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     T-1697-96

     AFFAIRE INTÉRESSANT LA LOI SUR LA CITOYENNETÉ,

     L.R.C. (1985), ch. C-29

     ET l"appel d"une

     décision d"un juge de la citoyenneté

     ET

     EMILIE ERNESTINE EBBA HOOFT,

     appelante.

     MOTIFS DU JUGEMENT

LE JUGE NADON

     Il s"agit de l"appel d"une décision d"un juge de la citoyenneté rejetant la demande de citoyenneté canadienne de l"appelante au motif que celle-ci n"a pas satisfait à l"alinéa 5(1)c ) de la Loi sur la citoyenneté, qui prévoit :

         5. (1) Le ministre attribue la citoyenneté à toute personne qui, à la fois_:

         [...]

         c) a été légalement admise au Canada à titre de résident permanent, n'a pas depuis perdu ce titre en application de l'article 24 de la Loi sur l'immigration, et a, dans les quatre ans qui ont précédé la date de sa demande, résidé au Canada pendant au moins trois ans en tout, la durée de sa résidence étant calculée de la manière suivante_:                 
             (i) un demi-jour pour chaque jour de résidence au Canada avant son admission à titre de résident permanent,                 
             (ii) un jour pour chaque jour de résidence au Canada après son admission à titre de résident permanent;                 

         [...]

     L"appelante, née en Hollande le 7 août 1969, est arrivée au Canada le 7 août 1981 en compagnie de ses parents, ses deux frères, et sa soeur.

     Les faits pertinents ont été résumés correctement par le juge de la citoyenneté à la page 2 de sa décision, dans laquelle il écrit :

         [TRADUCTION] Vous êtes arrivée au Canada en 1981 en compagnie de vos parents, vos frères et votre soeur, et avez vécu chez vos parents, à North York. Vous avez fait vos études élémentaires, secondaires et universitaires à Toronto, jusqu"en 1990. En septembre 1990, vous vous êtes rendue en Grèce, où vous avez étudié jusqu"en juin 1991. En juin 1991, vous vous êtes inscrite à un programme de doctorat aux États-Unis et vous suivez toujours ce programme. Il ressort de votre demande que vous avez acquis plusieurs éléments de la citoyenneté, tels un permis de conduire et des comptes bancaires, que vous avez déclaré vos revenus, et que vous possédez un immeuble résidentiel à Guelph. Vous avez déposé une demande de citoyenneté canadienne en avril 1995. La période de quatre années pertinente en ce qui concerne votre résidence a débuté en avril 1991. Vous avez admis qu"au cours de cette période, vous avez fait, chaque année, trois ou quatre séjours au Canada, d"une durée de quelques jours à chaque occasion, pour rendre visite à votre famille. Vu l"absence de preuve concernant les dates de vos arrivées au Canada et celles de vos départs, je mets en doute les 155 journées de résidence que l"agent de la citoyenneté vous a attribuées. Vos parents ont obtenu la citoyenneté canadienne en 1996.                 

     Le juge de la citoyenneté a conclu qu"au cours des quatre années qui ont précédé le dépôt de sa demande de citoyenneté, l"appelante avait été présente au Canada pendant seulement 155 jours environ, sur un total de 1 015 jours. Le juge de la citoyenneté a ensuite conclu que les neuf années pendant lesquelles l"appelante a vécu au Canada avant son départ ne comptaient plus, étant donné qu"elle ne s"était pas trouvée au Canada pendant une période appréciable depuis le dépôt de sa demande de citoyenneté, en avril 1995. Enfin, en ce qui concerne la prétention de l"appelante selon laquelle elle s"était absentée du Canada pour poursuivre ses études à l"étranger, le juge de la citoyenneté s"est référé à la décision du juge Muldoon dans Re: Pourghasemi (T-80-92), dans laquelle ce dernier déclare :

         On peut poser la question : "Mais si le candidat à la citoyenneté suit des études à l"étranger? Qu"y a-t-il de si urgent?" Si le candidat ne peut trouver une école ou université à sa convenance au Canada, qu"il suive les études à l"étranger puis revienne au Canada pour satisfaire à la condition de résidence.                 

En conséquence, le juge de la citoyenneté a refusé d"accueillir la demande de citoyenneté de l"appelante.

     L"appelante est arrivée au Canada à l"âge de 11 ans. Comme le juge de la citoyenneté l"a dit dans sa décision, elle a fait ses études primaires, secondaires et universitaires à Toronto. À l"automne 1990, elle s"est rendue en Grèce et y étudié pendant une année. Par la suite, elle s"est inscrite à un programme de doctorat au Massachussets Institute of Technology (M.I.T.) et au Woods Hole Oceanographic Institute à Falmouth (Maryland). À son audition devant le juge de la citoyenneté, l"appelante a indiqué qu"elle s"attendait à compléter sa thèse à l"été 1997. Lors de son témoignage devant moi, l"appelante a expliqué qu"elle espérait trouver un emploi au Canada à l"Institut océanographique de Bedford, à Halifax, ou au Pacific Centre, sur l"île de Vancouver. Elle a également témoigné qu"une possibilité d"emploi s"offrait à elle, à l"Université de Toronto, à titre de boursière postdoctorale enseignant un cours de géophysique. L"appelante a clairement exprimé devant moi, lors de son témoignage, son intention de revenir au Canada.

     Il est impossible de trancher l"appel d"une décision rejetant la demande de citoyenneté de l"appelant pour absence de " résidence ", sans tenir compte de la décision du juge Thurlow (alors juge en chef adjoint) dans Re: Papadogiorgakis ¸ [1978] 2 C.F. 208. Aux pages 213 et 214, le juge Thurlow explique de la façon suivante le concept de " résidence " employé dans la Loi sur la citoyenneté :

             [...] Il me semble que les termes "résidence" et "résident" employés dans l"alinéa 5(1)b ) de la nouvelle Loi sur la citoyenneté ne soient pas strictement limités à la présence effective au Canada pendant toute la période requise, ainsi que l"exigeait l"ancienne loi, mais peuvent aussi comprendre le cas de personnes ayant un lieu de résidence au Canada, qu"elles utilisent comme un lieu de domicile dans une mesure suffisante fréquente pour prouver le caractère effectif de leur résidence dans ce lieu pendant la période pertinente, même si elles en ont été absentes pendant un certain temps. Cette interprétation n"est peut-être pas très différente de l"exception à laquelle s"est référé le juge Pratte lorsqu"il emploie l"expression "(d"une façon au moins habituelle)", mais, dans un cas extrême, la différence peut suffire pour mener le requérant au succès ou à la défaite.                 
             Une personne ayant son propre foyer établi, où elle habite, ne cesse pas d"y être résidente lorsqu"elle le quitte à des fins temporaires, soit pour traiter des affaires, passer des vacances ou même pour poursuivre des études. Le fait que sa famille continue à y habiter durant son absence peut appuyer la conclusion qu"elle n"a pas cessé d"y résider. On peut aboutir à cette conclusion même si l"absence a été plus ou moins longue. Cette conclusion est d"autant mieux établie si la personne y revient fréquemment lorsque l"occasion se présente. Ainsi que l"a dit le juge Rand dans l"extrait que j"ai lu, [TRADUCTION] "essentiellement du point jusqu"auquel une personne s"établit en pensée et en fait, ou conserve ou centralise son mode de vie habituel avec son cortège de relations sociales, d"intérêts et de convenances, au lieu en question".                 

     Dans Re: Koo, [1993] 1 C.F. 286, le juge Reed explique davantage le concept de résidence, aux pages 293 et 294, après avoir cité avec approbation l"extrait susmentionné de Re: Papadogiorgakis :

         La conclusion que je tire de la jurisprudence est la suivante: le critère est celui de savoir si l"on peut dire que le Canada est le lieu où le requérant "vit régulièrement, normalement ou habituellement". Le critère peut être tourné autrement: le Canada est-il le pays où le requérant a centralisé son mode d"existence? Il y a plusieurs questions que l"on peut poser pour rendre une telle décision:                 
         1) la personne était-elle physiquement présente au Canada durant une période prolongée avant de s"absenter juste avant la date de sa demande de citoyenneté?                 
         2) où résident la famille proche et les personnes à charge (ainsi que la famille étendue) du requérant?                 
         3) la forme de présence physique de la personne au Canada dénote-t-elle que cette dernière revient dans son pays ou, alors, qu"elle n"est qu"en visite?                 
         4) quelle est l"étendue des absences physiques (lorsqu"il ne manque que quelques jours pour atteindre le nombre total de 1 095 jours, il est plus facile de conclure à une résidence réputée que lorsque les absences en question sont considérables)?                 
         5) l"absence physique est-elle imputable à une situation manifestement temporaire (par exemple, avoir quitté le Canada pour travailler comme missionnaire, suivre des études, exécuter un emploi temporaire ou accompagner son conjoint, qui a accepté un emploi temporaire à l"étranger)?                 
         6) quelle est la qualité des attaches du requérant avec le Canada: sont-elles plus importantes que celles qui existent avec un autre pays?                 

         De toute évidence, les questions du juge Reed ont été formulées uniquement à titre indicatif et, à mon avis, elles ne sont pas déterminantes. Cependant, elles constituent une approche très saine pour s"acquitter de la tâche difficile qui consiste à déterminer si, dans un cas donné, l"appelant " réside " au Canada.

     Compte tenu du critère élaboré par le juge Thurlow dans Re: Papadogiorgakis, je suis convaincu que lorsque l"appelante a quitté le Canada pour la Grèce en septembre 1990, elle avait déjà élu domicile au Canada. À mon avis, le fait que l"appelante étudie à l"étranger depuis 1990 ne lui a pas fait perdre sa " résidence " au Canada. Selon moi, elle a quitté le Canada " à des fins temporaires " pour poursuivre ses études.

     Par ces motifs, le présent appel sera accueilli.

     " MARC NADON "

     Juge

Ottawa (Ontario)

Le 11 juin 1997.

Traduction certifiée conforme              __________________________

                             Bernard Olivier, LL.B.

     T-1697-96

OTTAWA (ONTARIO), LE 11 JUIN 1997.

EN PRÉSENCE DE MONSIEUR LE JUGE NADON

     AFFAIRE INTÉRESSANT LA LOI SUR LA CITOYENNETÉ,

     L.R.C. (1985), ch. C-29

     ET l"appel d"une

     décision d"un juge de la citoyenneté

     ET

     EMILIE ERNESTINE EBBA HOOFT,

     appelante.

     JUGEMENT

         L"appel est accueilli.

     " MARC NADON "

     Juge

Traduction certifiée conforme                  ____________________

                                 Bernard Olivier, LL.B.

COUR FÉDÉRALE DU CANADA


AVOCATS ET PROCUREURS INSCRITS AU DOSSIER

    

NO DU GREFFE :              T-1697-96

INTITULÉ DE LA CAUSE :          LOI SUR LA CITOYENNETÉ

                     - c. -
                     EMILIE HOOFT

                

                

LIEU DE L"AUDIENCE :          TORONTO (ONTARIO)
DATE DE L"AUDIENCE :          LE 9 AVRIL 1997

MOTIFS DU JUGEMENT PRONONCÉS PAR MONSIEUR LE JUGE NADON

EN DATE DU :              11 JUIN 1997

ONT COMPARU :

MME EMILIE HOOFT              POUR SON PROPRE COMPTE

M. PETER K. LARGE              AMICUS CURIAE

PROCUREURS INSCRITS AU DOSSIER :

M. PETER K. LARGE              AMICUS CURIAE

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