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Date : 20020517

Référence neutre : 2002 CFPI 579

Dossier : T-1262-01

ENTRE :

                                               LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L'IMMIGRATION

                                                                                                                                                         appelant

                                                                                   et

TZU CHIN FAN WU

                                                                                                                                                            intimé

- ET -

Dossier : T-1263-01

ENTRE :

                                               LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L'IMMIGRATION

                                                                                                                                                         appelant

                                                                                   et

JAN FU WU

                                                                                                                                                           intimée

                                                    MOTIFS DE L'ORDONNANCE

LE JUGE TEITELBAUM


[1]                 Le ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration fait appel, en application du paragraphe 14(5) de la Loi sur la citoyenneté, L.R.C. (1985), ch. C-29 [ci-après la « Loi » ] et de l'article 21 de la Loi sur la Cour fédérale, de la décision du juge de la citoyenneté Paul Gallagher [ci-après le « juge de la citoyenneté » ], datée du 15 mai 2001, par laquelle le juge de la citoyenneté avait approuvé les demandes de citoyenneté présentées par les intimés, parce que selon lui ils remplissaient les conditions de résidence prévues par l'alinéa 5(1)c) de la Loi.

[2]                 Au début de l'audience, aucun des intimés n'a comparu. L'avocat de l'appelant m'a informé que l'avis de demande et la demande d'appel avaient été signifiés à Mme Wu personnellement le 10 juillet 2001. Elle s'était également vu remettre, ou avait accepté, l'avis de demande et la demande d'appel se rapportant à son mari. Un avis d'audience fut envoyé par la poste aux intimés, par lettre recommandée, le 4 décembre 2001 ou vers cette date. Les intimés ont négligé de se rendre au bureau de poste pour y retirer ladite lettre recommandée.

Les faits

[3]                 L'intimé M. Wu est né le 5 décembre 1940 à Taïwan. Son épouse, l'intimée Mme Wu, est née à Taïwan le 5 octobre 1946. Ils ont trois (3) filles.

[4]                 Les intimés et leur famille sont arrivés au Canada le 15 juin 1993 à titre d'immigrants admis.

[5]                 En 1998, les intimés ont demandé la citoyenneté canadienne. Leurs demandes ont été rejetées parce qu'ils ne remplissaient les conditions de résidence.

[6]                 Le 28 avril 2000, les intimés ont de nouveau demandé la citoyenneté canadienne.

[7]                 Au cours des quatre (4) années qui ont précédé la deuxième demande, les intimés ont continué de s'absenter du Canada pendant des périodes prolongées. L'intimé M. Wu a été physiquement présent au Canada pendant 243 jours, et absent pendant 1 217 jours - soit l'équivalent de trois ans et un tiers. L'intimée Mme Wu a été physiquement présente au Canada pendant 400 jours et absente pendant 1 060 jours - soit l'équivalent de deux ans et dix mois.

[8]                 La première absence de l'intimé M. Wu durant cette période avait résulté d'un voyage qui avait duré 156 jours. Il a indiqué que ses absences étaient des voyages d'affaires et qu'elles étaient temporaires. Pour ce qui concerne la première absence de l'intimée Mme Wu durant cette période, elle est survenue environ un (1) mois après le début de la période d'admissibilité et a duré presque deux (2) mois. Elle est retournée 17 jours au Canada, puis elle est de nouveau repartie pour Taïwan.

[9]                 Il manquait à l'intimé M. Wu environ 852 jours, soit deux ans et un tiers, pour remplir la condition de résidence prévue par la Loi, mais le juge de la citoyenneté a approuvé sa demande. Quant à l'intimée Mme Wu, il lui manquait environ 695 jours, soit un an et dix mois, pour remplir la condition de résidence prévue par la Loi, mais le juge de la citoyenneté a également approuvé sa demande.

[10]            L'appelant voudrait aujourd'hui faire annuler les deux décisions pour le motif que le juge de la citoyenneté a commis des erreurs de fait, a tenu compte de facteurs hors de propos et a ignoré d'importants éléments de preuve.

Décision contestée

[11]            Le 15 mai 2001, le juge de la citoyenneté approuvait les demandes de citoyenneté présentées par les deux intimés. À la page 8 des deux dossiers certifiés, il est écrit :

[Traduction]

Ces demandes sont approuvées.

M. et Mme Wu n'ont en réalité résidé au Canada que pendant une brève période au total, mais ils ont utilisé avec dynamisme leur temps au Canada d'une manière qui démontre l'étroitesse de leurs liens avec le Canada - la qualité de leur temps passé au Canada, dans la collectivité et avec leurs enfants est exemplaire.

Il convient aussi de noter que M. Wu est âgé de plus de 60 ans et que Mme Wu ne s'est absentée du Canada que pour accompagner son mari.

Position de l'appelant

[12]            L'appelant affirme que le juge de la citoyenneté n'aurait pas dû rendre cette décision parce qu'il a commis des erreurs de fait, a tenu compte de facteurs hors de propos et a ignoré d'importants éléments de preuve.

[13]            L'appelant invoque le critère énoncé dans le jugement Re Koo, [1993] 1 C.F. 286 (C.F. 1re inst.), pour dire que les intimés ne remplissaient pas les conditions de résidence préalables à l'attribution de la citoyenneté.

Dispositions applicables

[14]            L'article 5 de la Loi énonce le droit à la citoyenneté. L'alinéa 5(1)c) indique le critère auquel doivent satisfaire tous les requérants avant de remplir les conditions de résidence préalables à l'attribution de la citoyenneté canadienne.


5. (1) Le ministre attribue la citoyenneté à toute personne qui, à la fois :

...

c) a été légalement admise au Canada à titre de résident permanent, n'a pas depuis perdu ce titre en application de l'article 24 de la Loi sur l'immigration, et a, dans les quatre ans qui ont précédé la date de sa demande, résidé au Canada pendant au moins trois ans en tout, la durée de sa résidence étant calculée de la manière suivante    :

(i) un demi-jour pour chaque jour de résidence au Canada avant son admission à titre de résident permanent,

(ii) un jour pour chaque jour de résidence au Canada après son admission à titre de résident permanent;

5. (1) The Minister shall grant citizenship to any person who

...

(c) has been lawfully admitted to Canada for permanent residence, has not ceased since such admission to be a permanent resident pursuant to

section 24 of the Immigration Act, and has, within the four years immediately preceding the date of his application, accumulated at least three years of residence in Canada calculated in the following manner :

(i) for every day during which the person was resident in Canada before his lawful admission to Canada for permanent residence the person shall be deemed to have accumulated one-half of a day of residence, and

(ii) for every day during which the person was resident in Canada after his lawful admission to Canada for permanent residence the person shall be deemed to have accumulated one day of residence;


[15]            D'après le mode de calcul indiqué à l'alinéa 5(1)c) de la Loi, le requérant qui veut obtenir la citoyenneté doit avoir résidé au Canada pendant au moins trois ans (1 095 jours) en tout, au cours des quatre ans qui ont précédé la date de sa demande.

[16]            Le paragraphe 14(5) de la Loi est la disposition en vertu de laquelle le ministre ou le demandeur de citoyenneté peut faire appel de la décision d'un juge de la citoyenneté.


14. (5) Le ministre et le demandeur peuvent interjeter appel de la décision du juge de la citoyenneté en déposant un avis d'appel au greffe de la Cour dans les soixante jours suivant la date, selon le cas    :

a) de l'approbation de la demande;

b) de la communication, par courrier ou tout autre moyen, de la décision de rejet.

14. (5) The Minister or the applicant may appeal to the Court from the decision of the citizenship judge under subsection (2) by filing a notice of appeal in the Registry of the Court within sixty days after the day on which

(a) the citizenship judge approved the application under subsection (2); or

(b) notice was mailed or otherwise given under subsection (3) with respect to the application.


Question

17.                      Le juge de la citoyenneté a-t-il commis une erreur lorsqu'il a dit que les intimés, M. et Mme Wu, remplissaient les conditions de résidence préalables à l'attribution de la citoyenneté canadienne?


Analyse

Norme de contrôle

      La jurisprudence se réfère souvent au jugement Lam c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [1999] A.C.F. no 410 (C.F. 1re inst.), qui renferme les propos suivants du juge en chef adjoint Lutfy :

[par. 33] La justice et l'équité, tant pour les demandeurs de citoyenneté que pour le ministre, appellent la continuité en ce qui concerne la norme de contrôle pendant que la Loi actuelle est encore en vigueur et malgré la fin des procès de novo. La norme appropriée, dans les circonstances, est une norme qui est proche de la décision correcte. Cependant, lorsqu'un juge de la citoyenneté, dans des motifs clairs qui dénotent une compréhension de la jurisprudence, décide à bon droit que les faits satisfont sa conception du critère législatif prévu à l'alinéa 5(1)c), le juge siégeant en révision ne devrait pas remplacer arbitrairement cette conception par une conception différente de la condition en matière de résidence. C'est dans cette mesure qu'il faut faire montre de retenue envers les connaissances et l'expérience particulières du juge de la citoyenneté durant la période de transition.

[18]            Dans le jugement Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration) c. Mindich, [1999] A.C.F. no 978 (C.F. 1re inst.), le juge Pelletier décrivait ainsi la tâche de la Cour fédérale, en tant que juridiction d'appel des décisions en matière de citoyenneté :

[par. 9] Étant donné les divergences de vues parmi les membres de la Cour fédérale, la décision d'un juge de la citoyenneté ne sera pas erronée du seul fait qu'il a choisi une approche plutôt que l'autre. Le rôle du juge qui entend l'appel consiste à vérifier si le juge de la citoyenneté a correctement appliqué le critère qu'il a choisi.

[19]            Le juge Pelletier examine de nouveau cet aspect dans le jugement Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration) c. Wu, [2000] A.C.F. no 111 (C.F. 1re inst.), où il s'exprime ainsi :


[par. 8 ] [...] dans le cadre d'un appel cependant, une cour ne devrait pas se contenter de substituer sa propre opinion à celle du tribunal original lorsque celui-ci possède une certaine expertise et agit dans le cadre de cette expertise; Canada c. Southam Inc. [1997] 1 R.C.S. 748. En appel, la cour a la capacité d'intervenir dans d'autres circonstances que les cas d'erreur de compétence (souvent qualifiées de décisions manifestement déraisonnables), mais elle devrait éviter d'intervenir pour le simple motif qu'elle en serait venue à une autre conclusion (notion qui est souvent exprimée comme étant le critère de la « décision correcte » ). Dans l'arrêt Southam, le juge Iaccobucci a qualifié ce moyen terme de critère de la décision raisonnable. Autrement dit, lorsqu'un tribunal spécialisé agit dans le cadre d'une certaine expertise qu'il a acquise, la cour saisie d'un appel interjeté en vertu de la loi ne devrait pas intervenir pour changer la décision du tribunal si celle-ci est raisonnable.

[par. 9] Dans l'arrêt Lam, le juge Lutfy a conclu que l'expertise mise à profit par le juge de la citoyenneté pour déterminer si le critère de résidence a été respecté n'est pas suffisante pour lui attirer le degré de retenue auquel un tribunal véritablement spécialisé aurait droit. Il a, par conséquent, conclu que la norme de contrôle se rapprochait davantage de la décision correcte, mais il a tout de même permis l'expression d'une certaine retenue.

[20]            Citons également les propos du juge O'Keefe dans le jugement Wang c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [2000] A.C.F. no 1030 (C.F. 1re inst.) :

[par. 11] La décision dans Lam, précité, place la norme de contrôle des décisions des juges de la citoyenneté entre la décision juste et la décision raisonnable simpliciter en la situant plus près de la décision juste. Même si la norme applicable est celle de la décision raisonnable simpliciter dans le cas de questions de droit et de fait (voir Canada (Directeur des enquêtes et recherches c. Southam Inc., (1997) 1 R.C.S. 748), ceci n'influe pas sur le règlement de cette demande. J'ajouterais qu'on convient généralement que les tribunaux doivent interpréter correctement le droit.


[21]            Il appert de ces précédents que la norme de contrôle à appliquer est celle de la décision correcte lorsque la juridiction d'appel, c'est-à-dire la Cour fédérale du Canada, Section de première instance, dans l'affaire qui nous intéresse ici, doit vérifier si le juge de la citoyenneté a bien appliqué l'un des critères admis de résidence. Cependant, s'agissant de la norme de contrôle applicable à la manière dont le juge de la citoyenneté a apprécié les faits afférents à une demande de citoyenneté, la Cour fédérale doit s'abstenir de substituer son opinion à celle du juge de la citoyenneté, à moins que celui-ci ne soit manifestement dans l'erreur ou à moins que sa décision ne soit abusive ou arbitraire.

Critères reconnus de résidence

[22]            Plusieurs critères de résidence ont vu le jour au gré des décisions de la Cour fédérale. Il a été établi dans le jugement Hsu c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [2001] A.C.F. no 862 (C.F. 1re inst.), le juge Heneghan, que les juges de la citoyenneté peuvent valablement appliquer tout critère, mais ne peuvent combiner divers critères. Le juge Heneghan s'est exprimé ainsi :

[par. 7] À mon avis, il apparaît que le juge de la citoyenneté a utilisé une combinaison de deux critères, savoir le critère fondé sur le calcul strict du nombre de jours de présence physique et celui des attaches importantes énoncé dans la décision Koo (Re), [1993] 1 C.F. 286 (1re inst.). Alors que les motifs reflètent l'examen des questions en litige dans l'affaire Koo (Re), précitée, il n'existe aucune preuve au dossier ou dans les motifs énoncés que le juge de la citoyenneté s'est entièrement ou ouvertement penchée sur la question des « attaches » avec un autre pays. Une telle analyse, à mon avis, devrait être effectuée avant que le juge de la citoyenneté puisse tirer les conclusions qu'elle a tirées, c'est-à-dire que le demandeur n'a pas réussi à démontrer [Traduction] « l'existence d'attaches plus importantes avec le Canada qu'avec tout autre pays » . Je fais miens les propos de M. le juge Lemieux dans la décision Agha (Re) (1999), 166 F.T.R. 245 (1re inst.) au paragraphe 49 :

L'absence d'analyse de la part de la juge de la citoyenneté en l'espèce constitue une erreur de principe qui m'enlève toute hésitation que je pourrais avoir d'arriver à une conclusion différente sur les faits même s'il s'agit d'un nouveau procès.

[23]            Dans le jugement Loi sur la citoyenneté et Antonios E. Papadogiorgakis, [1978] 2 C.F. 208 (C.F. 1re inst.), le juge en chef adjoint Thurlow exposait le critère de l'existence centralisée :


Une personne ayant son propre foyer établi, où elle habite, ne cesse pas d'y être résidente lorsqu'elle le quitte à des fins temporaires, soit pour traiter des affaires, passer des vacances ou même pour poursuivre des études. Le fait que sa famille continue à y habiter durant son absence peut appuyer la conclusion qu'elle n'a pas cessé d'y résider. On peut aboutir à cette conclusion même si l'absence a été plus ou moins longue. Cette conclusion est d'autant mieux établie si la personne y revient fréquemment lorsque l'occasion se présente.

Ainsi que l'a dit le juge Rand [Thomson c. M.R.N., [1946] R.C.S. 209] dans l'extrait que j'ai lu, cela dépend [Traduction] « essentiellement du point jusqu'auquel une personne s'établit en pensée et en fait, ou conserve ou centralise son mode de vie habituel avec son cortège de relations sociales, d'intérêts et de convenances, au lieu en question » .

[24]            Le juge Dubé a reformulé ainsi ce critère dans le jugement Banerjee (Re), [1994] A.C.F. no 1360 (C.F. 1re inst.), à la page 238 : « C'est la qualité de l'attachement au Canada qui doit être examinée » .

[25]            Le critère de la présence physique exposé par le juge Muldoon dans le jugement Re Pourghasemi, [1993] A.C.F. no 232 (C.F. 1re inst.), exige du demandeur de citoyenneté qu'il ait été physiquement présent au Canada pendant le nombre requis de jours. Voici le paragraphe 3 de ce jugement :


Il est évident que l'alinéa 5(1)c) vise à garantir que quiconque aspire au don précieux de la citoyenneté canadienne ait acquis, ou se soit vu obligé d'acquérir, au préalable la possibilité quotidienne de « se canadianiser » . Il la fait en côtoyant les Canadiens au centre commercial, au magasin d'alimentation du coin, à la bibliothèque, à la salle de concert, au garage de réparation d'automobiles, dans les buvettes, les cabarets, dans l'ascenseur, à l'église, à la synagogue, à la mosquée ou au temple - en un mot là où l'on peut rencontrer des canadiens et parler avec eux - durant les trois années requises. Pendant cette période, le candidat à la citoyenneté peut observer la société canadienne telle qu'elle est, avec ses vertus, ses défauts, ses valeurs, ses dangers et ses libertés. Si le candidat ne passe pas par cet apprentissage, cela signifie que la citoyenneté peut être accordée à quelqu'un qui est encore un étranger pour ce qui est de son vécu, de son degré d'adaptation sociale, et souvent de sa pensée et de sa conception des choses. Si donc le critère s'applique à l'égard de certains candidats à la citoyenneté, il doit s'appliquer à l'égard de tous. Et c'est ainsi qu'il a été appliqué par Mme le juge Reed dans Re Koo, T-20-92, 3 décembre 1992 [Voir [1992] A.C.F. no 1107.], encore que les faits de la cause ne fussent pas les mêmes.

[26]            Finalement, s'agissant du critère de l'existence centralisée, le juge Reed a exposé, dans le jugement Re Koo, [1993] 1 C.F. 286 (C.F. 1re inst.) [ci-après le jugement Koo], une liste de six facteurs qui témoignent d'un lien suffisant avec le Canada de telle sorte que soit justifiée l'attribution de la citoyenneté, même si le nombre minimum requis de jours n'est pas atteint :

La conclusion que je tire de la jurisprudence est la suivante : le critère est celui de savoir si l'on peut dire que le Canada est le lieu où le requérant « vit régulièrement, normalement ou habituellement » . Le critère peut être tourné autrement : le Canada est-il le pays où le requérant a centralisé son mode d'existence? Il y a plusieurs questions que l'on peut poser pour rendre une telle décision :

(1) la personne était-elle physiquement présente au Canada durant une période prolongée avant de s'absenter juste avant la date de sa demande de citoyenneté?

(2) où réside la famille proche et les personnes à charge (ainsi que la famille étendue) du requérant?

(3) la forme de présence physique de la personne au Canada dénote-t-elle que cette dernière revient dans son pays ou, alors, qu'elle n'est qu'en visite?

(4) quelle est l'étendue des absences physiques - lorsqu'il ne manque à un requérant que quelques jours pour atteindre le nombre total de 1 095 jours, il est plus facile de conclure à une résidence réputée que lorsque les absences en question sont considérables?

(5) l'absence physique est-elle imputable à une situation manifestement temporaire (par exemple, avoir quitté le Canada pour travailler comme missionnaire, suivre des études, exécuter un emploi temporaire ou accompagner son conjoint, qui a accepté un emploi temporaire à l'étranger)?

(6) quelle est la qualité des attaches du requérant avec le Canada : sont-elles plus importantes que celles qui existent avec un autre pays?


[27]            Tous ces critères ont été jugés applicables. Comme le précise le juge Blanchard dans le jugement So c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [2001] A.C.F. no 1232 (C.F. 1re inst.) :

[par. 29] La jurisprudence appuie sa proposition selon laquelle un juge de la citoyenneté peut à son choix appliquer l'un des critères mentionnés ci-dessus, pourvu que le critère choisi soit appliqué correctement.

[28]            Il appert de sa décision que le juge de la citoyenneté a appliqué le jugement Koo à la présente affaire. J'ai examiné attentivement les questions et réponses du juge de la citoyenneté apparaissant dans les motifs de décision concernant la résidence, que l'on peut trouver aux pages 7 et 8 des dossiers certifiés.

Présence physique au Canada pendant une longue période avant des absences récentes

[29]            La première question posée par le juge de la citoyenneté est un rappel mot pour mot du premier facteur du critère Koo :

La personne a-t-elle été physiquement présente au Canada durant une période prolongée avant sa première absence? La plupart des absences sont-elles récentes et ont-elles eu lieu immédiatement avant la demande de citoyenneté?


Ce à quoi le juge de la citoyenneté a répondu, à la page 7 de la décision :

M. Wu est un importateur-exportateur qui a obtenu le droit d'établissement en 1993. Son entreprise est une entreprise canadienne.

Mme Wu accompagne son mari dans ses voyages d'affaires.

[30]            Cette conclusion ne répond pas à la question de savoir si les intimés ont été physiquement présents au Canada pendant une période prolongée avant leur première absence. En fait, le juge de la citoyenneté ne se demande nulle part si les intimés s'étaient établis au Canada avant leur premier départ.

Famille étendue

[31]            Le deuxième facteur du critère Koo tente d'établir un lien entre le demandeur de citoyenneté et la famille immédiate et étendue du demandeur. À la page 7 des dossiers certifiés, la question et la réponse se présentent ainsi :

Où se trouvent la famille immédiate et les personnes à charge (et la famille étendue) du demandeur)?

Trois filles sont canadiennes, et toutes vivent aujourd'hui au Canada.

[32]            Il semblerait que dans sa conclusion le juge de la citoyenneté a ignoré le fait que la question portait sur la famille étendue des intimés.


Forme de présence physique au Canada

[33]            Le troisième facteur énoncé dans le jugement Koo se rapporte à la forme de présence physique du demandeur au Canada. Encore une fois, à la page 7 des dossiers certifiés, on peut lire ce qui suit :

La forme de présence physique de la personne au Canada indique-t-elle que cette personne revient dans son pays ou plutôt qu'elle n'est qu'en visite?

Elle revient chez elle chaque fois - elle a deux filles au Canada et une autre aux États-Unis, où elle étudie à Northwestern University.

[34]            Le juge de la citoyenneté a mal répondu à cette question. Il n'y a aucun lien logique entre la question posée et la réponse fournie.

Nombre de jours de présence au Canada et absence du Canada

[35]            Le quatrième facteur énoncé dans le jugement Koo parle de la durée des absences du demandeur. Le juge de la citoyenneté a écrit ce qui suit au bas de la page 7 des dossiers certifiés :

Quelle est l'étendue des absences physiques? (Nombre de jours en dehors du Canada par rapport au nombre de jours de présence au Canada)

M. Wu                                                     Mme Wu]

présent 243 jours                                       présente 400 jours

absent 1 217 jours                                     absente 1 060 jours

* demandée antérieurement, mais non acceptée - n'étaient pas résidents depuis assez longtemps.


[36]            L'observation du juge de la citoyenneté au bas de la page 7 donne à entendre qu'il fondait sa décision sur le fait que les intimés avaient auparavant demandé la citoyenneté. Cependant, compte tenu de l'absence considérable des deux intimés cette fois-ci, le juge de la citoyenneté aurait dû se rendre compte qu'il serait impossible pour les intimés de remplir les conditions de résidence prévues par l'alinéa 5(1)c) de la Loi.

Situation temporaire

[37]            S'agissant du cinquième facteur énoncé dans le jugement Koo, le juge de la citoyenneté ne répond pas à la question de savoir si les absences des intimés étaient imputables à une situation manifestement temporaire. Il écrit plutôt :

L'absence physique est-elle imputable à une situation manifestement temporaire (par exemple, avoir quitté le Canada pour travailler comme missionnaire, suivre des études, exécuter un emploi temporaire ou accompagner son conjoint, qui a accepté un emploi temporaire à l'étranger)?

M. Wu - homme d'affaires international - import/export.

Mme Wu - accompagnait la plupart du temps son mari dans ses voyages d'affaires à Taïwan.

[38]            Là encore, il n'y a aucun lien entre la question posée et la réponse donnée.

Attaches substantielles avec le Canada

[39]            Le sixième et dernier facteur énoncé dans le jugement Koo permet au juge de la citoyenneté de déterminer la qualité des attaches des intimés avec le Canada par rapport aux attaches qui peuvent exister avec un autre pays. À la page 8 des dossiers certifiés, le juge de la citoyenneté a écrit :


Quelle est la qualité des attaches avec le Canada? Sont-elles plus importantes que celles qui existent avec un autre pays?

-ils sont propriétaires de leur habitation et d'une voiture

-membres actifs de la communauté

-leurs trois filles sont des résidentes du Canada

-toutes les cartes habituelles, ainsi que les titres

-très bonne connaissance du Canada, à en juger par les résultats du test.

[40]            Cette réponse procède davantage du test de connaissances administré aux intimés durant leur entrevue. Le juge de la citoyenneté n'aurait pas dû tirer des conclusions en se fondant sur les questions du test de connaissances puisque ces questions doivent être jugées séparément de l'évaluation complète des intimés aux fins de la citoyenneté canadienne.

Considérations hors de propos

[41]            Je crois également que le juge de la citoyenneté s'est attardé à certains facteurs hors de propos, sous la rubrique DÉCISION. Je ne parviens pas à voir pourquoi le juge de la citoyenneté a inséré la phrase suivante à la fin de sa décision :

Il convient de noter aussi que M. Wu est âgé de plus de 60 ans et que Mme Wu ne s'absente du Canada que pour accompagner son mari.

[42]            Le juge de la citoyenneté paraît vouloir dire que, si les intimés ne remplissent pas les conditions de résidence, cela peut se justifier par l'âge de M. Wu et par le fait que la seule raison des absences de Mme Wu était qu'elle accompagnait son mari. Il m'est impossible toutefois de dire que cette conclusion découle logiquement de ses motifs.

[43]            Après examen complet de la présente affaire, il m'apparaît que le juge de la citoyenneté n'a pas répondu avec précision aux questions en fonction des critères énoncés dans le jugement Koo. Ses réponses sont imprécises et ne sont pas étayées par l'analyse. De plus, les faits de la présente espèce montrent que le comportement des intimés est marqué par des absences longues et fréquentes du Canada, entrecoupées de visites rares et brèves au Canada, le résultant étant qu'ils passent la majeure partie de leur temps à Taïwan. Le nombre de jours manquants est donc très important : il manque à M. Wu 852 jours et il manque à Mme Wu 695 jours. Il m'apparaît donc clair que les intimés n'ont pas rempli les conditions de résidence au cours de la période pertinente, selon ce que prévoit l'alinéa 5(1)c) de la Loi.

[44]            Le juge de la citoyenneté n'aurait manifestement pas dû approuver les demandes de citoyenneté canadienne présentées par les intimés, et la Cour se doit donc d'intervenir.

[45]            Par conséquent, cet appel est accueilli, avec dépens en faveur de l'appelant.

                                                                                                                                  « Max M. Teitelbaum »          

                                                                                                                                                                 Juge                          

Vancouver (Colombie-Britannique)

le 27 mai 2002

Traduction certifiée conforme

Suzanne M. Gauthier, trad. a., LL.L.


                                                    COUR FÉDÉRALE DU CANADA

                                               SECTION DE PREMIÈRE INSTANCE

                                                 AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

DOSSIERS :                                            T-1262-01

T-1263-01

INTITULÉ :                                             MCI c. Tzu Chin Fan Wu

MCI c. Jan Fu Wu

LIEU DE L'AUDIENCE :                     Vancouver (Colombie-Britannique)

DATE DE L'AUDIENCE :                   le 16 mai 2002

MOTIFS DE L'ORDONNANCE :     Monsieur le juge Teitelbaum

DATE DES MOTIFS :                          le 17 mai 2002

COMPARUTIONS :

Peter Bell                                                                                        POUR L'APPELANT

-                                                                                                      INTIMÉS

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Sous-procureur général du Canada                                               POUR L'APPELANT

Ministère de la Justice

Vancouver (Colombie-Britannique)

-                                                                                                       POUR LES INTIMÉS

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