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Date : 19990811

Dossier : IMM-4518-98

OTTAWA (ONTARIO), LE 11 AOÛT 1999

EN PRÉSENCE DE M. LE JUGE TEITELBAUM

ENTRE :

GEORGINE KABALA MWIKA,

demanderesse,

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION,

défendeur.

O R D O N N A N C E

            Pour les raisons énoncées dans mes Motifs de l'ordonnance, la demande de contrôle judiciaire est accueillie et cette affaire est renvoyée pour un nouvel examen devant un tribunal de formation différente.

Max M. Teitelbaum             

                                                      

J.C.F.C.                     

Traduction certifiée conforme

Bernard Olivier


Date : 19990811

Dossier : IMM-4518-98

ENTRE :

GEORGINE KABALA MWIKA,

demanderesse,

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION,

défendeur.

MOTIFS DE L'ORDONNANCE

LE JUGE TEITELBAUM :

[1]    Il s'agit ici d'une demande de contrôle judiciaire de la décision de la Section du statut de réfugié (SSR) du 17 août 1998, par laquelle cette dernière a conclu que Mme Kabala Mwika n'était pas une réfugiée au sens de la Convention.

LES FAITS

[2]    Mme Kabala Mwika est citoyenne de la République démocratique du Congo (RDC) ex-Zaïre. Elle soutient avoir une crainte fondée de persécution par suite de ses opinions politiques présumées.

[3]    Le mari de Mme Kabala Mwika était un fonctionnaire du régime du président déchu Mobutu.

[4]    Durant la période troublée qui a immédiatement suivi la prise de pouvoir par le nouveau président, Laurent Désiré Kabila, Mme Kabala Mwika et son mari ont été arrêtés et emprisonnés par les soldats de Kabila. À leur arrivée à la prison, ils ont été séparés. Mme Kabala Mwika a témoigné qu'on lui avait dit, ainsi qu'à son mari, qu'ils seraient exécutés en même temps que d'autres qui avaient profité du régime Mobutu. Son mari a effectivement été exécuté alors qu'il était détenu.

[5]    Après une période approximative de sept jours, la demanderesse a été libérée suite à l'intervention d'un ami de son mari. Elle s'est cachée et, selon son témoignage, elle est restée cachée jusqu'à ce qu'elle quitte le pays.

LA DÉCISION

[6]    La SSR a conclu que Mme Kabala Mwika n'était pas une réfugiée au sens de la Convention, puisqu'elle n'avait pas été personnellement impliquée en politique. Bien que son mari faisait clairement partie de la catégorie des membres actifs et influents des partis pro-Mobutu, la Commission n'était pas convaincue que Mme Kabala tombait aussi dans cette catégorie puisque [traduction] « elle n'avait détenu aucun poste politique ou diplomatique et n'était pas membre de la famille Mobutu » .

[7]    La Commission a aussi tenu compte du fait que les enfants adultes de la demanderesse, qui avaient aussi été menacés lors de l'incident de septembre, sont toujours à Kinshasa et qu'à son avis, ils n'avaient pas à craindre d'être persécutés.

[8]    De plus, la Commission a conclu que, même si la demanderesse faisait exception à la règle voulant que les parents de ceux qui étaient recherchés par les autorités de la RDC n'étaient pas emprisonnés, elle n'avait plus rien à craindre puisque la situation chaotique qui avait régné au Zaïre lors de l'arrivée des forces de l'AFDL était maintenant revenue à la normale.

LES QUESTIONS EN LITIGE

[9]    La SSR a-t-elle mal interprété la revendication de la demanderesse en la considérant comme fondée uniquement sur son association avec un ancien membre du gouvernement Mobutu, savoir son mari, et en conséquence mal évalué cette revendication?

[10]    La conclusion de la Commission que les autorités de la RDC n'avaient pas recherché à l'arrêter suite à sa libération de prison était-elle abusive, compte tenu du fait qu'elle se cachait?

[11]    La SSR a-t-elle utilisé des stéréotypes sexistes ou fait preuve de partialité en fondant sur des « profils » sa décision sur la revendication de la demanderesse?

LA POSITION DES PARTIES

La demanderesse

[12]    La demanderesse soutient que la SSR n'a pas tenu compte de sa crainte de persécution fondée sur le fait qu'elle avait été arrêtée et emprisonnée, et qu'on l'avait menacée d'exécution. La demanderesse soutient que la Commission a simplement fondé l'évaluation de sa revendication sur le fait qu'elle était l'épouse d'un homme politique qui pouvait craindre d'être persécutée.

[13]    La demanderesse soutient aussi que la conclusion de la Commission que les autorités de la RDC n'ont pas cherché à l'arrêter suite à sa libération de prison est abusive, puisque la Commission a accepté le fait qu'elle se cachait durant toute la période en cause.

[14]    Finalement, la demanderesse soutient que la Commission s'est appuyée sur des généralisations grossières et des stéréotypes sexistes en concluant que « l'épouse » d'un homme politique ne pouvait craindre d'être persécutée à titre personnel.

Le défendeur

[15]    Le défendeur soutient que la demanderesse ne s'est pas acquittée du fardeau d'établir une crainte fondée de persécution, puisqu'elle n'était pas membre d'un parti politique et qu'elle ne faisait pas partie de la famille Mobutu. De plus, la situation au Zaïre n'est plus chaotique, mais elle est revenue à la normale.

[16]    Le défendeur soutient aussi que la Commission n'a tiré aucune conclusion négative du fait que les autorités de la RDC n'ont pas cherché à arrêter la demanderesse alors qu'elle se cachait. Il s'agit là simplement de l'énoncé d'un fait, savoir que rien dans la preuve n'indique que les autorités de la RDC ont fait des efforts pour retrouver la demanderesse.

[17]    Finalement, le défendeur convient qu'il pouvait être incorrect d'évaluer la revendication de la demanderesse que sur la base du fait qu'elle ne répondait pas à un « profil » . Toutefois, le défendeur soutient que la Commission a considéré plusieurs autres facteurs dans son processus de décision, ce qui fait que la conclusion générale est fondée.

ANALYSE

Mauvaise interprétation de la revendication

[18]    À mon avis, la SSR a mal interprété la revendication de la demanderesse. En déterminant quelles étaient les catégories de gens qui pouvaient avoir besoin d'être protégés, la Commission a cité un rapport de la HCRNU portant que : [traduction] « les membres actifs et influents du MPR et ses alliés des forces politiques du conclave et autres partis pro-Mobutu (créés lors de la Conférence nationale à l'initiative de Mobutu et avec son appui financier) peuvent avec raison rechercher l'asile politique » [1]. La Commission a ensuite conclu que le mari de la demanderesse tomberait dans cette catégorie, mais que ce n'était pas le cas de celle-ci. Elle a déclaré que [traduction] « elle n'avait détenu aucun poste politique ou diplomatique et n'était pas membre de la famille Mobutu » [2]. La Commission a donc conclu qu'elle n'avait pas à craindre d'être persécutée.

[19]    Dans Ward c. M.E.I., [1993] 2 R.C.S. 689, la Cour suprême du Canada a déclaré que la question n'était pas de savoir si le revendicateur avait effectivement participé aux activités en cause, mais seulement si l'État présumait que ce dernier y avait participé :

...les opinions politiques imputées au demandeur et pour lesquelles celui-ci craint d'être persécuté n'ont pas à être nécessairement conformes à ses convictions profondes. Les circonstances devraient être examinées du point de vue du persécuteur, puisque c'est ce qui est déterminant lorsqu'il s'agit d'inciter à la persécution. Les opinions politiques qui sont à l'origine de la persécution n'ont donc pas à être nécessairement attribuées avec raison au demandeur.

[20]    En l'instance, la Commission n'a pas conclu au manque de crédibilité du témoignage de la demanderesse. Elle a accepté le fait qu'elle a été emprisonnée et qu'on l'a menacée d'exécution. Elle a aussi accepté le fait qu'elle a été libérée suite à l'intervention d'un ami de son mari et qu'elle s'est immédiatement cachée jusqu'à ce qu'elle quitte le pays.

[21] À mon avis, la Commission n'a pas examiné le fondement de la crainte de persécution de la demanderesse sur la base de son opinion politique présumée. En d'autres mots, elle a mal interprété sa revendication (voir le paragraphe 19). Même si la demanderesse n'était pas active politiquement, son témoignage indique qu'elle a été arrêtée et menacée, tout comme son mari. Il semble que les autorités de la RDC présumaient qu'elle avait profité du régime Mobutu, et elle est donc devenue une cible de persécution à titre personnel. Bien que son mari ait été exécuté et qu'elle ait été libérée, sa libération est le fait de l'intervention d'un ami et elle s'est immédiatement cachée dès qu'elle a été libre.

[22] De plus, la Commission a conclu que [traduction] « suite à sa libération, aucune preuve n'indique que les autorités ont essayé de l'arrêter à nouveau » . En même temps, elle accepte que la demanderesse s'est cachée dès sa libération et jusqu'à son départ de la RDC. Dans le contexte de la décision, il semble que la Commission s'appuie sur cette conclusion de fait pour déclarer qu'elle ne serait pas persécutée à son retour. J'en conclus que la Commission a tiré une conclusion négative de sa constatation qu'on n'avait pas essayé d'arrêter la demanderesse après sa libération. Compte tenu de la preuve non réfutée que la demanderesse se cachait pendant toute la période en cause, je suis d'avis que la conclusion de la Commission est manifestement déraisonnable.

[23]    À mon avis, cette erreur, conjuguée avec le fait qu'on n'a pas tenu compte de sa crainte de persécution fondée sur ses opinions politiques présumées, justifie une nouvelle audition.

[24]    La demanderesse prétend aussi que la Commission s'est fondée sur des généralisations grossières et des stéréotypes sexistes, et a fait preuve de partialité. Toutefois, aucun de ces motifs n'est fondé au vu du dossier.

CONCLUSION

[25]    Pour les motifs susmentionnés, la demande de contrôle judiciaire est accueillie et cette affaire est renvoyée pour un nouvel examen devant un tribunal de formation différente.

                                                                                    Max M. Teitelbaum

                                                                        _________________________________

                                                                                                J.C.F.C.

Ottawa (Ontario)

Le 11 août 1999

Traduction certifiée conforme

Bernard Olivier


COUR FÉDÉRALE DU CANADA

SECTION DE PREMIÈRE INSTANCE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

No DU GREFFE :                                 IMM-4518-98

INTITULÉ DE LA CAUSE : GEORGINE KABALA MWIKA c. MCI

LIEU DE L'AUDIENCE :                     TORONTO (ONTARIO)

DATE DE L'AUDIENCE :       Le 10 JUIN 1999

MOTIFS DE L'ORDONNANCE DE M. LE JUGE TEITELBAUM

EN DATE DU :                                     11 AOÛT 1999

ONT COMPARU :

M. MICHAEL CRANE                                                POUR LA DEMANDERESSE

M. STEPHEN H. GOLD                                              POUR LE DÉFENDEUR

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Michael Crane                                                   POUR LA DEMANDERESSE

Toronto (Ontario)

M. Morris Rosenberg                                       POUR LE DÉFENDEUR

Sous-procureur général du Canada



           [1] Pièce R-1, p. 468, UNHCR Guidelines for Refugees and Asylum Seekers from the Democratic Republic of Congo, 5 janvier 1998.

           [2] Motifs de décision, pp. 3 et 4.

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