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Date : 20060720

Dossier : T-431-06

Référence : 2006 CF 904

ENTRE :

JAZZ AIR LP

demanderesse

et

 

ADMINISTRATION PORTUAIRE DE TORONTO, CITY CENTRE AVIATION LTD., REGCO HOLDINGS INC., PORTER AIRLINES INC. et ROBERT J. DELUCE

défendeurs

 

 

MOTIFS DE L’ORDONNANCE

LE JUGE ROULEAU

 

[1]               Le présent appel, interjeté par la demanderesse, vise l’annulation de la décision du 6 juin 2006 par laquelle la protonotaire Martha Milcynski a transformé en action la demande de contrôle judiciaire présentée devant la Cour le 9 mars 2006. Dans la même ordonnance, la protonotaire a également annulé l’audition de la demande fixée aux 5 et 6 septembre 2006.

 

[2]               Dans le présent appel, les réparations sollicitées sont les suivantes :

 

a)      l’annulation de l’ordonnance de la protonotaire Milcynski en date du 6 juin 2006;

b)      subsidiairement, une ordonnance autorisant Jazz Air LP à présenter une demande modifiée de contrôle judiciaire non pro tunc;

c)      une ordonnance rétablissant les dates des 5 et 6 septembre 2006 prévues pour l’audition de la demande de contrôle judiciaire de Jazz Air LP.

 

[3]               Étant donné que la question de l’ordonnance autorisant Jazz Air LP à présenter une demande modifiée de contrôle judiciaire non pro tunc n’a pas été examinée ni tranchée par la protonotaire le 6 juin 2006, cette question n’est pas en cause dans le présent appel.

 

[4]               Avant que la Cour soit saisie de l’affaire, Jazz Air LP a préparé une déclaration datée du 23 février 2006 qu’elle a déposée devant la Cour de l’Ontario. Le 24 février 2006, dans une requête présentée dans le cadre de l’action intentée devant la Cour de l’Ontario, Jazz Air LP a demandé à l’encontre des défendeurs une injonction mandatoire dans laquelle il était question d’un bail qu’elle aurait conclu avec les défendeurs en vue de l’utilisation des installations aéroportuaires à l’aéroport de Toronto Island. L’affaire a été entendue et tranchée le 27 février 2006. La requête a été rejetée, mais dans ses observations, le juge de la Cour de l’Ontario a écrit ce qui suit :

 

[traduction] Compte tenu des conditions du bail et des ententes conclues entre les parties, il serait probablement déterminé que le bail était un bail mensuel qui pouvait être résilié sur préavis d’un mois, soit le préavis qui a été donné.

 

[5]               Dans les mêmes observations, la Cour de l’Ontario a mentionné une allégation de complot que les défendeurs avaient avancée contre la demanderesse, laquelle portait expressément sur les conditions d’occupation par la demanderesse de ses locaux à Toronto Island.

 

[6]               Après que les procédures eurent été engagées devant la Cour fédérale, les défendeurs, sauf l’Administration portuaire de Toronto, ont présenté une requête devant la Cour supérieure de justice de l’Ontario en vue de faire inscrire l’affaire au rôle commercial. Jazz Air LP ne s’est pas opposée à la demande. Le 13 juin 2006, la Cour a indiqué ce qui suit :

[traduction] Il s’agit d’un différend commercial complexe et d’une affaire qu’il convient d’inscrire au rôle commercial.

 

[7]               La demande de contrôle judiciaire introduite dans les présentes procédures a été présentée devant la Cour fédérale le 9 mars 2006, peu de temps après le rejet d’une demande d’injonction soumise à la Cour supérieure de l’Ontario. Dans sa demande de contrôle judiciaire, Jazz Air LP sollicitait une réparation à l’égard des actes et décisions allégués de l’Administration portuaire de Toronto :

[traduction

(i)                   a outrepassé la compétence que lui confère la Loi maritime du Canada et a pris des décisions et accompli des actes qui excèdent sa compétence et étaient contraires à la loi :

 

a)       en restreignant sévèrement et en menaçant d’éliminer l’accès de la demanderesse à l’Aéroport du centre‑ville de Toronto et l’utilisation de cet aéroport;

b)       en refusant d’une façon discriminatoire à la demanderesse l’accès aux locaux destinés aux installations pour passagers à l’Aéroport du centre‑ville de Toronto;

c)       en décourageant ou en empêchant un accès juste, raisonnable et concurrentiel par les clients des compagnies aériennes à l’Aéroport du centre‑ville de Toronto;

d)       en conduisant ses affaires de façon à empêcher l’exercice des activités de transporteurs commerciaux concurrents à l’Aéroport du centre‑ville de Toronto sur une base concurrentielle viable;

 

(ii)                 a porté atteinte à la liberté du commerce en violation de la Loi sur la concurrence en concluant avec Porter Airline Inc. et ses sociétés affiliées des ententes leur assurant un monopole ou une position dominante dans le secteur des vols commerciaux réguliers effectués à l’Aéroport du centre‑ville de Toronto;

 

(iii)                a manqué aux obligations qui lui incombent en vertu de la common law et de la loi d’agir d’une façon juste et raisonnable et de bonne foi dans l’exercice du mandat qui lui est conféré par la loi de gérer l’Aéroport du centre‑ville de Toronto au mieux des intérêts du public et de la communauté du fait qu’elle a agi d’une façon discriminatoire à l’endroit de la demanderesse, qu’elle a empêché par la conduite de ses affaires les transporteurs commerciaux concurrents d’exercer leurs activités sur une base concurrentielle viable et qu’elle s’est livrée à des agissements discriminatoires destinés à assurer un monopole ou une position dominante à Porter Airlines Inc. et à ses sociétés affiliées à l’Aéroport du centre‑ville de Toronto.

 

2.                    La demanderesse présente une demande en vue d’obtenir :

 

(i)                   un jugement déclaratoire portant que l’Administration portuaire de Toronto a pris à l’égard de la demanderesse des mesures et des décisions qui outrepassent la compétence qui lui est conférée par la loi et qui sont ultra vires, qui restreignent le commerce ou qui vont à l’encontre de la Loi sur la concurrence, et qu’elle a manqué aux obligations qui lui incombent d’agir d’une façon juste et raisonnable et en faisant preuve de bonne foi;

 

(ii)                 une ordonnance annulant toute mesure ou décision de l’Administration portuaire de Toronto qui, selon la Cour, outrepasse sa compétence et est ultra vires, qui restreint le commerce ou qui va à l’encontre des obligations qui lui incombent d’agir d’une façon juste et raisonnable et en faisant preuve de bonne foi;

 

(iii)                une ordonnance enjoignant à l’Administration portuaire de Toronto de fournir à la demanderesse d’autres installations ou locaux adéquats à l’Aéroport de Toronto Island, lesquels peuvent être utilisés par les aéronefs et passagers effectuant des vols commerciaux réguliers, et enjoignant à la défenderesse d’assurer à la demanderesse d’une façon juste, raisonnable et équitable l’utilisation de l’Aéroport de Toronto Island ainsi que l’accès à cet aéroport;

 

(iv)               toute autre réparation de la nature d’une ordonnance mandatoire ou autre que la Cour estime juste et nécessaire.

 

[8]               Jazz Air LP a présenté une demande ex parte afin d’obtenir la fixation d’une date pour une instruction accélérée de l’affaire. Une ordonnance a été rendue à cet égard le 3 mai 2006. Par la suite, la défenderesse, l’Administration portuaire de Toronto, a présenté une demande afin d’obtenir une prorogation du délai de production des documents et de contester la demande de contrôle judiciaire; une autre requête a été présentée par City Centre Aviation Ltd., Regco Holdings Inc., Porter Airlines Inc. et Robert J. Deluce, qui cherchaient à être autorisés à intervenir dans l’instance. Par voie d’une ordonnance datée du 1er juin 2006, ces parties ont été constituées défenderesses dans la demande et l’intitulé a été modifié en conséquence. Les intéressées qui voulaient se joindre au présent litige et qui ont été constituées parties sont toutes d’une façon ou d’une autre liées en affaires et seront parfois désignées comme étant les parties Deluce.

 

[9]               Les circonstances générales dans lesquelles s’inscrit le présent litige découlent d’un bail à long terme accordé il y a environ 16 ans par l’Administration portuaire de Toronto à City Centre Aviation Ltd. (CCAL) ainsi qu’à une autre locataire, Stol Port Corporation, qui sont deux des exploitants établis à l’Aéroport de Toronto Island. Pendant environ 14 ans, CCAL a loué des locaux à Jazz Air LP dans l’un des deux immeubles disponibles pour des installations pour passagers. Il est allégué que Regco Holdings Inc. a conclu un contrat à long terme; cette société aurait de son côté accordé des droits exclusifs à Porter Airlines Inc. et aurait attribué à cette dernière presque tous les espaces disponibles à l’Aéroport de Toronto Island. Sur préavis de 28 jours, Jazz Air LP a été évincée des installations pour passagers par CCAL le 28 février 2006.

 

[10]           Dans une requête qu’elles ont présentée en vue d’obtenir une ordonnance conformément au paragraphe 18.4(1) de la Loi sur les Cours fédérales, les parties ont demandé que le contrôle judiciaire soit instruit comme s’il s’agissait d’une action. Après avoir minutieusement examiné toutes les observations ainsi que les longs affidavits et les nombreux documents qui ont été produits, la protonotaire a conclu que la demande de contrôle judiciaire devait être transformée en action et, dans la même ordonnance, elle a annulé l’audience fixée aux 5 et 6 septembre 2006.

 

[11]           En résumé, la protonotaire a écrit que Jazz Air LP cherchait, au moyen d’une seule demande de contrôle judiciaire, à contester de nombreuses décisions et mesures prises par l’Administration portuaire de Toronto au sujet de la manière dont elle aménage et exploite l’Aéroport de la ville de Toronto (situé sur l’île de Toronto). Elle a conclu que certaines de ces décisions et mesures peuvent être liées ou non, mais qu’elles indiquaient un « comportement » s’étendant sur plusieurs années et donnant lieu à certaines conjectures de la part de la demanderesse au sujet du nombre de décisions ou de mesures qui pouvaient être en cause quant au comportement attaqué. La protonotaire a en outre fait remarquer que les allégations et motifs invoqués par Jazz Air LP semblaient indiquer que l’Administration portuaire de Toronto avait fait preuve de mauvaise foi en traitant avec elle; la protonotaire semblait donner à entendre qu’une allégation de complot entre l’Administration portuaire et les parties Deluce avait été avancée. La protonotaire a conclu que les questions soulevées ne pouvaient pas être tranchées dans le cadre de la procédure sommaire prévue et, en outre, qu’elles ne pouvaient pas être scindées en allégations distinctes, même si elles étaient instruites ensemble. La protonotaire a ensuite fait remarquer qu’il s’agissait essentiellement d’un différend commercial complexe mettant en jeu une série de décisions et d’opérations, ainsi que des allégations graves de complot et que c’était plutôt dans le cadre d’un procès qu’il convenait de régler ce différend. Comme il a été signalé plus haut, il importe de noter que plusieurs parties défenderesses ont demandé avec succès devant la Cour supérieure de justice de l’Ontario d’inscrire l’affaire au rôle commercial. Cela donne du poids à la décision de la protonotaire selon laquelle il s’agissait d’un « différend commercial complexe ».

 

[12]           En ce qui concerne l’article 302 des Règles des Cours fédérales selon lequel une demande de contrôle judiciaire ne peut porter que sur une seule décision, la protonotaire a conclu que le comportement et les mesures contestés ont eu lieu à des moments différents et mettaient en jeu des facteurs différents. Elle souligne également que plusieurs décisions contestées concernaient la demanderesse et l’Administration portuaire de Toronto ainsi que des mesures et décisions que l’Administration portuaire avait prises en traitant avec les parties Deluce. Elle a conclu que les décisions n’étaient pas bien identifiées, que le nombre de décisions dont le contrôle était demandé était indéterminé et que, par conséquent, les motifs de contrôle n’ont pas été exposés de manière complète et concise.

 

[13]           La protonotaire a ensuite examiné la question de la transformation de la demande en action et elle a conclu que la Cour peut, dans l’exercice de son pouvoir discrétionnaire, ordonner, si elle l’estime indiqué, qu’une demande de contrôle judiciaire soit instruite comme s’il s’agissait d’une action. La protonotaire a énoncé les facteurs à prendre en considération :

 

·       La détermination des questions exige‑t‑elle que la preuve soit présentée de vive voix?

·       Y a‑t‑il une multiplicité de procédures qui devraient être gérées dans le cadre d’un procès?

·       En raison de la nature des questions en litige, est‑il préférable de les trancher dans le cadre d’une instruction plutôt que d’une demande?

 

[14]           En ce qui concerne le premier facteur, la protonotaire était convaincue qu’il y avait allégations de complot et de mauvaise foi et elle a conclu que, pour arriver à une décision éclairée sur ces allégations, la Cour devait avoir la possibilité d’évaluer la crédibilité des témoins et qu’il était essentiel de présenter des témoignages de vive voix.

 

[15]           Pour ce qui est de la multiplicité des procédures, la protonotaire a fait remarquer que Jazz Air LP contestait plusieurs décisions qui, selon elle, avaient été prises de mauvaise foi, et elle a conclu que ces allégations ne pouvaient pas être examinées sommairement dans le cadre d’une demande de contrôle judiciaire présentée à la Cour fédérale.

 

[16]           La protonotaire a considéré qu’il s’agissait d’un différend commercial complexe pour lequel il était nécessaire de faire le long historique des relations entre l’Administration portuaire de Toronto et Jazz Air LP. Elle a souligné que, pour arriver à trancher ces questions de façon appropriée et de manière équitable pour les parties, il fallait procéder par voie d’une action, ce qui permettait une communication préalable complète ainsi que la tenue d’interrogations préalables.

 

[17]           La protonotaire a ensuite fait remarquer que la demande était difficile à gérer, complexe et dépourvue des garanties procédurales d’une action. À son avis, les questions en litige ne pouvaient pas être établies ou appréciées de manière satisfaisante par l’examen d’une preuve par affidavit. La protonotaire était convaincue que des témoignages de vive voix étaient nécessaires pour permettre à la Cour de bien comprendre la preuve et d’évaluer la véracité des allégations qui avaient été faites.

 

[18]           La demanderesse invoque de nombreux motifs pour contester cette décision. Elle allègue que la demande de contrôle judiciaire vise un même comportement, que toutes les décisions étaient liées les unes aux autres et qu’on aurait dû y donner suite; elle ajoute que la protonotaire s’est fondée presque exclusivement, à tort, sur son propre raisonnement, à savoir que la demande de contrôle judiciaire était axée sur l’existence d’un complot entre l’Administration portuaire de Toronto et les défendeurs.

 

[19]           La demanderesse fait ensuite valoir qu’ayant passé 16 ans à créer une clientèle et un achalandage à l’Aéroport de Toronto Island, elle subirait un préjudice grave, que l’Administration portuaire de Toronto semblait tenter d’assurer un monopole ou une position dominante à Porter Airlines Inc., qui a l’intention de commencer à fournir ses services à l’Aéroport de la ville de Toronto au mois de septembre 2006, et que l’Administration portuaire de Toronto semble donc avoir accordé à Porter Airlines l’exclusivité quant aux activités exercées à l’Aéroport de Toronto Island.

 

[20]           La demanderesse affirme que la protonotaire n’aurait pas dû accepter la preuve par affidavit qui a été déposée à l’appui de la demande visant la transformation de la demande en action; qu’en fait, et au contraire, cette preuve étayait la thèse selon laquelle, même si la déclaration comportait de nombreuses allégations diverses, il existait des liens suffisants pour permettre d’aller de l’avant; que les multiples décisions pouvaient être examinées dans le cadre d’une seule demande; que la protonotaire a mal interprété l’affaire sur le plan des principes et qu’elle n’aurait pas dû exercer son pouvoir discrétionnaire; que le raisonnement de la protonotaire ne satisfait pas au principe primordial voulant que la transformation n’ait lieu que dans des circonstances tout à fait claires et exceptionnelles; et qu’il n’y avait pas suffisamment d’éléments de preuve à l’appui de la décision de la protonotaire.

 

[21]           La demanderesse affirme en outre que la protonotaire a commis une erreur en décidant qu’il s’agissait en fait d’un différend commercial complexe et qu’il était clairement erroné de conclure que la demande n’était pas conforme à l’article 302 des Règles des Cours fédérales.

 

[22]           Avant de poursuivre, il importe de souligner que cette demande initiale de contrôle judiciaire présentée par la demanderesse concernait uniquement l’Administration portuaire de Toronto. Les autres parties ont été jointes plus tard et les réparations sollicitées par Jazz Air LP ne les visaient pas; de plus, il n’était pas question de celles‑ci dans la déclaration. Il convient de souligner que Jazz Air LP n’entretenait même pas de relations contractuelles, en tant que locataire, avec l’Administration portuaire de Toronto et qu’elle est devenue locataire de la défenderesse CCAL par l’entremise de son propre prédécesseur, Air Ontario, qui elle était locataire, et dont elle a acquis la possession en 1994. Le bail initial aux termes duquel Jazz Air LP exerçait ses activités a pris fin en novembre 1999; CCAL a prolongé la durée du bail pour une période de cinq ans, jusqu’au mois de novembre 2004. Jazz Air LP a continué d’occuper après terme les lieux à titre de locataire jusqu’à ce qu’un avis de quitter les lieux lui soit donné, à la fin de février 2006. Cet avis l’a amenée à engager devant la Cour de l’Ontario des procédures dans lesquelles elle a contesté sans succès cet avis.

 

[23]           Deux principes sous‑jacents auxquels la demanderesse ne peut pas se soustraire sont ici en jeu. Premièrement, l’article 302 des Règles des Cours fédérales prévoit ce qui suit :

302. Limites – Sauf ordonnance contraire de la Cour, la demande de contrôle judiciaire ne peut porter que sur une seule ordonnance pour laquelle une réparation est demandée.

302. Limited to single order – Unless the Court orders otherwise, an application for judicial review shall be limited to a single order in respect of which relief is sought.

 

[24]           En outre, les paragraphes 18(1) et 18(3) de la Loi sur les Cours fédérales établissent qu’une seule réparation uniforme peut être sollicitée dans une demande de contrôle judiciaire. C’est le paragraphe 18.4(2) qui autorise la Cour fédérale à exercer son pouvoir discrétionnaire pour décider si la demande doit être instruite comme s’il s’agissait d’une action.

 

[25]           Il convient en outre de souligner que la Cour fédérale n’a pas l’habitude d’accorder une réparation et de rendre une décision selon la procédure sommaire si l’instance n’a pas été engagée dans les 30 jours qui suivent la décision ou la mesure attaquée.

 

[26]           À quel moment les mesures ou décisions attaquées ont‑elles été prises? Qu’est‑ce qui est à l’origine du présent litige et qui peut être considéré comme une décision administrative?

 

[27]           Un examen sommaire du libellé de la demande étaye sans aucun doute la décision et les conclusions de la protonotaire.

 

[28]           La demanderesse ne conteste aucune décision ou comportement précis. Elle sollicite diverses réparations, notamment une décision portant que l’Administration portuaire de Toronto a outrepassé la compétence que lui confère la loi et que les décisions que celle‑ci a prises sont ultra vires. Elle soutient ensuite que l’Administration portuaire de Toronto a agi d’une façon discriminatoire envers elle; que l’Administration a menacé d’éliminer l’accès à l’Aéroport de Toronto Island; qu’elle n’a pas aidé les compagnies aériennes concurrentes, et ce, en violation de la Loi sur la concurrence, lorsqu’elle a conclu des ententes avec Porter Airlines Inc.; qu’elle a manqué à l’obligation d’agir équitablement qui lui incombe en vertu de la common law et de la loi. Or, la Cour tient à souligner qu’il n’existe aucune relation légale ou contractuelle entre l’Administration portuaire de Toronto et Porter Airlines Inc.

 

[29]           Dans sa déclaration, la demanderesse sollicite ensuite une décision de la Cour portant (1) que l’Administration portuaire de Toronto a outrepassé la compétence que lui confère la loi; (2) qu’elle a porté atteinte à la liberté du commerce en violation de la Loi sur la concurrence; et (3) qu’elle a manqué à l’obligation qui lui incombait d’agir équitablement. En résumé, la demanderesse veut que la Cour annule les mesures et décisions de l’Administration portuaire de Toronto qui outrepassent sa compétence. Comme l’ont signalé les défendeurs, ces mesures et décisions ont été prises sur une période de 16 ans en ce qui concerne la demanderesse.

 

[30]           Il est en outre allégué que la Cour devrait ordonner à l’Administration portuaire de Toronto de fournir à la demanderesse, à l’Aéroport de Toronto Island, d’autres locaux ou installations adéquates pour lui permettre de continuer à fournir son service de transport de passagers. Quelle décision, le cas échéant, pourrait donner lieu à une telle réparation et permettre à la Cour de décider qu’il existe une obligation entre les parties et d’ordonner à l’Administration portuaire de Toronto de donner à Jazz Air LP la possibilité de fournir son service.

 

[31]           Il ressort d’une simple lecture de l’article 302 des Règles que la Cour ne peut pas donner suite à la présente demande dans le cadre d’un contrôle judiciaire. Il ne s’agit pas d’une seule ordonnance pour laquelle une réparation est demandée.

 

[32]           Le juge qui est saisi d’un appel d’une décision rendue par un protonotaire doit se fonder sur les principes énoncés dans la décision Canada c. Aqua-Gem Investments Ltd., [1993] 2 C.F. 425, à savoir qu’il ne convient de modifier une ordonnance discrétionnaire rendue par un protonotaire que si l’ordonnance est entachée d’une erreur flagrante, en ce sens que le protonotaire a exercé son pouvoir discrétionnaire en vertu d’un mauvais principe ou d’une mauvaise appréciation des faits ou que l’ordonnance porte sur des questions ayant une influence déterminante sur l’issue du principal.

 

[33]           Dans l’arrêt Drapeau c. Canada (Ministre de la Défense nationale), 179 N.R. 298, le juge du procès avait exercé son pouvoir discrétionnaire pour transformer une demande de contrôle judiciaire en une action; la Cour d’appel fédérale a dit :

[...] [l’affaire] porte sur des circonstances différentes et ne devrait pas être interprété[e] comme une limite au pouvoir discrétionnaire d’un juge des requêtes dans les cas où la conversion est demandée pour des motifs autres que de prétendues contraintes de preuve. De l’avis de la Cour, le paragraphe 18.4(2) n’établit aucune limite quant aux facteurs qui peuvent à juste titre être pris en considération lorsqu’il s’agit de savoir s’il convient ou non de permettre qu’une demande de contrôle judiciaire soit instruite comme s’il s’agissait d’une action.

 

[34]           Aucun des arguments invoqués par la demanderesse n’a réussi à me convaincre de leur bien‑fondé ou n’a suscité dans mon esprit un doute au sujet du fait que la décision de la protonotaire était correcte en droit et que la façon dont elle a apprécié les faits était raisonnable et étayée par la preuve. Il n’y a absolument aucune question qui soit entachée d’une erreur flagrante et la protonotaire a exercé son pouvoir discrétionnaire en se fondant sur un principe valable. Comme la protonotaire l’a habilement dit :

 

[...] les décisions [...] ne sont pas identifiées selon les exigences, [...] leur nombre est indéterminé et [...], par conséquent, les motifs de contrôle ne sont pas exposés de manière complète et concise.

 

[35]           L’appel sera rejeté, les dépens étant adjugés aux défendeurs.

 

 

 

« Paul U.C. Rouleau »

Juge suppléant

 

 

 

 

Traduction certifiée conforme

Suzanne Bolduc, LL.B.

 


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

DOSSIER :                                                    T-431-06

 

INTITULÉ :                                                   JAZZ AIR LP

                                                                        c.

                                                                        ADMINISTRATION PORTUAIRE DE TORONTO, CITY CENTRE AVIATION LTD., REGCO HOLDINGS INC., PORTER AIRLINES INC. et ROBERT J. DELUCE

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                             TORONTO (ONTARIO)

 

DATE DE L’AUDIENCE :                           LE 28 JUIN 2006

 

MOTIFS DE L’ORDONNANCE :              LE JUGE ROULEAU

 

DATE DES MOTIFS :                                  LE 20 JUILLET 2006

 

COMPARUTIONS :

 

Earl A. Cherniak, c.r.

Brian Radnoff

416-601-2350

POUR LA DEMANDERESSE

 

Freya Kristjanson

416-367-6388

 

Orestes Pasparakis

Sara McLean

416-216-4815

 

 

POUR LA DÉFENDERESSE, L’ADMINISTRATION PORTUAIRE DE TORONTO

POUR LES DÉFENDEURS, PORTER AIRLINES INC. et ROBERT J. DELUCE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

LERNERS LLP

Toronto (Ontario)

POUR LA DEMANDERESSE

 

BORDEN LADNER GERVAIS LLP

Toronto (Ontario)

 

OGILVY RENAULT LLP

Toronto (Ontario)

 

POUR LA DÉFENDERESSE, L’ADMINISTRATION PORTUAIRE DE TORONTO

POUR LES DÉFENDEURS, PORTER AIRLINES INC. et ROBERT J. DELUCE

 

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