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Date : 20060207

Dossier : IMM-4733-05

Référence : 2006 CF 133

Ottawa (Ontario), le 7 février 2006

EN PRÉSENCE DE MONSIEUR LE JUGE O'REILLY

ENTRE :

SHARON MARJORIE KEITH MITCHELL

demanderesse

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L'IMMIGRATION

défendeur

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

[1]                Mme Sharon Mitchell a été victime de violence physique et verbale de son époux en Jamaïque et au Canada, après qu'elle l'eut rejoint ici. Depuis, ils se sont séparés, mais elle le craint encore.

[2]                Mme Mitchell a déposé une demande d'asile, mais celle-ci a été rejetée par un tribunal de la Commission de l'immigration et du statut de réfugié, même si cette dernière a accepté les prétentions de Mme Mitchell voulant qu'elle subisse la violence de son époux depuis longtemps. Elle affirme que la Commission a commis une erreur en concluant que le temps qu'elle avait pris avant de déposer une demande ainsi que l'existence d'une protection de l'État en Jamaïque contredisaient ses prétentions selon lesquelles elle craignait avec raison d'être persécutée en Jamaïque. Elle demande la tenue d'une nouvelle audience. Je souscris à la position de Mme Mitchell selon laquelle la Commission a commis une erreur; en conséquence, je vais accueillir sa demande de contrôle judiciaire.

I.         Questions

1.                   La Commission a-t-elle commis une erreur en concluant que le temps pris par Mme Mitchell avant de demander l'asile au Canada contredisait ses prétentions selon lesquelles elle craignait d'être persécutée en Jamaïque?

2.                   La conclusion de la Commission selon laquelle les victimes de violence conjugale ont accès à la protection de l'État en Jamaïque est-elle étayée par la preuve?

II. Analyse

[3]                Je ne peux annuler la décision de la Commission que si elle ne s'est pas fondée sur les preuves portées à sa connaissance.

A. La Commission a-t-elle commis une erreur en concluant que le temps pris par Mme Mitchell avant de demander l'asile au Canada contredisait ses prétentions selon lesquelles elle craignait d'être persécutée en Jamaïque?

[4]                Mme Mitchell est entrée au Canada en 1999. Elle y est venue pour rejoindre son époux qui, en tant que résident permanent du Canada, avait promis de la parrainer. Il était entré au Canada en 1990, grâce au parrainage de sa mère. Entre 1990 et 1999, M. Mitchell s'est rendu souvent en Jamaïque et il maltraitait son épouse pendant qu'il y était. Ils ont eu des enfants ensemble.

[5]                Mme Mitchell n'a pas demandé l'asile au Canada avant 2004. La Commission a conclu que le temps pris par Mme Mitchell avant de demander l'asile montrait que celle-ci ne craignait pas vraiment avec raison de subir encore la violence de son époux.

[6]                Mme Mitchell a expliqué à la Commission qu'elle a attendu avant de demander l'asile au Canada parce que son époux avait promis de parrainer sa demande de résidence permanente au Canada. Elle se sentait en sécurité ici. Quand elle a appelé la police après que son époux l'a agressée à Montréal, celle-ci est intervenue rapidement.

[7]                La Commission a rejeté l'explication de Mme Mitchell justifiant le temps qu'elle avait pris avant de déposer sa demande d'asile. Elle a conclu que son époux n'aurait pas pu la parrainer parce qu'il n'était pas citoyen canadien. En fait, M. Mitchell, en tant que résident permanent, pouvait la parrainer : Règlement sur l'immigration et la protection des réfugiés, DORS/2002-227, paragraphe 130(1) (voir l'annexe).

[8]                En conséquence, la Commission a omis de prendre en compte une explication valable pour le temps pris avant de déposer la demande d'asile. Sa conclusion selon laquelle la conduite de Mme Mitchell ne concordait pas avec celle d'une personne craignant avec raison d'être persécutée n'était pas étayée par la preuve.

B. La conclusion de la Commission selon laquelle les victimes de violence conjugale ont accès à la protection de l'État en Jamaïque est-elle étayée par la preuve?

[9]                Mme Mitchell a affirmé qu'elle s'était plainte à la police en Jamaïque après que son époux l'eut agressée et que celle-ci n'avait rien fait. La Commission a souligné que la façon de traiter les cas de violence conjugale s'était améliorée durant les années que Mme Mitchell avait passées au Canada et a conclu que la protection de l'État était maintenant « adéquate » . La Commission a cité un rapport qui décrit les séances de sensibilisation auxquelles avaient assisté les policiers en Jamaïque. Cependant, ce même rapport comporte une affirmation d'un représentant du gouvernement jamaïcain, une personne responsable des questions de la femme, qui reconnaît que les femmes ne peuvent être protégées de la violence conjugale en Jamaïque et que leurs demandes d'asile dans les autres pays devraient être acceptées.    

[10]            À mon avis, la Commission, dans sa façon de traiter la question de la protection de l'État, n'a pas évalué la capacité réelle de la Jamaïque à protéger les femmes se trouvant dans la situation de Mme Mitchell. Elle a simplement relevé les bonnes intentions de la Jamaïque visant à améliorer la situation en formant les policiers, mais elle n'a pas tenu compte de la réalité à laquelle doivent faire face les femmes là-bas, où la violence conjugale est la deuxième cause d'homicide. La conclusion de la Commission voulant que la protection de l'État soit adéquate n'était pas étayée par la preuve sur laquelle s'est appuyée la Commission.

[11]            En conséquence, je dois accueillir la présente demande de contrôle judiciaire et ordonner la tenue d'une nouvelle audience devant un tribunal différent. Ni l'une ni l'autre des parties n'a soulevé de question de portée générale à certifier et aucune n'est énoncée.

JUGEMENT

LA COUR ORDONNE :

  1. La demande de contrôle judiciaire est accueillie et une nouvelle audience sera tenue devant un autre tribunal;
  2. Aucune question de portée générale n'est énoncée.

« James W. O'Reilly »

Juge

Traduction certifiée conforme

Elisabeth Ross



Annexe

Règlement sur l'immigration et la protection des réfugiés, DORS/2002-227

Immigration and Refugee Protection Regulations, SOR/2002-227

Qualité de répondant

Sponsor

130. (1) Sous réserve du paragraphe (2), a qualité de répondant pour le parrainage d'un étranger qui présente une demande de visa de résident permanent au titre de la catégorie du regroupement familial ou une demande de séjour au Canada au titre de la catégorie des époux ou conjoints de fait au Canada aux termes du paragraphe 13(1) de la Loi, le citoyen canadien ou résident permanent qui, à la fois :

130. (1) Subject to subsection (2), a sponsor, for the purpose of sponsoring a foreign national who makes an application for a permanent resident visa as a member of the family class or an application to remain in Canada as a member of the spouse or common-law partner in Canada class under subsection 13(1) of the Act, must be a Canadian citizen or permanent resident who

a) est âgé d'au moins dix-huit ans;

(a) is at least 18 years of age;

b) réside au Canada;

(b) resides in Canada; and

c) a déposé une demande de parrainage pour le compte d'une personne appartenant à la catégorie du regroupement familial ou à celle des époux ou conjoints de fait au Canada conformément à l'article 10.

(c) has filed a sponsorship application in respect of a member of the family class or the spouse or common-law partner in Canada class in accordance with section 10.

[Non souligné dans l'original.]

[Empasis added.]

COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

DOSSIER :                                                     IMM-4733-05

INTITULÉ :                                                    SHARON MARJORIE KEITH MITCHELL

                                                                        c.

                                                                        LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L'IMMIGRATION

LIEU DE L'AUDIENCE :                              TORONTO (ONTARIO)

DATE DE L'AUDIENCE :                            LE 16 JANVIER 2006

MOTIFS DU JUGEMENT

ET JUGEMENT :                                           LE JUGE O'REILLY

DATE DES MOTIFS :                                   LE 7 FÉVRIER 2006

COMPARUTIONS :

                                                                        Cynthia Mancia             POUR LA DEMANDERESSE

Rhonda Marquis                                                POUR LE DÉFENDEUR

                                                                                               

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

                                                                        Mancia and Mancia     POUR LA DEMANDERESSE

Toronto (Ontario)

John H. Sims, c.r.

Toronto (Ontario)                                              POUR LE DÉFENDEUR

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