Décisions de la Cour fédérale

Informations sur la décision

Contenu de la décision

Date : 20041224

Dossier : T-89-04

Référence : 2004 CF 1779

ENTRE :

                                                                DONALD FABI

                                                                                                          PARTIE DEMANDERESSE

                                                                            et

                                          LE MINISTRE DU REVENU NATIONAL

                                                                                                           PARTIE DÉFENDERESSE

                                                  MOTIFS DE L'ORDONNANCE

LE JUGE LEMIEUX

[1]                La seule question soulevée par cette demande de contrôle judiciaire concerne la légalité de deux demandes péremptoires de production de documents et de renseignements émises par le Ministre du Revenu national (le « ministre » ), le 15 décembre 2003 en vertu des alinéas 231.2(1)(a) et 231.2(1)(b) de la Loi de l'impôt sur le revenu (la « loi » ).


[2]                Le demandeur, Donald Fabi, est celui visé par ces deux demandes du ministre; il prétend qu'elles sont nulles et illégales du fait d'avoir été émises alors qu'une suspension de procédure était en vigueur selon les dispositions de l'alinéa 69.1(1) de la Loi sur la faillite et l'insolvabilité (la « L..F.I. » ).

[3]                L'alinéa 231.2(1) de la loi se lit:

Production de documents ou fourniture de renseignements

231.2. (1) Malgré les autres dispositions de la présente loi, le ministre peut, sous réserve du paragraphe (2) et, pour l'application et l'exécution de la présente loi, y compris la perception d'un montant payable par une personne en vertu de la présente loi, par avis signifié à personne ou envoyé par courrier recommandé ou certifié, exiger d'une personne, dans le délai raisonnable que précise l'avis:

a) qu'elle fournisse tout renseignement ou tout renseignement supplémentaire, y compris une déclaration de revenu ou une déclaration supplémentaire;

b) qu'elle produise des documents. [je souligne]

Requirement to provide documents or information

231.2. (1) Notwithstanding any other provision of this Act, the Minister may, subject to subsection (2), for any purpose related to the administration or enforcement of this Act, including the collection of any amount payable under this Act by any person, by notice served personally or by registered or certified mail, require that any person provide, within such reasonable time as is stipulated in the notice,

(a) any information or additional information, including a return of income or a supplementary return; or

(b) any document.

[4]                L'alinéa 69.1(1)a) de la L.F.I. se lit comme suit:


Suspension des procédures en cas de dépôt d'une proposition

69.1 (1) Sous réserve des paragraphes (2) à (6) et des articles 69.4 et 69.5, entre la date de dépôt d'une proposition visant une personne insolvable et_:

a) soit sa faillite, soit la libération du syndic, les créanciers n'ont aucun recours contre elle ou contre ses biens et ne peuvent intenter ou continuer aucune action, exécution ou autre procédure en vue du recouvrement de réclamations prouvables en matière de faillite; [je souligne]

Stay of proceedings - Division I proposals

69.1 (1) Subject to subsections (2) to (6) and sections 69.4 and 69.5, on the filing of a proposal under subsection 62(1) in respect of an insolvent person,

(a) no creditor has any remedy against the insolvent person or the insolvent person's property, or shall commence or continue any action, execution or other proceedings, for the recovery of a claim provable in bankruptcy, until the trustee has been discharged or the insolvent person becomes bankrupt;


[5]                L'article 69.4 de la L.F.I. prévoit que le tribunal peut, sur demande d'un créancier, déclarer que les articles 69 à 69.31 ne lui sont applicables.

FAITS


[6]                Le 7 août 2003, Donald Fabi dépose une proposition concordataire autorisée par la L.F.I. entre les mains du bureau de syndic Raymond Chabot Inc., (le « syndic » ) et un avis de cette proposition en date du 11 août 2003 fut signifié aux créanciers.

[7]                Le 27 août 2003, par l'intermédiaire de Daniel Phaneuf, Agent de recouvrement à l'Agence des douanes et du revenu du Canada ( « l'Agence » ), celle-ci fait, au syndic, preuve de réclamation au montant de 183 621,09 $ représentant des impôts dus pour les années 1991, 1992, 1993, 1994, 1995, 2001 et 2002.

[8]                Malgré le fait que l'Agence se soit abstenue de voter sur la proposition amendée de M. Fabi, celle-ci a été approuvée par les créanciers et, par la suite, homologuée par la Cour supérieure du Québec le 27 octobre 2003.

[9]                La proposition entérinée par la Cour supérieure du Québec prévoit, pour le paiement des réclamations ordinaires, en règlement complet et final, sans intérêts ni pénalités, qu'une somme de 134 000 $ sera versée au syndic de la façon suivante:

(a)         50 000 $ au plus tard trente (30) jours suivant l'homologation de la proposition;

(b)        le solde de 84 000 $ sur cinq (5) ans payable par des versements mensuels égaux et consécutifs de 600 $.

[10]            À ce jour, M. Fabi respecte toutes les obligations de sa proposition.

[11]            Dans le bilan statutaire annexé à sa proposition, Donald Fabi n'avait déclaré qu'un seul actif immobilier, soit une résidence située à Sherbrooke.

[12]            Daniel Phaneuf, dans son affidavit du 12 février 2004 au soutien du ministre, nous informe que dans le cadre de son enquête de recouvrement de la dette du demandeur, il avait appris que Donald Fabi aurait acquis, au cours des années 1998, avec deux autres actionnaires, un grand terrain près de la mer en Floride au prix de         1 500 000 $ et qu'il était également propriétaire d'un condo aussi en Floride.

[13]            M. Phaneuf nous avise également qu'à l'assemblée des créanciers, il avait demandé à Donald Fabi ce qui était devenu de ses propriétés et que celui-ci a déclaré ne pas avoir acquis le terrain et d'avoir fait annulé l'achat du condo. Daniel Phaneuf indique qu'il lui a alors demandé ce qui était advenu des sommes avancées par la Banque HSBC Canada (la « banque » ) et que celui-ci « m'a répondu qu'il les avait utilisées pour vivre durant les vacances annuelles en Floride. Il ne se souvenait toutefois d'aucun détail » .

[14]            Le paragraphe 10 de l'affidavit de M. Phaneuf se lit:


10.            Ses réponses étant incomplètes, j'ai envoyé, le ou vers le 15 décembre 2003, à Donald Fabi deux demandes de production de documents et de renseignements émises en vertu du paragraphe 231.2(1) de la Loi de l'impôt sur le revenu dans le but d'obtenir des renseignements et/ou documents relativement aux emprunts hypothécaires et à l'acquisition d'un terrain et d'un condominium en Floride... .

[15]            M. Phaneuf nous avise qu'une des deux demandes vise à faire la lumière sur une demande de financement effectuée par M. Fabi en juillet 1998 auprès de la banque dans le but d'acheter et/ou d'effectuer un nouveau déboursé sur un condominium en Floride et que l'autre vise à faire la lumière sur une demande de financement effectuée par M. Fabi en juillet 1998 auprès de la banque dans le but d'acquérir avec d'autres personnes, le terrain près de la mer en Floride.

[16]            Au paragraphe 13 de son affidavit, M. Phaneuf dépose que « dans le cadre de mon enquête de recouvrement, j'ai besoin d'obtenir les documents et renseignements demandés... afin de déterminer si effectivement le demandeur est propriétaire d'un immeuble et/ou d'un terrain en Floride » . Selon M. Phaneuf, il a également besoin de « savoir s'il a été propriétaire ou s'il a transféré l'immeuble et/ou le terrain en Floride » et que « ces informations me permettront de déterminer la valeur de ses actifs et, le cas échéant, ce qui est advenu du produit d'une vente éventuelle » et qu'il a également « besoin de savoir ce qui est advenu des sommes déboursées par la banque » .

[17]            Il conclut son affidavit:

17.            Ainsi, les demandes de production de documents et de renseignements qui font l'objet de la demande du contrôle judiciaire ont été envoyés dans le cadre de l'enquête de recouvrement et aucunement dans le cadre d'une enquête ou d'une poursuite relative à des infractions pénales.


[18]            Il termine en indiquant « qu'il n'y a aucune enquête de nature pénale instituée par l'Agence à l'encontre de Donald Fabi » .

ANALYSE

[19]            Je ne m'attarderai pas longuement à savoir quelle est la norme de contrôle applicable en révision d'une décision du ministre d'émettre les deux demandes péremptoires de production de documents et de renseignements en litige.

[20]            Les parties n'ont pas abordé devant moi cette question de la norme de contrôle applicable. Le demandeur demande une déclaration que la décision du ministre est nulle et illégale et veut l'annulation de ces deux demandes au motif qu'elles ont été émises en contravention du paragraphe 69.1(1) de la L.F.I.


[21]            Les deux parties ont plaidé devant moi sur la base qu'en l'espèce, c'était la compétence du ministre qui était en jeu et, qu'en conséquence, la norme de contrôle était celle de la décision bien fondée. Je souscris à ce point de vue lorsqu'il s'agit d'une question de juridiction. Je cite, à l'appui, les motifs de jugement du juge Bastarache dans Pushpanathan c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [1998] 1 R.C.S. 982, au paragraphe 28:

¶ 28       Bien que la terminologie et la méthode de la question "préalable", "accessoire" ou "de compétence" aient été remplacées par cette analyse pragmatique et fonctionnelle, l'accent est tout de même mis sur la disposition particulière invoquée et interprétée par le tribunal. Certaines dispositions d'une même loi peuvent exiger plus de retenue que d'autres, selon les facteurs qui seront exposés plus en détail plus loin. Voilà pourquoi il convient toujours, et il est utile, de parler des "questions de compétence" que le tribunal doit trancher correctement pour ne pas outrepasser sa compétence. Mais il faut bien comprendre qu'une question qui "touche la compétence" s'entend simplement d'une disposition à l'égard de laquelle la norme de contrôle appropriée est celle de la décision correcte, en fonction du résultat de l'analyse pragmatique et fonctionnelle. Autrement dit, une "erreur de compétence" est simplement une erreur portant sur une question à l'égard de laquelle, selon le résultat de l'analyse pragmatique et fonctionnelle, le tribunal doit arriver à une interprétation correcte et à l'égard de laquelle il n'y a pas lieu de faire preuve de retenue.

[22]            Le procureur de M. Fabi plaide que les deux demandes de production de documents et de renseignements émises par le ministre en vertu du paragraphe 231.2(1) de la loi sont assujettis à la suspension prévue au paragraphe 69.1(1) de la L.F.I.

[23]            Cette disposition prévoit, sous réserve des paragraphes (2) à (6), entre la date de dépôt d'une proposition concordataire d'une personne insolvable et soit sa faillite ou soit la libération du syndic, que les créanciers n'ont aucun recours contre cette personne ou contre ses biens et ne peuvent intenter ou continuer aucune action, exécution ou autre procédure en vue du recouvrement de réclamation prouvable en matière de faillite ou de proposition concordataire.

[24]            En l'espèce, selon le procureur de M. Fabi, les deux demandes péremptoires émises contre son client sont un « recours » contre lui ou contre ses biens ou une « action ou autre procédure » intentée en vue du recouvrement de la réclamation que le ministre a prouvé devant le syndic.

[25]            À l'appui de sa prétention, le procureur de M. Fabi cite une abondante jurisprudence que je résume:

(1)         L'arrêt de la Cour suprême du Canada dans R. c. McKinlay Transport Ltd., [1990] 1 R.C.S. 627. La Cour suprême conclut, bien qu'une demande de renseignements ou production de documents émis sous la loi de l'impôt constitue une saisie au sens de l'article 8 de la Charte, il ne s'agit pas d'une saisie abusive.

(2)        L'arrêt de la Cour suprême du Canada dans Vachon c. Canada (Commission de l'emploi et de l'immigration), [1985] 2 R.C.S. 417. Dans cette affaire, la Cour suprême décide que le recouvrement d'un trop perçu par voie de retenue à la source sur les prestations d'assurance chômage payables constitue un recours ou une procédure contre le débiteur ou contre ses biens au sens de l'ancien paragraphe 49(1) de la Loi sur la faillite.


(3)        L'arrêt de la Cour suprême du Canada dans M & D Farm Ltd. c. Société du crédit agricole du Manitoba, [1999] 2 R.C.S. 961. En l'espèce, l'appelant avait obtenu d'un tribunal la suspension des recours sous la loi fédérale sur l'examen de l'endettement agricole après avoir été avisé par la Société de son intention d'intenter une poursuite pour recouvrement de sommes dues sous une hypothèque. Nonobstant la suspension, la Société obtient sous une loi provinciale l'autorisation d'intenter une action en forclusion mais n'en a pas donné suite jusqu'à ce que la suspension sous la loi fédérale ait pris fin. La Cour suprême décide que la demande d'autorisation fondée sur la loi provinciale était une « poursuite au sens de l'article 23 de la loi fédérale » . Dans ses motifs, le juge Binnie examine d'autres mesures de recouvrement prises par des créanciers pendant la durée de la suspension prévue à l'article 23 et conclut que les tribunaux les ont généralement déclarées invalides. Il mentionne la décision Davies c. Canadian Imperial Bank of Commerce, [1987] B.C.J. No. 632, où il s'agissait d'un interrogatoire préalable à la saisie-exécution d'un agriculteur et l'arrêt Nelson's Lazy H Ranches (1984) Ltd. c. Canadian Imperial Bank of Commerce, [1992] 3 W.W.R. 574 (Alta. C.A.) dans lequel une ordonnance confirmant une ordonnance de vente et de dévolution rendue pendant la durée d'une suspension prévue par l'article 23 de la loi fédérale a été jugée nulle.


(4)         L'arrêt Bisaillon c. Canada, [1999] A.C.F. no 898. Dans ce cas, le juge Létourneau a accordé un sursis à l'exécution d'une demande péremptoire de production de documents et de renseignements jusqu'à ce que jugement soit rendu par la Cour d'appel. Il écrit ceci au paragraphe 27 de ses motifs:

¶ 27       Je suis cependant loin d'être convaincu que, comme le prétendent les requérantes, d'une part, les règles strictes applicables à la description du contenu des mandats de perquisition sont celles qui doivent gouverner la teneur d'une demande de renseignements comme celle sous étude et, d'autre part, que la présente demande est illégale parce qu'elle ne constitue rien de moins qu'une partie de pêche. Alors que le mandat de perquisition est des plus intrusifs et attentatoires à la vie privée d'un contribuable, la demande de renseignements dans le cas présent participe nettement de la procédure d'interrogatoire d'un débiteur après jugement analogue à celle prévue aux articles 543 et suivants du Code de procédure civile qui permet d'interroger un tiers en état de fournir des renseignements quant aux actifs et revenus du débiteur et de contraindre ce tiers à produire des documents pertinents à ces actifs (article 281). Mais il ne m'appartient pas de trancher ce débat. [je souligne]

(5)        La décision de la Cour d'appel de l'Ontario dans Jones c. Ontario, O.N.C.A. C.38961. M. Jones avait déposé une proposition concordataire homologuée par la Cour supérieure de l'Ontario. La question devant la Cour d'appel était de savoir si des paiements périodiques d'impôt faits par M. Jones après la date de sa proposition concordataire sous la L.F.I. pouvaient être appliqués pour réduire ses obligations en impôt survenues avant ladite proposition. La Cour d'appel conclut que non.

(6)        L'affaire Sabey (Trustee of), [1996] B.C.J. No. 2820, ressemble à Jones, précité. La Cour n'a pas permis que Revenu Canada se rembourse, après avis d'une proposition concordataire, à même un remboursement d'impôt payable à M. Sabey. La Cour raisonne que permettre un tel remboursement accorderait une préférence à Revenu Canada au détriment des autres créanciers.


(7)        On retrouve des circonstances semblables dans Condominium Plan No. 78R15349 c. Fayad, 2001 SKQB 104. Le coeur de la décision du juge Dawson se retrouve aux paragraphes 23 et 24 de ses motifs que je cite:

¶ 23       The courts have consistently given a very broad meaning to both "remedy" and "proceedings" as used in s. 69. The words have been interpreted to include any kind of attempt at recovery, judicial or extrajudicial. In this case, without the registered caveat there is no security. Without security the applicant cannot foreclose on the condominium to collect its levy. The registration of the caveat is a process taken relative to or for the purpose of execution. The registration of the caveat is the means by which the applicant's rights are enforced. Section 69 is sufficiently broad to include the registration of a caveat, registered as security for the unpaid levy.

¶ 24       Section 69 of the Bankruptcy Act requires a creditor who wishes to seek a remedy or commence a proceeding despite the s. 69 stay, to apply to the Bankruptcy court to have the stay removed in relation to their action. Without doing this, any prior proceeding or remedy violates s. 69. The levy against Mr. Fayad was unsecured at the time of his filing for bankruptcy. The Applicant's actions of registering the caveat violates s. 69. The applicant is not entitled to enforce the caveat.

[26]            La procureure du ministre rétorque en avançant deux points majeurs:

(1)        les arrêts plaidés par le demandeur sont cités hors-contexte de leur cadre législatif; et

(2)        cette Cour, dans deux arrêts, a déjà décidé la question en litige.

[27]            Il ne fait aucun doute que le contexte - le cadre législatif encadrant la problématique d'une question en litige ainsi que l'objet de la loi sont des considérations essentielles pour bien interpréter une loi.

[28]            À cet effet, je n'ai qu'à invoquer l'extrait suivant des motifs de jugement du juge Iacobucci dans l'arrêt Re Rizzo & Rizzo Shoes Ltd., [1998] 1 R.C.S. 27:


¶ 20       Une question d'interprétation législative est au centre du présent litige. Selon les conclusions de la Cour d'appel, le sens ordinaire des mots utilisés dans les dispositions en cause paraît limiter l'obligation de verser une indemnité de licenciement et une indemnité de cessation d'emploi aux employeurs qui ont effectivement licencié leurs employés. À première vue, la faillite ne semble pas cadrer très bien avec cette interprétation. Toutefois, en toute déférence, je crois que cette analyse est incomplète.

21       Bien que l'interprétation législative ait fait couler beaucoup d'encre (voir par ex. Ruth Sullivan, Statutory Interpretation (1997); Ruth Sullivan, Driedger on the Construction of Statutes (3e éd. 1994) (ci-après "Construction of Statutes"); Pierre-André Côté, Interprétation des lois (2e éd. 1990)), Elmer Driedger dans son ouvrage intitulé Construction of Statutes (2e éd. 1983) résume le mieux la méthode que je privilégie. Il reconnaît que l'interprétation législative ne peut pas être fondée sur le seul libellé du texte de loi. À la p. 87, il dit:

                      [Traduction] Aujourd'hui il n'y a qu'un seul principe ou solution: il faut lire les termes d'une loi dans leur contexte global en suivant le sens ordinaire et grammatical qui s'harmonise avec l'esprit de la loi, l'objet de la loi et l'intention du législateur.

Parmi les arrêts récents qui ont cité le passage ci-dessus en l'approuvant, mentionnons: R. c. Hydro-Québec, [1997] 1 R.C.S. 213; Banque Royale du Canada c. Sparrow Electric Corp., [1997] 1 R.C.S. 411; Verdun c. Banque Toronto-Dominion, [1996] 3 R.C.S. 550; Friesen c. Canada, [1995] 3 R.C.S. 103.

¶ 22       Je m'appuie également sur l'art. 10 de la Loi d'interprétation, L.R.O. 1980, ch. 219, qui prévoit que les lois "sont réputées apporter une solution de droit" et doivent "s'interpréter de la manière la plus équitable et la plus large qui soit pour garantir la réalisation de leur objet selon leurs sens, intention et esprit véritables".

¶ 23       Bien que la Cour d'appel ait examiné le sens ordinaire des dispositions en question dans le présent pourvoi, en toute déférence, je crois que la cour n'a pas accordé suffisamment d'attention à l'économie de la LNE, à son objet ni à l'intention du législateur; le contexte des mots en cause n'a pas non plus été pris en compte adéquatement. Je passe maintenant à l'analyse de ces questions.


[29]            C'est aussi avec raison que la procureure du ministre soulève deux récentes décisions de notre Cour notamment la décision du juge Beaudry dans Carrefour Langelier Inc. c. Canada (Agence des douanes et du revenu ), 2003 FC 1403, et celle du juge Blais dans Canada (Ministre du Revenu national - M.R.N.) c. Stern, 2004 FC 763.

[30]            Dans Carrefour Langelier, précité, le juge Beaudry, statuant sur une requête visant la suspension provisoire d'une demande de production émise sous l'article 231.2 de la loi, conclut que l'argument avancé par le demandeur à l'effet qu'une demande sous l'article 231.2 de la loi est « une autre procédure » au sens de l'alinéa 69.3(1) de la L.F.I. ne soulève aucune question sérieuse. Il écrit ceci au paragraphe 9 de ses motifs:

¶ 9       La demanderesse affirme que l'avis ici en cause est une procédure et qu'il y a donc une question sérieuse à trancher. Je suis d'accord avec la défenderesse pour dire que l'article 231.2 de la Loi confère au ministre un pouvoir d'enquête et qu'il ne s'agit pas d'une "procédure" au sens de l'article 69.3 de la Loi sur la faillite et l'insolvabilité. Une fois les renseignements obtenus, la défenderesse sera en mesure d'établir la juste valeur marchande des actions de M. Glassman et pourra transmettre ces renseignements au syndic au profit des autres créanciers. [je souligne]

[31]            Dans l'affaire Stern, précitée, l'intimé opposait l'article 69.3 de la L.F.I. aux efforts du ministre d'enquêter sur ses sources de revenu avant sa faillite. Le juge Blais a rejeté cette prétention s'appuyant sur la décision du juge Beaudry dans Carrefour Langelier, précité. Il écrit:

¶ 6       Le défendeur prétend que, compte tenu de l'effet de l'article 69.3 de la Loi sur la faillite et l'insolvabilité, il n'était pas possible que les sources de revenu de M. Stern durant la période qui a précédé la faillite soient pertinentes à l'application de la loi par le ministre ou au recouvrement de sa dette fiscale.

¶ 7       En toute déférence, je ne partage pas cette opinion. Selon moi, le ministre a le droit de délivrer une lettre en application de l'article 231.2 de la Loi même si le contribuable a soumis une proposition en vertu de la Loi sur la faillite et l'insolvabilité.


¶ 8       La juge Tremblay-Lamer [sic] [le juge Beaudry], dans la décision Carrefour Langelier Inc. c. Canada (Agence des douanes et du revenu) 2003 CF 1403, a écrit ce qui suit au paragraphe 9 :

La demanderesse affirme que l'avis ici en cause est une procédure et qu'il y a donc une question sérieuse à trancher. Je suis d'accord avec la défenderesse pour dire que l'article 231.2 de la Loi confère au ministre un pouvoir d'enquête et qu'il ne s'agit pas d'une "procédure" au sens de l'article 69.3 de la Loi sur la faillite et l'insolvabilité. Une fois les renseignements obtenus, la défenderesse sera en mesure d'établir la juste valeur marchande des actions de M. Glassman et pourra transmettre ces renseignements au syndic au profit des autres créanciers.

¶ 9       En l'espèce, le ministre exerce son pouvoir de mener une enquête en vertu de l'article 231.2 de la Loi et le manque de coopération par le contribuable au fil des ans justifie la tenue de cette enquête. Le défendeur admet dans son affidavit que la réclamation prouvable de l'ADRC est importante. Le paragraphe 69.3(1) a pour effet d'empêcher tout créancier d'exercer un recours indépendant contre le débiteur ou contre ses biens qui sont dévolus au syndic. Il n'a aucun effet sur le droit qu'a le ministre en vertu de l'article 231.2 de la Loi d'obtenir des renseignements supplémentaires pertinents à la dette fiscale du défendeur. Comme l'a déclaré le juge Nadon au paragraphe 28 de la décision Vancouver Trade Mart Inc. (Syndic) c. Canada (Ministre du Revenu national - M.R.N.), [1997] A.C.F. no 1467 :

Le paragraphe 231.2(1) de la Loi autorise le ministre, dans les cas qui le justifient, à obtenir communication des renseignements et documents pertinents, de manière à appliquer et à exécuter comme il convient les dispositions de la Loi de l'impôt sur le revenu. [je souligne]

[32]            Je souscris aux propos de mes deux collègues. Je crois que chacune de leur décision est bien fondée et s'appuie sur la jurisprudence citée par la procureure du ministre.

[33]            Le ministre est autorisé par l'article 231.2(1) de la loi d'émettre des demandes de production de renseignements et de documents « pour l'application et l'exécution de la présente loi » .

[34]            La Cour suprême du Canada dans l'affaire Slattery (syndic de) c. Slattery, [1993] 3 R.C.S. 430, constate qu'une action civile intentée par un syndic en faillite contre l'épouse d'un failli visant à obtenir un jugement déclarant que certains biens enregistrés au nom de celle-ci faisaient partie de l'actif du failli ou étaient détenus en fiducie pour le compte de cet actif, était une poursuite ayant trait à l'application ou à l'exécution de la loi, l'exception contenue au paragraphe 241(3) et par conséquent le témoignage de deux fonctionnaires de Revenu Canada qui avaient participé à une enquête visant les affaires du failli était autorisé dans le cadre de l'action du syndic.

[35]            Cet arrêt répond aussi à une prétention du procureur de Donald Fabi, qu'avec l'autorisation du tribunal en vertu du paragraphe 163(2) de laL.F.I., le ministre pouvait interroger Donald Fabi qui devait, si ordonné, produire des documents. À la page 454 du rapport, le juge Iacobucci estime que l'existence possible d'une autre procédure n'a pas pour effet de faire perdre au ministre le droit dont il jouit sous l'autorité d'une autre loi.


[36]            À la page 450 du rapport, le juge Iacobucci écrit que, parmi les objets de la loi, il y a la volonté de permettre une répartition efficace et équitable de l'actif du failli et celle de protéger les créanciers de personnes insolvables. Il note que le processus de faillite vise à assurer une protection adéquate aux intérêts des débiteurs, des créanciers et du public. Il note que la poursuite du syndic aura pour objet et résultat pratique d'accroître l'actif du contribuable failli ce qui fournit le rapport ou le lien avec l'exécution de la loi de l'impôt.

[37]            Je cite l'arrêt de la Cour d'appel fédérale dans Tower c. Canada (Ministre du Revenu national - M.N.R.), 2003 CAF 307, concernant encore une fois une demande de production sous le paragraphe 231.2 de la loi de l'impôt. Le juge Malone écrit ceci au paragraphe 29:

¶ 29       La portée du paragraphe 231.2(1) a été abordée dans un certain nombre de causes (voir R. c. McKinlay Transport Ltd., précitée; James Richardson & Sons, Ltd. c. Ministre du Revenu national, précitée; AGT Ltd. c. Canada (Procureur général), précitée; et R. c. Jarvis [2002] 3 R.C.S. 757, au paragraphe 51). Les principes pertinents établis par ces tribunaux affirment que l'évaluation de l'obligation fiscale d'un contribuable est un objectif lié à l'application et l'exécution de la Loi. Une demande de production est valide si les renseignements demandés peuvent se rapporter à l'évaluation de la dette fiscale du contribuable visé. C'est là un seuil peu élevé. Le paragraphe 231.2(1) accorde au ministre un pouvoir plus étendu pour obtenir des renseignements que s'il s'agissait pour lui, par exemple, de procéder à un interrogatoire préalable dans le cadre d'un appel en matière d'impôt sur le revenu.

[38]            Dans l'arrêt McKinlay Transport, précité, la Cour suprême du Canada constate que la loi de l'impôt se fondait sur le principe de l'auto-déclaration et de l'auto-cotisation. Dans un tel régime, la Cour reconnaît que le ministre doit disposer, dans la surveillance de ce régime, « de larges pouvoirs de vérification des déclarations des contribuables et d'examen de tous les documents qui peuvent être utiles pour préparer ces déclarations » .

[39]            La juge Wilson écrit ceci au sujet de l'article 231(3) de la loi de l'impôt:


¶ 35       À mon sens, le par. 231(3) prescrit la méthode la moins envahissante pour contrôler efficacement le respect de la Loi de l'impôt sur le revenu. Elle n'entraîne pas la visite du domicile ni des locaux commerciaux du contribuable, elle exige simplement [page650] la production de documents qui peuvent être utiles au dépôt des déclarations d'impôt sur le revenu. Le droit du contribuable à la protection de sa vie privée à l'égard de ces documents est relativement faible vis-à-vis le Ministre. Ce dernier est absolument incapable de savoir si certains documents sont utiles avant d'avoir eu la possibilité de les examiner. En même temps, le droit du contribuable à la protection de sa vie privée est garanti autant qu'il est possible de le faire puisque l'art. 241 de la Loi interdit la communication de ses documents et des renseignements qu'ils contiennent à d'autres personnes ou organismes.

[40]            L'arrêt R. c. Fitzgibbon, [1990] 1 R.C.S. 1005, appuie aussi les prétentions de la procureure du ministre. Dans cette cause, il s'agissait de savoir si il était nécessaire d'obtenir le consentement du tribunal de faillite conformément au paragraphe 49(1) (aujourd'hui le paragraphe 69.1(1)) de la Loi sur la faillite pour rendre légalement une ordonnance de dédommagement en vertu du Code criminel comme partie de la peine imposée à un failli non libéré. La Cour suprême du Canada conclut que l'autorisation du tribunal de faillite n'était pas nécessaire mais que les bénéficiaires de l'ordonnance de dédommagement doivent cependant obtenir le consentement de celui-ci au moment où ils veulent produire l'ordonnance en Cour supérieure pour l'appliquer ou l'exécuter. C'est le juge Cory qui a rendu les motifs de la Cour.

[41]            Selon le juge Cory une telle ordonnance n'est ni un recours, ni une procédure pour le recouvrement contre les biens du contrevenant failli au sens du paragraphe 49(1) de la Loi sur la faillite. Il écrit ceci:


¶ 23       Par contre, une ordonnance de dédommagement est une ordonnance rendue contre la personne du contrevenant qui lui impose l'obligation de verser les sommes indiquées. Ce n'est que lorsque l'ordonnance de dédommagement est produite à la Cour supérieure de la province qu'elle devient exécutoire contre la personne et les biens du contrevenant. Il existe une différence fondamentale entre l'ordonnance initiale de dédommagement, qui est une ordonnance dirigée contre la personne, par laquelle le tribunal donne acte de l'existence d'une dette reconnue, et sa production subséquente à la Cour supérieure qui peut transformer l'ordonnance dirigée contre la personne en une ordonnance exécutoire contre les biens de l'accusé.

¶ 24       Le paragraphe 49(1) de la Loi sur la faillite, empêcherait l'exécution de cette dernière. Il en est ainsi parce que l'exécution de cette ordonnance aurait pour effet d'établir les préférences que la Loi sur la faillite cherche précisément à éviter. Cependant l'ordonnance initiale de dédommagement rendue dans le cadre du prononcé de la peine est une ordonnance qui vise la personne du contrevenant et qui donne acte de l'admission des sommes dues, mais elle n'est pas exécutoire immédiatement. Jusqu'à ce que l'ordonnance soit produite à la Cour supérieure, l'ordonnance impose simplement au contrevenant l'obligation future de rembourser. Ce n'est ni un recours ni une procédure pour le recouvrement contre les biens du contrevenant failli au sens du par. 49(1). Donc, le par. 49(1) n'interdit pas de prononcer une ordonnance de dédommagement. [je souligne]   

[42]            Le juge Cory est aussi d'avis qu'un tel résultat ne porte pas atteinte à l'intégrité de la loi parce que cette ordonnance de dédommagement a comme conséquence ultime de prouver que les victimes ont une réclamation valable à titre de créanciers non garantis contre les biens du failli. Elle ne donne pas aux victimes une priorité sur les autres créanciers non garantis. Le droit de priorité ne pourrait s'appliquer que si les bénéficiaires de l'ordonnance demandaient son exécution et la saisie des biens du failli conformément aux dispositions du Code pénal. Le juge Cory conclut qu'il faudrait alors aviser le syndic de la faillite et obtenir le consentement du tribunal de faillite conformément au paragraphe 49(1) avant de pouvoir obtenir l'exécution de l'ordonnance. C'est pour cette raison qu'il conclut que l'intégrité de la Loi sur la faillite se trouve donc préservée.

[43]            Le procureur de M. Fabi plaide que les demandes de production sous l'article 231.2 de la loi de l'impôt ne jouissent d'aucune exemption sous la L.F.I. comme cette loi le prévoit dans son article 69.42 pour le ministre des Finances, le Gouverneur en conseil et le Procureur général du Canada.

[44]            Il invoque aussi deux nouvelles dispositions législatives au soutien de son argument que les demandes du ministre en l'espèce sont des mesures de recouvrement visées par l'article 69.1(1) de la L.F.I.

[45]            La première prévoyant un nouveau délai de prescription est une modification à l'article 222 de la Loi de l'impôt sur le revenu suite à l'arrêt de la Cour suprême du Canada dans Markevich c. Canada, [2003] 1 R.C.S. 94. « Action » est définie comme « toute action en recouvrement d'une dette fiscale d'un contribuable y compris les procédures judiciaires et toute mesure prise par le ministre, en vertu ... d'une disposition de la présente partie » qui est la Partie XV où s'insère l'article 231.

[46]            La deuxième modification qui nous concerne se retrouve à l'article 231.2. Tel que mentionné, cet article autorise le ministre d'émettre des demandes de production « pour l'application et l'exécution de la présente loi » . En 2000, le Parlement précise que l'application et l'exécution de la présente loi comprend « la perception d'un montant payable par une personne en vertu de la présente loi » .

[47]            À mon avis, les prétentions du procureur de M. Fabi ne peuvent être retenues. L'argument invoquant l'article 69.42 de la L.F.I. n'est valide que si cette Cour avait conclu qu'une demande en vertu de l'article 231.2 de la loi sur l'impôt était « un recours, une action ou autre procédure » au sens du paragraphe 69.1(1) de la L.F.I.

[48]            À mon avis, les prétentions du procureur de M. Fabi ne peuvent être retenues. La validité de son argumentation repose d'une constatation de cette Cour qu'une demande émise en vertu de l'article 231.2 de la loi sur l'impôt est visée par le paragraphe 69.1(1)de la L.F.I., ce qui n'est pas le cas.

[49]            D'autre part, les modifications législatives soulevées n'ont pas pour effet de transformer le pouvoir d'enquête du ministre sous l'article 231.2 en mesure de recouvrement.

CONCLUSION

[50]            À mon avis, la jurisprudence nous enseigne que les dispositions de l'article 69.1(1) de la L.I.F. ONT pour objet de suspendre toute procédure qui aurait pour effet de miner l'économie ou l'objet de celle-ci et, plus particulièrement, d'accorder un avantage à un créancier ordinaire lorsqu'une proposition concordataire est en vigueur.

[51]            J'estime que les demandes de production émises en l'espèce par le ministre sous l'article 231.2 de la loi n'ont pas cet effet et que pour cette raison les causes citées par le procureur de M. Fabi doivent être écartées.

[52]            Les demandes de production en l'espèce n'ont pas pour conséquence de faciliter concrètement la saisie d'un bien de M. Fabi ou de créer une préférence pour l'Agence. Sous cet aspect des choses, les demandes sont neutres; elles exigent simplement des renseignements ou des documents afin de permettre de constater l'existence ou non d'un bien de M. Fabi ou de son transfert. Ces demandes sont simplement des outils d'enquête à ce stade.

[53]            Advenant le cas, la collaboration du syndic et ou de la Cour supérieure du Québec seront nécessaires pour le recouvrement des biens visés par les demandes s'ils existent et si recouvrement est approprié dans le cadre de la L.F.I.

[54]            Pour tous ces motifs, cette demande de contrôle judiciaire est rejetée avec dépens.

« François Lemieux »

                                                                                                                                                                           

                                                                                                  J u g e                   

Ottawa (Ontario)

le 24 décembre 2004


                                     COUR FÉDÉRALE

                      AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

DOSSIER :                T-89-04

INTITULÉ :               DONALD FABI

                                                                                          demandeur

et

                 LE MINISTRE DU REVENU NATIONAL

                                                     

                                                                                           défendeur

LIEU DE L'AUDIENCE :                              Montréal (Québec)

DATE DE L'AUDIENCE :                            2 décembre 2004

MOTIFSDE L'ORDONNANCE : L'HONORABLE JUGE LEMIEUX

DATE DES MOTIFS :                                   le 24 décembre 2004    

COMPARUTIONS:

Me Richard GÉNÉREUX                                             Demandeur

Me Chantal COMTOIS                                                Défendeur

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER:

Me Richard GÉNÉREUX

GÉNÉREUX CÖTÉ, AVOCATS

673, rue St-Pierre

Drummondville (Québec)

J2C 3W6                                                                                        Demandeur

Morris Rosenberg

Sous-procureur général du Canada

Montréal, Québec                                                   Défendeur


 Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.