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     Date : 19991216

     Dossier : T-190-99


ENTRE :

     ERNST ZÜNDEL

     demandeur

     - et -


     SABINA CITRON, TORONTO MAYOR'S COMMITTEE ON COMMUNITY

     AND RACE RELATIONS, LA COMMISSION CANADIENNE DES DROITS

     DE LA PERSONNE, CANADIAN HOLOCAUST REMEMBRANCE

     ASSOCIATION, SIMON WIESENTHAL CENTRE, LE CONGRÈS JUIF

     CANADIEN, LA LIGUE DES DROITS DE LA PERSONNE DE B'NAI

     BRITH, CANADIAN ASSOCIATION FOR FREE EXPRESSION

     défendeurs



     ORDONNANCE (MOTIFS ET DISPOSITIF)


Le juge CAMPBELL


[1]      M. Zündel conteste l'impartialité des membres du tribunal des droits de la personne saisi d'une plainte le mettant en cause, par ce motif que la prescription de la loi, aux termes de laquelle ils " doivent avoir une expérience et des compétences dans le domaine des droits de la personne, y être sensibilisés et avoir un intérêt marqué dans ce domaine ", suscite la crainte qu'ils ne soient prévenus contre lui. Par les motifs qui suivent, je conclus que la contestation de M. Zündel est dénuée de fondement1.

A. Le contexte

[2]      Voici l'historique de ce recours2 :

     1. Le 19 novembre 1996, la Commission canadienne des droits de la personne a décidé, en application de la Loi canadienne sur les droits de la personne, 1976-77, ch. 33, art. 1, de demander au président du Tribunal des droits de la personne de désigner un tribunal pour enquêter sur les plaintes portées contre le demandeur par les défendeurs Sabina Citron et Toronto Mayor's Committee on Community and Race Relations, sous le régime du paragraphe 13(1) de la même loi.
     2. Un tribunal des droits de la personne a été désigné le 6 février 1997 pour examiner la plainte; il était composé de Claude Pensa, président, de Reva E. Devins et du professeur Harish C. Jain (le tribunal), tous trois membres du comité du Tribunal des droits de la personne constitué conformément à la loi susmentionnée.
     3. Le tribunal des droits de la personne a tenu sa conférence préparatoire en mai 1997 puis a commencé à entendre des témoins de façon intermittente, au cours des années 1997 et 1998.
     4. Au printemps 1998, un nouvel organisme, le Tribunal canadien des droits de la personne, a été constitué en application des modifications apportées à la Loi canadienne sur les droits de la personne (la Loi) (L.C. 1998, ch. 9, art. 27). Ces modifications sont entrées en vigueur par décret le 30 juin 1998 (C.P. 1998-1014, 11 juin 1998).
     5. En ce qui concerne le critère de sélection des membres du nouveau Tribunal canadien des droits de la personne, le paragraphe 48.1(2) du texte modificateur prévoit ce qui suit :
         Les membres doivent avoir une expérience et des compétences dans le domaine des droits de la personne, y être sensibilisés et avoir un intérêt marqué pour ce domaine.
     6. Les membres Claude Pensa et Reva Devins ont été nommés au nouveau Tribunal canadien des droits de la personne par décret (CP 1998-1198) prenant effet le 30 juin 1998.
     7. Le membre Harish C. Jain n'a pas été nommé au nouveau Tribunal canadien des droits de la personne et, le 1er décembre 1998, il a démissionné pour des raisons personnelles.

[3]      Devant le tribunal, le demandeur concluait à l'annulation de la procédure engagée contre lui par ce motif que le fait que les membres Pensa et Devins satisfaisaient au critère de sélection prévu au paragraphe 48.1(2) de la Loi, suscitait une crainte de préjugé de leur part.

[4]      Appliquant à juste titre le critère défini par la Cour suprême du Canada en matière de crainte de préjugé dans Committee for Liberty and Justice c. Office national de l'énergie, [1978] 1 R.C.S. 369, le tribunal a conclu en ces termes :

     [TRADUCTION]

     Il échet en conséquence de se demander ce qu'en penserait une personne bien informée, qui examinerait la question en profondeur, de façon réaliste et pratique. À notre avis, le paragraphe 48.1(2) sous-entend une norme de qualification conforme à ses termes dans un domaine spécialisé, savoir celui des droits de la personne. Il n'y a rien de singulier à exiger un certain degré d'intérêt ou d'expertise à titre de condition de nomination à un tribunal administratif.

     "

     Pour en revenir au paragraphe 48.1(2), nous estimons qu'il faut en considérer les termes à la lumière de l'article 2, selon lequel la Loi a pour objet de donner effet au principe du droit à l'égalité des chances d'épanouissement indépendamment des considérations discriminatoires. Les termes du paragraphe 48.1(2) font référence à l'expérience, à l'expertise, à l'intérêt et à la sensibilité, dans le domaine non seulement des droits de la personne au sens de la Loi, mais encore des droits de la personne au sens le plus large. La sélection des membres du tribunal avec les qualités énumérées ne suscite pas, à notre avis, une crainte raisonnable de préjugé, étant donné qu'ils ont pour obligation première de faire preuve d'équité et de parvenir à un jugement juste.

B. Le point litigieux

[5]      Il est constant que dans leurs décisions, les membres du Tribunal canadien des droits de la personne humaine doivent se conformer à la norme rigoureuse de l'impartialité, que ce soit avant ou après la promulgation du paragraphe 48.1(2) de la Loi.

[6]      Il s'ensuit qu'au regard de cette norme, la question soulevée par le demandeur se pose comme suit : " Les dispositions du paragraphe 48.1(2) de la Loi suscitent-elles un crainte raisonnable de préjugé telle qu'il faut annuler l'instance? ".

[7]      La pertinence de ce point a été mise en doute. Les défendeurs proprement dits soutiennent que par application des dispositions transitoires visant les modifications apportées à la Loi, les membres du tribunal saisis de l'affaire en instance ne sont pas tenus aux qualités prescrites par le paragraphe 48.1(2) puisqu'ils avaient acquis leur compétence avant l'entrée de cette disposition3. C'est d'ailleurs dans ce sens que s'est prononcé le tribunal.

[8]      Je conviens avec les défendeurs proprement dits, mais conclus que leur argument n'emporte pas irrecevabilité de la contestation du demandeur. L'argument de celui-ci ne porte pas sur l'application précise du paragraphe 48.1(2) de la Loi aux membres du tribunal saisi en l'espèce. Il porte au contraire sur l'effet que la qualification au regard de cette disposition a sur la question de la crainte au sujet de l'impartialité des membres du tribunal en général. Cet argument est que, puisque les membres Pensa et Devins ont été nommés au nouveau Tribunal canadien des droits de la personne, c'est-à-dire qu'il a été jugé qu'ils ont les qualités requises au paragraphe 48.1(2), il faut s'interroger sur leur impartialité dans le contexte de l'affaire en instance. La question posée par le demandeur est donc pertinente.

C. Analyse

[9]      Dans son argumentation sur l'effet du paragraphe 48.1(2) de la Loi, le demandeur soutient qu'il faut voir dans cette disposition un élément en jeu dans le conflit entre les droits collectifs, que protège la Loi, et les droits individuels, telle la liberté d'expression. C'est-à-dire que la prescription au paragraphe 48.1(2) des qualifications des membres du tribunal revient à promouvoir à tort les droits collectifs, au détriment des droits individuels4.

[10]      La constitutionnalité du paragraphe 48.1(2) de la Loi n'est pas contestée. Je ne me prononcerai donc pas sur le bien-fondé de cet argument.

[11]      En réponse à la question posée par le demandeur, je partage dans l'ensemble la conclusion du tribunal. J'estime qu'une personne bien informée, qui examinerait la question en profondeur, de façon réaliste et pratique, conclurait que le paragraphe 48.1(2) de la Loi ne fait qu'exprimer ce qu'on attend généralement des personnes qui sont tenues de rendre des décisions impartiales, savoir un haut degré de connaissance et de compréhension de la matière contentieuse. À mon avis, cette personne informée interpréterait le mot " sensibilité " figurant au paragraphe 48.1(2) de la Loi comme ayant juste ce sens. La réponse à cette question est donc négative.

[12]      En conséquence, le recours est rejeté.

[13]      À l'exclusion de la Canadian Association for Free Expression, chacun des défendeurs a droit à ses dépens, que lui versera le demandeur.

     Signé : Douglas R. Campbell

     ________________________________

     Juge

Toronto (Ontario),

le 6 décembre 1999



Traduction certifiée conforme,



Bernard Olivier, LL.B.


     COUR FÉDÉRALE DU CANADA

     SECTION DE PREMIÈRE INSTANCE

     AVOCATS ET AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER



DOSSIER No :              T-190-99

INTITULÉ DE LA CAUSE :      Ernst Zündel

                     c.

                     Sabina Citron, Toronto Mayor's Committee on Community and Race Relations, la Commission canadienne des droits de la personne, Canadian Holocaust Remembrance Association, Simon Wiesenthal Centre, le Congrès juif canadien, la Ligue des droits de la personne de B'Nai Brith, Canadian Association for Free Expression

DATE DE L'AUDIENCE :          Mercredi 15 décembre 1999

LIEU DE L'AUDIENCE :          Toronto (Ontario)


ORDONNANCE (MOTIFS ET DISPOSITIF) PRONONCÉE PAR LE JUGE CAMPBELL


LE :                      Jeudi 16 décembre 1999



ONT COMPARU :


M. Douglas H. Christie              pour le demandeur

Mme B. Kalaszka

Mme Robyn M. Bell                  pour le défendeur Simon Wiesenthal Centre
M. G. Rhone                      pour la défenderesse Canadian Association for Free Expression
M. D. Pagorski                  pour la défenderesse Commission canadienne des droits de la personne
Mme J. Chan                      pour le défendeur Congrès juif canadien
M. A. Weretelnyk                  pour le défendeur Toronto Mayor's Committee on Community and Race Relations
Mme Jane Bailey                  pour les défenderesses Sabina Citron et Canadian Holocaust Remembrance Association
M. R. Kramer                  pour le défendeur procureur général du Canada


AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :


Douglas H. Christie

Avocat

810 Courtney Street

Victoria (C.-B.)

V8W 1C4

pour le demandeur

Barbara Kulaszka

Avocate

9 Cheer Dr., C.P. 1635

Brighton (Ont.)

K0K 1H0

Tory Tory Deslauriers Binnington

Avocats

Bureau 3000, Aetna Tower

C.P. 270

Toronto-Dominion Centre

Toronto (Ont.)

M5K 1N2

pour les défenderesses Sabina Citron et Canadian Holocaust Remembrance Association

Ville de Toronto

Service du contentieux

100 rue Queen ouest

Hôtel de ville, West Tower, 13e étage

Toronto (Ont.)

M5H 2N2

pour le défendeur Toronto Mayor's Committee on Community and Race Relations

Commission canadienne des droits de la personne

344 rue Slater, 8e étage

Ottawa (Ont.)

K1A 1E1

pour la défenderesse Commission canadienne des droits de la personne

Bennett Jones

Avocats

One First Canadian Place

Bureau 3400, C.P. 130

Toronto (Ont.)

M5X 1A4

pour le défendeur Simon Wiesenthal Centre

Blake, Cassels & Graydon

Avocats

C.P. 25, Commerce Court West

Toronto (Ont.)

M5L 1A9

pour le défendeur Congrès juif canadien

Dale, Streiman & Kurz

Avocats

480 Main Street

Brampton (Ont.)

L6V 1P8

pour la défenderesse Ligue des droits de la personne de B'Nai Brith

Canadian Association for Free

Expression

1000 Cedar Gate

Mississauga (Ont.)

L5C 3Z5


occupant pour elle-même

     COUR FÉDÉRALE DU CANADA

     Date : 19991216

     Dossier : T-190-99

Entre :

ERNST ZÜNDEL

     demandeur

     - et -


SABINA CITRON, TORONTO MAYOR'S COMMITTEE ON COMMUNITY AND RACE RELATIONS, LA COMMISSION CANADIENNE DES DROITS DE LA PERSONNE, CANADIAN HOLOCAUST REMEMBRANCE ASSOCIATION, SIMON WIESENTHAL CENTRE, LE CONGRÈS JUIF CANADIEN, LA LIGUE DES DROITS DE LA PERSONNE DE B'NAI BRITH, CANADIAN ASSOCIATION FOR FREE EXPRESSION

     défendeurs





     ORDONNANCE (MOTIFS ET DISPOSITIF)


__________________

1      Tous les défendeurs en l'espèce, sauf la Canadian Association for Free Association, ont présenté leurs conclusions dans ce sens. Cette dernière soutenait la position du demandeur. Pour plus de commodité, les défendeurs qui s'opposaient au demandeur dans ce recours seront désignés les " défendeurs proprement dits ".

2      Le sommaire ci-dessus est adapté du dossier de la demande du demandeur, Mémoire, pages 25 à 27.

3      Les paragraphes 33(1) à (3) du texte modificateur (L.C. 1998, ch. 9) sont des dispositions transitoires qui prévoient ce qui suit :
         " 33.(1) Pour l'application du présent article, " entrée en vigueur " s'entend de l'entrée en vigueur de celui-ci.
         (2) Sous réserve des paragraphes (3), (4) et (5), le mandat des membres du Comité du tribunal des droits de la personne prend fin à la date d'entrée en vigueur.
         (3) Les membres du tribunal des droits de la personne constitué en vertu de la Loi canadienne sur les droits de la personne avant la date d'entrée en vigueur conservent leurs pouvoirs à l'égard de la plainte dont ils ont été chargés d'examiner. " [non souligné dans l'original]

4      La Canadian Association for Free Expression, qui soutient dans l'ensemble la position du demandeur en l'espèce, a proposé en particulier cet argument.

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