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                                                                                                                                            Date: 20010202

                                                                                                                                Dossier: IMM-434-00

                                                                                                                             Référence: 2001 CFPI 7

OTTAWA (ONTARIO), le 2 février 2001

DEVANT : Madame le juge Dolores Hansen

ENTRE :

CHUNG JA LEE, JIHYUN LEE, JINA LEE

& JAE HONG KIM

                                                                                                                                                   demandeurs

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L'IMMIGRATION

                                                                                                                                                      défendeur

ORDONNANCE

Sur présentation d'une demande de contrôle judiciaire d'une décision rendue le 11 janvier 2000 par un conseiller de Citoyenneté et Immigration conformément au paragraphe 114(2) de la Loi sur l'immigration, L.R.C. (1985), ch. I-2, par laquelle celui-ci a refusé d'accorder aux demandeurs une dispense de l'obligation de présenter une demande de résidence permanente depuis l'étranger;

Les documents qui ont été déposés ayant été examinés et les observations des parties ayant été entendues;


Pour les motifs d'ordonnance prononcés en ce jour :

LA COUR ORDONNE PAR LES PRÉSENTES CE QUI SUIT :

La demande de contrôle judiciaire est rejetée.

          « Dolores M. Hansen »         

J.C.F.C.

Traduction certifiée conforme

Suzanne M. Gauthier, LL.L., Trad. a.


                                                                                                                                            Date: 20010202

                                                                                                                                Dossier: IMM-434-00

                                                                                                                             Référence: 2001 CFPI 7

ENTRE :

CHUNG JA LEE, JIHYUN LEE, JINA LEE

& JAE HONG KIM

                                                                                                                                                   demandeurs

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L'IMMIGRATION

                                                                                                                                                      défendeur

MOTIFS DE L'ORDONNANCE

LE JUGE HANSEN

INTRODUCTION

[1]         Il s'agit d'une demande de contrôle judiciaire d'une décision rendue le 11 janvier 2000 par un conseiller de Citoyenneté et Immigration conformément au paragraphe 114(2) de la Loi sur l'immigration, L.R.C. (1985), ch. I-2, par laquelle celui-ci a refusé d'accorder aux demandeurs une dispense de l'obligation de présenter leur demande de résidence permanente depuis l'étranger.

LES FAITS


[2]         La demanderesse principale, qui a perdu deux maris, est mère de trois enfants, âgés de 22, de 20 et de 12 ans. Ils sont tous citoyens de la République de Corée. Ils sont arrivés au Canada le 2 septembre 1994 à titre de visiteurs, la demanderesse cherchant à se soustraire à son deuxième mari, qui était violent et qui est depuis lors décédé. Les visas de visiteur étaient valides jusqu'au 2 décembre 1995.

[3]         La famille n'a jamais demandé ou obtenu une prorogation des visas de visiteur, mais elle est restée au pays après l'expiration des visas. Par conséquent, le 1er mai 1996, le ministre a entamé une procédure en vue de les renvoyer du Canada.

[4]         La demanderesse a alors revendiqué le statut de réfugié au sens de la Convention pour son compte et pour celui de ses trois enfants, mais cette demande a été rejetée le 11 septembre 1998. La demanderesse n'a pas présenté d'observations à titre de demanderesse non reconnue du statut de réfugié, mais le 6 novembre 1998, elle a demandé une dispense de l'obligation de présenter une demande de résidence permanente depuis l'étranger, en invoquant des raisons d'ordre humanitaire. Cette demande a été rejetée le 11 janvier 2000 et la demanderesse sollicite maintenant le contrôle judiciaire de cette décision défavorable.

[5]         La demanderesse soutient qu'elle est maintenant établie au Canada avec sa famille; que, depuis 1998, elle a travaillé, d'abord pour Gaia Foods, puis au Sandwich Village, et que ses filles sont des étudiantes à plein temps qui travaillent en outre à temps partiel. Les filles et la mère font partie de la chorale de l'église luthérienne coréenne. Le fils de la demanderesse fréquente l'école primaire; il est gardien de but de l'équipe locale de hockey.


[6]         La demanderesse soutient que si elle retournait dans la République de Corée, cela lui causerait des difficultés importantes puisque la société, en Corée, est superstitieuse et qu'en sa qualité de veuve qui a perdu deux maris, elle serait considérée comme [TRADUCTION] « malchanceuse » . Elle déclare qu'à cause de sa situation, on l'éviterait et que la chose aurait un effet défavorable sur les perspectives de mariage de ses filles. Elle déclare en outre que son deuxième mari avait accumulé des dettes avant de mourir et que, si elle retournait en Corée, il se pourrait qu'elle ait à rembourser l'argent que celui-ci devait, à défaut de quoi elle serait passible d'une peine d'emprisonnement.

[7]         À l'appui de sa demande, la demanderesse a soumis un article copié à la main d'un site de l'Internet, provenant du département des études féminines, à l'université Shin-La, lequel traite du statut social des veuves et des femmes divorcées dans la République de Corée. La demanderesse n'a pas présenté de preuve au sujet des dettes de son ancien mari.

LA DÉCISION ICI EN CAUSE


[8]         Le conseiller a conclu que les circonstances ici en cause ne justifiaient pas l'octroi d'une dispense, étant donné que les emplois exercés par la demanderesse et par sa famille, le fait qu'ils étudiaient et les liens sociaux qu'ils avaient noués au Canada ne constituaient pas une preuve suffisante de leur établissement de sorte qu'ils feraient face à des difficultés s'ils devaient demander le droit d'établissement depuis l'étranger. Le conseiller a également tenu compte du fait que les demandeurs avaient de proches parents qui vivaient dans la République de Corée, qu'ils n'avaient plus à craindre d'être victimes d'actes de violence de la part du mari décédé, qu'ils n'entretenaient pas de relations étroites avec les deux membres de leur famille qui vivaient au Canada et que, même s'il était tenu compte de l'article qui avait été soumis, il n'existait aucune preuve concluante montrant qu'en sa qualité de veuve, la principale intéressée serait dépréciée ou serait victime de discrimination, et encore moins qu'elle serait passible d'une peine plus sévère dans la République de Corée. En outre, rien ne montrait l'existence d'une dette impayée dont la demanderesse pourrait être tenue responsable.

LA NORME DE CONTRÔLE

[9]         Dans l'arrêt Baker c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [1992] 2 R.C.S. 817, au paragraphe 62, Madame le juge L'Heureux-Dubé a examiné la norme de contrôle à appliquer lorsque l'on demande à la Cour d'examiner une demande visant à contester une décision fondée sur des raisons d'ordre humanitaire comme celle qui est ici en cause :

[...] Je conclus qu'on devrait faire preuve d'une retenue considérable envers les décisions d'agents d'immigration exerçant les pouvoirs conférés par la loi, compte tenu de la nature factuelle de l'analyse, de son rôle d'exception au sein du régime législatif, du fait que le décideur est le ministre, et de la large discrétion accordée par le libellé de la loi. Toutefois, l'absence de clause privative, la possibilité expressément prévue d'un contrôle judiciaire par la Cour fédérale, Section de première instance, et la Cour d'appel fédérale dans certaines circonstances, ainsi que la nature individuelle plutôt que polycentrique de la décision, tendent aussi à indiquer que la norme applicable ne devrait pas en être une d'aussi grande retenue que celle du caractère « manifestement déraisonnable » . Je conclus, après avoir évalué tous ces facteurs, que la norme de contrôle appropriée est celle de la décision raisonnable simpliciter.

[10]       Au paragraphe 63 de l'arrêt Baker, supra, il est fait mention de la décision que la Cour suprême du Canada a rendue dans l'affaire Canada (Directeur des enquêtes et recherches) c. Southam Inc., [1997] 1 R.C.S. 748, où le juge Iacobucci explique cette norme comme suit :

Est déraisonnable la décision qui, dans l'ensemble, n'est étayée par aucun motif capable de résister à un examen assez poussé.


[11]       Par conséquent, en l'espèce, cette cour doit être convaincue que la décision du conseiller peut résister à l'examen qu'elle effectue en vue de déceler un vice ou des vices ayant pour effet de rendre la décision déraisonnable et, par conséquent, susceptible d'intervention.

ANALYSE

[12]       Cette affaire se rapporte à la question cruciale de savoir si, en appréciant la demande, le conseiller a appliqué une norme appropriée à l'égard des difficultés indues.

[13]       En prenant sa décision, le conseiller a tenu compte des lignes directrices figurant dans le Guide au sujet du traitement des demandes au Canada et de la situation personnelle des demandeurs sur le plan de la famille, de l'emploi, des études et des liens sociaux au Canada ainsi que de l'article que la demanderesse a soumis au sujet de la situation des femmes divorcées et des veuves dans la République de Corée. Compte tenu de ces observations, le conseiller a tenu compte du risque auquel les demandeurs feraient face s'ils étaient tenus de demander le droit d'établissement depuis la République de la Corée.

[14]       Les difficultés indues mettent en cause une exigence préliminaire rigoureuse et les inconvénients subis ne sont pas suffisants en tant que tels. Comme point de départ de l'examen de cette exigence préliminaire, le défendeur se fonde sur le Guide, en ce qui concerne le traitement des demandes au Canada, (le Guide), où il est dit ce qui suit :

Les définitions suivantes ne constituent pas des règles strictes. Plutôt, elles ont pour but d'aider à exercer le pouvoir discrétionnaire de déterminer s'il existe des CH justifiant la dispense demandée du L9(1).


Difficultés inhabituelles et injustifiées

Les difficultés que subirait le demandeur (s'il devait présenter sa demande de visa hors du Canada) doivent, dans la plupart des cas, être inhabituelles. Il s'agit, en d'autres termes, de difficultés qui ne sont pas prévues dans la Loi ou le Règlement, et

Les difficultés que subirait le demandeur (s'il devait présenter sa demande hors du Canada) doivent, dans la plupart des cas, découler de circonstances indépendantes de sa volonté.

Difficultés excessives

Dans certains cas où le demandeur ne subirait de difficultés ni inhabituelles ni injustifiées (s'il devait présenter sa demande de visa hors du Canada), il est possible de conclure à l'existence de CH en raison de difficultés considérées comme excessives pour le demandeur compte tenu de ses circonstances personnelles. (Citoyenneté et Immigration, Guide sur le traitement des demandes au Canada, page 13)

[15]       Les avocats des demandeurs et du défendeur citent les définitions susmentionnées de la norme relative aux difficultés.

[16]       Le défendeur soutient en outre que lorsque la difficulté alléguée est fondée sur l'existence d'un présumé risque personnalisé dans le pays d'origine, le risque doit être bien défini, personnel, grave et susceptible de se produire. Voici ce que dit le Guide :

Une décision favorable peut être justifiée pour un demandeur qui courrait un risque objectivement personnalisé s'il était renvoyé du Canada. Il peut s'agir d'un risque pour sa vie ou un risque de sanctions graves et injustifiées ou de traitements cruels comme la torture. Les degrés de risque varient. En général, le risque doit être plus grand qu'une simple possibilité, mais il peut être inférieur à une « prépondérance des probabilités » .


[17]       L'avocate des demandeurs soutient que sa preuve respecte clairement les paramètres énoncés dans le Guide, et ce, pour plusieurs raisons : la discrimination à laquelle la demanderesse fait face est inhabituelle compte tenu de sa situation inhabituelle en tant que veuve qui a perdu deux maris dans une société fort suspicieuse; la discrimination découle de circonstances indépendantes de la volonté de la demanderesse; l'exigence selon laquelle la demanderesse devrait retourner dans la République de Corée avec sa famille aurait des conséquences excessives.

[18]       Le défendeur déclare qu'en fin de compte, le conseiller a examiné la preuve et les circonstances par rapport à ce que l'on entend par « difficulté indue » , et qu'il a conclu que les demandeurs ne font pas face à une situation qui constituerait une difficulté indue. Le défendeur se fonde sur la décision Espena c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [1997] A.C.F. no 188 (C.F. 1re inst.) à l'appui du principe selon lequel la Cour doit faire preuve de retenue à l'égard de cette conclusion.

CONCLUSION

[19]       Par conséquent, après avoir minutieusement examiné la décision ici en cause et les prétentions des parties, je ne suis toujours pas convaincue que la conclusion que le conseiller a tirée soit déraisonnable. Le conseiller a tenu compte de la preuve, il l'a soupesée par rapport au sens attribué aux difficultés indues et il a exercé son pouvoir discrétionnaire en conséquence.

[20]       Cette cour reconnaît que lorsqu'elle retournera dans la République de Corée, la demanderesse et ses filles pourront bien faire face à des répercussions sociales désagréables du fait que la demanderesse a perdu deux maris, mais le conseiller a conclu qu'elles ne feraient pas face à des difficultés indues et il n'incombe pas à cette cour de substituer sa propre décision à celle du conseiller.


[21]       La Cour sympathise avec la situation des demandeurs et la passion avec laquelle l'avocate a fait valoir leur point de vue l'impressionne, mais je ne vois pas sur quels motifs elle pourrait se fonder pour infirmer la décision du conseiller. À mon avis, le conseiller a exercé son pouvoir discrétionnaire d'une façon raisonnable, en tenant compte de toutes les circonstances pertinentes.

[22]       La décision défavorable que le conseiller a prise n'empêche pas la demanderesse et ses enfants de revenir au Canada. On leur demande de se conformer à l'exigence légale selon laquelle ils doivent présenter leur demande de résidence permanente depuis l'étranger. Il n'est peut-être pas du tout commode de le faire, mais en même temps, comme l'a dit le juge Lemieux au paragraphe 39 de la décision Mayburoy v. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [2000] A.C.F. no 953 :

[...] une demande fondée sur des motifs d'ordre humanitaire dans le présent contexte ne peut permettre aux intéressés d'obtenir ce qu'ils souhaitent après avoir été déboutés, conformément au droit canadien, en exerçant tous les recours judiciaires qui s'offraient à eux.

[23]       Pour ces motifs, la demande de contrôle judiciaire est rejetée.

            « Dolores M. Hansen »                

J.C.F.C.

OTTAWA (ONTARIO),

le 2 février 2001

Traduction certifiée conforme

Suzanne M. Gauthier, LL.L., Trad. a.


COUR FÉDÉRALE DU CANADA

SECTION DE PREMIÈRE INSTANCE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

No DU GREFFE :                                   IMM-434-00

INTITULÉ DE LA CAUSE :                 Chung Ja Lee et autres c. MCI

LIEU DE L'AUDIENCE :                      Toronto (Ontario)

DATE DE L'AUDIENCE :                     le 29 septembre 2000

MOTIFS DE L'ORDONNANCE du juge Dolores M. Hansen en date du 2 février 2001

ONT COMPARU :

Chantal Desloges                                                  POUR LES DEMANDEURS

Martin Anderson                                                  POUR LE DÉFENDEUR

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Chantal Desloges                                                  POUR LES DEMANDEURS

Toronto (Ontario)

Morris Rosenberg                                                 POUR LE DÉFENDEUR

Sous-procureur général du Canada

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