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Date : 20001124


Dossier : T-1458-99

Entre :

     SYLVIE CYR et SUZANNE GODIN

     Demanderesses

     - et -

     LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

     Défendeur



     MOTIFS DE L'ORDONNANCE


LE JUGE TREMBLAY-LAMER:


[1]      Il s'agit d'une demande de contrôle judiciaire à l'encontre d'une décision datée du 13 juillet 1999, rendue par Pierre Baillie, président du Comité d'appel constitué par la Commission de la fonction publique du Canada en vertu de l'article 21 de la Loi sur l'emploi dans la fonction publique1.

[2]      Les demanderesses sont employées auprès de la fonction publique fédérale.

[3]      Elles ont posé leurs candidatures au concours 98-PEN-RQUE-CC-30 visant à combler une vingtaine de postes d'agent de programmes, groupe et niveau WP-3, dans différents pénitenciers de la région du Québec.

[4]      Les 18 candidats ayant réussi l'examen écrit ont passé une entrevue visant à mesurer les capacités recherchées. Les demanderesses ont été les premières candidates à passer l'entrevue. L'entrevue de la demanderesse Godin a eu lieu le 14 octobre 1998, de 8h15 à environ 11h00, alors que celle de la demanderesse Cyr a eu lieu la même journée, de 11h00 à environ 14h00, au Bâtiment No. 4 du Centre fédéral de formation (C.F.F.), un institut pénitencier situé à Laval.

[5]      Les rencontres avec le Comité de sélection se sont déroulées dans un local d'une dimension de 4 mètres par 6.5 mètres et les demanderesses ont utilisé un plus petit local pour se préparer ou rédiger.

[6]      Lors de l'entrevue de la demanderesse Godin, des travaux de construction ont été effectués dans le Bâtiment No. 14 qui est situé à 6.5 mètres du Bâtiment No. 4. Les travaux de construction constituaient à poser un cadre de porte en métal ainsi qu'un coupe-froid, ce qui a nécessité l'utilisation d'une perceuse à percussion. Les travaux de construction se sont déroulés entre 9h30 et 11h00, le 14 octobre 1998 produisant un bruit intermittent.

[7]      Pendant l'entrevue de la demanderesse Godin, l'atelier de soudure maintenance a été déménagé à l'atelier de métal ouvré situé au Bâtiment No. 14. Il a fallu utiliser une chargeuse mécanique pour effectuer le déménagement, ce qui a causé un bruit suffisamment fort pour être entendu dans le Bâtiment No. 4. De plus, le système d'appel public a été utilisé à plusieurs reprises durant l'entrevue de la demanderesse Godin.

[8]      Lors de l'entrevue de la demanderesse Cyr, les bruits provenant de la chargeuse ont continué et le système d'appel public a également été utilisé à plusieurs reprises.

[9]      Le Comité de sélection a demandé de changer de locaux le lendemain des entrevues des demanderesses.

[10]      Les demanderesses ont subi un échec à cette étape. Elles ont déposé une demande d'appel à l'encontre des nominations proposées, après la publication des listes d'admissibilité, sur la base que les conditions environnementales (bruit et chaleur) dans lesquelles elles passèrent leur entrevue leur avaient été défavorables et qu'en conséquence le principe de l'évaluation du mérite n'avait pas été respecté.

[11]      Le président du Comité d'appel a accepté que les bruits ont eu lieu. Il a néanmoins décidé de rejeter l'appel des demanderesses parce qu'il aurait fallu que ces dernières soumettent leur plainte au Comité de sélection lors de l'entrevue. Devant l'absence de plaintes précises, le jury n'a rendu aucune décision à ce sujet et le président du Comité d'appel ne peut trancher à sa place:

Dans le présent cas, le jury aurait pu prendre la décision d'ajourner ou de recommencer une entrevue qui, selon un candidat, se déroulait dans des conditions peu propices. Il aurait fallu, pour cela, qu'une demande soit faite. S'il y avait eu refus pour un motif insuffisant, la décision prise par le jury aurait pu alors faire l'objet d'une révision de ma part. Selon la preuve, il est cependant évident que ni l'une ni l'autre des deux appelantes n'a expliqué clairement au jury qu'elle se trouvait dans l'impossibilité de se faire valoir convenablement durant le déroulement du test pour tel ou tel motif et qu'elles demandaient donc un report ou un correctif à une situation inacceptable. Devant l'absence de plaintes précises, le jury n'a rendu aucune décision sur le sujet et l'on me demande de trancher à la place du jury, ce que je ne peux pas faire. Le signalement d'un problème particulier à la post-entrevue par l'appelante Cyr ne répond pas au test proposé par la Cour dans la décision Rajakurana (précitée). En fait, il était trop tard car le jury avait terminé son mandat avec la publication des listes d'admissibilité. En conséquence, la plainte commune des appelantes ne peut être retenue.2

[12]      C'est cette décision du président du Comité d'appel qui fait l'objet de la présente demande de contrôle judiciaire.

[13]      Les demanderesses soutiennent que le président du Comité d'appel a erré en droit en décidant que le processus de sélection avait respecté le principe d'évaluation au mérite malgré la preuve portée à son attention à l'effet que les conditions environnementales (bruits et chaleur) présentes lors de l'entrevue des demanderesses ont nui à leurs performances.

[14]      Le principe de sélection au mérite est le principe directeur du processus de sélection qui veut que l'on nomme le candidat le plus qualifié. Le paragraphe 10(1) de la Loi se lit comme suit:

10(1) Les nominations internes ou externes à des postes de la fonction publique se font sur la base d'une sélection fondée sur le mérite, selon ce que détermine la Commission, et à la demande de l'administrateur général intéressé, soit par concours, soit par tout autre mode de sélection du personnel fondé sur le mérite des candidats que la Commission estime le mieux adapté aux intérêts de la fonction publique.

10. (1) Appointments to or from within the Public Service shall be based on selection according to merit, as determined by the Commission, and shall be made by the Commission, at the request of the deputy head concerned, by competition or by such other process of personnel selection designed to establish the merit of candidates as the Commission considers is in the best interests of the Public Service.

[15]      Le paragraphe 21(1) de la Loi accorde un droit aux candidats qui n'ont pas été reçu à un concours dans le but d'assurer le respect du principe de sélection au mérite3:

21(1) Dans le cas d'une nomination, effective ou imminente, consécutive à un concours interne, tout candidat non reçu peut, dans le délai fixé par règlement de la Commission, en appeler de la nomination devant un comité chargé par elle de faire une enquête, au cours de laquelle l'appelant et l'administrateur général en cause, ou leurs représentants, ont l'occasion de se faire entendre.

21. (1) Where a person is appointed or is about to be appointed under this Act and the selection of the person for appointment was made by closed competition, every unsuccessful candidate may, within the period provided for by the regulations of the Commission, appeal against the appointment to a board established by the Commission to conduct an inquiry at which the person appealing and the deputy head concerned, or their representatives, shall be given an opportunity to be heard.

[16]      Le rôle du Comité de sélection est d'évaluer les différents candidats à un concours en fonction du principe du mérite et pour se faire il doit agir raisonnablement quant à l'information qui est devant lui.

[17]      Le rôle du Comité d'appel est limité à tenir une enquête pour déterminer si la sélection s'est faite en respectant le principe du mérite; le Comité d'appel ne peut pas substituer son opinion à celle du Comité de sélection quant à l'évaluation des candidats.4 S'il constate qu'un concours a été tenu dans des conditions telles qu'on puisse douter que la sélection est faite au mérite, il se doit d'intervenir.

[18]      La jurisprudence de cette Cour a décidé, à maintes reprises, que le candidat qui désire que le Comité de sélection tienne compte son handicap, maladie ou tout autre facteur qui serait de nature à nuire à sa performance lors de l'entrevue ou de l'examen, doit le porter à l'attention du Comité de sélection de manière claire et non équivoque5.

[19]      Le procureur de la demanderesse prétend que la situation est différente en l'espèce parce que le bruit est un élément objectif et que de ce fait le Comité de sélection aurait dû se rendre compte que des conditions inacceptables existaient lors de l'examen. Un Comité de sélection qui ne fait rien agit de façon déraisonnable et le Comité d'appel aurait dû intervenir.

[20]      Je suis d'opinion que le bruit et la chaleur représentent des éléments plus facilement observables qu'un handicap ou une maladie qui sont à moins de signes apparents, à la seule connaissance d'un candidat.

[21]      Certes, le bruit et la chaleur, au même titre qu'un handicap ou une maladie, peuvent être de nature à nuire à la performance d'un candidat lors d'une entrevue ou de l'examen. Cependant, leurs effets variera d'un candidat à l'autre; certains en seront incommodés d'autres pas.

[22]      D'ailleurs, la présidente du Comité de sélection a témoigné devant le Comité d'appel à l'effet que les bruits dont se plaignent les demanderesses étaient supportables le 14 octobre 1998, lors de leurs entrevues. De plus, la preuve devant le Comité d'appel était à l'effet qu'il y a eut proportionnellement plus d'échecs parmi les candidats qui passèrent leur entrevue dans un autre local que parmi les candidats qui ont subi l'examen au pénitencier le 14 octobre 1998.

[23]      Il est donc difficile eu égard à cette preuve de conclure que ces éléments auraient eu un impact sur la performance des candidates. En l'espèce, le fardeau reposait sur les demanderesses de présenter de façon claire et non équivoque au Comité de sélection qu'elles subissaient des inconvénients liés au bruit et à la chaleur, ce qui les empêchaient de donner leur pleine performance et qu'elles voulaient reporter leur entrevue ou obtenir une mesure corrective.

[24]      Toutefois, les demanderesses n'ont pas demandé au Comité de sélection de reporter leur entrevue ou d'apporter un correctif à la situation. Comme il n'y a eu aucune demande en se sens, le Comité de sélection ne s'est pas penché sur cette question.

[25]      Ce n'est qu'après la publication des listes d'admissibilité que les demanderesses ont fait valoir qu'elles avaient subi des inconvénients majeurs lors de l'entrevue. Malheureusement il était trop tard.

[26]      Je suis d'avis que le président du Comité d'appel n'a pas erré en droit en décidant qu'il ne pouvait intervenir.



[27]      La demande de contrôle judiciaire à l'encontre de la décision du président du Comité d'appel datée du 13 juillet 1999 est rejetée.





     « Danièle Tremblay-Lamer »

                                     JUGE

OTTAWA (ONTARIO)

Le 24 novembre 2000

__________________

1      L.R.C. 1985, ch. P-33 [ci après Loi].

2      Affidavit de Jean-Claude Plamondon, Dossier des demanderesses, onglet 2B, pages 22-23 (décision du Comité d'appel, 13 juillet 1999).

3      Voir également Charest c. Procureur général du Canada, [1973] C.F. 1217 (C.A.) à la p. 1221.

4      Voir, par exemple, Merrill c. Blagdon (1976) 1 C.F. 615 (C.A.) à la p. 74.

5      Voir, par exemple, Rajakaruna c. Canada (Conseil du Trésor) (8 décembre 1995), T-2735-94 (C.F.) et Boucher c. Canada (Procureur général du Canada) (1998), 157 F.T.R. 79 (C. F. 1ère inst.) à la p. 83.

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