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Date : 20040603

Dossier : T-1523-01

Référence : 2004 CF 804

Ottawa (Ontario), le 3 juin 2004

EN PRÉSENCE DE MONSIEUR LE JUGE JAMES RUSSELL

ENTRE :

                                  PAUKTUUTIT, INUIT WOMEN'S ASSOCIATION

et

VERONICA DEWAR

                                                                                                                                  demanderesses

                                                                             et

                                                        SA MAJESTÉ LA REINE

                                                                                                                                      défenderesse

                                MOTIFS DE L'ORDONNANCE ET ORDONNANCE

[1]                Cette requête a été présentée par la défenderesse en appel de l'ordonnance par voie de directive (l'ordonnance) par laquelle le protonotaire Hargrave avait autorisé les demanderesses, le 31 octobre 2003, à déposer en réponse un affidavit établi par Veronica Dewar. La requête vise l'obtention des réparations suivantes :

1.          Une ordonnance annulant l'ordonnance du protonotaire Hargrave et rejetant la requête en date du 23 septembre 2003 dans laquelle les demanderesses sollicitaient l'autorisation de déposer un affidavit en réponse;


2.          Subsidiairement, une ordonnance prévoyant que tout affidavit établi en réponse par Veronica Dewar doit être déposé de nouveau dans les dix jours qui suivront la date de l'ordonnance et doit uniquement porter sur la question mentionnée dans les premier et deuxième paragraphes de l'ordonnance du protonotaire Hargrave;

3.          Au besoin, une prorogation du délai accordé pour les contre-interrogatoires portant sur tout affidavit en réponse, le délai accordé devant être de 20 jours à compter de la date de l'ordonnance;

4.          Les dépens; et

5.          Toute autre réparation que la Cour estime juste.

[2]                Les motifs de la requête sont ci-après énoncés :

1.          Le protonotaire a commis une erreur flagrante ou une erreur de droit ou de principe sur les points suivants :

a)          il a omis de tenir compte du principe voulant que la partie qui présente une requête en vue d'être autorisée à déposer une contre-preuve dans une demande de contrôle judiciaire ne soit pas autorisée à déposer un document qui aurait pu être communiqué à une date antérieure; et


b)          il a omis de tenir compte du fait que l'ordonnance cause un préjudice à la défenderesse puisqu'elle autorise les demanderesses à fractionner leur cause, ce qui mènerait à une série d'autres mesures et occasionnerait un retard et est fondamentalement incompatible avec la nature sommaire de l'instance.

2.          Le protonotaire a également commis une erreur flagrante ou une erreur de fait sur les points suivants :

a)          il a interprété d'une façon erronée l'affidavit de Veronica Dewar proposé en réponse comme visant uniquement [traduction] « à réfuter le point de vue des auteurs des affidavits de la Couronne selon lesquels Pauktuutit [...] était représentée par Mme Roda Grey [au moment pertinent] [...] » ;

b)          même si le protonotaire a interprété restrictivement (et d'une façon inexacte) l'affidavit proposé comme il en a ci-dessus été fait mention, il a accordé, dans l'ordonnance, l'autorisation de déposer un affidavit en réponse sans imposer de restrictions au sujet des questions énumérées, et il a pour ainsi dire donné carte blanche aux demanderesses lorsqu'il s'agissait de soumettre d'autres questions, comme des questions qui auraient pu être soumises avec leurs documents antérieurs;

c)          les demanderesses ont profité de l'erreur en déposant l'affidavit de Veronica Dewar en date du 5 novembre 2003.


3.          Les articles 51 et 312 des Règles de la Cour fédérale (1998);

4.          Tout autre motif soulevé par l'avocat que la Cour acceptera.

HISTORIQUE

[3]                La présente demande a été déposée avec trois autres demandes de contrôle judiciaire dans les dossiers T-1520-01, T-1521-01 et T-1522-01. Le 23 novembre 2001, la défenderesse a demandé la radiation des quatre demandes en se fondant sur divers motifs.

[4]                Les demanderesses ont également présenté une requête en date du 15 novembre 2001, dans laquelle elles demandaient des documents conformément à l'article 318 des Règles. À l'appui de cette requête, les demanderesses ont déposé un affidavit établi par Veronica Dewar le 6 novembre 2001.

[5]                Par des motifs et une ordonnance rendus le 10 février 2003, le protonotaire Hargrave a radié et rejeté les demandes T-1520-01, T-1521-01 et T-1522-01. Il a laissé la demande dans le dossier T-1523-01 aller de l'avant. Toutefois, il a fait les remarques suivantes :

Je doute véritablement du succès de la demande T-1523-01, d'autant qu'il n'existe aucun document faisant état d'une tentative directe de Pauktuutit de participer aux travaux conduisant à la fondation de l'Institut de santé pour les Autochtones.

Pauktuutit et al. c. La Reine, 2003 CFPI 139, paragraphe 31; ordonnance en date du 10 février 2003.


[6]                Le protonotaire Hargrave a rejeté la requête visant la production des dossiers conformément à l'article 318 des Règles.

[7]                La défenderesse a déposé ses affidavits le 26 mars 2003. La date limite pour les contre-interrogatoires était le 17 avril 2003. Les demanderesses n'ont pas indiqué avant la date limite qu'elles voulaient procéder à un contre-interrogatoire au sujet des affidavits.

[8]                La date limite pour le dépôt du dossier de la demande des demanderesses était le 7 mai 2003. Ce jour a passé sans communication de la part des demanderesses. Les demanderesses ont indiqué pour la première fois qu'elles voulaient procéder à des contre-interrogatoires au moyen d'une lettre en date du 21 mai 2003.

[9]                Les demanderesses ont sollicité une prorogation du délai imparti à l'égard des contre-interrogatoires afin de pouvoir déposer un affidavit en réponse; elles ont également demandé une prorogation du délai dans lequel elles pouvaient déposer leur dossier. Cette requête a été examinée sur dossier par la Cour. Par une ordonnance en date du 26 août 2003, le juge Lemieux a entre autres accordé aux demanderesses une prorogation jusqu'au 19 septembre 2003, de façon que les contre-interrogatoires puissent être menés à bonne fin.

[10]            Les témoins de la défenderesse ont été contre-interrogés le 12 septembre 2003. Les demanderesses ont ensuite déposé les trois avis de requête distincts suivants :


a)              un avis de requête en date du 19 septembre 2003 dans lequel elles demandaient à être dispensées de reproduire un affidavit devant faire partie de leur dossier;

b)              un avis de requête en date du 30 septembre 2003 dans lequel elles demandaient l'autorisation de déposer un affidavit « supplémentaire » établi par Jordana McIvor-Grismer le 29 septembre 2003; et

c)              un avis de requête en date du 23 septembre 2003 dans lequel elles demandaient l'autorisation de déposer un affidavit proposé « en réponse » établi par Veronica Dewar le 24 septembre 2003.

Avis de requête des demanderesses concernant la contre-preuve en date du 23 septembre 2003.

[11]            Les requêtes susmentionnées ont été examinées sur dossier. Le 31 octobre 2003, le protonotaire Hargrave a pris les mesures ci-après énoncées :

a)              il a accordé l'ordonnance demandée concernant la dispense de faire des copies;

b)              il a refusé l'autorisation de déposer l'affidavit de Jordana McIvor-Grismer (ordonnance par voie de directive rendue le 31 octobre 2003 au sujet de l'affidavit McIvor-Grismer);

c)              il a accordé l'autorisation de déposer en réponse l'affidavit de Veronica Dewar (ordonnance par voie de directive rendue le 31 octobre 2003 au sujet de l'affidavit Dewar).

[12]            La présente requête se rapporte à la troisième décision.

[13]            En rejetant la requête concernant le dépôt de l'affidavit de Jordana McIvor-Grismer, le protonotaire Hargrave a dit ce qui suit :

[traduction] Il est maintenant trop tard pour corriger, réviser, augmenter, demander de la façon appropriée et déposer de nouveau à l'appui de la présente demande de contrôle judiciaire un affidavit qui a initialement été soumis par les demanderesses au mois de novembre 2001 à l'appui d'une requête interlocutoire. En outre, il n'y a pas de document qui explique ou justifie le retard ou la tentative de présenter de nouveaux documents à cette date tardive.


Je retiens les arguments de la défenderesse, lorsqu'elle affirme que si l'affidavit fort long de Mme Dewar en date du mois de novembre 2001 devait maintenant être rédigé de nouveau, cela lui causerait un préjudice important injustifié.

Directive et ordonnance du protonotaire Hargrave en date du 31 octobre 2003.

[14]            Par une lettre en date du 7 novembre 2003, l'avocate des demanderesses a soumis un affidavit proposé en réponse établi par Veronica Dewar le 5 novembre 2003. Cet affidavit contenait de nombreux paragraphes qui n'étaient pas inclus dans l'affidavit établi le 24 septembre 2003 à l'appui de la requête visant la contre-preuve. De nombreuses pièces qui ne faisaient pas partie de ce dernier affidavit étaient également jointes.

[15]            Le 10 novembre 2003, la défenderesse a déposé le présent avis de requête.

[16]            Le 12 novembre 2003, l'avocat de la défenderesse a écrit à l'avocate des demanderesses, à Ottawa, en soulignant que l'affidavit proposé excédait la portée de l'ordonnance du protonotaire Hargrave; l'avocat a cependant proposé que le contre-interrogatoire ait lieu si certains paragraphes étaient enlevés de l'affidavit.

[17]            Par une lettre en date du 12 novembre 2003, l'avocate des demanderesses a fait savoir que ses clientes n'étaient pas prêtes à enlever les paragraphes en question de l'affidavit.


ARGUMENTATION

Arguments de la défenderesse

Critère applicable à l'examen

[18]            La défenderesse déclare que la Cour d'appel fédérale a énoncé comme suit le critère qui s'applique à l'examen de décisions interlocutoires rendues par les protonotaires :

[...] le juge saisi de l'appel contre l'ordonnance discrétionnaire d'un protonotaire ne doit pas intervenir sauf dans les deux cas suivants :

a)              l'ordonnance est entachée d'erreur flagrante, en ce sens que le protonotaire a exercé son pouvoir discrétionnaire en vertu d'un mauvais principe ou d'une mauvaise appréciation des faits,

b)              l'ordonnance porte sur des questions ayant une influence déterminante sur l'issue du principal.

Si l'ordonnance discrétionnaire est manifestement erronée parce que le protonotaire a commis une erreur de droit (concept qui, à mon avis, embrasse aussi la décision discrétionnaire fondée sur un mauvais principe ou sur une mauvaise appréciation des faits) ou si elle porte sur des questions ayant une influence déterminante sur l'issue du principal, le juge saisi du recours doit exercer son propre pouvoir discrétionnaire en reprenant l'affaire depuis le début.

Canada c. Aqua-Gem Investments Ltd., [1993] 2 C.F. 425 (C.A.), au paragraphe 95.

[19]            Ce critère a récemment été légèrement modifié par la Cour d'appel fédérale dans l'arrêt Merck & Co. c. Apotex, [2003] A.C.F. no 1925, au paragraphe 19 :

Le juge saisi de l'appel contre l'ordonnance discrétionnaire d'un protonotaire ne doit pas intervenir sauf dans les deux cas suivants :

a)              l'ordonnance porte sur des questions ayant une influence déterminante sur l'issue du principal,


b)              l'ordonnance est entachée d'erreur flagrante, en ce sens que le protonotaire a exercé son pouvoir discrétionnaire en vertu d'un mauvais principe ou d'une mauvaise appréciation des faits.

[20]            Étant donné que la décision rendue par le protonotaire Hargrave dans la présente requête n'avait pas une influence déterminante sur le règlement final de l'affaire, la défenderesse concède que la Cour devrait uniquement intervenir si l'ordonnance est entachée d'une erreur flagrante, en ce sens que la décision était fondée sur un mauvais principe ou sur une mauvaise appréciation des faits.

Omission de tenir compte

[21]            La défenderesse note que la Cour d'appel fédérale a fait les remarques suivantes au sujet des demandes visant l'obtention de l'autorisation de déposer des éléments supplémentaires de preuve :

Les demandes de contrôle judiciaire sont des procédures sommaires dont la décision ne devrait pas souffrir de retard injustifié. Par conséquent, le pouvoir discrétionnaire de la Cour de permettre le dépôt de documents additionnels devrait être exercé avec une grande circonspection. Ainsi, dans la décision Deigan c. Canada (Industrie), [1999] A.C.F. no 304 (prot.), conf. par [1999] A.C.F. no 645 (C.F. 1re inst.), le protonotaire Hargrave a affirmé (au par. 3) :

Les nouvelles Règles de la Cour fédérale permettent le dépôt d'un affidavit et d'un dossier supplémentaires; cependant, cela ne doit être permis que dans un nombre restreint de cas et dans des circonstances exceptionnelles : en faisant autrement, on violerait l'esprit de l'instance de contrôle judiciaire, qui a été conçue en vue d'accorder rapidement une réparation par l'entremise d'une procédure sommaire. Bien que le critère général applicable au dépôt de tels documents supplémentaires soit de savoir si le fait de déposer de tels documents sera dans l'intérêt de la justice, aidera la Cour, et ne causera pas de préjudice grave à la partie adverse, il est également important que tout affidavit ou dossier supplémentaire ne porte pas sur des documents qui auraient pu être communiqués à une date antérieure et ne retarde pas indûment l'instance.

Mazhero c. Canada 2002 CAF 295, au paragraphe 5.


[22]            La défenderesse soutient que, comme le montre clairement le passage précité, le demandeur qui sollicite l'autorisation doit indiquer, pour justifier le dépôt de la contre-preuve, pourquoi la preuve n'aurait pas pu être présentée avec les documents antérieurs. Si cela n'est pas démontré, un retard injustifiable sera occasionné et la défenderesse subira un préjudice :

L'affidavit supplémentaire soulève irrégulièrement, selon moi, des faits que les requérantes auraient pu, et auraient en fait dû déposer dans le cadre de leur preuve originale. [...]

Selon moi, permettre le dépôt de l'affidavit proposé à cette étape causerait un grave préjudice à l'intimée. Celle-ci a signifié et déposé la preuve par affidavit sur laquelle elle s'appuie. Il ne conviendrait pas de permettre aux requérantes de séparer maintenant leur preuve et d'introduire de nouveaux faits qu'elles auraient pu produire plus tôt si elles avaient fait diligence. [...]

Première nation de Couchiching c. Canada (Ministre des Affaires indiennes et du Nord canadien), [1999] A.C.F. 1795 (protonotaire), aux paragraphes 12 et 13.

[23]            Si les parties ne déposent pas la preuve disponible avant le contre-interrogatoire, une iniquité et un préjudice fondamentaux seront causés. Le juge Lemieux a fait la remarque suivante dans le contexte des restrictions qui s'appliquent au dépôt d'une preuve après le contre-interrogatoire :

Si j'ai bien compris la règle de droit applicable à cet égard devant la Cour, il est également nécessaire de prouver que les renseignements mentionnés dans l'affidavit proposé n'étaient pas disponibles avant le contre-interrogatoire; l'affidavit supplémentaire ne saurait remplacer les renseignements qui étaient disponibles avant le contre-interrogatoire. L'affidavit supplémentaire ne vise pas à corriger les réponses que l'avocat ayant dirigé le contre-interrogatoire ne souhaitait pas obtenir. De plus, les parties sont habituellement tenues de divulguer tous les renseignements dont elles disposent avant le contre-interrogatoire afin d'éviter le fractionnement de la preuve.

Salton Appliances (1985) Corp. c. Salton Inc. (2000), 4 C.P.R. (4th) 491 (CFPI), à la page 497;

Adopté dans le contexte de l'article 312 des Règles : AstraZeneca AB c. Apotex Inc., [2004] A.C.F. no 54, au paragraphe 39;


Voir également Marshall c. Canada (Solliciteur général), [2002] A.C.F. no 221, aux paragraphes 17 à 19.

[24]            La défenderesse affirme que, pour les motifs ci-dessus énoncés, un aspect fondamental du critère qui s'applique à la contre-preuve veut que la requérante démontre que la preuve proposée n'était pas antérieurement disponible.

La preuve n'aurait pas pu être soumise plus tôt

[25]            La défenderesse affirme qu'à l'appui de leur avis de requête en date du 23 septembre 2003, visant l'autorisation de déposer une contre-preuve, les demanderesses ont déposé l'affidavit de Veronica Dewar, établi le 24 septembre 2003. Le fondement invoqué à l'appui de la contre-preuve était que les auteurs des affidavits de la défenderesse se trompaient au sujet de certains détails concernant la relation existant entre la demanderesse Pauktuutit (la PIWA) et une autre organisation inuite, Inuit Tapirisat du Canada (l'ITC). L'affidavit de Mme Dewar était ainsi libellé :

[traduction]

7.              J'ai noté que ni l'un ni l'autre des déclarants n'a connaissance du fonctionnement interne du conseil d'administration d'Inuit Tapirisat du Canada et de l'organisation qui l'a remplacé, mais qu'ils croient que l'ITC représentait la PIWA lors des discussions et consultations qui ont abouti à la création de l'Institut de santé pour les Autochtones (l'ISA) [...]

8.              Je crois que l'intérêt de la justice exige que je dépose un affidavit en réponse afin de préciser pour mémoire que, pendant la période pertinente qui a précédé la création de l'ISA, la PIWA existait de plein droit, qu'elle n'était pas intégrée à l'ITC et que, même si elle faisait partie du conseil de l'ITC, ce n'était qu'à titre de membre d'office n'ayant pas le droit de vote et ayant uniquement qualité d'observateur.


Affidavit de Veronica Dewar établi le 24 septembre 2003, dossier de la requête des demanderesses à l'appui de l'avis de requête en date du 23 septembre 2003.

[26]            La défenderesse souligne que les demanderesses savaient, avant le dépôt de la présente demande, que la relation existant entre l'ITC et la PIWA était entrée en ligne de compte dans le processus qui avait abouti à la création de l'ISA (ce qui fait l'objet de la présente demande). Il ne s'agissait pas d'un nouveau facteur dont elles ont pris connaissance par suite de l'affidavit de la défenderesse ou qui les a prises par surprise. L'ITC et la PIWA travaillaient en collaboration étroite au projet de création de l'ISA. Ainsi, dans un rapport en date du mois de mars 1999 de l'ITC intitulé [traduction] « Création de l'Institut de la santé pour les Autochtones : rapport et recommandations des Inuits » , il était déclaré ce qui suit :

[traduction] Un comité directeur mixte (le CDM) composé de spécialistes des cinq organisations autochtones nationales en cause dans le processus a été constitué pour superviser les consultations qui ont abouti à la création de l'ISA. L'ITC a participé aux travaux de ce comité avec la Pauktuutit (page 2, non souligné dans l'original)

L'ITC a donné aux organisations régionales inuites et au public inuit des renseignements concernant la création de l'Institut de la santé pour les Autochtones proposé en remettant des notes d'information à son conseil d'administration, en publiant des communiqués de presse et en accordant des entrevues aux médias. Des personnes-ressources ont été désignées par les organisations suivantes pour siéger sur le comité de planification inuit de l'ISA :

[...]

- Pauktuutit (pages 2 et 3)

Affidavit de Mark Wigmore, établi le 24 mars 2003


[27]            La défenderesse soutient que l'affidavit justificatif de Veronica Dewar portant sur la requête visant le dépôt de la contre-preuve n'expliquait pas pourquoi cette question n'aurait pas pu être traitée plus tôt si l'on avait fait preuve d'une diligence raisonnable. En outre, les demanderesses ont eu la possibilité de contre-interroger les témoins sur ces questions et de vérifier l'exactitude des faits sur lesquels la défenderesse se fondait, de sorte qu'elles n'ont été victimes d'aucune iniquité et d'aucune injustice.

[28]            Toutefois, le protonotaire Hargrave ne s'est même pas demandé si les demanderesses avaient établi que cette preuve aurait pu être fournie plus tôt.

[29]            Selon la défenderesse, le protonotaire qui omet de tenir compte d'un facteur ou d'une considération se rapportant à un critère juridique applicable aux questions en litige commet une erreur de droit susceptible de révision (voir Francosteel Canada Inc. c. African Cape (L') 2003 CAF 119, aux paragraphes 21 à 23; Kirkbi AG c. Ritvik Holdings Inc., [2001] 1 C.F. 681 (1re inst.), au paragraphe 32).


[30]            La défenderesse affirme également qu'en omettant de tenir compte d'un facteur pertinent, le protonotaire Hargrave s'est trompé et a commis une erreur. S'il avait tenu compte de ce facteur, pour les motifs énoncés ci-dessus, il aurait conclu qu'il n'existait aucun fondement permettant de croire que cette preuve n'aurait pas pu être produite plus tôt. La défenderesse soutient qu'étant donné l'erreur qui a été commise, à laquelle vient s'ajouter le retard des demanderesses lorsqu'il s'est agi de proposer cette preuve, et puisque les demanderesses ont déjà eu l'occasion de procéder aux contre-interrogatoires, la Cour devrait exercer son pouvoir discrétionnaire à nouveau et conclure que l'intérêt de la justice exige que la requête visant l'autorisation de déposer une contre-preuve soit rejetée.

[31]            Le fondement invoqué par la défenderesse à l'appui de cette thèse est que, si les parties à un examen judiciaire ne sont pas tenues de s'assurer que l'affidavit qui est déposé est au départ aussi complet que possible, les procédures de contrôle judiciaire telles que celles qui nous occupent seront ralenties et retardées par suite des nombreux dépôts successifs d'éléments de preuve en réponse et en réplique. L'omission de tenir compte de cette considération crée une iniquité, encourage de mauvais procédés ou des procédés peu honnêtes et contrecarre l'important principe énoncé par la Cour d'appel fédérale dans l'arrêt Mazhero, précité, à savoir que « [l]es demandes de contrôle judiciaire sont des procédures sommaires dont la décision ne devrait pas souffrir de retard injustifié » .

[32]            La défenderesse affirme que, pour les motifs susmentionnés, la présente requête devrait être accueillie et que la requête que les demanderesses ont présentée en vue d'être autorisées à déposer une contre-preuve devrait être rejetée.

Mauvaise appréciation des faits

[33]            La défenderesse fait remarquer que, dans l'ordonnance qu'il a rendue, le protonotaire Hargrave a statué ce qui suit, aux pages 1 et 2 :


[traduction] L'affidavit, à part les nombreuses questions verbeuses non pertinentes, est présenté afin de réfuter le point de vue des auteurs des affidavits de la Couronne, à savoir que la Pauktuutit Inuit Women's Association était représentée par Mme Roda Grey, lors de l'établissement, de la création et de la mise sur pied de l'Organisation nationale de la santé autochtone, autrefois appelée Institut de santé pour les Autochtones.

Dans son affidavit, Mme Dewar affirme que les déclarants de la Couronne qui ont été contre-interrogés se trompent, car Mme Grey n'était pas, pendant la période pertinente, une employée de la Pauktuutit Inuit Women's Association, mais plutôt une employée d'Inuit Tapirisat du Canada.

[34]            En fait, la défenderesse signale que le [traduction] « projet d'affidavit en réponse » de Mme Dewar allait au-delà de la question de la relation existant entre la PIWA et l'ITC ou de la question de savoir qui Roda Grey représentait pendant le processus qui a abouti à la création de l'ISA. Les paragraphes 19 à 22 ainsi que 31 et 32 de ce projet d'affidavit portaient sur des questions de financement qui excédaient la portée des questions soumises au protonotaire Hargrave.

[35]            L'affidavit présenté par les demanderesses à l'appui de la requête visant l'autorisation était axé sur la question de la relation existant entre la PIWA et l'ITC et du rôle de Roda Grey. Il était ainsi libellé :

[traduction]

7.              J'ai noté que ni l'un ni l'autre des déclarants n'a connaissance du fonctionnement interne du conseil d'administration d'Inuit Tapirisat du Canada et de l'organisation qui l'a remplacé, mais qu'ils croient que l'ITC représentait la PIWA lors des discussions et consultations qui ont abouti à la création de l'Institut de santé pour les Autochtones (l'ISA) maintenant appelé Organisation nationale de la santé autochtone (l'ONSA).

8.              Je crois que l'intérêt de la justice exige que je dépose un affidavit en réponse afin de préciser pour mémoire que, pendant la période pertinente qui a précédé la création de l'ISA, la PIWA existait de plein droit, qu'elle n'était pas intégrée à l'ITC et que, même si elle faisait partie du conseil de l'ITC, ce n'était qu'à titre de membre d'office n'ayant pas le droit de vote et ayant uniquement qualité d'observateur.


9.              La coordinatrice de la santé pour la PIWA était Roda Grey, qui a quitté la PIWA pour aller travailler à l'ITC après que Santé Canada eut annulé le contrat qui avait été conclu avec la PIWA et transféré les fonds pour la santé inuite à l'ITC en 1999.

10.            Les déclarants de Justice Canada ont mentionné qu'ils avaient vu Roda Grey, qui représentait la PIWA, à toutes les réunions, mais Mme Grey avait commencé à travailler pour l'ITC lorsque Santé Canada avait cessé d'accorder une aide financière à la PIWA et avait remis les fonds à l'ITC.

11.            Dans les affidavits qui ont été déposés pour le compte de Justice Canada, Mark Wigmore et Pierre Belanger ont exprimé l'avis selon lequel la PIWA était une organisation dépendant de l'ITC, qui faisait partie du conseil de l'ITC, lors des consultations qui avaient abouti à la mise sur pied de l'ISA, maintenant connu sous le nom d'ONSA.

12.            Les deux déclarants de Justice Canada admettent ne pas avoir connaissance du fonctionnement interne du conseil d'administration de l'ITC ou de la relation existant entre la PIWA et le conseil de l'ITC, mais ils ont affirmé croire que l'ITC représentait la PIWA.

13.            Le 15 mai 1997, le conseil d'administration de l'ITC a modifié ses règlements administratifs en accordant à la PIWA la qualité de membre d'office du conseil n'ayant pas le droit de voter au sein du conseil d'administration de l'ITC.

14.            Lorsque je suis devenue présidente intérimaire et pendant que j'exerçais mes fonctions de présidente, poste que j'occupe encore, je n'ai jamais voté au sein du conseil d'administration de l'ITC, mais j'ai assisté à ses réunions à titre d'observatrice.

15.            Après avoir achevé le contre-interrogatoire des déclarants de Justice Canada, et puisqu'il est reconnu qu'ils n'ont pas connaissance de la relation existant entre l'ITC et la PIWA, je crois qu'il est important de déposer un affidavit en réponse.

Affidavit justificatif de Veronica Dewar établi le 24 septembre 2003, dossier de la requête des demanderesses concernant l'avis de requête en date du 23 septembre 2003.


[36]            La défenderesse déclare que la question du financement avait été traitée dans un affidavit interlocutoire que les demanderesses avaient présenté (en même temps que la requête ici en cause) aux fins d'un nouveau dépôt à l'appui de leur demande. Le protonotaire Hargrave a refusé l'autorisation de déposer cet affidavit; il a conclu [traduction] qu' « [il était] maintenant trop tard pour [...] déposer de nouveau [...] un affidavit qui a[vait] initialement été soumis par les demanderesses au mois de novembre 2001 à l'appui d'une requête interlocutoire » . Cette décision n'a pas été portée en appel. Toutefois, la défenderesse affirme que les demanderesses tentent maintenant de présenter de nouveaux éléments de preuve sur la question du financement sous la forme de l'affidavit proposé en réponse.

[37]            La position de la défenderesse est que le protonotaire Hargrave a commis une erreur dans la mesure où il n'a pas limité l'autorisation accordée aux demanderesses aux questions qu'il a décrites comme étant liées au fondement invoqué à l'appui de la contre-preuve proposée : à savoir la relation existant entre la PIWA et l'ITC et le rôle de Roda Grey (et non les questions de financement mentionnées dans l'affidavit de Jordana McIvor-Grismer à l'égard desquelles le protonotaire a refusé d'accorder l'autorisation).

[38]            La défenderesse affirme que, pour les motifs susmentionnés, la Cour devrait conclure que l'ordonnance aurait dû comporter pareilles restrictions et que les paragraphes 17 et 18 ainsi que 28 et 29 de l'affidavit proposé en réponse devraient être radiés.

[39]            Subsidiairement, la défenderesse dit que certaines parties de l'affidavit proposé en réponse excèdent la portée de l'ordonnance du protonotaire Hargrave et qu'elles devraient être radiées.


[40]            La défenderesse déclare que même si, en général, les requêtes visant la radiation d'une preuve par affidavit dans les demandes de contrôle judiciaire devraient être présentées lorsque l'audience principale a lieu, il en va autrement lorsque l'affidavit proposé excède la portée d'une ordonnance existante de la Cour. La Cour a statué comme suit sur ce point :

Lorsqu'une preuve par affidavit est produite conformément aux conditions d'une ordonnance [...] un affidavit qui ne respecte pas les conditions de l'ordonnance peut être radié du dossier, sauf s'il existe des circonstances exceptionnelles qui justifient une autre solution. En l'espèce, la preuve n'établit aucune circonstance de ce genre.

AB Hassle c. Canada (Ministre de la Santé nationale et du Bien-être social), [2000] A.C.F. no 578 (1re inst.)

[41]            La défenderesse dit que, si la Cour conclut à l'absence d'erreur susceptible de révision de la part du protonotaire Hargrave, l'affidavit proposé en réponse de Veronica Dewar excède la portée de l'ordonnance du 31 octobre 2003 sur les points suivants :

[traduction]

a)              il contient des paragraphes qui ne figurent pas dans l'affidavit proposé déposé à l'appui de la requête que les demanderesses ont présentée en vue de déposer une contre-preuve;

b)              il est accompagné de pièces qui n'étaient pas incluses; et

c)              il porte sur des questions non visées par l'esprit de l'ordonnance.

[42]            À l'appui de l'avis de requête visant l'autorisation de déposer une contre-preuve, les demanderesses ont déposé un [traduction] « affidavit justificatif de Veronica Dewar » et un [traduction] « projet d'affidavit en réponse de Veronica Dewar » , tous deux établis le 24 septembre 2003. Ni l'un ni l'autre affidavit n'était accompagné de pièces.


[43]            À la suite de la réception de l'ordonnance par laquelle le protonotaire Hargrave accordait l'autorisation, les demanderesses ont envoyé à la défenderesse l'affidavit proposé en réponse. Cet affidavit excédait de beaucoup la portée de ce que le protonotaire Hargrave appelait [traduction] l' « affidavit prévu » . Une copie annotée de cet affidavit a été retournée à l'avocate des demanderesses, indiquant les passages de l'affidavit proposé qui, de l'avis de la défenderesse, excédaient la portée de l'ordonnance.

[44]            Les paragraphes 11, 12, 13, 14, 15, 16, 26, 34, 35, 36, 40 et 41 de l'affidavit proposé étaient nouveaux. Ces paragraphes portent sur des faits et des détails dont il n'est pas question dans [traduction] l' « affidavit prévu » et il y est fait mention de cinq nouvelles pièces.

[45]            La défenderesse affirme que les paragraphes susmentionnés excèdent clairement la portée de l'ordonnance du protonotaire Hargrave et qu'ils devraient être radiés.

Questions de financement

[46]            Dans son ordonnance, le protonotaire Hargrave a dit ce qui suit :

[traduction] L'affidavit, à part les nombreuses questions verbeuses non pertinentes, est présenté afin de réfuter le point de vue des auteurs des affidavits de la Couronne, à savoir que la Pauktuutit Inuit Women's Association était représentée par Mme Roda Grey, lors de l'établissement, de la création et de la mise sur pied de l'Organisation nationale de la santé autochtone, autrefois appelée Institut de santé pour les Autochtones.


Dans son affidavit, Mme Dewar affirme que les déclarants de la Couronne qui ont été contre-interrogés se trompent, car Mme Grey n'était pas, pendant la période pertinente, une employée de la Pauktuutit Inuit Women's Association, mais plutôt une employée d'Inuit Tapirisat du Canada.

[47]            La défenderesse affirme que l'ordonnance du protonotaire, si elle est interprétée correctement, devait uniquement porter sur les questions mentionnées dans le passage précité, qui résume passablement bien la portée alléguée de la contre-preuve proposée. Le protonotaire Hargrave ne peut pas avoir voulu que l'ordonnance permette la présentation d'une contre-preuve sur des questions à l'égard desquelles aucune justification n'avait été donnée, ou sur des questions mentionnées dans l'affidavit proposé de Jordana McIvor-Grismer, à l'égard desquelles l'autorisation avait été refusée.

[48]            Les passages suivants de l'affidavit proposé des demanderesses portent sur ces questions :

a)              les paragraphes 17 et 18 relatifs au financement de la Pauktuutit et de l'ITC; et

b)              les paragraphes 28 et 29 portant sur le financement et le rôle des autres groupes autochtones : l'AFN, le MNC, le CPA, l'ITC et le NWAC.

Affidavit de Veronica Dewar établi le 5 novembre 2003; affidavit de Linda Ott, établi le 17 février 2004, pièce A.

[49]            La défenderesse affirme que, pour les motifs susmentionnés, ces paragraphes devraient être radiés de l'affidavit en réponse de Veronica Dewar en date du 5 novembre 2003.


Arguments des demanderesses

[50]            Les demanderesses déclarent que la jurisprudence est claire : lorsqu'une décision du protonotaire est examinée à nouveau, le juge devrait se fonder sur les éléments dont disposait le protonotaire plutôt que sur de nouveaux éléments. (Dawe c. Canada, [2002] A.C.F. no 629, juge O'Keefe, au paragraphe 17 (1re inst.)).

[51]            Aucun nouvel élément de preuve ne peut être soumis dans le cadre d'un appel d'une ordonnance rendue par le protonotaire (Educational Testing Service c. Maple Leaf International Consulting Inc., [2004] A.C.F. no 159, juge Mosley, au paragraphe 18 (1re inst.)).

[52]            Les demanderesses signalent également qu'un appel d'une ordonnance rendue par le protonotaire peut être jugé sur dossier sur la base d'observations écrites (Educational Testing Service c. Maple Leaf lnternational Consulting Ltd., [2001] A.C.F. no 1590, juge Gibson, aux paragraphes 5, 6, 7 (1re inst.)).

La norme de contrôle


[53]            Les demanderesses sont d'avis que le protonotaire Hargrave n'examinait pas une question ayant une influence déterminante sur l'issue du principal et qu'il n'est donc pas nécessaire de tenir une audience à l'égard de la présente requête. Les observations écrites de la défenderesse sont claires; au paragraphe 19, il est dit que [traduction] « la décision du protonotaire en l'espèce n'avait pas une influence déterminante aux fins du règlement final de l'affaire » (Canada c. Aqua-Gem Investments Ltd., [1993] 2 C.F. 425 (C.A.), juge McGuigan, cité au paragraphe 11 de la décision Educational Testing Service c. Maple Leaf International Consulting Ltd., [2001] A.C.F. no 1590 (1re inst.)).

[54]            Les demanderesses signalent que la Cour d'appel fédérale a récemment examiné la norme de contrôle à appliquer dans le cadre d'un appel d'une décision rendue par le protonotaire dans l'arrêt Merck & Co. c. Apotex Inc., [2003] A.C.F. no 1925, au paragraphe 19.

[55]            L'arrêt Merck, précité, montre clairement que, s'il est conclu que la question n'a pas une influence déterminante sur l'issue du principal, la norme de contrôle qu'il faut appliquer est de savoir si l'ordonnance est « entachée d'une erreur flagrante » , en ce sens qu'elle est fondée sur un mauvais principe juridique ou sur une mauvaise appréciation des faits.

[56]            À moins que la partie qui demande l'annulation de l'ordonnance n'établisse l'existence d'une erreur de droit, la cour ne doit pas exercer son pouvoir discrétionnaire à nouveau. Comme le juge Wetson l'a fait remarquer dans la décision Hayden Manufacturing Co. c. Canplas Industries Ltd., [1998] A.C.F. no 1842, au paragraphe 8 :

Je conviens que la pertinence est le critère à appliquer, mais je ne crois pas que l'ordonnance soit discrétionnaire au sens où la Cour doit se demander si le protonotaire a commis une erreur de droit qui l'a empêché d'exercer son pouvoir discrétionnaire en bonne et due forme. [...] En d'autres termes, même dans le cas où j'aurais rendu une ordonnance différente, à moins que le protonotaire adjoint n'ait commis d'erreur de la façon décrite ci-dessus, la Cour en l'espèce ne devrait pas intervenir. [...]


[57]            Les demanderesses signalent également qu'il est bien établi que la Cour n'interviendra pas lorsque le protonotaire a rendu une ordonnance interlocutoire dans l'exercice de son pouvoir discrétionnaire, à moins qu'il ne soit démontré à sa satisfaction que le protonotaire a commis une erreur dans l'application des actes de procédure, ou qu'il a commis une erreur de droit en appliquant mal un principe de droit ou en appliquant un principe erroné. S'il n'est pas satisfait à cette norme, la Cour ne peut pas accueillir l'appel, bien qu'elle eût statué autrement si elle avait initialement entendu l'affaire (Visx Inc. c. Nidek Co., [1996] A.C.F. no 1721, juge en chef Isaac, juge McDonald et juge suppléant Henry (C.A.F.), au paragraphe 10).

[58]            La Cour d'appel fédérale a statué qu'il n'est pas nécessaire ou souhaitable de statuer sur les appels (tels que celui que la défenderesse a interjeté) en se fondant sur le bien-fondé des prétentions soumises au juge des requêtes et encore une fois devant la Cour d'appel :

À mon avis, s'agissant, comme en l'espèce, d'un appel d'une ordonnance discrétionnaire rendue par le juge des requêtes dans une affaire interlocutoire, une décision vraiment compatible avec l'utilisation optimale des ressources judiciaires et la gestion optimale du temps des juges devrait être axée non pas sur le bien-fondé des arguments soumis au juge des requêtes, mais sur la question de savoir si le juge des requêtes a exercé son pouvoir judiciairement pour rendre l'ordonnance. Autrement dit, en appel, les avocats ne devraient débattre la question du bien-fondé des prétentions que dans la mesure nécessaire pour prouver que le juge des requêtes n'a pas exercé son pouvoir judiciairement.

Visx Inc., précité, au paragraphe 9


[59]            Les demanderesses sont d'avis que la défenderesse a déposé une documentation volumineuse qui n'avait pas été déposée devant le protonotaire Hargrave lorsqu'il avait statué sur la requête qu'elles avaient présentée en vue d'être autorisées à déposer un affidavit en réponse. Dans le cadre de l'audition de cette requête, la défenderesse a déposé des observations écrites composées de dix paragraphes et a joint deux décisions. À coup sûr, les documents que la défenderesse a déposés dans cet appel, même s'ils sont tirés du dossier de la Cour, ne sont pas limités aux documents relatifs à la requête dont disposait le protonotaire Hargrave lorsqu'il a rendu l'ordonnance.

[60]            Dans l'ordonnance, le protonotaire Hargrave a autorisé la défenderesse à procéder à un contre-interrogatoire au sujet de tout affidavit devant être déposé en réponse par les demanderesses dans un délai de 20 jours, et a autorisé la défenderesse à déposer son propre affidavit en réponse, de sorte qu'il a dûment tenu compte de la défenderesse.

[61]            Les demanderesses affirment que l'ordonnance les autorisant à déposer un affidavit en réponse ne devait donc pas être annulée (Visx Inc., précité, au paragraphe 17).

[62]            Le dossier de la requête de la défenderesse et les observations écrites de la défenderesse contiennent des arguments à l'encontre du dépôt de l'affidavit en réponse qui ne figurent pas dans les observations qu'elle avait soumises au protonotaire Hargrave lorsqu'il avait examiné la requête visant l'autorisation de déposer un affidavit en réponse. Les nouveaux arguments juridiques ne devraient donc pas être pris en considération dans le cadre de l'appel de l'ordonnance rendue à l'égard de la présente requête (Dawe, précité, au paragraphe 17).


Dépôt d'affidavits en réponse

[63]            Les demanderesses ont demandé l'autorisation de déposer un affidavit en réponse parce que l'affidavit du mois de novembre 2001 qu'elles avaient déposé ne se trouvait pas dans le dossier du greffe et qu'il n'était pas disponible pour être inclus dans leur dossier. Ces renseignements ont été fournis à l'avocate des demanderesses par le greffe de la Cour à Vancouver avant le dépôt de la requête visant l'autorisation de déposer un affidavit en réponse, et avant le dépôt de la requête visant l'autorisation de déposer un dossier supplémentaire avec l'affidavit de Jordana McIvor-Grismer.

[64]            En ce qui concerne le dossier de la requête de la défenderesse contenant l'affidavit du mois de novembre 2001 de Veronica Dewar, une demande de renseignements auprès du greffe de la Cour fédérale à Vancouver a confirmé que, de fait, l'affidavit avait été demandé et déposé mais qu'il ne figurait pas dans le dossier T-1523-01. Il était plutôt dans le dossier T-1520-01, affaire concernant la même demanderesse qui avait été rejetée pour le motif qu'elle n'avait plus qu'un intérêt théorique.


[65]            Lorsque la défenderesse a présenté une requête en vue de faire déclarer sans intérêt pratique quatre affaires concernant les demanderesses (dossiers T-1520-01, T-1521-01, T-1522-01 et T-1523-01), elle a insisté pour qu'il soit fait mention des quatre dossiers dans l'intitulé, pour examen. Une ordonnance a été rendue pour que les documents soient versés dans les quatre dossiers, étant donné que chacun se rapportait à une affaire distincte. Toutefois, le greffe n'a pas déposé l'affidavit de Veronica Dewar du mois de novembre 2001 dans le dossier T-1523-01, soit la seule affaire qui n'avait pas été déclarée dénuée d'intérêt pratique.

[66]            Les documents accompagnant l'affidavit de Veronica Dewar en date du mois de novembre 2001 sont cruciaux pour ce qui est de la question principale qui se pose (Ling Chi Medicine Co. (H.K.) Ltd. c. Persaud, [1996] A.C.F. no 1138, juge Dubé, au paragraphe 2 (1re inst.)).

[67]            Au lieu de présenter une quatrième requête pour que l'affidavit du mois de novembre 2001 soit enlevé du dossier T-1520-01 et placé dans le dossier T-1523-01, certains éléments de preuve minimaux ont été incorporés dans l'affidavit en réponse parce qu'ils ont une importance cruciale pour ce qui est de la question principale qui se pose en l'espèce.

[68]            Les demanderesses déclarent que la Cour a autorisé le dépôt d'un affidavit supplémentaire portant sur des éléments qui étaient disponibles à une date antérieure afin de corriger une erreur (Larson Radok c. Canada (Ministre du Revenu national - M.R.N.), [2000] A.C.F. no 587, protonotaire Hargrave, au paragraphe 7 (1re inst.)).


[69]            Le seul autre document qui accompagnait l'affidavit en réponse avec cinq nouvelles pièces auxquelles la défenderesse s'oppose maintenant était un document qui se trouvait dans les dossiers de la demanderesse ayant une importance cruciale en l'espèce. La directrice exécutive de la PIWA, qui est chargée d'aider dans la présente affaire, a quitté son emploi et elle travaille maintenant pour l'ISA. Les documents qui se trouvaient au siège de la PIWA après le départ de la directrice exécutive n'ont jamais été mis à la disposition de l'avocate des demanderesses tant que la requête visant l'autorisation de déposer un affidavit en réponse n'a pas été présentée.

[70]            Les demanderesses ont de fait déposé un projet d'affidavit en réponse, avec la requête dans laquelle elles demandaient à la Cour de les autoriser à déposer l'affidavit en question. La Cour peut accorder l'autorisation de déposer un affidavit en réponse sans d'abord examiner le contenu de cet affidavit. Comme la juge Reed l'a indiqué dans la décision Walker, précitée, au paragraphe 4 :

[...] Je ne suis pas convaincue que la Cour doive d'abord voir l'affidavit pour être en mesure de déterminer que l'autorisation devrait être accordée conformément aux principes exposés dans Eli Lilly.

[71]            Les demanderesses affirment que, lorsque le protonotaire accorde l'autorisation de déposer un affidavit en réponse, l'autre partie devrait avoir la possibilité de procéder à un contre-interrogatoire à ce sujet et une prorogation de délai devrait être accordée à cette fin. En l'espèce, le protonotaire Hargrave a de fait donné à l'autre partie la possibilité de procéder à un contre-interrogatoire au sujet de l'affidavit en réponse et il a prorogé le délai applicable.


[72]            Les demanderesses affirment que c'est à l'audience qu'il convient de s'opposer au contenu d'un affidavit en réponse (après avoir obtenu l'autorisation de procéder à un contre-interrogatoire, s'être vu accorder le délai supplémentaire nécessaire et avoir eu la possibilité de déposer son propre affidavit en réponse), le juge pouvant alors accepter les documents ou ne pas en tenir compte (Walker, précité, au paragraphe 5).

[73]            La considération la plus importante lorsqu'un tribunal judiciaire détermine si un affidavit peut être déposé en réponse vise à assurer que justice soit faite. La Cour peut accorder l'autorisation de déposer un affidavit supplémentaire, à condition que la partie concernée sollicite l'autorisation de le faire (comme les demanderesses l'ont fait) et qu'elle satisfasse aux trois critères énoncés dans la décision Côté, précitée, à la page 3 :

1)              l'information comprise dans l'affidavit était-elle disponible avant l'interrogatoire en question?

2)              les faits établis par l'affidavit supplémentaire sont-ils pertinents au litige?

3)              le dépôt de l'affidavit supplémentaire peut-il causer un préjudice grave aux autres parties?

Côté c. Canada, [1996] A.C.F. no 1670, juge Dubé, au paragraphe 9.

[74]            Le protonotaire n'a pas commis d'erreur de droit en omettant de se demander si, en l'espèce, la contre-preuve pouvait être communiquée plus tôt; en effet, il connaissait toute l'affaire puisqu'il avait été responsable de la gestion de l'instance depuis le début de l'année 2001. Le protonotaire s'est bien demandé si le dépôt de l'affidavit en réponse par la demanderesse servait l'intérêt de la justice. (Société canadienne des postes c. Canada (Ministre des Travaux publics et des Services gouvernementaux), [2002] A.C.F. no 1822, juge Noël, au paragraphe 19 (1re inst.)).


[75]            Les demanderesses affirment que le protonotaire Hargrave a de fait tenu compte des facteurs énoncés dans la décision Eli Lilly & Co. c. Apotex Inc. (1997), 76 C.P.R. (3d) 15, (aux pages 20 et 21) [ordonnance modifiée (1997), 77 C.P.R (3d) 154 (1re inst.)] et qu'il a appliqué le critère approprié en déterminant s'il devait les autoriser à déposer un affidavit en réponse. Le critère énoncé dans la décision Eli Lilly est le suivant :

a.              Cette mesure servirait-elle les intérêts de la justice?

b.             Cette mesure aiderait-elle la Cour à rendre une décision définitive?

c.             Cette mesure causerait-elle un préjudice important ou grave à l'intimé [aux autres parties]?

[76]            Le protonotaire Hargrave a ensuite exercé son pouvoir discrétionnaire afin de permettre le dépôt d'un affidavit en réponse par les demanderesses, en tenant compte du critère approprié selon les documents soumis par la défenderesse et par les demanderesses et il a statué que l'intérêt de la justice exigeait que l'autorisation de déposer l'affidavit soit accordée.

[77]            Dans la décision Abbott Laboratories Ltd c. Apotex Inc., [1997] A.C.F. no 1659, le juge Rouleau a fait les remarques suivantes au paragraphe 11 :

La Cour a le pouvoir discrétionnaire de permettre le dépôt d'affidavits en réponse lorsque cela n'entraîne pas de délai déraisonnable, sert l'intérêt de la justice et aide la Cour à rendre un jugement définitif. Je suis en outre convaincu que le rejet de la présente requête aurait causé un préjudice sérieux à la requérante.


Limitation de l'objet de l'affidavit déposé en réponse

[78]            La défenderesse demande à la Cour de modifier l'ordonnance du protonotaire Hargrave et de la remplacer par sa propre ordonnance. Les demanderesses affirment qu'étant donné que la défenderesse a obtenu l'autorisation de procéder à un contre-interrogatoire au sujet de l'affidavit déposé en réponse, qu'elle a obtenu une prorogation de délai de 20 jours afin de mener le contre-interrogatoire à bonne fin et qu'elle a été autorisée à déposer son propre affidavit en réponse, le protonotaire Hargrave a exercé son pouvoir discrétionnaire d'une façon qui était équitable pour les deux parties. À moins que la défenderesse n'établisse qu'une erreur de droit a été commise, la Cour ne peut pas exercer son pouvoir discrétionnaire à nouveau (Hayden Manufacturing Co., précité, au paragraphe 8).

[79]            La défenderesse soutient que le protonotaire Hargrave a commis une erreur en ne limitant pas les questions qui pouvaient être mentionnées dans l'affidavit déposé en réponse par la demanderesse, mais ne dit pas qu'il s'agit d'une erreur de droit.

[80]            La demanderesse soutient que le paragraphe 35 des observations écrites de la défenderesse devrait être radié parce qu'il ne faisait pas partie de la requête qui a abouti au prononcé de l'ordonnance.


[81]            Les demanderesses affirment également que tous les documents, y compris ceux qui sont joints à cause du paragraphe 35 des observations écrites de la défenderesse, devraient être radiés parce qu'ils sont étrangers à l'ordonnance visée par l'appel.

[82]            Selon les demanderesses, si les parties adverses sont autorisées à dicter le contenu des affidavits déposés en réponse, il se peut qu'il y ait déni de justice parce que la preuve préjudiciable ne sera pas soumise à la Cour.

[83]            Les demanderesses ont de fait soumis un projet d'affidavit en réponse et le protonotaire n'a pas restreint le contenu de l'affidavit lorsqu'il a accordé l'autorisation de déposer cet affidavit. Il a tenu compte du critère énoncé dans la décision Eli Lilly et il a accordé l'autorisation, de façon que justice soit faite.

Preuve déposée antérieurement

[84]            La défenderesse soutient que le protonotaire Hargrave ne s'est pas demandé si la contre-preuve pouvait être communiquée plus tôt. Toutefois, il n'est pas fait mention de cette question dans l'ordonnance. Les demanderesses affirment que la Cour ne peut donc pas savoir ce à quoi songeait le protonotaire Hargrave lorsqu'il a rendu l'ordonnance. En sa qualité de personne responsable de la gestion de l'instance, le protonotaire connaissait tout le dossier. Il a conclu qu'il était dans l'intérêt de la justice d'autoriser la demanderesse à déposer l'affidavit en réponse.


[85]            Il est vrai que certains éléments de preuve, dans l'affidavit déposé en réponse, avaient été soumis avec l'affidavit du mois de novembre 2001 de Veronica Dewar et que cet affidavit avait été versé dans le mauvais dossier, le dossier T-1520-01, où il était demeuré. L'affidavit déposé en réponse corrige l'erreur commise par le greffe.

La contre-preuve n'aurait pas pu être soumise plus tôt

[86]            Les demanderesses affirment qu'elles ne pouvaient pas prévoir ce que la défenderesse déposerait. La contestation relative à l'affidavit en réponse de la défenderesse vise clairement à assurer que tout élément de preuve préjudiciable concernant la conduite et la politique de la défenderesse ne fasse pas partie du dossier aux fins d'un examen par le juge qui entend l'affaire.

[87]            Dans l'arrêt Visx Inc., précité, au paragraphe 9, la Cour a statué que « les avocats ne devraient débattre la question du bien-fondé des prétentions que dans la mesure nécessaire pour prouver que le juge des requêtes n'a pas exercé son pouvoir judiciairement » . La défenderesse demande à la Cour de modifier ou de rejeter l'ordonnance du protonotaire concernant le dépôt par la demanderesse d'un affidavit en réponse et elle a donc fourni une grande quantité d'éléments et de documents étrangers qu'elle n'avait pas soumis dans la requête qu'elle avait présentée au protonotaire.


Les dépens

[88]            Les demanderesses affirment que la présente requête aurait pu être examinée sur la base de prétentions écrites en vertu de l'article 369 des Règles plutôt qu'au moyen d'une audience. Les avocats sont à Ottawa et à Merritt (Colombie-Britannique) et l'audience a eu lieu à Vancouver (Colombie-Britannique). Les demanderesses croient qu'elles devraient se voir adjuger les dépens sur cette base.

ANALYSE

[89]            J'ai examiné les diverses questions et prétentions soumises par les deux parties dans le présent litige. Toutefois, en fin de compte, je crois que la Cour ne devrait s'arrêter qu'aux questions qui se rapportent à l'appel de l'ordonnance.

[90]            Les deux parties s'entendent pour dire que lorsqu'elle est saisie d'un appel de la décision du protonotaire, la cour devrait appliquer la jurisprudence mentionnée dans l'arrêt Canada c. Aqua-Gem Investments Ltd., [1993] 2 C.F. 425 (C.A.) ainsi que la jurisprudence mentionnée dans la décision plus récente que la Cour d'appel fédérale a rendue dans l'affaire Merck & Co. c. Apotex Inc., [2003] A.C.F. no 1925.


[91]            Les deux parties s'entendent également pour dire que, pour les besoins de la présente requête, nous n'examinons pas une question qui a « une influence déterminante sur l'issue du principal » . On demande donc à la Cour de déterminer si l'ordonnance par laquelle le protonotaire Hargrave a autorisé les demanderesses, le 31 octobre 2003, à signifier et à déposer un affidavit en réponse établi par Mme Veronica Dewar est entachée d'une erreur flagrante en ce sens qu'elle est fondée sur un mauvais principe ou sur une mauvaise appréciation des faits.

[92]            L'affidavit en réponse ici en cause a été soumis dans un but précis : en vue de réfuter la preuve que la défenderesse a fournie lors du contre-interrogatoire pour ce qui est du rôle de Mme Roda Grey dans l'établissement, la création et la mise sur pied de l'Organisation nationale de la santé autochtone (autrefois Institut de santé pour les Autochtones).

[93]            La défenderesse avance divers motifs afin d'expliquer pourquoi le protonotaire Hargrave a clairement eu tort d'autoriser le dépôt de l'affidavit en réponse établi par Mme Dewar. Elle affirme que le protonotaire Hargrave ne s'est pas demandé si la contre-preuve pouvait être communiquée plus tôt et qu'il a en outre mal apprécié les faits parce que l'ordonnance peut être interprétée de façon à permettre une contre-preuve sur d'autres points que la relation existant entre la Pauktuutit Inuit Women's Association (la PIWA) et Inuit Tapirisat du Canada (l'ITC).

[94]            Comme le souligne la défenderesse, lorsque le pouvoir discrétionnaire est exercé en vue de permettre le dépôt d'un affidavit supplémentaire en vertu des Règles de la Cour fédérale (1998), l'affidavit supplémentaire ne remplace pas la communication de renseignements qui étaient disponibles avant le contre-interrogatoire. La partie doit avancer sa meilleure preuve dès qu'il lui est possible de le faire.


[95]            La décision qui fait autorité sur ce point a été rendue par le protonotaire Hargrave lui-même, dont les remarques ont été citées et approuvées par la Cour d'appel fédérale dans l'arrêt Mazhero c. Canada (Conseil des relations industrielles) 2002 CAF 295, au paragraphe 5 :

[5] Les demandes de contrôle judiciaire sont des procédures sommaires dont la décision ne devrait pas souffrir de retard injustifié. Par conséquent, le pouvoir discrétionnaire de la Cour de permettre le dépôt de documents additionnels devrait être exercé avec une grande circonspection. Ainsi, dans la décision Deigan c. Canada (Industrie), [1999] A.C.F. no 304 (prot.), conf. par [1999] A.C.F. no 645 (C.F. 1re inst.), le protonotaire Hargrave a affirmé (au par. 3) :

Les nouvelles Règles de la Cour fédérale permettent le dépôt d'un affidavit et d'un dossier supplémentaires; cependant, cela ne doit être permis que dans un nombre restreint de cas et dans des circonstances exceptionnelles : en faisant autrement, on violerait l'esprit de l'instance de contrôle judiciaire, qui a été conçue en vue d'accorder rapidement une réparation par l'entremise d'une procédure sommaire. Bien que le critère général applicable au dépôt de tels documents supplémentaires soit de savoir si le fait de déposer de tels documents sera dans l'intérêt de la justice, aidera la Cour, et ne causera pas de préjudice grave à la partie adverse, il est également important que tout affidavit ou dossier supplémentaire ne porte pas sur des documents qui auraient pu être communiqués à une date antérieure et ne retarde pas indûment l'instance.

[96]            Mon examen des éléments mis à la disposition du protonotaire Hargrave en l'espèce donne à entendre qu'il ne disposait d'aucun renseignement expliquant pourquoi les éléments en question ne pouvaient pas être communiqués plus tôt et le protonotaire n'a pas traité de cette question dans son ordonnance.

[97]            De plus, comme l'a souligné le protonotaire Lafrenière dans la décision Première nation de Couchiching c. Canada (Ministre des Affaires indiennes et du Nord canadien), [1999] A.C.F. no 1795, au paragraphe 12, un affidavit complémentaire ne devrait pas soulever des faits qui auraient pu être avancés dans le cadre de la preuve initialement soumise par la demanderesse. En l'espèce, les faits et points soulevés au sujet de la question de la relation ne pouvaient pas prendre les demanderesses par surprise.


[98]            Le protonotaire Hargrave ne traite pas de ce point important dans sa décision et ne semble pas avoir suivi sa propre liste de contrôle dans ce cas-ci. À mon avis, il a commis une erreur flagrante en omettant de le faire.

[99]            Cette question est déterminante dans l'appel dont je suis saisi. L'affidavit supplémentaire ne fournit aucune explication et aucune preuve de la raison pour laquelle les renseignements n'auraient pas pu être fournis ou examinés avec la preuve initialement soumise par les demanderesses. Si l'on permettait le dépôt de cet affidavit à la suite du contre-interrogatoire, la défenderesse subirait un préjudice sérieux. Comme le juge Lemieux l'a signalé dans la décision Salton Appliances (1985) Corp. c. Salton Inc. (2000), 4 C.P.R. (4th) 491 (C.F. 1re inst.), au paragraphe 18, un « affidavit supplémentaire ne vise pas à corriger les réponses que l'avocat ayant dirigé le contre-interrogatoire ne souhaitait pas obtenir. De plus, les parties sont habituellement tenues de divulguer tous les renseignements dont elles disposent avant le contre-interrogatoire afin d'éviter le fractionnement de la preuve » . Il n'existe en l'espèce aucun élément de preuve convaincant montrant que les demanderesses ne disposaient pas antérieurement des éléments et faits en question. Les demanderesses essaient simplement d'ajouter des éléments au dossier à la suite du contre-interrogatoire dans lequel elles n'ont pas obtenu les réponses souhaitées. La question de la relation qui, selon les demanderesses, a une importance cruciale dans leur cause était cruciale lorsque la demande a été présentée et les demanderesses connaissaient à ce moment-là tous les faits qu'elles pouvaient soumettre à la Cour.


[100]        Même si je me trompe sur ce point, la défenderesse n'a tout de même pas réussi à me convaincre que le protonotaire Hargrave a mal apprécié les faits portés à sa connaissance. Dans sa décision, le protonotaire dit que [traduction] l' « affidavit prévu » réfute les éléments présentés par la défenderesse au sujet du rôle et des fonctions de Mme Roda Grey. La défenderesse affirme que l'affidavit prévu traite également des questions de financement. Cependant, ma lecture du document donne à entendre que les questions du financement et du rôle de Mme Grey sont liées l'une à l'autre d'une façon inextricable. Je ne suis donc pas convaincu que le protonotaire Hargrave ait commis une erreur flagrante en ce qui concerne les faits dont il a tenu compte.

[101]        Toutefois, je suis d'accord avec la défenderesse lorsqu'elle dit que l'affidavit soumis par les demanderesses va beaucoup plus loin que l'affidavit que le protonotaire Hargrave a autorisé. Si je m'étais prononcé à l'encontre de la défenderesse au sujet de l' « erreur flagrante » commise dans le cadre de la présente requête, l'affidavit soumis devrait être radié, dans la mesure où il n'est pas conforme à [traduction] l' « affidavit prévu » qui a été soumis au protonotaire Hargrave. Je ne puis souscrire à l'assertion des demanderesses, à savoir que l'ordonnance rendue par le protonotaire Hargrave était non limitative et que les demanderesses étaient autorisées à déposer un affidavit qui contenait des renseignements additionnels. L'ordonnance était clairement fondée sur [traduction] l' « affidavit prévu » contenu dans le dossier de la requête et l'ordonnance par voie de directive a été accordée sur cette base.


ORDONNANCE

LA COUR ORDONNE :

1.          L'ordonnance et la directive du protonotaire Hargrave en date du 31 octobre 2003 sont annulées et la requête du 23 septembre 2003 dans laquelle les demanderesses sollicitent l'autorisation de déposer un affidavit en réponse est rejetée;

2.          La défenderesse aura droit aux frais de la présente requête.

   « James Russell »

                                                                             Juge                           

Traduction certifiée conforme

Suzanne M. Gauthier, trad. a., LL.L.


                         COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

DOSSIER :          T-1523-01

INTITULÉ :          PAUKTUUTIT, INUIT WOMEN'S ASSOCIATION

c.

SA MAJESTÉ LA REINE

LIEU DE L'AUDIENCE                   VANCOUVER (COLOMBIE-BRITANNIQUE)

DATE DE L'AUDIENCE :               LE 15 AVRIL 2004

MOTIFS DE L'ORDONNANCE

ET ORDONNANCE :                       LE JUGE RUSSELL

DATE DES MOTIFS :                       LE 3 JUIN 2004

COMPARUTIONS :

Teressa Nahanee                                               POUR LES DEMANDERESSES

John S. Tyhurst                                                  POUR LA DÉFENDERESSE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Teressa Nahanee                                               POUR LES DEMANDERESSES

Avocate

C.P. 213

1779, rue Main

Merritt (Colombie-Britannique)

V1K 1B8

Ministère de la Justice                                        POUR LA DÉFENDERESSE

234, rue Wellington

Tour est, pièce 1251

Ottawa (Ontario)

K1A 0H8


COUR FÉDÉRALE

                     Date : 20040603

Dossier : T-1523-01

ENTRE :

PAUKTUUTIT, INUIT WOMEN'S ASSOCIATION

et

VERONICA DEWAR

                      demanderesses

et

SA MAJESTÉ LA REINE

                          défenderesse

                                                                          

MOTIFS DE L'ORDONNANCE

ET ORDONNANCE

                                                                          

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