Décisions de la Cour fédérale

Informations sur la décision

Contenu de la décision

Date : 20060410

Dossier : IMM-9766-04

Référence : 2006 CF 391

ENTRE :

JORGE LUIS RESTREPO BENITEZ

demandeur

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

défendeur

MOTIFS DE L'ORDONNANCE

LE JUGE GIBSON

INTRODUCTION

[1]                Le demandeur est un citoyen de la Colombie. Il a fui ce pays le 8 juillet 2002 et est entré au Canada la même journée, via Panama et Cuba. Il a demandé l'asile à titre de réfugié au sens de la Convention ou une protection similaire au Canada le jour de son arrivée. Il fondait sa demande sur une présumée crainte d'être tué par l'ELN, une organisation impliquée dans la guérilla colombienne.

[2]                Dans une décision datée du 3 novembre 2004, la Section de la protection des réfugiés de la Commission de l'immigration et du statut de réfugié (la Commission) a rejeté la demande d'asile du demandeur. Ce dernier souhaitait obtenir le contrôle judiciaire de cette décision. Les présents motifs font suite à l'audition d'une partie de sa demande de contrôle judiciaire.   

CONTEXTE

[3]                En 1992, le demandeur a déménagé dans la municipalité de San Pablo, dans le département de Bolivar en Colombie, et a mis sur pied une entreprise ayant comme activités principales l'achat et la vente de bovins ainsi que la production et la vente de fromage. Au début de 1998, l'ELN a commencé à extorquer au demandeur de l'argent, une somme équivalant à environ 250 $US par mois.

[4]                L'entreprise du demandeur a commencé à dépérir en 2001, au point où il n'a plus été en mesure de subvenir à ses besoins tout en payant le tribut à l'ELN. Il craignait pour sa vie. Il s'est rendu en avion au Costa Rica en juillet 2001, avec des membres de sa famille, où il a acquis de faux passeports costaricains devant servir à les faire entrer au Canada. Il est passé par le Mexique, où son faux passeport a été détecté. L'entrée au Mexique lui a été refusée. Il a été renvoyé en Colombie, où il est rentré en octobre 2001.

[5]                Le demandeur a continué à payer chaque mois la somme exigée par l'ELN jusqu'en décembre 2001. À partir du Nouvel An 2002, la somme exigée a quadruplé. Pour le mois de janvier 2002, le demandeur n'aurait payé à l'ELN que le montant exigé à l'origine, soit environ 250 $US, en promettant de combler la différence. Il n'a jamais comblé la différence.

[6]                Au même moment, c'est-à-dire en janvier 2002, un groupe paramilitaire a commencé à exiger un paiement de protection du demandeur. Il n'a effectué qu'un (1) paiement mensuel au groupe paramilitaire. Celui-ci n'a pas fait pression pour en obtenir d'autres.

[7]                L'ELN a commencé à se rembourser le montant manquant à la somme exigée du demandeur en volant des bovins de sa ferme.   

[8]                Au début de juin, le demandeur a jugé que sa position était intenable et que sa vie était en danger. Il a par la suite fui vers le Canada.

DÉCISION À L'ÉTUDE

[9]                Dans les motifs de sa décision, la Commission a écrit :

Le tribunal est d'avis que le demandeur d'asile n'a pas qualité de réfugié au sens de la Convention, car il n'a pas une crainte fondée de persécution. Il conclut que le demandeur d'asile ne serait pas exposé, par son renvoi vers la Colombie, à une menace à sa vie ou au risque de traitements ou peines cruels et inusités plus que ne le sont généralement les personnes qui se trouvent dans ce pays. Par ailleurs, aucune preuve ne permet de conclure qu'il existe des motifs sérieux de croire que le demandeur d'asile serait personnellement exposé au risque d'être soumis à la torture.

[10]            La Commission a jugé que le témoignage du demandeur devant elle ne concordait pas avec le contexte de sa demande d'asile, tel que résumé ci-dessus, présenté dans l'exposé circonstancié de son Formulaire de renseignements personnels. Elle a ensuite décrit en détail les contradictions qu'elle avait relevées ainsi que les différentes explications avancées par le demandeur à l'audience pour justifier ces contradictions, explications que la Commission a toutes rejetées. Celle-ci a conclu ses motifs par le bref paragraphe qui suit :

Après avoir tenu compte de toute la preuve dont il dispose, le tribunal conclut qu'il n'y a pas assez d'éléments de preuve crédibles pour conclure que le demandeur d'asile serait exposé, par son renvoi vers la Colombie, à une menace à sa vie ou au risque de traitements ou peines cruels et inusités plus que ne le sont généralement toutes les personnes qui se trouvent dans ce pays à cause de la violence due à la guerre civile qui y sévit.

QUESTIONS

[11]            Des questions de procédure touchant l'ordre inversé des interrogatoires ou les Directives no 7 du président ont été soulevées au nom du demandeur. Ces questions ont été séparées des questions de fond de la présente demande de contrôle judiciaire et ont été entendues par un autre juge. Elles feront l'objet de motifs et d'une ordonnance distincts. La seule question qui me restait à trancher avait été présentée au nom du demandeur dans les mots suivants : [traduction] « Le tribunal a-t-il commis une erreur en tirant des conclusions déraisonnables au sujet de la crédibilité du demandeur et du bien-fondé de sa crainte? »   

ANALYSE

            a)          Norme de contrôle

[12]            La conclusion tirée par la Commission au sujet de la crédibilité du demandeur et, en conséquence, du bien-fondé de sa crainte est une conclusion envers laquelle, j'en suis convaincu, il faut faire preuve d'une grande retenue. La norme de contrôle applicable est donc la décision manifestement déraisonnable. Dans Chowdhury c. Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration[1], mon collègue le juge Noël a écrit au paragraphe 12 de ses motifs :

La décision de la SPR quant au droit du demandeur d'obtenir l'asile est principalement fondée sur la crédibilité de ses allégations. Il est bien établi que la norme de contrôle en matière d'appréciation de la crédibilité d'un demandeur par la SPR est la décision manifestement déraisonnable (voir Thavarathinam c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), 2003 CF 1469, [2003] A.C.F. no 1866 (C.A.F.), au paragraphe 10; Aguebor c. Canada (Ministre de

la Citoyenneté et de l'Immigration), [1993] A.C.F. no 732 (C.A.F.), au paragraphe 4).

            b)          Crédibilité

[13]            L'avocat du demandeur a soutenu avec insistance que la Commission avait procédé à un examen microscopique de l'exposé circonstancié du Formulaire de renseignements personnels du demandeur ainsi que de son témoignage, au point de commettre un excès de zèle en cherchant à déceler les contradictions, puis en interrogeant le demandeur à l'audience au sujet de ces contradictions apparentes et en rejetant les explications du demandeur. En fait, la Commission a conclu que beaucoup des explications du demandeur n'étaient tout simplement pas plausibles.     

[14]            En réponse, l'avocat du défendeur a invoqué la décision Aguebor c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration)[2], sur laquelle on s'appuie souvent, où le juge Décary, s'exprimant au nom de la Cour, a écrit aux paragraphes 3 et 4 de ses motifs :

Il est exact, comme la Cour l'a dit dans Giron, qu'il peut être plus facile de faire réviser une conclusion d'implausibilité qui résulte d'inférences que de faire réviser une conclusion d'incrédibilité qui résulte du comportement du témoin et de contradictions dans le témoignage. La Cour n'a pas, ce disant, exclu le domaine de la plausibilité d'un récit du champ d'expertise du tribunal, pas plus qu'elle n'a établi un critère d'intervention différent selon qu'il s'agit de « plausibilité » ou de « crédibilité » .

Il ne fait pas de doute que le tribunal spécialisé qu'est la section du statut de réfugié a pleine compétence pour apprécier la plausibilité d'un témoignage. Qui, en effet, mieux que lui, est en mesure de jauger la crédibilité d'un récit et de tirer les inférences qui s'imposent? Dans la mesure où les inférences que le tribunal tire ne sont pas déraisonnables au point d'attirer notre intervention, ses conclusions sont à l'abri du contrôle judiciaire [...]

[15]            J'ai examiné l'exposé circonstancié du Formulaire de renseignements personnels du demandeur ainsi que la transcription de l'audience devant la Commission en tenant compte des observations écrites de l'avocat du demandeur ainsi que de ses observations orales à l'audience

devant moi. À la suite de cet examen, je suis convaincu, en appliquant la norme de contrôle de la décision manifestement déraisonnable, que la Commission pouvait conclure comme elle l'a fait.

CONCLUSION

[16]            En conséquence, la présente demande de contrôle judiciaire sera rejetée, dans la mesure où elle est fondée sur la seule question analysée ci-dessus. L'avocat du défendeur, quand on le lui a demandé à la fin de l'audience, n'a soulevé aucune question à certifier. Par contre, l'avocat du demandeur a proposé que soit certifiée une question concernant l'opportunité de ce qu'il a nommé l'[traduction] « excès de zèle » commis par la Commission dans sa recherche de contradictions ou d'éléments non plausibles dans l'ensemble de la preuve du demandeur. Je suis convaincu, compte tenu des faits en l'espèce, de l'ensemble de la preuve ainsi que des observations des avocats à l'audience, que la présente affaire repose sur des faits qui lui sont propres. Aucune question grave de portée générale qui trancherait un appel de ma conclusion en l'espèce n'est justifiée. En conséquence, aucune question ne sera certifiée.     

« Frederick E. Gibson »

Juge

Ottawa (Ontario)

Le 10 avril 2006

Traduction certifiée conforme

Elisabeth Ross


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

DOSSIER :                                                     IMM-9766-04

INTITULÉ :                                                    JORGE LUIS RESTREPO BENITEZ

                                                c.

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

                                               

LIEU DE L'AUDIENCE :                              TORONTO (ONTARIO)

DATE DE L'AUDIENCE :                            LE 13 MARS 2006

MOTIFS DE L'ORDONNANCE :              LE JUGE GIBSON

DATE DES MOTIFS :                                   LE 10 AVRIL 2006

COMPARUTIONS :

Matthew Jeffery                                                 POUR LE DEMANDEUR

John Provart                                                      POUR LE DÉFENDEUR

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Matthew Jeffery                                                 POUR LE DEMANDEUR

Avocat

Toronto (Ontario)

John H. Sims, c.r.                                              POUR LE DÉFENDEUR

Sous-procureur général du Canada

Ministère de la Justice

Toronto (Ontario)



[1] 2006 CF 139, 7 février 2006, [2006] A.C.F. no 187 (non citée devant la Cour).

[2] [1993] A.C.F. no 732 (C.A.F.) (QL).

 Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.