaté que le demandeur n"avait de cette langue que de " minces connaissances ". Dans ses motifs, la Section du statut s"est expliquée sur le point, précisant que le demandeur s"exprimait mieux quand il parlait à la SSR de quelque chose qu"il connaissait, ce qui n"était pas le cas lorsqu"il eut à traduire des mots choisis par le Tribunal. La SSR a conclu :

     [Traduction]         
     Nous estimons que le demandeur de statut, sachant qu"on a souvent recours à un test linguistique pour décider si quelqu"un est effectivement originaire du Kosovo, a acquis certains éléments de cette langue aux seules fins de l"audience.         

[4]      La SSR a également cherché à vérifier les connaissances géographiques que le demandeur avait du Kosovo. Encore une fois, elle a constaté que les connaissances du demandeur étaient " inégales ". Elle a conclu :

     [Traduction]         
     Nous en retirons l"impression que le demandeur a cherché à se préparer avant de comparaître devant la Section du statut en étudiant les réponses aux questions les plus fréquemment posées.         

[5]      Au vu des résultats des tests administrés au demandeur, et bien que celui-ci n"ait accompli qu"une scolarité de quatre ans, même si cela n"a pas été clairement dit, la SSR doutait, ne serait-ce qu"implicitement, du fait que le demandeur serait né dans la province du Kosovo où il prétendait avoir passé plus de 25 ans.

[6]      Le certificat de naissance produit par le demandeur n"était pas le certificat original, mais un certificat que son père aurait obtenu pour lui en 1992.

[7]      Il n"a pas produit la " lichna carta ", ou carte d"identité qui, prétendait-il, lui avait été délivrée en 1985. Lorsqu"on lui a demandé de décrire cette carte d"identité qui était censée lui avoir été délivrée, il s"est trompé en décrivant la forme du document qui, selon la preuve documentaire, aurait pu lui être délivré par les autorités yougoslaves en 1985. Ajoutons qu"il prétendait s"être vu délivrer cette carte d"identité alors qu"il n"avait pas encore atteint l"âge auquel, d"après la preuve documentaire, de tels papiers d"identité étaient délivrés à l"époque.

[8]      Le demandeur a produit un permis de conduire qu"il prétendait avoir " acheté " et non obtenu par les voies normales. Selon la SSR, la manière dont il a expliqué pourquoi il avait eu besoin d"obtenir ce permis plus rapidement que ne le permettaient les voies normales, révèle de [traduction] " sérieuses contradictions internes " dans son récit.

[9]      En conséquence, la SSR a conclu :

     [Traduction]         
     Nous n"avons accordé aucun poids au permis de conduire ou aux autres documents produits pour prouver son identité. Le certificat de naissance n"était pas un document original et nous savons, en raison de notre connaissance spécialisée de ce domaine vu les nombreuses affaires analogues portées devant nous, que, en Yougoslavie, chacun peut acheter de tels formulaires en blanc.         

On constate, si on lit entre les lignes de ces motifs qui laissent beaucoup à désirer, que la SSR a tranché la demande en fonction du comportement du demandeur, et de la manière dont il a répondu aux questions qui lui étaient posées.

[10]      Dans l"arrêt Aquebor c. Ministre de l"Emploi et de l"Immigration2, le juge Décary a déclaré :

     Il ne fait pas de doute que le tribunal spécialisé qu"est la Section du statut de réfugié a pleine compétence pour apprécier la plausibilité d"un témoignage. Qui, en effet, mieux que lui, est en mesure de jauger la crédibilité d"un récit et de tirer les inférences qui s"imposent? Dans la mesure où les inférences que le Tribunal tire ne sont pas déraisonnables au point d"attirer notre intervention, ses conclusions sont à l"abri du contrôle judiciaire.         

Ce que la SSR en a en l"occurrence déduit sur ce point se trouve au dernier paragraphe de ses motifs :

     [Traduction]         
     Après avoir examiné l"ensemble de la preuve, nous ne sommes pas convaincus que le demandeur soit originaire de la région serbe du Kosovo en Yougoslavie. Nous estimons que Sokol Kabashi n"est pas un réfugié au sens de la Convention.         

En l"espèce, ce que la SSR a déduit de l"audience et des documents produits par le demandeur comme preuves de ses origines " n"est pas déraisonnable au point de justifier une intervention de la Cour... "

[11]      La SSR s"est ensuite penchée sur une lettre produite par le demandeur, lettre qu"il aurait reçue de sa mère. La SSR a estimé que cette lettre avait [traduction] " été à l"évidence écrite dans notre intention ". L"analyse invoquée à l"appui de cette conclusion est pour le moins faible. Le demandeur a également produit un " avis de convocation au service militaire " ainsi qu"une lettre qui lui aurait été envoyée par l"école où il prétend avoir fait des études. La Section du statut n"a pas été convaincue de leur authenticité. Il n"appartient pas à la SSR de conclure en ce sens avant de faire expertiser les documents en question. Pour autant, j"estime qu"aucun de ces éléments de la démarche de la SSR, même pris dans leur ensemble, n"étaient essentiels à la décision de la Section du statut.

[12]      Pour l"ensemble de ces motifs, la demande de contrôle judiciaire est rejetée.


[13]      L"avocat du demandeur a recommandé que la Cour certifie une question sur la manière dont il convient de traiter la preuve documentaire produite devant la SSR. L"avocat du défendeur a, pour sa part, estimé qu"il n"y avait pas lieu de certifier une question sur ce point, les tribunaux s"étant déjà prononcés clairement sur les questions évoquées en l"espèce. Je suis sur ce point d"accord avec l"avocat du défendeur. La Cour n"a en l"occurrence certifié aucune question.

                         " Frederick E. Gibson "

                                     Juge

Ottawa (Ontario)

Le 20 avril 1998

Traduction certifiée conforme

C. Delon, LL.L.

COUR FÉDÉRALE DU CANADA

SECTION DE PREMIÈRE INSTANCE


AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

No DU DOSSIER :                  IMM-3489-97
INTITULÉ DE LA CAUSE :          SOKOL KABASHI c. MCI

LIEU DE L"AUDIENCE :              Toronto (Ontario)

DATE DE L"AUDIENCE :              Le jeudi 16 avril 1998

MOTIFS DE L"ORDONNANCE DE MONSIEUR LE JUGE GIBSON

DATE :                      Le 20 avril 1998

ONT COMPARU :

Me Douglas Barker                  POUR LE DEMANDEUR
Me David Tyndale                  POUR LE DÉFENDEUR

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

DOUGLAS BARKER              POUR LE DEMANDEUR

& RAYMOND HONSBERGER

Toronto (Ontario)

George Thomson                  POUR LE DÉFENDEUR

Sous-procureur général

du Canada

__________________

1      L.R.C. (1985), ch. I-2.

2      (1993), 160 N.R. 315 (C.A.F.).

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