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Date: 20010125


Dossier: T-1600-99



ENTRE:

     FRIEDMAN & FRIEDMAN INC.

     et

     HARRY BICK

     Demandeurs

     - et -

     MARC MAYRAND

     ès qualités de Surintendant des faillites, et

     MICHEL LEDUC

     ès qualités d'analyste principal et de délégué

     du Surintendant des faillites

     Défendeurs



     MOTIFS D'ORDONNANCE


LE JUGE DUBÉ:




[1]          Les demandeurs présentent une demande de contrôle judiciaire à l'encontre d'une enquête effectuée par le surintendant des faillites et de son rapport rédigé conformément aux paragraphes 5(3) et 14.01(1) de la Loi sur la faillite et l'insolvabilité1 ("la Loi").


1. Les faits




[2]          Les demandeurs ont agi à titre de syndics dans le cadre de la faillite de Pourvoirie J.B. Scott Inc. Le 19 mars 1997, la Cour supérieure du Québec a accueilli la demande de libération des demandeurs et rejeté l'opposition présentée par le surintendant des faillites représenté par le défendeur Marc Mayrand. Le jugement n'a pas fait l'objet d'un appel.




[3]          Dans une lettre datée du 12 novembre 1997, le surintendant a fait part de son intention de tenir une enquête aux termes des articles 10 et suivants de la Loi relativement à l'administration de la faillite. Le 4 juin 1998, le surintendant a fait signifier aux demandeurs des subpoenas, requérant leurs témoignages relativement à l'administration de la faillite. Les demandeurs ont alors présenté devant la Cour supérieure du Québec une requête pour faire annuler les subpoenas. La requête fut accordée le 9 juillet 1998 et ce jugement ne fut pas porté en appel.




[4]          Le 10 août 1999, le défendeur Michel Leduc, délégué du surintendant, a écrit aux demandeurs, les avisant qu'il avait tenu une enquête disciplinaire et qu'il avait préparé un rapport recommandant des sanctions disciplinaires contre eux, les invitant à discuter des faits soulevés et des recommandations avant l'audition prévue au paragraphe 14.02(1) de la Loi. Les demandeurs ont donc déposé la présente demande de contrôle judiciaire, alléguant que les défendeurs n'ont aucune compétence pour tenir une enquête disciplinaire et pour intenter quelque mesure disciplinaire que ce soit en vertu des articles 14.01 et suivants de la Loi contre les demandeurs relativement à la faillite de Pourvoirie J.B. Scott Inc.



2. Questions en litige




[5]          Le recours des demandeurs pour l'émission d'un bref de prohibition est-il prématuré? Une ordonnance de libération du syndic, prononcée en vertu du paragraphe 41(8) de la Loi, a-t-elle pour effet d'empêcher le surintendant des faillites de procéder à une enquête ou de rédiger un rapport en vertu des paragraphes 5(3) et 14.01(1) de la Loi?



3. Arguments des demandeurs




[6]          Les demandeurs soulignent que l'alinéa 18.1(3)(b) de la Loi sur la Cour fédérale permet à celle-ci de prohiber ou de restreindre une procédure ou un acte de l'administration gouvernementale, sans qu'il soit nécessaire d'attendre une ordonnance ou une décision. L'enquête tenue et le rapport préparé font partie d'un processus disciplinaire pouvant mener à des sanctions contre les demandeurs et le rapport peut avoir des conséquences importantes sur leurs droits. Dans ces circonstances, la demande de contrôle judiciaire n'est pas prématurée.




[7]          Les demandeurs soutiennent également qu'ils furent relevés de toute responsabilité à l'égard de tout acte ou manquement dans l'administration des biens du failli et en ce qui concerne leur conduite à titre de syndic par l'effet du jugement de libération rendu le 19 mars 1997 et en vertu du paragraphe 41(8) de la Loi. Selon eux, les défendeurs n'avaient aucune compétence pour tenir une enquête disciplinaire ou pour intenter quelque procédure disciplinaire que ce soit contre eux relativement à la faillite. Le paragraphe 41(8.1) de la Loi ne s'applique pas au présent litige puisqu'il n'était pas en vigueur au moment de la libération des demandeurs et qu'il n'est pas d'application rétroactive.



4. Arguments des défendeurs




[8]          Les défendeurs prétendent qu'en l'absence d'une décision ou d'une ordonnance du surintendant des faillites, la Cour n'a pas compétence pour entendre la demande de contrôle judiciaire des demandeurs, celle-ci étant prématurée. De plus, la demande pour l'émission d'un bref de prohibition n'est pas recevable pour empêcher la tenue de l'enquête puisque celle-ci a déjà été tenue et est complétée.




[9]          Les défendeurs allèguent également que le paragraphe 48(1) de la Loi libère le syndic de tout acte ou manquement de la part de celui-ci dans l'administration des biens du failli, mais ne vise d'aucune façon les pouvoirs de surveillance du surintendant sur la conduite et la discipline du syndic en vertu des dispositions des articles 14.01 et suivants de la Loi. L'ordonnance judiciaire de libération de la Cour supérieure ne pouvait viser la conduite du syndic qu'à l'égard des tiers et de toute personne qui avait un intérêt dans la faillite. Le paragraphe 41(8.1) de la Loi ne s'applique pas au présent litige et ne fait qu'éclaircir le principe selon lequel le surintendant a une compétence disciplinaire sur la conduite des syndics qui transcende leur libération.



5. Analyse


(1) Fondement de la demande de contrôle judiciaire




[10]          Le paragraphe 18(1) de la Loi sur la Cour fédérale prévoit que:

18(1) Sous réserve de l'article 28, la Section de première instance a compétence exclusive, en première instance, pour:
     (a) décerner une injonction, un bref de certiorari, de mandamus, de prohibition ou de quo warranto, ou pour rendre un jugement déclaratoire contre tout office fédéral;



[11]          C'est l'article 18.1 qui prévoit le type de procédure qui peut faire l'objet d'un contrôle judiciaire. Le paragraphe (3) se lit comme suit:

18.1(3) Sur présentation d'une demande de contrôle judiciaire, la Section de première instance peut: [...]
     ...
     b) déclarer nul ou illégal, ou annuler, ou infirmer et renvoyer pour jugement conformément aux instructions qu'elle estime appropriées, ou prohiber ou encore restreindre toute décision, ordonnance, procédure ou tout autre acte de l'office fédéral.



[12]          Le surintendant est un office fédéral au sens de ce paragraphe et peut, par conséquent, faire l'objet d'un bref de prohibition (NsC Diesel Power Inc. c. Canada (Superintendent of Bankruptcy)2 et Re Armoires de cuisine de Montréal Ltée; Bank of Nova Scotia c. Perras, Fafard Gagnon Inc.)3.



[13]          En l'espèce, les parties admettent qu'aucune décision ou ordonnance n'a encore été prise à l'encontre des demandeurs relativement à l'opportunité ou non de suivre les recommandations. Par contre, le rapport et l'enquête des défendeurs sont sûrement des actes ou procédures administratifs assujettis au contrôle judiciaire de cette Cour. Il est de l'essence même de ce recours pour l'émission d'un bref de prohibition de prohiber la tenue de procédures engagées illégalement avant même qu'une décision ne soit rendue (Lemieux, Denis, Le contrôle judiciaire de l'action gouvernementale)4.



[14]          Les défendeurs s'appuient principalement sur le paragraphe 18.1(2) de la Loi sur la Cour fédérale pour prétendre que la demande est prématurée, puisqu'aucune décision ou ordonnance n'a été rendue. Le paragraphe en question se lit comme suit:

18.1(2) Les demandes de contrôle judiciaire sont à présenter dans les trente jours qui suivent la première communication, par l'office fédéral, de sa décision ou de son ordonnance au bureau du sous-procureur général du Canada ou à la partie concernée, ou dans le délai supplémentaire qu'un juge de la Section de première instance peut, avant ou après l'expiration de ces trente jours, fixer ou accorder.



[15]          L'argument ne tient pas. Le paragraphe 18.1(2) ne prévoit un délai formel pour déposer une demande de contrôle judiciaire que dans les cas où la demande tire son fondement d'une décision ou d'une ordonnance. Cette disposition n'exclut pas tout recours à l'encontre d'une procédure administrative ou d'un acte administratif. Dans ces derniers cas, le délai de trente jours ne s'applique pas. Un délai déraisonnable dans la présentation d'une demande pourra cependant empêcher le demandeur d'obtenir réparation (Friends of the Oldman River Society c. Canada (Min. of Transport))5.



[16]          L'enquête et le rapport préparé par le défendeur Leduc font partie d'un processus disciplinaire pouvant mener à des sanctions contre les demandeurs et le rapport peut avoir des conséquences importantes sur leurs droits. Les demandeurs n'ont pas à attendre de savoir si la décision du surintendant leur sera défavorable, ce qui les obligerait à demander une ordonnance de certiorari. La demande n'est donc pas prématurée en de telles circonstances.

(2) Fond du litige



[17]          C'est l'interprétation des paragraphes 41(8) et 14.01(1) de la Loi qui est véritablement en cause dans la présente affaire.





[18]          Le paragraphe 41(8) de la Loi se lisait, à l'époque pertinente, de la façon suivante:

41(8) La libération d'un syndic le relève de toute responsabilité:
a) à l'égard de tout acte ou manquement de sa part dans l'administration des biens du failli;
b) en ce qui concerne sa conduite à titre de syndic.
Toutefois, une libération peut être révoquée par le tribunal sur preuve qu'elle a été obtenue par fraude ou en supprimant ou cachant un fait important.



[19]          Quant au paragraphe 14.01(1) de la Loi, il se lit comme suit:

14.01(1) Après avoir tenu ou fait tenir une enquête sur la conduite du syndic, le surintendant peut prendre l'une ou plusieurs des mesures énumérées ci-après, soit lorsque le syndic ne remplit pas adéquatement ses fonctions ou a été reconnu coupable de mauvaise administration de l'actif, soit lorsqu'il n'a pas observé la présente loi, les Règles générales, les instructions du surintendant ou toute autre règle de droit relative à la bonne administration de l'actif, soit lorsqu'il est dans l'intérêt public de le faire:
a) annuler ou suspendre la licence du syndic;
b) soumettre sa licence aux conditions ou restrictions qu'il estime indiquées, et notamment l'obligation de se soumettre à des examens et de les réussir ou de suivre des cours de formation;
c) ordonner au syndic de rembourser à l'actif toute somme qui y a été soustraite en raison de sa conduite.



[20]          Il s'agit de déterminer si la libération du syndic en vertu du paragraphe 41(8) de la Loi a pour effet d'empêcher le surintendant de se prévaloir du paragraphe 14.01(1) de la Loi pour éventuellement imposer des sanctions au syndic.




[21]          Il est à noter que le paragraphe (8.1) a été ajouté à l'article 41 de la Loi peu après que les demandeurs aient obtenu leur libération. Il se lit comme suit:

41(8.1) Le paragraphe (8) n'a pas pour effet d'empêcher la tenue de l'enquête ou la prise des mesures visées au paragraphe 14.01(1).



[22]          Le paragraphe n'a pas d'effet rétroactif et ne peut s'appliquer. L'article 45 de la Loi d'interprétation6 énonce de plus que l'abrogation ou la modification, en tout ou en partie, d'un texte ne crée pas de présomption sur l'état antérieur du droit, non plus qu'une présomption de droit nouveau.



[23]          Les demandeurs prétendent essentiellement que la libération du syndic est complète et qu'il ne peut alors plus faire l'objet de reproches de la part du surintendant (sauf pour certains cas particuliers, telle la fraude du syndic). La jurisprudence offre peu d'éclairage sur la portée à donner au paragraphe 41(8) de la Loi. Dans Gallo c. Beber7, la Cour de justice de l'Ontario, division générale, a énoncé ce qui suit:

Although the Bankruptcy and Insolvency Act does provide for the revoking of the discharge of a trustee, there appears to be little or no authority on this point. One must theorize that part of the rationale for s. 41(8) of the Act is to protect a trustee after discharge in order to ensure certainty in the affairs of the trustee and to prevent a chilling effect of latter-day litigation. If trustees could be readily open to litigation after discharge, they might be less willing to undertake their tasks and they might conduct their affairs in a manner which might impair the effectiveness of the operation of the Bankruptcy and Insolvency Act. In logic, I can see little difference in the need of a receiver/manager to obtain some form of protection from the court, however, the nature and degree of that protection would not necessarily be the same as that for a trustee in the event of the applicant subsequently wishing to claim not being a party who had notice of the application for discharge as would take place under the Bankruptcy and Insolvency Act.



[24]          La position des défendeurs est tout aussi défendable. Le défendeur Mayrand prétend que le paragraphe 41(8.1) de la Loi n'est venu qu'éclaircir le principe selon lequel le surintendant a une compétence disciplinaire sur la conduite des syndics et que la libération de l'administration de l'actif d'une faillite n'a pas pour effet d'empêcher le déroulement du processus visé au paragraphe 14.01(1) de la Loi. C'est en effet au surintendant qu'est confiée la responsabilité de veiller à la bonne administration du régime de faillite et des affaires régies par la Loi (par. 5(2)). De plus, il a la responsabilité des mesures disciplinaires visant la conduite des syndics.



[25]          En considération du droit exclusif d'exercer la profession de syndic de faillite, ce dernier doit faire preuve du plus haut degré de professionnalisme et d'intégrité dans l'administration d'une faillite. Le syndic doit se conformer à des normes élevées de déontologie, lesquelles s'avèrent d'une grande importance pour le maintien de la confiance du public dans la mise en application de la Loi.



[26]          C'est dans le cadre de ce rôle de surveillance et de protection de l'intérêt public que le surintendant détient son pouvoir de mener des enquêtes sur la conduite de tout syndic et de prendre les sanctions disciplinaires qui s'imposent lorsqu'un syndic ne remplit pas adéquatement ses fonctions, n'observe pas les instructions du surintendant relatives à l'administration de l'actif, ou lorsqu'il est dans l'intérêt de la justice de le faire (alinéa 5(3)(e) de la Loi).



[27]          La portée des articles 14.01 et suivants de la Loi a été examinée par cette Cour dans l'affaire Groupe G. Tremblay Syndics Inc. c. Canada8. Le passage suivant des motifs du juge Tremblay-Lamer est pertinent:

Les articles 14.01, 14.02 et 14.03 de la LFI font partie d'un ensemble de dispositions qui ont essentiellement pour objet la surveillance de l'administration et de la conduite des syndics. En autorisant une telle surveillance de la part du surintendant, le législateur cherche avant tout à protéger les tiers, qu'ils soient débiteurs ou créanciers. La nature du rôle qu'exercent les syndics rend nécessaire l'existence de telles règles. En effet ceux-ci agissent à titre de fiduciaires et, à ce titre, comme nous l'avons vu, ils sont chargés de l'administration des biens appartenant à autrui. Pour cette raison, les devoirs et obligations des syndics de faillite constituent un domaine largement réglementé. Ils sont sujets à de constantes vérifications, au moyen desquelles le surintendant s'assure de leur intégrité.
(mon soulignement)



[28]          J'estime que la position des défendeurs est conforme à l'approche qu'il convient d'adopter dans la présente affaire. Bien que le paragraphe 48(1) de la Loi libère le syndic de tout acte ou manquement dans l'administration des biens du failli et en ce qui concerne sa conduite à titre de syndic, ce paragraphe ne doit pas viser la totalité des pouvoirs de surveillance du surintendant en vertu des articles 14.01 et suivants de la Loi. C'est en effet le surintendant qui détient le pouvoir exclusif d'émettre des licences de syndic et d'assujettir l'obtention de ces licences à certaines conditions. En considération du privilège d'exercer la profession de syndic, ce dernier doit faire preuve d'un haut degré de professionnalisme et d'intégrité.



[29]          Tel que l'indique le défendeur Leduc, l'ordonnance de libération rendue par la Cour supérieure ne touche la conduite du syndic qu'à l'égard des tiers et de toute personne qui a un intérêt dans la faillite. Conclure autrement équivaudrait, en définitive, à reconnaître à la Cour supérieure le pouvoir de mettre les syndics de faillite à l'abri de toute sanction disciplinaire, ce qui serait une usurpation de la compétence du surintendant. Il serait contraire à l'intérêt public de permettre à un syndic fautif d'échapper aux sanctions disciplinaires dès le moment où la Cour supérieure prononce sa libération à l'égard des tiers et de toute personne ayant un intérêt dans la faillite. À mon avis, le nouveau paragraphe 41(8.1) de la Loi, bien qu'inapplicable en l'espèce, reflète bien cette réalité.


6. Disposition

Pour ces raisons, la demande de contrôle judiciaire est rejetée.



OTTAWA, Ontario

le 25 janvier 2001

    

     Juge

__________________

1      L.R. 1985, ch. B-3.

2      (1995), 34 C.B.R. (3d) 286.

3      (1981), 39 C.B.R. (N.S.) 182.

4      LEMIEUX, Denis, Le contrôle judiciaire de l'action gouvernementale , publications CCH Ltée, 1998, à la page 1952.

5      [1992] 1 R.C.S. 3.

6      L.R. 1985, ch. I-21.

7      49 C.B.R. (3d) 172.

8      [1997] C.F. 719, à la page 752.

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