Décisions de la Cour fédérale

Informations sur la décision

Contenu de la décision

    



Date : 20000914


Dossier : T-2178-99


ENTRE :



DAVE SUDBURY


demandeur


- et -


LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

et SELENA OLSON, HEELAH WOO, CHRISTOPHER LUCK,

ERIN GILMORE, BOB LING, CLARK FRIIS, KEVIN MORGAN,

MICHAEL MCCARTHY, ELAINE BAAS, EDWARD KRIVICICH

SHAWNA STANG, AARON STAN, KAREN PARASRAM, JASON JAKUBEC,

DONNA WILSON, CRAIG KURAMOTO, TARA FARRELL,

SAMUEL MENSAH, MARK MCDONALD, LESLIE CROMAR et

MICHAEL PARASIUK


défendeurs


MOTIFS DE L'ORDONNANCE

LE JUGE SHARLOW


[1]          La question qui se pose en l'espèce consiste à savoir quelle mesure de redressement est appropriée lorsque, dans le cadre d'un concours dans la fonction publique, un membre du jury de sélection fait effectivement preuve de partialité à l'égard d'un candidat reçu. Le demandeur Dave Sudbury soutient que le concours devrait être annulé en entier. La Couronne plaide que la révocation de la sélection du candidat reçu suffit.

[2]          Les concours étaient régis par le par. 10(1) de la Loi sur l'emploi dans la fonction publique, L.R.C. (1985), ch. P-33, qui prévoit:


Appointments to or from within the Public Service shall be based on selection according to merit, as determined by the Commission, and shall be made by the Commission, at the request of the deputy head concerned, by competition or by such other process of personnel selection designed to establish the merit of candidates as the Commission considers is in the best interests of the Public Service

Les nominations internes ou externes à des postes de la fonction publique se font sur la base d'une sélection fondée sur le mérite, selon ce que détermine la Commission, et à la demande de l'administrateur général intéressé, soit par concours, soit par tout autre mode de sélection du personnel fondé sur le mérite des candidats que la Commission estime le mieux adapté aux intérêts de la fonction publique.

[3]          L'expression « sélection fondée sur le mérite » vise l'assurance que les candidats les plus compétents soient nommés : Procureur général du Canada c. Greaves, [1982] 1 C.F. 806 (C.A.). Par conséquent, l'appel fondé sur l'article 21 de la Loi sur l'emploi dans la fonction publique doit viser à démontrer que la sélection n'a pas été effectuée selon le principe du mérite. Dans l'arrêt Procureur général du Canada c. Bozoian, [1983] 1 C.F. 63 (C.A.), on a reconnu qu'il était possible de parvenir à ce résultat en démontrant que la méthode de sélection « n'a pas été suivie de manière à identifier le candidat le plus méritant » (page 66). Pour reprendre les termes utilisés par le juge Campbell dans l'affaire Canada (Procureur général) c. Bates, [1997] 3 C.F. 132 (1re inst.), aux pages 149 et 150 :

     [...] l'appel [prévu à l'art. 21] a pour but de révéler et de corriger les erreurs commises dans l'application de normes qui ont pour effet de saper le principe de la sélection au mérite qui veut que l'on nomme le candidat le plus qualifié.

[4]          Les faits ne sont pas contestés. Deux concours au sein de la fonction publique fédérale ont eu lieu en novembre 1998 en vue de combler des postes d'agents de perception (PM-02), un pour le Bureau des services fiscaux de Burnaby-Fraser et un autre pour celui de Vancouver. Le jury de sélection était composé de cinq personnes, à savoir Tom Graham, Tom Rai, Vasishtha Ramsoondar, Marilyn Ritchie et David Fitzgerald.

[5]          Il y avait 83 candidats, parmi lesquels figuraient M. Sudbury et Karen Parasram. Cette dernière est la nièce de M. Ramsoondar, membre du jury de sélection.

[6]          Avant le début du concours, les membres du jury de sélection ont reçu une liste de tous les candidats. Le nom de Mme Parasram figurait sur cette liste. Tous les membres du jury de sélection ont signé une déclaration qui faisait foi, notamment, de ce qui suit :

     [...] J'ai pris connaissance de la liste des candidats ou candidates et, autant que je sache, je n'ai de lien de parenté avec aucun d'entre eux; de plus, les rapports que j'aurais pu avoir avec eux ne sont pas de nature à influencer ma décision.

[7]          Cette déclaration était requise en vertu des directives suivantes, qu'on retrouve aux pages 7-7 et 7-8 du manuel sur les Politiques et lignes directrices en matière de dotation de la Commission de la fonction publique, sous la rubrique Jurys de sélection :


Integrity: board members must be able to assess all candidates fairly and objectively. Accordingly, board members should not be closely related to any candidate or have any other ties that would hinder their ability to assess in an impartial manner.




         ...

Selection board members must sign a form entitled "Signed Statement of Persons Present at Screening/Rating Boards". This form is used to inform them of their responsibilities. When signed, it represents a declaration of their impartiality....

Intégrité : Les membres du jury doivent pouvoir évaluer tous les candidats et candidates de façon juste et objective. Aucun des membres du jury ne devrait par conséquent avoir de liens de parenté étroits avec l'un des candidats ou l'une des candidates, ni aucun lien personnel étroit qui pourrait compromettre sa capacité de mener une évaluation impartiale.

         ...

... Les membres du jury de sélection doivent signer le formulaire « Déclaration signée par les personnes présentes aux séances des jurys de sélection » . Ce formulaire sert à les informer de leurs responsabilités. Une fois signé, il constitue une déclaration d'impartialité...

[8]          M. Ramsoondar a signé la déclaration requise en dépit du fait qu'il avait un lien de parenté avec l'un des candidats. Sa déclaration était fausse. Aucun autre membre du jury de sélection n'était au courant que cette déclaration était fausse.

[9]          Les candidats ont été évalués tout d'abord quant à leur formation et à leur expérience de travail. Le jury a conclu que 79 des 83 candidats satisfaisaient aux exigences relatives à la formation et à l'expérience. Ces candidats ont été convoqués à un examen écrit pour les fins de l'évaluation de leurs connaissances et de leurs compétences en rédaction. Finalement, l'entrevue servait à évaluer un certain nombre d'habiletés, notamment celles relatives à la tenue d'entrevues, à l'analyse, à la planification et à l'organisation, à la prise de décisions, à la planification de solutions de rechange et à une communication efficace, tant à l'oral que par écrit.

[10]          L'entrevue comprenait une séance de jeux de rôles. Pour chacune des entrevues, M. Ramsoondar a joué le rôle d'un contribuable qui tentait d'éviter la perception d'une dette fiscale. Son comportement était différent pour chacun des candidats. À titre d'exemple, il a émis un commentaire sexiste à l'égard d'une candidate. À Mme Parasram, il a posé une question relative à une politique.

[11]          Pour réussir le concours, les candidats devaient obtenir une note de 60 % pour l'habileté à communiquer efficacement à l'oral et par écrit et une note de 60 % pour les compétences en général. Pour chacune des compétences évaluées en entrevue, les candidats recevaient une mention de type excellent, bon, satisfaisant, faible ou mauvais. Dans chacune de ces catégories, le candidat recevait une note élevée, moyenne ou faible.

[12]          Chaque note attribuée au candidat reflétait un consensus, atteint après discussion, au sein du jury de sélection. Il n'a pas été contesté que l'attribution des notes avait, par définition, un caractère inexact et subjectif, et que M. Ramsoondar était en mesure d'influencer l'attribution des notes d'une manière qu'il n'est pas possible d'apprécier.

[13]          Vingt-et-un candidats parmi ceux qui ont été rencontrés en entrevue ont obtenu une note qui atteignait la norme requise et ont été « sélectionnés » , ce qui signifie qu'ils ont été placés sur une liste d'admissibilité suivant leurs notes. Mme Parasram a été sélectionnée. M. Sudbury ne l'a pas été.

[14]          La sélection n'équivalait pas en soi à une nomination. Toute vacance de poste aurait plutôt été comblée à partir de la liste d'admissibilité strictement en fonction du rang des candidats. Seuls les candidats qui ont eu des résultats assez élevés pour se placer en tête de la liste d'admissibilité auraient été nommés, pourvu qu'une vacance de poste survienne avant l'expiration de cette liste.

[15]          M. Sudbury a porté en appel les sélections effectuées en vertu de l'article 21 de la Loi sur l'emploi dans la fonction publique. Un certain nombre d'arguments ont été soulevés mais, pour les fins de l'instance dont nous sommes saisis, il n'est nécessaire que de s'attarder sur un seul d'entre eux, soit l'argument qui veut que la participation de M. Ramsoondar au sein du jury de sélection ait compromis le principe du mérite, étant donné que Mme Parasram est sa nièce.

[16]          La preuve qui a été déposée devant la commission d'appel disposait que, lorsque le lien de parenté liant M. Ramsoondar à Mme Parasram a été découvert, les autres membres du jury de sélection ont revu les notes et ont conclu que l'attribution des notes a été effectuée de manière équitable. M. Graham, le président du jury de sélection, a témoigné qu'à son avis M. Ramsoondar n'avait pas influencé l'attribution des notes en faveur de Mme Parasram et qu'il ne croyait pas qu'il y ait eu partialité, bien qu'il ne puisse affirmer que ce soit effectivement le cas dans les faits. Il a également déclaré qu' [TRADUCTION] « il n'estimait pas qu'un membre du jury de sélection ayant des motifs répréhensibles d'agir puisse avoir influencé la note attribuée de cette manière, certainement pas par plus de deux points » . Mme Parasram s'est vu attribuer deux points de plus que la personne qui s'est placée immédiatement après elle sur la liste d'admissibilité.

[17]          La commission d'appel a statué que M. Ramsoondar a effectivement fait preuve de partialité à l'égard de Mme Parasram. Cette preuve de partialité réelle a été correctement imputée au jury de sélection tout entier, en application du principe énoncé dans l'arrêt Association canadienne de télévision par câble c. American College Sports Collective of Canada, Inc. (1991), 81 D.L.R. (4th) 376 (C.A.F.), à la page 400.

[18]          Cependant, la commission d'appel n'a annulé que la sélection de Mme Parasram. Elle n'a pas estimé que la participation de M. Ramsoondar pouvait constituer un fondement pour mettre en doute l'évaluation faite par le jury de sélection des compétences des autres candidats.

[19]          Les parties ne conviennent pas tout à fait de la norme de contrôle appropriée à appliquer en l'espèce. M. Sudbury soutient que la norme de contrôle applicable est celle de la décision correcte, alors que la Couronne affirme que c'est la norme du caractère raisonnable qui doit prévaloir. Compte tenu des faits de la présente affaire, je ne suis pas d'avis que cette question est déterminante. Selon moi, la décision de la commission d'appel est à la fois incorrecte et déraisonnable, et ne peut par conséquent être maintenue.

[20]          Il convient de réitérer le fait que l'attribution des notes était subjective, et que M. Ramsoondar était en mesure d'influencer le processus d'attribution des notes et du rang des candidats d'une manière qu'il n'est pas possible d'apprécier. Acceptant cette prémisse, la commission d'appel a déterminé qu'il était impossible d'affirmer que la note attribuée à Mme Parasram reflétait adéquatement ses compétences. C'est la raison pour laquelle sa sélection ne peut être maintenue.

[21]          Cependant, la commission d'appel a omis de reconnaître que, vu la participation illégitime de M. Ramsoondar au processus de sélection, il est tout aussi impossible d'arriver à la conclusion que les autres candidats ont été évalués de manière équitable. La présence de M. Ramsoondar au sein du jury de sélection aurait pu donner lieu à une évaluation inéquitable à l'égard de certains autres candidats ou de tous les autres candidats.

[22]          L'argument que fait valoir la Couronne pour défendre la décision rendue par la commission d'appel porte qu'aucune preuve ne démontre l'existence réelle d'une attitude partiale à l'égard des candidats autres que Mme Parasram, et que l'existence d'une crainte raisonnable de partialité, sans plus, ne peut entacher un concours. Pour étayer son point de vue, la Couronne a cité les arrêts Canada (Procureur général) c. Henri, [1986] A.C.F. no 153 (C.A.)(QL), Canada (Procureur général) c. Mirabelli, [1987] A.C.F. no 142 (C.A.)(QL), et Lemelin c. Canada (Comité d'appel de la Fonction publique), [1988] A.C.F. no 230 (C.A.)(QL).

[23]          Je n'interprète aucune de ces décisions comme ayant une valeur jurisprudentielle pour la proposition selon laquelle l'existence d'une crainte raisonnable de partialité ne peut jamais vicier un concours dans la fonction publique. Il appert que toutes ces décisions traitent de situations dans lesquelles un membre du jury de sélection avait des idées préconçues à propos du poste visé ou des compétences d'un ou de plusieurs des candidats. On peut débattre de la question de savoir si de telles circonstances donnent lieu à une crainte raisonnable de partialité sur le fondement de la norme énoncée dans l'arrêt Committee for Justice & Liberty c. Canada (Office national de l'énergie), [1978] 1 R.C.S. 369. Il est possible d'avancer que l'existence d'idées préconçues de ce genre est chose courante et qu'elle est nécessaire lorsqu'on exige que l'évaluation des candidats se fasse par des personnes possédant l'expérience et l'expertise requises.

[24]          Quelle que soit l'importance, sur le plan juridique, que puissent avoir les arrêts Henri, Mirabelli et Lemelin, il est possible d'établir une distinction entre les faits de ces arrêts et ceux de l'espèce. Nous sommes en présence d'une partialité réelle qui découle d'un lien de parenté entre un membre du jury de sélection et une candidate. La nature du concours est telle que l'exercice d'une influence indue de la part de ce membre du jury de sélection est susceptible de modifier les résultats d'une manière qui ne peut être détectée ou mesurée. En conséquence, on ne peut affirmer que la méthode de sélection a été suivie de manière à identifier le candidat le plus méritant.

[25]          En toute déférence, je suis d'avis que la commission d'appel a commis une erreur en omettant d'annuler le concours intégralement. La présente demande de contrôle judiciaire est accueillie avec dépens et l'affaire est renvoyée devant une commission d'appel différemment constituée pour que celle-ci la réexamine conformément aux présents motifs.


                            

                                 Karen R. Sharlow

                            

                                     Juge

Ottawa (Ontario)

Le 14 septembre 2000



Traduction certifiée conforme


Thanh-Tram Dang, B.C.L., LL.B.


Date : 20000914


Dossier : T-2178-99

OTTAWA (ONTARIO), LE 14 SEPTEMBRE 2000

EN PRÉSENCE DE :      MADAME LE JUGE SHARLOW

ENTRE :


DAVE SUDBURY


demandeur


- et -


LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

et SELENA OLSON, HEELAH WOO, CHRISTOPHER LUCK,

ERIN GILMORE, BOB LING, CLARK FRIIS, KEVIN MORGAN,

MICHAEL MCCARTHY, ELAINE BAAS, EDWARD KRIVICICH

SHAWNA STANG, AARON STAN, KAREN PARASRAM, JASON JAKUBEC,

DONNA WILSON, CRAIG KURAMOTO, TARA FARRELL,

SAMUEL MENSAH, MARK MCDONALD, LESLIE CROMAR et

MICHAEL PARASIUK


défendeurs


ORDONNANCE

     La présente demande de contrôle judiciaire est accueillie avec dépens et l'affaire est renvoyée devant une commission d'appel différemment constituée pour que celle-ci la réexamine conformément aux présents motifs.

                                 Karen R. Sharlow             

                                     Juge

Traduction certifiée conforme

Thanh-Tram Dang, B.C.L., LL.B.


COUR FÉDÉRALE DU CANADA

SECTION DE PREMIÈRE INSTANCE


AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


NO DU GREFFE :                  T-2178-99
INTITULÉ DE LA CAUSE :          Dave Sudbury c. Le procureur général du Canada et autres
LIEU DE L'AUDIENCE :              Vancouver (Colombie-Britannique)
DATE DE L'AUDIENCE :              Le 1er septembre 2000

MOTIFS DE L'ORDONNANCE EXPOSÉS PAR : le juge Sharlow

EN DATE DU :                  14 septembre 2000

ONT COMPARU :

Andrew Raven                  POUR LE DEMANDEUR
Lysanne Lafond                  POUR LE DÉFENDEUR LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Raven, Allen, Cameron & Ballantyne

Avocats

Ottawa (Ontario)                  POUR LE DEMANDEUR

Morris Rosenberg

Sous-procureur général du Canada

Ottawa (Ontario)                  POUR LE DÉFENDEUR LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA



 Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.