Décisions de la Cour fédérale

Informations sur la décision

Contenu de la décision

 

 

 

Date : 20060322

Dossier : T-588-05

Référence : 2006 CF 373

 

ENTRE :

 

LENDINGTREE, LLC

 

 

demanderesse

 

et

 

 

LENDING TREE CORP. ET

ALEX HADITAGHI DOING BUSINESS AS LENDING TREE CORP., ET LE MINISTRE DE L’INDUSTRIE (REGISTRAIRE DES MARQUES DE COMMERCE) ET LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

 

défendeurs

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT

 

[1]        Dans le cadre de la présente demande de contrôle judiciaire, la demanderesse, LendingTree, LLC (LendingTree U.S.), sollicite une ordonnance annulant la décision par laquelle le registraire des marques de commerce (le registraire) a accepté de modifier la demande d’enregistrement de la marque de commerce no 1,090,803 (la demande) en inscrivant, en tant que requérant, non plus « Lending Tree Corp. » mais « Alex Haditaghi doing business as Lending Tree Corp. ». La demande de contrôle judiciaire découle des faits suivants.

LES FAITS

[2]        Le 31 janvier 2001, Lending Tree Corp. a déposé une demande d’enregistrement de la marque de commerce LENDING TREE. La demande précisait que Lending Tree Corp. a commencé à utiliser la marque de commerce au Canada au plus tard le 5 janvier 2001. Cependant, Lending Tree Corp. n’existait pas encore à cette date puisqu’elle n’a été constituée en société que le 2 février 2001.

 

[3]        La demande ayant été publiée aux fins d’opposition, LendingTree U.S. a déposé le 29 janvier 2003 une déclaration d’opposition à la demande. L’un des motifs d’opposition était que, contrairement à l’alinéa 30b) de la Loi sur les marques de commerce, L.R.C. 1985, ch. T‑13 (la Loi), Lending Tree Corp. n’avait pas et ne pouvait pas avoir employé la marque de commerce en liaison avec les services décrits dans la demande à partir de la date à laquelle un tel emploi est censé avoir débuté.

 

[4]        Par la suite, dans une lettre datée du 4 novembre 2004, Lending Tree Corp., par l’intermédiaire de son agent de marques de commerce, a présenté au registraire une demande sollicitant :

[traduction] […] la modification de la demande en question, conformément aux dispositions de l’article 30 et/ou de l’article 33 du Règlement, afin de remplacer « Lending Tree Corp. » par « Alex Haditaghi doing business as Lending Tree Corp. » à titre de requérant.

 

[5]        L’affidavit d’Alex Haditaghi a été joint à la demande. M. Haditaghi a fait les déclarations suivantes sous serment :

[traduction]

1.             J’ai déposé la demande en question moi-même sans l’aide d’un agent des marques de commerce déposées.

 

2.             À l’époque du dépôt de la demande, je faisais affaire sous le nom commercial de Lending Tree Corp. Dans le cadre de mes activités commerciales, j’employais la marque de commerce LENDING TREE en liaison avec les services décrits dans la demande en question.

 

3.             J’ai déposé la demande sous mon nom commercial et donné mon adresse personnelle comme adresse du domicile du requérant. Cependant, en raison de mon manque d’expérience dans la préparation des demandes d’enregistrement de marque de commerce, j’ai par erreur omis d’indiquer mon nom, « Alex Haditaghi », suivi des mots « doing business as » pour désigner le requérant.

 

4.             Le 31 janvier 2001, c’est-à-dire à la date de dépôt de la demande en question, aucune entreprise ou autre personne morale dénommée Lending Tree Corp. n’existait en liaison avec moi.

 

[6]        Le registraire n’a pas demandé à LendingTree U.S. de présenter des observations au sujet de cette demande.

 

[7]        Le 3 mars 2005, la Commission des oppositions des marques de commerce (la Commission) a envoyé à LendingTree U.S. une lettre contenant ce qui suit :

[traduction] La modification de la demande de la manière indiquée dans la lettre du requérant a été acceptée au nom du registraire des marques de commerce.

 

Si elle estime qu’il y a lieu de modifier la déclaration d’opposition, l’opposante devrait demander une permission à cette fin conformément à l’article 40 du Règlement sur les marques de commerce.

 

 

 

[8]        C’est la décision autorisant la modification de la demande qui fait l’objet de la présente demande de contrôle judiciaire.

 

LES QUESTIONS SOULEVÉES PAR LES PARTIES

[9]        Dans ses observations écrites, LendingTree U.S. a énoncé de la manière suivante les questions à trancher en l’espèce :

 

1.                  Le registraire a‑t‑il commis une erreur de droit et outrepassé sa compétence en autorisant la modification du nom du requérant de l’enregistrement de la marque de commerce, en violation des articles 30, 31 ou 33 du Règlement sur les marques de commerce (1996), DORS/96-195 (le Règlement)?

 

2.         LendingTree U.S. était-elle partie à la décision contestée?

 

3.                  Si LendingTree U.S. était effectivement partie à la décision contestée, existe‑t‑il des « circonstances spéciales » permettant à la Cour d’exercer sa compétence pour effectuer le contrôle judiciaire de la décision contestée?

 

4.                  La décision contestée a‑t‑elle été prise d’une manière contraire aux principes de l’équité et de la justice naturelle?

 

[10]      Lending Tree Corp. et M. Haditaghi ont estimé pour leur part que les questions en litige sont les suivantes :

 

1.                  LendingTree U.S. était‑elle directement touchée par la décision en cause, de sorte qu’elle avait qualité pour introduire la présente demande de contrôle judiciaire?

 

2.                  Même si LendingTree U.S. a été directement touchée par la décision, existe‑t‑il des circonstances spéciales qui justifient le contrôle judiciaire d’une décision interlocutoire?

3.                  Si la décision est susceptible de contrôle judiciaire, est‑elle raisonnable de sorte qu’elle commande la retenue?

 

[11]      Lors des plaidoiries, les avocats ont convenu que la décision du registraire était de nature administrative et que LendingTree U.S. n’était pas partie à la décision. Cela étant, la Cour n’a pas à se prononcer sur les deuxième, troisième et quatrième questions soulevées par LendingTree U.S.

 

DISPOSITIONS LÉGISLATIVES PERTINENTES

[12]      La question essentielle du litige opposant les parties est de savoir si le registraire a eu tort de modifier la demande et, en l’occurrence, de changer l’identité du requérant, en violation de l’alinéa 31a) du Règlement. Les articles 30, 31 et 32 du Règlement sont reproduits en annexe aux présents motifs. Pour en faciliter la consultation, l’alinéa 31a) est reproduit ci‑dessous :

31. La modification d'une demande d'enregistrement d'une marque de commerce n'est pas permise si elle vise l'un des objectifs suivants :

a) changer l'identité du requérant, sauf après reconnaissance du transfert par le registraire;

31. No application for the registration of a trade-mark may be amended where the amendment would change

(a) the identity of the applicant, except after recognition of a transfer by the Registrar;

 

 

EXAMEN DES QUESTIONS EN LITIGE

[13]      Dans la présente demande, il s’agit essentiellement de savoir si la question de l’opportunité de modifier la demande peut être soulevée dans le cadre d’une procédure d’opposition. Si elle peut l’être, LendingTree U.S. devrait, en l’absence de circonstances spéciales, soulever cette question dans le cadre d’une telle procédure. Voir : Novopharm Ltd. c. Aktiebolaget Astra, [1996] 2 C.F. 839 (C.F. 1re inst.).

 

[14]      À mon avis, la jurisprudence de la Commission, qui est examinée ci‑dessous, établit que cette question peut effectivement être soulevée devant cet organisme.

 

[15]      Premièrement, dans Matsushita Electric c. Libra Importing (1986), 8 C.P.R. (3d) 512, par suite d’une décision administrative, le nom du requérant de l’enregistrement de la marque de commerce, « A Partnership of Libra Importers Limited and Keystone Importers Limited doing business as Stirling Importers », avait été remplacé par « A Partnership of Libra Importing Co. Limited and Keystone Importers Limited doing business as Stirling Importers ». Dans le cadre de la procédure d’opposition, la Commission avait conclu que [traduction] « contrairement à ce qu’affirme l’opposante, la correction d’une erreur de nom ne contrevient pas aux dispositions de l’alinéa 36a) du [Règlement] ». À l’époque, le libellé de l’alinéa 36a) était essentiellement le même que celui de l’actuel alinéa 31a) du Règlement.

 

[16]      Deuxièmement, dans Beauty Creations Ltd. c. Eugene-Gallia (1992), 45 C.P.R. (3d) 278, lors d’une audience sur l’opposition, l’agent de marques de commerce représentant la requérante a signalé que cette dernière pourrait demander de modifier sa demande d’enregistrement afin de préciser qu’elle était « une société anonyme ». La Commission a informé la requérante qu’elle disposait d’un délai d’une semaine pour décider si elle entendait demander la modification et, le cas échéant, pour présenter une demande modifiée à la Commission. La requérante a déposé une demande modifiée dans laquelle le nom figurant dans la demande initiale a été remplacé par « EUGENE-GALLIA, une société anonyme ». Étant donné que la modification proposée à la demande ne semblait pas exiger de modification subséquente de la déclaration d’opposition, la Commission a indiqué qu’elle se prononcerait sur la question de la demande modifiée dans le cadre de la décision finale sur l’opposition. Dans sa décision finale, la Commission a conclu que les modifications demandées ne constituaient pas un changement d’identité de la requérante. Elle a donc accepté la demande de modification.

 

[17]      Troisièmement, dans Mirabel Fisheries Ltd. c. HydroSerre Inc. (1994), 55 C.P.R. (3d) 567, une demande avait été déposée sous la signature de M. Luc Desrochers. Le nom de la compagnie, HydroSerre Inc., figurait au-dessus de la signature de M. Desrochers. Le Bureau des marques de commerce a considéré que le requérant était Luc Desrochers, comme l’attestait la couverture du dossier de la demande, ainsi que la correspondance du Bureau des marques de commerce. La demande d’enregistrement a fait l’objet d’une opposition fondée sur plusieurs motifs, notamment sur l’argument voulant que, contrairement à l’alinéa 30e) de la Loi, le requérant n’avait pas lui-même l’intention d’employer la marque de commerce au Canada et qu’il n’avait pas indiqué dans sa demande son intention d’employer la marque au Canada. Avant le début de l’audience sur l’opposition, un examinateur a autorisé un changement dans l’identité du requérant qui est ainsi devenu HydroSerre Inc. La Commission a refusé de donner effet à la prétendue modification et a rejeté la demande parce qu’elle ne répondait pas de manière satisfaisante au motif d’opposition fondé sur l’alinéa 30e).

 

[18]      Cette jurisprudence montre bien que la Commission a déjà eu l’occasion, lors de procédures d’opposition, d’examiner l’opportunité de modifications apportées au nom d’un requérant, ainsi que la question de savoir si la modification avait effectivement changé l’identité du requérant. Bien que LendingTree U.S. ait fait valoir que, dans Imperial Tobacco Ltd. c. 287332 Alberta Ltd., [1991] C.O.M.C. no 416, la Commission a dit que ce qui était à l’époque l’alinéa 36a) du Règlement [traduction] « n’est pas un motif d’opposition valable », il ne s’agissait que d’une remarque incidente, qui a été faite après que la Commission eut précisé, dans les termes suivants, que la modification du nom de la requérante n’avait pas entraîné un changement dans l’identité de celle-ci. La Commission a écrit :

[traduction] […] L’opposante affirme que la compagnie qui figure actuellement à titre de requérante n’est pas la requérante dans la demande d’enregistrement. En ce qui concerne l’identité de la requérante, ainsi que l’a expliqué un dirigeant de la requérante, la société requérante avait, par inadvertance, été identifiée de manière inexacte; il semble donc que, aux fins de l’enregistrement, la requérante est et a toujours été la société 287332 Alberta Ltd. Ajoutons que l’erreur a été corrigée par voie d’une lettre officielle en date du 16 décembre 1988.

 

[19]      Ma conclusion selon laquelle la Commission peut effectivement examiner l’opportunité des modifications apportées au nom d’un requérant ainsi que la question de savoir si une telle modification a changé l’identité du requérant, est compatible avec le fait que, une fois la modification autorisée, LendingTree U.S. a été invitée à solliciter l’autorisation de modifier sa déclaration d’opposition. Cela devait, me semble‑t‑il, donner à LendingTree U.S. la possibilité de soutenir, lors de l’audience sur l’opposition, que la modification en question n’aurait pas dû être apportée et ne devrait pas être permise.

 

[20]      Ayant conclu que la question de l’opportunité de la modification peut être soulevée par LendingTree U.S. dans le cadre de la procédure d’opposition et que la Commission peut effectivement examiner cette question, je considère que LendingTree U.S. dispose d’un autre recours approprié. Cela étant, et pour les motifs exposés par mon collègue le juge Gibson dans la décision Novopharm, précitée, vu que je ne relève l’existence d’aucune circonstance spéciale qui justifierait de faire droit à la présente demande, je suis convaincue que la présente demande de contrôle judiciaire doit être rejetée.

 

[21]      Les défendeurs sollicitent les dépens de la présente demande et je ne vois pas pourquoi les dépens ne devraient pas suivre l’issue de la cause. Au cas où les parties ne parviendraient pas à un accord sur ce point, les dépens seront taxés conformément au milieu de la fourchette prévue à la colonne III du tableau du tarif B des Règles des Cours fédérales.

 

 

« Eleanor R. Dawson »

Juge

 

 

 

Traduction certifiée conforme

Suzanne Bolduc, LL.B.


 

ANNEXE

 

 

Articles 30, 31 et 32 du Règlement sur les marques de commerce (1996) :

 

 

30. Sauf dans les cas prévus aux articles 31 et 32, la demande d'enregistrement d'une marque de commerce peut être modifiée avant ou après l'annonce faite en vertu du paragraphe 37(1) de la Loi.

 

 

31. La modification d'une demande d'enregistrement d'une marque de commerce n'est pas permise si elle vise l'un des objectifs suivants :

a) changer l'identité du requérant, sauf après reconnaissance du transfert par le registraire;

b) modifier la marque de commerce, sauf à certains égards qui n'en changent pas le caractère distinctif ni n'influent sur son identité;

c) changer pour une date antérieure la date de premier emploi ou de révélation, au Canada, de la marque de commerce, sauf s'il est prouvé que les faits justifient le changement;

d) changer une demande n'alléguant pas que la marque de commerce a été employée ou a été révélée au Canada avant la production de la demande en une demande qui contient l'une ou l'autre de ces allégations;

e) modifier l'état déclaratif des marchandises ou services pour étendre la portée de celui qui figurait dans la demande au moment du dépôt effectué conformément à l'article 30 de la Loi.

 

32. La modification d'une demande d'enregistrement d'une marque de commerce n'est pas permise après l'annonce de la demande dans le Journal, si elle vise, selon le cas :

a) à modifier la marque de commerce, à quelque égard que ce soit;

b) à changer la date de premier emploi ou de révélation, au Canada, de la marque de commerce;

c) à modifier la demande qui allègue que la marque de commerce a été employée ou révélée en une demande alléguant qu'il s'agit d'une marque de commerce projetée;

d) à modifier la demande n'alléguant pas que la marque a été employée et enregistrée dans un pays de l'Union ou pour un pays de l'Union en une demande alléguant ce fait;

e) à modifier l'état déclaratif des marchandises ou services pour étendre la portée de celui qui figurait dans la demande au moment de l'annonce.

30. Except as provided in sections 31 and 32, an application for the registration of a trade-mark may be amended either before or after the application is advertised pursuant to subsection 37(1) of the Act.

 

31. No application for the registration of a trade-mark may be amended where the amendment would change

 

(a) the identity of the applicant, except after recognition of a transfer by the Registrar;

 

(b) the trade-mark, except in respects that do not alter its distinctive character or affect its identity;

 

(c) the date of first use or making known in Canada of the trade-mark to an earlier date, except where the evidence proves that the change is justified by the facts;

 

(d) the application from one not alleging use or making known of the trade-mark in Canada before the filing of the application to one alleging such use or making known; or

 

(e) the statement of wares or services so as to be broader than the statement of wares or services contained in the application at the time the application was filed pursuant to section 30 of the Act.

 

32. No application for the registration of a trade-mark may be amended, after it has been advertised in the Journal, to change

 

(a) the trade-mark in any manner whatsoever;

 

(b) the date of first use or making known in Canada of the trade-mark;

 

(c) the application from one alleging use or making known to one for a proposed trade-mark;

 

 

 

(d) the application from one that does not allege that the trade-mark has been used and registered in or for a country of the Union to one that does so allege; or

(e) the statement of wares or services so as to be broader than the statement of wares or services contained in the application at the time of advertisement.

 

 

 


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

DOSSIER :                                                                T-588-05

 

INTITULÉ :                                                               LENDINGTREE, LLC

                                                                                    c.

                                                                                    LENDING TREE CORP. et al.

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                                         TORONTO (ONTARIO)

 

DATE DE L’AUDIENCE :                                       LE 14 DÉCEMBRE 2005

 

OBSERVATIONS ÉCRITES COMPLÉMENTAIRES REÇUES :

 

                                                                                    DÉFENDEURS : LES 6 et 20 JANVIER 2006 (RÉPONSE)

                                                                                    DEMANDERESSE : LE 13 JANVIER 2006

 

MOTIFS DE L’ORDONNANCE

ET ORDONNANCE :                                               LA JUGE DAWSON

 

DATE DES MOTIFS :                                              LE 22 MARS 2006

 

COMPARUTIONS :

 

JAMES BUCHAN                                                      POUR LA DEMANDERESSE

STEWART HAYNE

 

ADAM BOBKER                                                        POUR LES DÉFENDEURS

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

GOWLING LAFLEUR HENDERSON LLP               POUR LA DEMANDERESSE

TORONTO (ONTARIO)

 

BERESKIN & PARR.                                                 POUR LES DÉFENDEURS

TORONTO (ONTARIO)

 

 Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.